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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2524/2023

JTAPI/592/2024 du 18.06.2024 ( OCPM ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION D'ÉTABLISSEMENT;ASSISTANCE PUBLIQUE;INTÉGRATION SOCIALE;DROIT DE S'EXPLIQUER
Normes : Cst.29.al2; LEI.34.al4; OASA.60
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2524/2023

JTAPI/592/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 18 juin 2024

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, agissant en leur nom et pour le compte de leurs enfants mineurs, C______ et D______

Madame E______

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur B______, né le ______ 1984, Madame A______, née le ______ 1987, et leurs enfants E______, née le ______ 2006, C______, né le ______ 2009 et D______, née le ______ 2014, sont ressortissants irakiens.

2.             Arrivés en Suisse le 2 octobre 2015, ils ont déposé une demande d’asile et ont été attribués au canton de Genève.

3.             Le 14 octobre 2016, ils ont obtenu le statut de réfugié.

4.             Depuis le 21 novembre 2016, ils sont au bénéfice d’une autorisation de séjour, renouvelée en dernier lieu jusqu’au 13 octobre 2025.

5.             Le ______ 2022, la société F______ Sàrl a été inscrite au registre du commerce du canton de Genève. Elle a notamment pour but le transport professionnel de personnes. M. B______ en est l’associé gérant.

6.             Le 22 juin 2023, l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a reçu une demande d’octroi d’autorisation d’établissement déposée par M. B______.

7.             Par courrier décision du 7 juillet 2023, l’OCPM a refusé de délivrer une autorisation d’établissement en faveur de M. B______ et de sa famille, précisant qu’il était toutefois disposé à prolonger leurs autorisations de séjours, sous réserve de l’approbation du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM).

Les intéressés avaient été à la charge de l’Hospice général, du 16 octobre 2015 au 31 décembre 2021 et avait perçu des aides financières pour un montant de CHF 280'708.55 au total. Ils n’avaient ainsi pas fait preuve d’une intégration suffisante au cours des cinq dernières années.

8.             Par acte du 5 août 2023, M. B______ (ci-après : le recourant), a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant implicitement à son annulation et à l’octroi des autorisations requises.

Son épouse et lui-même avaient dû attendre deux ans avant de pouvoir s’inscrire aux cours de français par l’intermédiaire de l’Hospice général. Ils avaient désormais obtenu leurs certificats attestant d’un niveau B1 à l’oral et A2 à l’écrit. Il avait ainsi pu entamer une formation afin d’obtenir un permis de chauffeur professionnel. Il n’émargeait plus à l’assistance sociale depuis août 2021 et il avait créé sa propre société en décembre 2022. Le motif qui avait conduit au refus de l’OCPM n’était ainsi plus d’actualité.

Les enfants poursuivaient une scolarité exemplaire et toute la famille était très bien intégrée en Suisse. L’octroi d’une autorisation d’établissement leur permettrait de parfaire leur intégration.

9.             Après avoir invité Mme A______ (ci-après : la recourante) à transmettre un exemplaire du recours muni de sa signature, le tribunal a reçu le 6 septembre 2023 un complément de recours signé par les époux (ci-après : les recourants).

Ils avaient bénéficié de prestations de l’Hospice général jusqu’en août 2021 et non pas jusqu’en décembre 2021. S’agissant des montants qu’ils avaient perçus, ils n’étaient pas responsables des barèmes d’aides financières. Le manque de place disponible pour suivre des cours de français, nécessaire à l’intégration professionnelle, ne leur était pas non plus imputable. Le recourant avait commencé à travailler en qualité de chauffeur de véhicule de tourisme (ci-après : VTC) dès qu’il avait pu suivre les cours de langue. Il avait ensuite créé sa propre société, F______ Sàrl. Récemment, il avait obtenu le diplôme de chauffeur de taxi qui lui permettrait de développer son activité. Sa progression professionnelle était toutefois freinée par son statut de séjour. Cela faisait plusieurs années que la famille était financièrement indépendante et elle pouvait se prévaloir d’une intégration justifiant l’octroi anticipé d’autorisations d’établissement.

10.         Dans sa duplique du 27 septembre 2023, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

La décision litigieuse était essentiellement motivée par le fait que les recourants et leurs enfants avaient perçu pendant plusieurs années des prestations financières de l’Hospice général et ce, même après avoir obtenu une autorisation de séjour en 2016. Même si la famille était financièrement indépendante depuis 2022, grâce à l’activité professionnelle du recourant, il n’en demeurait pas moins que les conditions légales et jurisprudentielles auxquelles était subordonnée l’octroi d’une autorisation d’établissement n’étaient pas réalisées. Après dix ans de séjour et, sous réserve de la réalisation des conditions légales, ils pourraient solliciter une autorisation d’établissement ordinaire.

11.         Les recourants ont répliqué le 10 septembre 2023.

Reprenant en substance les arguments développés dans leurs précédentes écritures, ils ont considéré que la décision litigieuse était injustifiée, dès lors qu’ils remplissaient les conditions légales d’octroi de l’autorisation requise.

12.         Dans sa duplique du 16 novembre 2023, l’OCPM a indiqué ne pas avoir d’observations complémentaires à formuler.

13.         Le 21 mai 2024, interpellés par le tribunal, les recourants ont actualisé leur situation et produit divers justificatifs.

Le recourant était toujours employé par F______ Sàrl et la recourante était femme au foyer. D______, C______ et E______ poursuivaient leur scolarité, respectivement, en 6ème primaire, en dernière année du cycle d’orientation et en première année du collège. E______ qui était devenue majeure le 25 avril 2024, confirmait sa volonté de poursuivre la procédure de recours.

14.         Le dossier comporte notamment les pièces suivantes :

-          copie de la carte de chauffeur de VTC délivré le 24 août 2021 au recourant ;

-          copie du diplôme de chauffeur de taxi obtenu le 31 mars 2023 par le recourant ;

-          une attestation d’aide financière datée du 24 mai 2023, indiquant que les recourants avaient bénéficié de prestations financières de l’Hospice général du 16 octobre 2015 au 31 décembre 2021 ;

-          les fiches de salaire du recourant pour les mois d’avril à décembre 2023, indiquant un revenu mensuel moyen de l’ordre de CHF 4'005.- net, établis par F______ Sàrl.

15.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris ci-après, dans la partie « en droit », dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             Les recourants ne semblent pas avoir eu l’occasion de se déterminer avant le prononcé de la décision litigieuse.

6.             Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l’autorité de recours n’est pas possible, l’annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 ; 135 I 279 consid. 2.6.1 ; 135 I 187 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_529/2016 du 26 octobre 2016 consid. 4.2.1 ; 5A_681/2014 du 14 avril 2015 consid. 31 ; ATA/289/ 2018 du 27 mars 2018 consid. 2b). Ce moyen doit dès lors être examiné en premier lieu (ATF 137 I 195 consid. 2.2).

Les modalités de la mise en œuvre de ce droit sont d’abord déterminés par les dispositions de droit cantonal de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 8C_615/2016 du 15 juillet 2017 consid. 3.2.1 et les références citées ; ATA/289/ 2018 du 27 mars 2018 consid. 2b). Il est concrétisé à l’art. 41 LPA, selon lequel les parties ont le droit d’être entendues par l’autorité compétente avant que ne soit prise une décision.

Le droit d’être entendu sert non seulement à établir correctement les faits, mais constitue également un droit indissociable de la personnalité garantissant à un particulier de participer à la prise d’une décision qui touche sa position juridique. Il comprend, en particulier, le droit pour la personne concernée de s’expliquer avant qu’une décision ne soit prise à son détriment, de fournir des preuves pertinentes quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos. En tant que droit de participation, le droit d’être entendu englobe donc tous les droits qui doivent être attribués à une partie pour qu’elle puisse faire valoir efficacement son point de vue dans une procédure (ATF 138 II 252 consid. 2.2 ; 138 I 484 consid. 2.1 ; 138 I 154 consid. 2.3.2 ; 137 I 195 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_472/2014 du 3 septembre 2015 consid. 4.1 ; ATA/80/2016 du 26 janvier 2016 consid. 2). L’étendue du droit de s’exprimer ne peut pas être déterminée de manière générale, mais doit être définie au regard des intérêts concrètement en jeu. L’idée maîtresse est qu’il faut permettre à une partie de pouvoir mettre en évidence son point de vue de manière efficace (ATA/778/2018 du 24 juillet 2018 consid. 3a et les références citées).

Cela étant, dans une procédure initiée sur requête d’un administré, celui-ci est censé motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents ; il n’a donc pas un droit à être encore entendu par l’autorité avant que celle-ci ne prenne sa décision, afin de pouvoir présenter des observations complémentaires, l’hypothèse où l’autorité entendrait fonder sa décision sur des éléments auxquels l’intéressé ne pouvait s’attendre restant réservé (ATA/266/2021 du 2 mars 2021 consid. 3c et les références citées).

7.             La jurisprudence admet qu’une violation du droit d’être entendu en instance inférieure peut être réparée lorsque l’intéressé a la faculté de se faire entendre en instance supérieure par une autorité disposant d’un plein pouvoir d’examen en fait et en droit et si l’examen de ces questions ne relève pas de l’opportunité, car l’autorité de recours ne peut alors substituer son pouvoir d’examen à celui de l’autorité de première instance (ATF 145 I 167 consid. 4.4). Une telle réparation dépend de la gravité et de l’étendue de l’atteinte portée au droit d’être entendu et doit rester l’exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2018 du 25 janvier 2019 consid. 3.8). Elle peut cependant se justifier en présence d’un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C/72/2019 du 13 mai 2019 consid. 3.1). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/779/2021 du 27 juillet 2021 consid. 4b).

8.             En l’espèce, le tribunal constate qu’aucune lettre d’intention ne figure au dossier et que les parties n’en n’ont pas non plus fait mention dans leurs écritures. L’OCPM n’a ainsi visiblement pas donné l’occasion aux recourants d’exercer leur droit d’être entendu, avant le prononcé de la décision litigieuse.

Cela étant, la procédure a été initiée par une requête des recourants, si bien qu'ils n'avaient pas à être encore entendus par l'autorité avant la prise de décision, cette dernière ne faisant pas ressortir d'éléments auxquels ils ne pouvaient s'attendre.

Même à admettre que tel ne serait pas le cas, une éventuelle violation du droit d'être entendu aurait été réparée dans le cadre de la présente procédure. En effet, les recourants ont pu se déterminer en toute connaissance de cause devant le tribunal qui dispose du même pouvoir d’examen que l’OCPM, étant relevé que la question litigieuse ne relève pas de l’opportunité. Dans ces circonstances et conformément à la jurisprudence, le renvoi de la cause à l’OCPM ne constituerait qu’une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure.

9.             La loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et ses ordonnances d'exécution, en particulier l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas en l’espèce.

10.         La législation fédérale en matière de police des étrangers distingue l'autorisation de séjour de l'autorisation d'établissement. La première est octroyée pour un séjour de plus d'une année, dont le but est déterminé. Elle peut être assortie de certaines conditions et est limitée dans le temps, mais peut être prolongée s'il n'existe aucun motif de révocation (art. 33 LEI). La seconde est octroyée pour une durée indéterminée et sans condition (art. 34 al. 1 LEI).

11.              À teneur de l'art. 34 al. 2 LEI, l'autorité compétente peut octroyer une autorisation d'établissement à un étranger aux conditions suivantes : il a séjourné en Suisse au moins dix ans au titre d'une autorisation de courte durée ou de séjour, dont les cinq dernières années de manière ininterrompue au titre d'une autorisation de séjour (let. a); il n'existe aucun motif de révocation au sens des art. 62 ou 63 al. 2 (let. b); l'étranger est intégré (let. c).

12.              À teneur de l'art. 34 al. 4 LEI, l'étranger qui remplit les conditions prévues à l'al. 2 let. b et c, et est apte à bien communiquer dans la langue nationale parlée au lieu de domicile peut obtenir une autorisation d'établissement au terme d'un séjour ininterrompu de cinq ans au titre d'une autorisation de séjour.

13.              L'art. 34 LEI est une norme potestative qui ne consacre pas de droit à un permis d'établissement (ATF 135 II 1 consid. 1.1 ; 131 II 339 consid. 1, et la jurisprudence citée ; ATAF F-3419/2018 consid. 5 ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, 2017, pp. 324 et les références citées).

14.              Les conditions posées à l'octroi anticipé d'une autorisation d'établissement sont précisées à l'art. 62 OASA.

Selon le premier alinéa de cette disposition, les critères d'intégration déterminants sont ceux définis à l'art. 58a al. 1 LEI. Y figure un catalogue de critères clairs et exhaustifs, à savoir le respect de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Constitution (let. b), les compétences linguistiques (let. c), soit pour l’octroi anticipé d’une autorisation d’établissement le niveau B1 à l’oral et le niveau A1 à l’écrit [Directives et commentaires du SEM, domaine des étrangers, ch. 3.3.1.3, état au 1er juin 2024 (ci-après : Directives SEM)], et la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (let. d) (cf. Message CF Intégration, FF 2013 2131, 2160). Ces critères sont en outre explicités aux art. 77a à 77e OASA. Dans l'examen des critères d'intégration, les autorités compétentes disposent d'un large pouvoir d'appréciation (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2018 du 9 septembre 2018 consid. 4.1). Par ailleurs, plus le statut juridique sollicité confère des droits étendus au requérant, plus les exigences liées au niveau d'intégration sont élevées (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral F-5586/2022 du 11 avril 2023 consid. 4.3 et références citées ; F-573/2021 du 14 juin 2021 consid. 4.3.1).

15.         À bien des égards, l’octroi anticipé d’une autorisation d’établissement a pour but de récompenser la personne étrangère qui présente un parcours d’intégration remarquable, méritoire. Le mérite réside dans le parcours d’intégration de la personne étrangère. C’est dire que les motifs d’ordre économique ne sauraient entrer en considération. Plus précisément, la création d’entreprises, d’emplois ou l’acquisition d’immeubles ne sont pas des motifs pertinents justifiant l’octroi anticipé du permis C, encore moins les raisons fiscales (Minh Son NGUYEN, Cesla AMARELLE (éd.), Code annoté de droit des migrations, Volume II, Loi sur les étrangers, 2017, p. 335, ch. 40 et p. 336 ch. 44).

16.         L’exigence de la participation à la vie économique repose sur le principe selon lequel l’intéressé doit être apte à subvenir lui-même à ses besoins. L’étranger doit en principe être en mesure de pourvoir à son propre entretien et à celui de sa famille, grâce à son revenu, à sa fortune ou à des prestations provenant de tiers auxquelles il a droit. Font partie de ces dernières, par exemple, les prestations d’entretien au titre du code civil ou les prestations des assurances sociales telles que la prévoyance vieillesse, survivants et invalidité et l’indemnité de chômage. En revanche, celui qui bénéficie de l’aide sociale ne participe pas à la vie économique (Directives SEM ch. 3.3.1.4.1), étant rappelé que constitue notamment un motif de révocation le fait que l'étranger lui-même ou une personne dont il a la charge dépende de l'aide sociale (art. 62 al. 1 let. e LEI).

17.         Cette position est conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral qui retient que l’essentiel en matière d’intégration professionnelle est que l'étranger subvienne à ses besoins, n'émarge pas à l'aide sociale et ne s'endette pas de manière disproportionnée. Il n'y a ainsi pas d'intégration réussie lorsque l'étranger n'exerce pas d'activité lucrative qui lui permette de couvrir ses besoins et qu'il dépend des prestations sociales pendant une période relativement longue. À l'inverse, le fait pour une personne de ne pas avoir commis d'infractions pénales et de pourvoir à son revenu sans recourir à l'aide sociale ne permet pas à lui seul de retenir une intégration réussie (arrêts du Tribunal fédéral 2C_301/2018 du 24 septembre 2018 consid. 3.2 ; 2C_455/2018 du 9 septembre 2018 consid. 4.1 et les références citées).

18.         Dans un arrêt relativement récent, le Tribunal administratif fédéral a dénié un degré d'intégration suffisamment élevé pour pouvoir prétendre à l'octroi anticipé d'une autorisation d'établissement, s’agissant d’un recourant, ayant bénéficié durant sept ans de l’assistance publique pour un montant de CHF 106'627,95.-, en complément de ses revenus. Même s’il était indépendant financièrement depuis plus de deux ans et subvenait depuis lors par ses propres moyens aux besoins de son épouse et de leurs trois enfants mineurs, cette indépendance financière devait encore être considérée comme très récente (F-6396/2020 du 13 janvier 2022 consid. 6.3.4).

Dans l’ATA/192/2022 du 22 février 2022, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), a dénié l’intégration économique d’un recourant qui, après avoir perçu CHF 60'000.- de l’assistance publique durant un peu moins de cinq ans, soit une période relativement longue, était financièrement indépendant depuis trois ans et justifiait d’un revenu annuel brut de CHF 42'000.- pour l’entretien d’une famille de quatre personnes. La chambre administrative a notamment relevé, qu’en comparaison, le Tribunal administratif fédéral avait jugé qu’une indépendance financière de cinq ans et de huit ans, s’agissant de requérants réalisant des revenus annuels de CHF 60'000.-, sans charge de famille, était suffisante (consid. 5).

19.              En l’espèce, l’OCPM a fondé son refus sur le fait que les recourants avait bénéficié de l’aide sociale pour un montant important et de manière durable. Ils ont en effet perçu CHF 280'708.55 au total durant plus de six ans. L’autorité intimée n’a, en l’état, pas contesté la réalisation des autres conditions auxquelles l’octroi anticipé d’une autorisation d’établissement est soumis.

À teneur de l’attestation de l’Hospice général du 24 mai 2023, les recourants ont bénéficié de prestations financières du 16 octobre 2015 au 31 décembre 2021, percevant notamment, CHF 51'835.- en 2019 (charges : CHF 64'219.-/ressources : CHF 12'384.-), CHF 52'128.- en 2020 (charges : CHF 66'370.70/ressources : CHF 14'242.70) et CHF 39'723.- en 2021 (charges : CHF 73'804.35/ressources : CHF 34'081.30).

Exceptés les montants de peu d’importance qu’ils ont encore perçus en 2022 et 2023 (CHF 3'857.95 et CHF 868.55), il ressort du dossier que les recourants n’émargent plus à l’assistance publique depuis près de deux ans et demi.

Le recourant a obtenu sa carte de chauffeur VTC en août 2021 et son diplôme de chauffeur de taxi en mars 2023. Il travaille en qualité de chauffeur auprès de la société qu’il a créée, ce qui est louable. Selon les justificatifs produits, il a réalisé un salaire mensuel moyen net de l’ordre de CHF 4'005.- entre avril et décembre 2023. Or, ses revenus mensuels ne permettent pas de couvrir les charges mensuelles de la famille, ce d’autant qu’elles augmentent visiblement chaque année. Selon l’attestation précitée, elles étaient de CHF 5'351.- en 2019, de CHF 5'530.- en 2020 et de CHF 6'150.- en 2021.

Il apparaît ainsi que les seuls revenus du recourant ne suffisent manifestement pas à couvrir les charges de la famille, étant précisé que son épouse ne travaille pas et que leurs enfants poursuivent des études.

Il convient également de relever que le calcul de leurs charges, en application du règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01), conduirait à la même conclusion. En effet, la prestation mensuelle de base s'élève, pour une personne seule, à CHF 1'031.-, montant qui doit être multiplié par 2,42 pour une famille de cinq personnes (art. 2 al. 1 let. d RIASI), ce qui correspond à un montant de CHF 2'495.-, auquel il convient d’ajouter le loyer de CHF 1'820.- par mois, charge comprises, soit un montant de CHF 4'315.-. À ce stade, le salaire du recourant ne suffit déjà plus à couvrir le montant des charges, alors même que les primes d’assurance-maladie n’ont pas été comptabilisées. Selon les justificatifs de paiement produits à cet égard, le recourant a versé à la caisse-maladie CSS un montant de CHF 659.45 en janvier et mars 2024, ainsi qu’un montant de CHF 589.45 en mars et avril 2024.

Partant, bien que le recourant ait, depuis plusieurs années, manifesté sa volonté de participer à la vie économique, force est de constater que sa situation professionnelle et financière n'apparaît, au vu des pièces produites, pas encore suffisamment stable pour que l'indépendance financière de sa famille puisse être considérée comme garantie à long terme. Le risque concret d’un retour à l’aide sociale ne peut pas encore être exclu.

20.         Au vu de ce qui précède, le tribunal considère que les recourants ne peuvent, en l’état, pas se prévaloir d’une intégration économique suffisante au sens de l’art. 34 al. 2 let. c LEI, auquel renvoie l’art. 34 al. 4 LEI. La question de savoir si, en sus, le motif de révocation de l’art. 62 al 2 let. e LEI est réalisé peut ainsi rester ouverte.

21.         Partant, c'est sans abuser de son large pouvoir d'appréciation en la matière que l'OCPM a refusé de faire droit à la requête des recourants. Dans ces circonstances, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit (art. 61 al. 2 LPA), le tribunal ne saurait substituer son appréciation à celle de l'autorité intimée.

22.         Il convient de préciser que ce refus ne remet nullement en cause la présence des recourants en Suisse.

23.         Mal fondé, le recours sera rejeté et la décision contestée confirmée.

24.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

25.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 4 août 2023 par Madame A______ et Monsieur B______, agissant en leur nom et pour le compte de leurs enfants mineurs, C______ et D______, et Madame E______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 7 juillet 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière