Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/4169/2023

JTAPI/489/2024 du 23.05.2024 ( LCI ) , REJETE

ATTAQUE

Normes : CC.779; CC.675.al1; RCI.56A.al2; RCI.56A.al6; LCI.113.al1; LCI.131; LCI.130
Relations : Le titulaire d'un droit de superficie est propriétaire des bâtiments et doit effectuer les travaux demandés par le département. Le fait que le droit de superficie ne soit pas permanent, et donc non inscrit en tant qu'immeuble au Registre foncier, ne permet pas d'affirmer ne pas pouvoir être propriétaire des immeubles. La seule condition pour qu'un droit de superficie déploie ses pleins effets est de l'inscrire comme servitude au Registre foncier.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4169/2023 LCI

JTAPI/489/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 23 mai 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Yves BONARD, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             A______ SA (ci-après : A______), anciennement dénommée B______ SA, est une société anonyme ayant pour but d'offrir des logements à caractère social répondant, en principe, à des besoins limités dans le temps, de gérer et d'exploiter des établissements dans le domaine de la restauration de collectivité. Son siège social se situe rue C______ 1______.

Monsieur D______ en est l’administrateur président et directeur.

2.             La E______ (ci-après : la E______) est propriétaire des parcelles n° 2______, 3______et 4______de la commune de F______
(ci-après : la commune). Deux bâtiments sont érigés sur les parcelles n° 2______, 3______, aux adresses 5______ et 6_____ rue G______.

3.             Le ______ 2022, A______ et la E______ ont conclu un acte notarié prévoyant la constitution à terme d'une servitude de superficie, grevant les parcelles précitées.

À teneur de son art. 1, « la E______ (le superficiant) concède à A______ SA (le superficiaire) une servitude personnelle de superficie qui grèvera, tant en surface qu'en dessous, l'entier des parcelles 2______, 3______et 4______».

L'art. 2 précise que « ce droit de superficie est un droit distinct au sens de l'article 779 alinéa 1 du Code civil suisse [du 10 décembre 1907 (CC - RS 210)]. N'étant pas de nature permanente au sens de l'article 779 alinéa 3 du Code civil suisse et de l'article 7 alinéa 2 [de l'Ordonnance sur le registre foncier du 23 septembre 2011 (ORF – RS.211.432.1)], il ne sera pas inscrit comme immeuble au Registre foncier ».

L'art. 5 précise quant au but que « le droit de superficie confère au superficiaire le droit de maintenir l'immeuble et d'exploiter un immeuble de logement »

Selon les art. 4 et 6, cette servitude est concédée pour une durée de 10 ans, à compter du ______ 2022. Le loyer convenu entre les parties, à titre de rente annuelle de la servitude, est fixé à CHF 120'000.- par an.

L'art. 9 indique que le superficiaire a notamment l'obligation de « maintenir en bon état d'entretien et d'hygiène les constructions et installations fixes établies sur les parcelles grevées ».

Enfin l'art. 10 relève que « toutes les constructions et installations fixes qui en font partie intégrante, passeront en la propriété du superficiant ».

Un droit de superficie (droit distinct non permanent) identique, ayant pour objet les mêmes parcelles susvisées et le même but avait déjà été concédé à A______ par acte notarié des _____, ______ et ______ 2012, pour une durée déterminée de 10 ans, soit du 8 novembre 2012 au 8 novembre 2022.

Une réquisition pour le Registre foncier, concernant notamment la création de la servitude de superficie sur les parcelles n° 2______, 3______et 4______, en faveur d’A______, était jointe à l'acte notarié du ______ 2022.

4.             Le ______ 2022, une servitude de superficie en faveur d'A______ sur les parcelles n° 2______, 2______ et 4______a été immatriculée au Registre foncier.

5.             Par courrier du 30 octobre 2023, A______ a répondu à l'office cantonal de l'énergie (ci-après : OCEN), en lien avec une demande d'assainissement concernant la mise aux normes des vitrages des bâtiments sis rue G______ 5______- 6______. Au bénéfice d'un droit distinct et non permanent jusqu'en 2032 concernant ces bâtiments, elle réalisait les différentes interventions nécessaires à leur entretien courant mais les travaux inhérents à l'enveloppe, à la structure et aux équipements demeuraient du ressort exclusif du propriétaire. Compte tenu de la zone dans laquelle se situaient ces bâtiments, soumise à de profonds changements et dont les orientations demeuraient indécises, elle l'invitait à lui accorder un nouveau délai et une nouvelle dérogation.

6.             Par courriel du 2 novembre 2023, l'OCEN a demandé à la E______ les détails du droit distinct non permanent en faveur d'A______.

7.             Par courriel du 3 novembre 2023, la E______ a répondu notamment qu’« en vertu du [droit distinct et non permanent] signé en 2022, les immeubles objet de votre demande, y compris leur enveloppe, structure et équipements, sont donc la propriété d'A______ SA et leur entretien et rénovation est de la responsabilité de ce propriétaire. La E______, en tant que nu-propriétaire de la parcelle, n'a à ce titre aucune obligation ». Le droit de superficie visait à désolidariser la propriété de la parcelle de la propriété des constructions et ouvrages s'y trouvant, indépendamment de son caractère permanent ou non.

8.             Par décision du ______ 2023, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a fixé à A______ « pour l'assainissement des embrasures en façade des bâtiments dont elle est propriétaire sis rue G______ 5______- 6_____, commune de F______, un délai au 31 décembre 2023 pour fournir à l'office cantonal de l'énergie (OCEN), 4 rue du Puits-Saint-Pierre, 1204 Genève :

a. Un devis d'une entreprise spécialisée dans l'assainissement des embrasures en façade ;

b. Une confirmation de commande des travaux de l'entreprise ;

c. La date fixée pour la réalisation des travaux ».

Les bâtiments n'étaient pas conformes aux normes énergétiques en vigueur. L'OCEN lui avait accordé un délai au 31 août puis au 31 octobre 2023, pour fournir la preuve de la démolition des bâtiments, suite à sa demande de dérogation à l'obligation d'assainir en raison de la situation des bâtiments concernés dans une zone de développement.

9.             Par acte du 12 décembre 2023, agissant sous la plume d’un conseil, A______ a recouru au Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI ou le tribunal) contre cette décision, concluant à son annulation sous suite de frais et dépens.

Le département avait constaté de manière inexacte les faits pertinents ce qui l’avait conduit à rendre une décision contraire au droit fédéral et cantonal.

Par décision du ______ 2021 notifiée à la E______, laquelle lui avait été communiquée pour information le 11 août 2021, le département, soit pour lui l'OCEau, avait expressément retenu que la E______ revêtait la qualité de propriétaire des bien-fonds sis sur les parcelles n° 3______et 7______, à la rue G______ 5______, et qu'il lui appartenait de procéder aux travaux de remise aux normes des canalisations d'eau mélangées du réseau collectif privé des parcelles susvisées, précisant, en substance, que ces obligations de droit public n’étaient pas à la charge du superficiaire. Suite à cette décision, il lui avait par ailleurs notifié une décision de retrait de sa précédente décision du ______ 2021.

Il en découlait que le département s'était mépris sur la destinataire de la décision litigieuse, laquelle n’aurait pas dû lui être notifiée mais l’être à la E______, seule propriétaire des biens-fonds n° 8_____ et 9_____ et des bâtiments ériges sur ces derniers. Cela ressortait au demeurant expressément du Registre foncier, qui bénéficiait de la foi publique.

En effet, elle était uniquement au bénéfice d'un droit distinct non permanent, à savoir d'une simple servitude sur les biens-fonds susvisés, qui n'était pas immatriculée comme immeuble au Registre foncier (art. 779 al. 3 CC a contrario). Cette servitude ne répondait pas aux conditions de l'art. 655 CC qui définissait exhaustivement la notion de propriété foncière et d'immeuble. Par conséquent, elle ne lui conférait aucun droit de propriété, que ce soit sur les parcelles susmentionnées ou sur les bâtiments. À l'instar de ce que le DT avait considéré dans sa décision du ______ 2021, le droit de superficie qui lui avait été octroyé ne répondait pas à la définition d'immeuble au sens du CC dans la mesure où il n'avait pas le caractère d'un droit distinct et permanent. Ce type de droit ne constituait pas une forme de propriété. Ainsi, en retenant de manière inexacte qu'elle était propriétaire et ce malgré son courrier explicatif du 30 octobre 2023, le DT avait rendu sa décision en violation crasse du droit fédéral, en particulier de l'art. 655 CC, la notion de « propriétaire » visée par le droit cantonal genevois, à savoir in casu l'art. 14 de la loi sur l'énergie du 18 septembre 1986 (LEn - L 2 30), devant s'interpréter au sens de la disposition de droit fédéral susvisée et la décision devant être adressée à la E______ et non à sa superficiaire.

10.         Dans ses observations du 15 février 2024, le département a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

L’acte notarié du ______ 2022 conclu entre la recourante et la E______ prévoyait la constitution à terme d'une servitude de superficie grevant, tant en surface qu'en dessous, l'entier des parcelles n° 2______, 3______et 4______. Ce droit de superficie était distinct, donc transmissible, et prévu pour une durée de 10 ans. La servitude de superficie concernée n'étant pas permanente, soit n'étant pas établie pour 30 ans au moins ou pour une période indéterminée, elle ne pouvait être immatriculée au Registre foncier comme un immeuble. Partant, elle n’était pas un immeuble au sens du CC.

Le droit de superficie permettait de dissocier la propriété du fond de la propriété des constructions qui s'y trouvaient au moment de la construction ou qui y étaient édifiées par la suite. Ainsi, en dérogation au principe de l'accession au sens de l'art. 667 CC, ces constructions étaient la propriété du titulaire du droit de superficie conformément à l'art. 675 al. 1 CC.

En l'occurrence, la recourante ne faisait aucune distinction entre la propriété du bien-fonds, soit des parcelles précitées, et la propriété des constructions, soit les bâtiments sis sur lesdites parcelles. Or, l’acte notarié de la servitude de superficie grevait tant en surface qu'en dessous l'entier des parcelles n° 2______, 3______et 4______. Par ailleurs, une réquisition pour le registre de poursuite de création de ladite servitude est jointe à cet acte. L’acte notarié conférait la propriété des constructions sur lesdites parcelles à la recourante pendant 10 ans. En effet, le droit de superficie dissociait la propriété du bien-fonds des constructions qui s’y trouvaient.
L’art. 10 de l’acte notarié prévoyait d’ailleurs que la recourante était propriétaire des constructions sur les parcelles concernées et qu'à l'extinction du droit de superficie, les constructions et installations fixes qui faisaient partie intégrante dudit droit, passeraient en la propriété du superficiant, soit la E______. Cela sous-entendait que lors de la signature de l'acte, la propriété des constructions était passée au superficiaire. L’art. 9 précisait pour le surplus que le superficiaire avait l'obligation de se conformer notamment aux lois et règlements en vigueur. En conclusion, la recourante était propriétaire des bâtiments sur les parcelles n° 2______, 3______et 4______. Il n’avait enfin nullement ignoré son courrier du 30 octobre 2023.

Ceci étant posé, il en découlait que la recourante, en tant que propriétaire des bâtiments concernés, était responsable des travaux à effectuer au sens de la LEn et du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01), soit des travaux concernant la
non-conformité des fenêtres desdits bâtiments au sens de l'art. 56A RCI.

11.         Par réplique du 20 mars 2024, la recourante a persisté intégralement dans les conclusions de son recours.

Le droit distinct non permanent dont elle bénéficiait ne répondait à aucune des conditions impératives de l'art. 655 CC, qui réglait exhaustivement les formes de propriété foncière ainsi que la définition d'un immeuble, et l’art. 675 al. 1 CC n'avait aucune pertinence dans le cas d'espèce. Le droit de superficie qui y était défini, s’il revêtait à certaines conditions la forme d'une servitude, ne constituait pas pour autant une servitude foncière au sens de l'art. 655 al. 2 ch. 2 CC, dans la mesure où il n'était pas permanent. Elle n’était ainsi propriétaire ni des parcelles n° 2______ et 2______ ni des immeubles sis rue G______ 5______ - 6______. Au demeurant, si les parties contractantes à l'acte notarié du ______ 2022 avaient réellement voulu que la servitude octroyée constitue une forme de propriété foncière, elles auraient expressément prévu un droit distinct et permanent au sens de l'art. 655 al. 2 ch. 2 CC. Ce n’était pas le cas, la E______ ayant toujours voulu rester seule propriétaire de l'immeuble. L’extrait du Registre foncier relatif à la parcelle litigieuse était clair et sans équivoque à cet égard.

Le renvoi aux clauses contractuelles prévues par l'acte notarié du ______ 2022 et l’interprétation au demeurant erronée qu’en faisait le département étaient non pertinents, ces dernières relevant de leur relation de droit privé. En tout état, les obligations contractuelles lui incombant constituaient uniquement des obligations d'entretien courant des locaux dont elle avait la jouissance, à l'instar d'un locataire, à l'exclusion de tout travaux de rénovation, de transformation, respectivement d'assainissement de l'enveloppe du bâtiment notamment. Elle renvoyait aux art. 5 et 9 de l’acte notarié.

Elle soulignait enfin le conflit d'intérêts existant entre l'autorité intimée et la E______. À sa connaissance, celle-ci aurait confirmé que l'assainissement des fenêtres devait être à sa charge car elle devait être considérée comme la propriétaire du bâtiment.

12.         Dans sa duplique du 9 avril 2024, le département a également persisté dans ses conclusions, faisant encore valoir que si effectivement l’administration ne pouvait s'immiscer dans les rapports de droit privé liant A______ à la E______, il n'en demeurait pas moins que ces dernières avaient établi par acte notarié le fait que la propriété des constructions sur les parcelles concernées était conférée à la recourante. Le droit de superficie y relatif étant inscrit au Registre foncier, il faisait foi et était opposable aux tiers, quand bien même la volonté des parties serait en réalité différente.


 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) ainsi que la LEn ou ses dispositions d'application (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 24 LEn cum art. 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ;
140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; 135 II 416 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 140 V 485 consid. 4.1 ; 140 V 227 consid. 3.2 et les arrêts cités).

6.             L'art. 167 al. 1 Cst-GE stipule que la politique énergétique de l’Etat est fondée sur les principes suivants :

a.              un approvisionnement en énergies;

b.             la réalisation d’économies d’énergie;

c.              le développement prioritaire des énergies renouvelables et indigènes; d) le respect de l’environnement;

d.             l’encouragement de la recherche dans ces domaines.

7.             La LCI prévoit des dispositions en matière d'économie d'énergie. Ainsi, l'art. 113 al. 1 LCI stipule que les constructions doivent être conçues et maintenues de manière que l’énergie nécessaire à leur fonction soit utilisée économiquement et rationnellement.

8.             L'art. 116 LCI réserve au surplus les dispositions de la LEn.

9.             Conformément à l'art. 56A al. 2 RCI, les embrasures en façade (vitrages, cadres de fenêtres, caissons de stores, etc.) donnant sur des locaux chauffés des constructions existantes doivent être mises en conformité lorsque leur coefficient de transmission thermique U est égal ou dépasse 3,0 W/(m2 K), afin de respecter les prescriptions énergétiques en matière de rénovation des bâtiments au sens de la LEn, soit les normes SIA 180 et 380/1 (let. a) et un indice d'affaiblissement acoustique correspondant aux exigences de la norme SIA 181 (let. b). Les travaux de mise en conformité doivent avoir été exécutés au 31 janvier 2016 au plus tard.

10.         L'art. 56A al. 6 RCI prévoit que des dérogations et prolongations de délai peuvent être accordées pour les bâtiments à propos desquels ces exigences sont disproportionnées, sur demande écrite par l'office chargé de l'énergie, par voie de décision administrative, dans un délai de 3 mois, sur préavis des services concernés.

11.         Conformément à l'art. 129 let. e LCI, le département peut ordonner, à l'égard des constructions, des installations ou d'autres choses, la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition. Ces mesures peuvent être ordonnées lorsque l'état d'une construction, d'une installation ou d'une autre chose n'est pas conforme aux prescriptions de la LCI, des règlements qu'elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires (art. 130 LCI).

12.         Les propriétaires ou leurs mandataires, les entrepreneurs et les usagers sont tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département en application des art. 129 et 130 LCI (art. 131 LCI). Le département notifie aux intéressés, par lettre recommandée, les mesures qu'il ordonne. Il fixe un délai pour leur exécution, à moins qu'il n'invoque l'urgence (art. 132 al. 1 LCI).

13.         En l'espèce, la recourante ne conteste pas, en tant que tels, les travaux à effectuer concernant la non-conformité des fenêtres desdits bâtiments au sens de l'art. 56A RCI. Elle soutient en revanche ne pas être responsable de ceux-ci dès lors qu'elle n'est pas propriétaire des bâtiments concernés mais uniquement titulaire d'une servitude de superficie sur les parcelles n°2______ et 3______sur lesquels ils sont érigés.

14.         Le droit de superficie est la servitude par laquelle le propriétaire d’un fonds confère à un tiers le droit d’avoir ou de faire des constructions, soit sur le fonds grevé, soit au-dessous (art. 779 al. 1 CC). Il donne ainsi le moyen de dissocier la propriété du fonds de la propriété des constructions qui s’y trouvent au moment de la constitution ou qui sont édifiées par la suite : en dérogation au principe de l’accession énoncé à l’art. 667 CC, ces constructions sont la propriété du titulaire du droit de superficie (art. 675 al. 1 CC ; ATF 133 III 311 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_233/2019 du 29 août 2019 consid. 6.1).

15.         Selon l’art. 655 al. 2 ch. 2 CC, sont « permanents » les droits établis « pour trente ans au moins ou pour une durée indéterminée » (Paul-Henri STEINAUER in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX/ Denis PIOTET, Commentaire romand du Code civil II - Art. 457-977 CC, Art. 1-61 Tit. fin. CC, 2016, ad. art. 655 n. 14).

16.         Le contenu du droit de superficie est le droit d’avoir ou de faire une construction ou un ouvrage. Le droit peut être accordé sur un immeuble déjà bâti, auquel cas le superficiaire acquerra la propriété des constructions établies, comprises dans l’exercice de son droit. Le droit de superficie a pour principal effet que la construction établie demeurera la propriété du superficiaire en rompant le principe de l’accession (Alban BALLIF, in Pascal PICHONNAZ/Bénédict FOËX/ Denis PIOTET, CR CC II - Art. 457-977 CC, Art. 1-61 Tit. fin. CC, 2016, ad. art. 779 n. 5-6). La conséquence essentielle du droit de superficie est en effet que le titulaire de la servitude devient propriétaire des constructions et autres ouvrages établis au-dessus ou au-dessous du fond grevé (Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, Tome III, 2021, n. 3802 p. 128). La propriété sur une construction, en présence d'une servitude de superficie, est indissolublement liée à la titularité de la servitude, en ce sens que le propriétaire de la construction ne peut être que le titulaire de la servitude de superficie. Au mieux, le propriétaire du fonds grevé ne peut pas se voir attribuer la propriété (collective) de la construction sans être cotitulaire de la servitude de superficie (ATF 133 III 311 consid. 3.4.1 et réf. cit.).

17.         Les droits de superficie, constitués comme droit distinct et permanent, soit établis pour 30 ans au moins ou pour une durée indéterminée, peuvent être immatriculées comme immeuble au Registre foncier. Le contenu et les effets d'un droit distinct et permanent immatriculé comme immeuble sont régis par les règles ordinaires (par ex., pour le droit de superficie, par CC 779b ss). Mais en tant qu’immeuble (juridique), le droit devient en outre une nouvelle unité foncière, qui peut à son tour être grevée de droits réels limités immobiliers (par ex., d’un droit de gage ou d’une servitude foncière) ou faire l’objet d’un droit personnel annoté (par ex., d’un droit de préemption). Il est même admis que le droit fasse l’objet d’un droit distinct et permanent (au deuxième degré) qui, s’il remplit les conditions de l’art. 655 al. 3 CC, pourra lui aussi être immatriculé comme immeuble au Registre foncier. Par ailleurs, le transfert du droit ainsi que la constitution de droits réels limités qui le grèvent sont régis par les règles applicables aux immeubles […]. Enfin, le droit distinct et permanent immatriculé est soumis aux règles sur la réalisation forcée des immeubles (Paul-Henri STEINAUER in CR CC II, art. 655 n. 16).

18.         Si le droit de superficie est constitué en servitude personnelle, mais qu’il n’est pas immatriculé au Registre foncier, sa cession s’opère selon les règles de la cession de créance, comme pour les autres servitudes personnelles. Dans ce cas, la cession s’opère par une déclaration écrite du cédant, en dehors du Registre foncier et l’inscription subséquente du nouveau bénéficiaire au Registre foncier n’aura qu’un effet déclaratif. Le transfert du droit emporte nécessairement transfert de la propriété des constructions et ouvrages concernés par ce droit (Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, Tome III, 2021, n. 3823 p. 136).

En revanche, si le droit de superficie est immatriculé comme immeuble au Registre foncier, son transfert s’opérera selon les règles relatives aux immeubles, généralement par le biais d’une inscription constitutive au Registre foncier (Alban BALLIF, op.cit., art. 779 n. 34). L'immatriculation n’exerce aucune influence sur le contenu matériel du droit de superficie, elle ne joue non plus aucun rôle en matière de responsabilité civile selon l’art. 58 de loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), mais en tant qu’immeuble (juridique), le droit devient en outre une nouvelle unité foncière (Michel MOOSER in FOËX, Bénédict, (ed.). Droit de superficie et leasing immobilier. Deux alternatives au transfert de propriété. Genève : Schulthess, 2011. (Collection genevoise), p.7 et réf. cit. ; Paul-Henri STEINAUER in CR CC II, art. 655 n. 16).

19.         Au contraire des bien-fonds, les droits distincts et permanents ne sont immatriculés que sur demande écrite de leur titulaire (art. 22 al. 1 ORF) (Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, Tome III, 2021, n. 3810 p. 130s.). L'immatriculation n'aggravant pas la charge, le consentement du propriétaire du fonds grevé n'est pas nécessaire (Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, Tome I, 2019, n. 905 p. 275).

20.         En l'espèce, la recourante est titulaire d'une servitude de superficie sur les parcelles n° 2______ et 3______, sur lesquelles sont érigés les bâtiments à l'adresse rue G______ 5______- 6______. Il doit ainsi être constaté, sur la base des principes rappelés ci-dessus, que la recourante est propriétaire desdits bâtiments, de par la conséquence essentielle de ce droit de superficie.

Le fait que ce droit, bien que distinct, soit non permanent, car constitué pour une durée inférieure à 30 ans, n'altère en rien cette conséquence. En effet, cette condition est certes nécessaire pour pouvoir immatriculer la servitude comme immeuble au Registre foncier, mais l'immatriculation n’exerce aucune influence sur le contenu matériel du droit de superficie, notamment sur sa composante essentielle et première qui est de dissocier la propriété du fonds de la propriété des constructions et autres ouvrages qui s’y trouvent. Nier la qualité de propriétaire d'un bâtiment se trouvant sur un fonds grevé d'une servitude de superficie, au titulaire de celle-ci, reviendrait à vider de son essence même le droit de superficie.

L'art. 10 de l'acte notarié à teneur duquel « à l'extinction du droit de superficie […] toutes les constructions et installations fixes qui en font partie intégrante, passeront en la propriété du superficiant, à l'exclusion des meubles » indique au demeurant clairement que pendant l'existence du droit de superficie, la propriété (de toutes les constructions et installations fixes qui en font partie intégrante) appartient au superficiaire, soit la recourante.

À toutes fins utiles le tribunal relèvera encore que, le raisonnement de la recourante consistant à faire reposer le transfert de propriété du bâtiment, soit la composante principale, si ce n'est unique, d'une servitude de superficie, sur une telle immatriculation est dénué de sens. En effet, bien que possible dans le cas d'un droit distinct et permanent, l'immatriculation en tant qu'immeuble au Registre foncier d'un tel droit n'est pas obligatoire. De plus cette immatriculation ne nécessite pas le consentement du propriétaire du bien-fonds (soit dans cette hypothèse le propriétaire du bâtiment jusqu'alors). La seule condition pour qu'un droit de superficie déploie ses pleins effets est de l'inscrire comme servitude au Registre foncier.

C'est donc à juste titre que l'OCEN a notifié la décision litigieuse à la recourante, propriétaire des bâtiments en cause, étant rappelé que les propriétaires sont responsables des travaux à effectuer au sens de la LEn et du RCI et tenus de se conformer aux mesures ordonnées par le département (art. 131 LCI). À cet égard, la LCI ne faisant pas de distinction quant au type de propriétaire, il n'y a aucune raison d'interpréter cette notion autrement que comme visant le propriétaire des constructions ou installations diverses concernées.

S'agissant enfin du bien-fondé de la décision querellée, au demeurant non remis en cause par la recourante, il doit être confirmé. En effet, il a été constaté par l'OCEN que les embrasures en façade des bâtiments sont non-conformes aux prescriptions énergétiques qui devaient avoir été exécutées au 31 janvier 2016 au plus tard selon l'art. 56A RCI. L'autorité intimée a pour le surplus fait une application correcte et proportionnée de la loi et n'a aucunement abusé ou excédé de son pouvoir d'appréciation en fixant un délai au 31 décembre 2023 à la recourante pour lui fournir une confirmation de commandes de travaux par une entreprise spécialisée accompagné d'un devis et de la date des travaux, étant rappelé qu'elle a déjà pu bénéficier d'un délai et d'une dérogation pour cette mise aux normes, par le passé suite à son courrier du 14 août 2018.

21.         Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

22.          En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée
(art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 12 décembre 2023 par A______ SA contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante, un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Diane SCHASCA et Carmelo STENDARDO, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier