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Décisions | Chambre de surveillance

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C/26978/2019

DAS/72/2020 du 07.05.2020 sur DJP/43/2020 ( AJP )

Recours TF déposé le 09.06.2020, rendu le 06.05.2021, CASSE, 5A_485/2020
Normes : Cst.49; LLCA.12; LPAv.43.al3
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/26978/2019
DAS/72/2020

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 7 MAI 2020

 

Appel (C/26978/2019) formé le 10 février 2020 par Madame A______, domiciliée ______ (Genève), comparant par Me H______, avocat, en l'Etude duquel il élit domicile.

* * * * *

Arrêt communiqué par plis recommandés du greffier
du 13 mai 2020 à :

- Madame A______
c/o Me H______, avocat
______, ______.

- Monsieur B______
c/o Mes Charles PONCET et Maxence CARRON, avocats
Rue Bovy-Lysberg 2, case postale 5824, 1211 Genève 4.

- Madame C______
______, ______.

- Maître D______
______, ______.

- JUSTICE DE PAIX.

 


EN FAIT

A. a) E______, né le ______ 1930 à F______ (Algérie), de nationalité française, domicilié à Genève, était marié à C______, née C______ [nom de jeune fille]

Ils ont eu deux enfants, aujourd'hui majeurs, A______ et B______.

b) E______ est décédé le ______ 2019 à Genève.

Par testament public instrumenté le 28 septembre 2012, E______ a institué ses deux enfants héritiers et attribué plusieurs legs à son épouse, notamment l'usufruit de trois biens immobiliers, ainsi qu'une somme de 6'000'000 euros.

c) Par requête du 2 décembre 2019, A______ a sollicité de la Justice de paix la désignation d'un représentant de la communauté héréditaire de feu son père, en raison de dissensions entre elle et son frère.

Dans sa réponse, B______ s'est opposé à cette requête et a sollicité la nomination de D______, notaire, aux fins de procéder à l'inventaire de la succession de feu son père.

Par décision DJP/43/2020 du 27 janvier 2020, reçue le 30 janvier 2020 par A______, la Justice de paix a nommé D______ aux fins de procéder à l'inventaire civil de la succession de feu E______.

B. a) Par acte expédié le 10 février 2020 au greffe de la Cour de justice, A______, représentée par H______, avocat, a formé appel contre cette décision et a sollicité la nomination d'un autre notaire, n'officiant pas au sein de l'Etude G______, aux fins de procéder à l'inventaire civil de la succession de feu son père.

b) D______ a requis la confirmation de sa nomination.

c) Dans sa réponse, B______ a formé une requête préalable tendant à faire interdiction à H______ de postuler, un nouveau délai devant être fixé à A______ pour former appel contre la décision DJP/43/2020, et a conclu, sur le fond, au rejet de l'appel.

A l'appui de sa requête préalable, il a allégué que I______, en sa qualité d'avocat, avait fourni, durant plusieurs années, des services sur des aspects fiscaux relatifs à la fortune personnelle des parties, du défunt et également dans le cadre des successions de feu J______ et K______, soit l'oncle et la tante par alliance des parties, sous la raison sociale L______. En mars 2019, I______ avait rejoint l'Etude M______, dans laquelle exerçait H______, conseil de sa partie adverse. I______ y avait maintenu son activité sous la raison sociale N______ SA. L'étendue de son activité au sein de l'Etude précitée n'avait été découverte que récemment et celle-ci engendrait un conflit d'intérêts. Par courrier du 12 février 2020, il avait requis de H______ la cessation immédiate de son mandat dans la présente procédure, ainsi que dans celles relatives aux successions de feu J_______ et K______, dans le cadre desquelles les parties étaient également en litige. H______ avait refusé de donner suite à cette injonction.

d) A______ a conclu, principalement, à l'irrecevabilité de la requête préalable en interdiction de postuler de son conseil, subsidiairement, au déboutement de B______ de toutes ses conclusions et, plus subsidiairement encore, au renvoi de la cause à la Commission du barreau pour statuer sur le conflit d'intérêts allégué, sous suite de frais et dépens.

Elle a fait valoir que cette requête préalable était fondée sur des faits connus de longue date, de sorte que celle-ci aurait dû être déposée par B______ devant la Justice de paix. Elle a également contesté la compétence de la Cour pour statuer sur l'incapacité de postuler de son conseil, celle-ci étant du ressort de la Commission du barreau en vertu de l'art. 43 al. 3 de la Loi sur la profession d'avocat du 26 avril 2002 (LPAv - RS/GE E 6 10). En tous les cas, elle a allégué que les mandats de I______ en lien avec la famille A/C/E/J/K______ relavaient du conseil fiscal, soit une activité atypique d'avocat, de sorte qu'il n'existait pas de conflit d'intérêts. N______ SA n'avait d'ailleurs aucun lien avec l'Etude M______.

e) Dans leurs réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions et B______ a fait valoir que la Cour était compétente pour statuer sur la capacité de postuler de H______, dès lors qu'il s'agissait d'une question de recevabilité au sens de l'art. 59 CPC.

f) Par avis du greffe du 18 mars 2020, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger sur la requête en interdiction de postuler de H______.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions du juge de paix qui relèvent de la juridiction gracieuse sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. e CPC) et sont susceptibles d'un appel dans le délai de dix jours (art. 314 al. 1 CPC) auprès de la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 2 LOJ) si la valeur litigieuse est égale ou supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

L'appel doit être motivé (art. 311 al. 1 CPC).

1.2 En l'espèce, la valeur litigieuse est manifestement supérieure à 10'000 fr., compte tenu des actifs de la succession de E______, notamment des trois biens immobiliers de ce dernier.

Pour le surplus, déposé dans le délai de dix jours et selon la forme prescrite, l'appel est recevable.

2. Il s'agit, dans le cadre du présent arrêt, de déterminer si la Cour de céans est compétente ou non pour statuer sur la requête préalable visant à l'interdiction de postuler du conseil de l'appelante.

2.1.1 Selon l'art. 49 al. 1 la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Ce principe constitutionnel fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de manière exhaustive (ATF 140 I 277 consid. 4.1; 138 I 468 consid. 2.3.1; 135 I 106 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_405/2015 du 6 avril 2016 consid. 3.1).

2.1.2 Aux termes de l'art. 12 de la Loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (LLCA - RS 935.61), l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence (let. a), exerce son activité professionnelle en toute indépendance, en son nom personnel et sous sa propre responsabilité (let. b), et évite tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé (let. c).

Celui qui, en violation des obligations énoncées à l'art. 12 LLCA, accepte ou poursuit la défense d'intérêts contradictoires doit se voir dénier par l'autorité la capacité de postuler. L'interdiction de plaider est, en effet, la conséquence logique du constat de l'existence d'un tel conflit (arrêt du Tribunal fédéral 1A_223/2002 du 18 mars 2003 consid. 5.5).

La LLCA ne détermine toutefois pas quelle est l'autorité compétente pour empêcher un avocat de représenter une partie dans le cadre d'une procédure civile, administrative ou pénale, mais renvoie la procédure aux cantons (art. 34 al. 1 LLCA; arrêts du Tribunal fédéral 2C_688/2009 du 25 mars 2010, in SJ 2010 I p. 433 consid. 1.1; 2D_148/2008 du 17 avril 2009 consid. 1.2 et 1A_223/2002 précité consid. 3.2). Ainsi, l'injonction consistant en l'interdiction de représenter une personne dans une procédure peut être prononcée, selon les cantons, par l'autorité de surveillance des avocats ou par l'autorité judiciaire saisie de la cause (arrêts du Tribunal fédéral 2C_885/2010 du 22 février 2011 consid. 1.1 et 2D_148/2008 du 17 avril 2009 consid. 1.2; Bohnet/Martenet, Droit de la profession d'avocat, 2009, n° 2201 p. 897).

A Genève, la Commission du barreau, qui statue sur tout manquement aux devoirs professionnels et prononce les sanctions disciplinaires énoncées à l'art. 17 LLCA (art. 43 al. 1 LPAv), peut également prononcer des injonctions propres à imposer à l'avocat le respect des règles professionnelles (art. 43 al. 3 LPAv).

2.1.3 Dans un arrêt 2C_755/2010 du 10 décembre 2010, le Tribunal fédéral a retenu qu'un juge d'instruction genevois n'avait pas la compétence d'interdire à un avocat de plaider. Il a considéré que la Commission du barreau possédait, sur la base de l'art. 43 al. 3 LPAv, la compétence exclusive d'interdire à un avocat de représenter une partie. Cette solution correspondait à la volonté exprimée dans les travaux préparatoires et permettait de simplifier la procédure en confiant à une seule autorité la compétence de rendre des décisions en la matière. D'autant plus que cette autorité exerçait aussi les compétences dévolues à l'autorité de surveillance des avocats et disposait de la spécialisation lui permettant d'examiner de façon approfondie si un avocat se trouvait dans une situation de conflit d'intérêts de nature à lui interdire de représenter une partie (consid. 2.4).

Ainsi, dans le canton de Genève, la gestion du conflit d'intérêts d'un avocat était traitée sous un angle disciplinaire, la Commission du barreau ayant la compétence de statuer sur celle-ci dans le cadre d'une procédure dans laquelle seul l'avocat concerné était partie (cf. ATF 135 II 145).

Dans un arrêt 138 II 162 du 20 février 2012, le Tribunal fédéral est revenu sur ce qui précède et a considéré que l'interdiction de postuler dans un cas concret - à distinguer d'une suspension provisoire ou définitive - ne relevait en principe plus du droit disciplinaire, mais du contrôle du pouvoir de postuler de l'avocat, ce qui induisait que l'intéressé, soit le client de ce dernier, était partie a la procédure et avait la qualité pour recourir. Ainsi, l'interdiction faite à un avocat de représenter une partie visait à garantir la bonne marche du procès, notamment en s'assurant qu'aucun avocat n'était restreint dans sa capacité de défendre l'une d'elles. Le Tribunal fédéral n'a toutefois pas remis en question la compétence de décision de la Commission du barreau du canton de Genève dans le cas d'espèce, mais il a relevé qu'en raison de l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale (CPP), notamment des art. 61 et 62 CPP, la compétence pour prononcer une interdiction de plaider "pourrait" ne plus revenir a l'autorité de surveillance (consid. 2.5.1 et 2.5.2).

2.1.4 Compte tenu de l'arrêt précité,deux auteurs de doctrine,Grodecki et Jeandin, ont critiqué la façon dont la question du règlement des litiges en matière de conflit d'intérêts de l'avocat était réglée a Genève. Ils ont relevé que la doctrine majoritaire considérait a tort, selon eux, après l'entrée en vigueur du CPP, mais aussi du Code de procédure civile (CPC), en date du 1er janvier 2011, que la Commission du barreau était la seule instance compétente pour traiter des questions de conflit d'intérêts. Selon ces auteurs, dès lors que l'interdiction de postuler était une décision qui relevait de la procédure et que le CPP et le CPC avaient codifié de manière exhaustive les procédures pénale et civile, les cantons ne pouvaient plus adopter de règles particulières en matière d'autorité compétente pour prendre une décision d'interdiction de postuler. Il s'agissait d'une décision de procédure, laquelle devait être prise sur la base des art. 59 CPC ou 62 CPP. Ainsi, seule l'autorité pénale ou civile en charge de la procédure au fond était compétente pour prendre une telle décision (Grodecki/Jeandin, Approche critique de l'interdiction de postuler chez l'avocat aux prises avec un conflit d'intérêts, SJ 2015 II 107, p. 133).

2.1.5 Suivant l'avis des auteurs précités, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève a retenu que lorsqu'une procédure pénale était ouverte, c'était la direction de la procédure, au sens de l'art. 61 CPP, qui était compétente pour déterminer s'il y avait lieu ou non d'interdire a un avocat de postuler en cas de conflit d'intérêts, en raison du rôle de contrôle de la légalité de la procédure qui lui était dévolu par l'art. 62 al. 1 CPP. Il n'y avait dès lors plus place, lorsqu'une procédure pénale était ouverte, pour une intervention de la Commission du barreau en application de l'art. 43 al. 3 LPAv. La Chambre administrative a toutefois admis que cette solution présentait des désavantages, dans la mesure ou la personne qui se prévalait du conflit d'intérêts devait exposer le contenu de celui-ci aux parties a la procédure. En se fondant encore sur l'opinion de Grodecki et de Jeandin, la Chambre administrative a retenu que cette solution pouvait devoir également s'appliquer aux procédures judiciaires soumises au CPC (ATA/283/2017 du 14 mars 2017).

La Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, dans un arrêt ACJC/1318/2018 du 25 septembre 2018, a fait siens les motifs développés dans l'arrêt précité, retenant qu'ils prévalaient également en procédure civile, sans autre développement, ni précision. Elle a ainsi admis sa compétence pour trancher la question de conflit d'intérêts soulevée par une partie.

Dans le canton de Vaud, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal a, quant à elle, confirmé la compétence de la Chambre des avocats de ce canton pour trancher les questions relatives aux conflits d'intérêts et pour statuer, cas échéant, sur la capacité de postuler d'un avocat dans une procédure civile. Elle a considéré que l'ATF 138 II 162 précité laissait la possibilité aux cantons de prévoir l'attribution de la compétence d'interdire à un avocat de postuler à l'autorité de surveillance des avocats en cas de base légale. La loi vaudoise sur la profession d'avocat du 24 septembre 2002 (LPAv/VD - RSV 177.11) prévoyait que la Chambre des avocats était compétente pour toute question qui concernait l'activité professionnelle d'un avocat et bénéficiait ainsi d'une compétence générale pour toute question qui n'était pas dévolue à une autre autorité (art. 10 al. 1 et 2 LPAv/VD). Le Tribunal cantonal vaudois a alors retenu que la capacité de postuler concernait à l'évidence l'activité professionnelle d'un avocat et était donc une question qui, en l'absence de compétence en la matière attribuée à une autre autorité par la LPAv/VD, pouvait être soumise à l'examen de la Chambre des avocats et celle-ci pouvait, au terme de son examen et si elle estimait que l'avocat ne respectait plus ses obligations professionnelles, lui enjoindre de les respecter en se dessaisissant de son mandat (arrêt CDAPGE.2017.0082 du 7 décembre 2017).

2.1.6 Les auteurs de doctrine Pellaton et Chappuis considèrent également que le retrait de la capacité de postuler de l'avocat émane du droit de la profession d'avocat et non de la procédure applicable à la cause "principale". Ils attribuent ainsi à cette mesure une nature administrative, tout en précisant que le Tribunal fédéral avait vu juste en jugeant qu'il ne s'agissait pas d'une mesure disciplinaire. En menant ensuite leur analyse dans le domaine de la procédure pénale, ils considèrent que l'entrée en vigueur du CPP n'avait pas eu pour effet de modifier la compétence cantonale d'organiser l'autorité de surveillance des avocats, de sorte que la leur retirer entraînerait une modification fondamentale de la répartition des compétences entre droit fédéral et droit cantonal. Partant, ils considèrent que les cantons sont libres d'octroyer la compétence de traiter de l'interdiction de représenter aux autorités de surveillance des avocats (Pellaton/Chappuis, Conflits d'intérêts: autorité compétente pour en juger et voies de recours, in Revue de l'avocat 6/7/2012,
p. 316-322).

Dans le domaine plus spécifique de la procédure civile, Chappuis précise que la capacité de postuler de l'avocat ne relève pas de la simple procédure, mais bien de la mise en oeuvre des règles de la profession d'avocat instituée par la LLCA. A cet égard, il explique qu'"on ne voit pas au nom de quel principe un code qui a pour objet d'unifier la procédure civile au niveau fédéral serait considéré comme réglant également de manière exhaustive l'application de la LLCA" (Chappuis, la profession d'avocat, Tome I, 2016, p. 151 et 152).

Sur ce point, Jordan estime aussi que le droit fédéral laisse une compétence résiduelle aux cantons en matière d'organisation judiciaire et qu'il n'est ainsi pas possible de prétendre à l'exhaustivité du CPC en matière de procédure, ceci d'autant plus au vu "de la rédaction très générale des art. 59 et 124 CPC". Selon lui, le client d'un avocat, par hypothèse en situation de conflits d'intérêts, ne peut pas voir les actes de procédure signés par ce dernier déclarés irrecevables pour ce motif - au contraire par exemple du mandataire ne remplissant pas les conditions objectives pour assumer sa mission -, si bien qu'on ne saurait fonder la compétence du juge du fond à ce sujet au motif que ce serait la recevabilité de l'acte introduit qui est en jeu. Il faut au contraire constater que plusieurs cantons ont adopté des dispositions expresses prévoyant la compétence de l'autorité de surveillance des avocats (Jordan, Conflit d'intérêt de l'avocat et compétence, in Plaidoyer 06/2018 du 4 décembre 2018).

Jequier considère également que le CPC ne règle pas exhaustivement la matière, alors que la détermination de l'autorité qui tranchera d'une contestation au sein d'une seule et même procédure relève de la problématique de la compétence fonctionnelle, que les cantons doivent réglementer sur la base des art. 122 al. 2 Cst. et 4 CPC. De prime abord donc, et sur la base de la seule répartition des compétences, il ne semble pas exclu qu'une autorité de surveillance des avocats soit compétente pour trancher de la problématique de l'interdiction de postuler (Jequier, La délégation de la conduite du procès civil à une autre autorité, spécialement en matière de capacité de postuler de l'avocat, in RSPC 2/2019
p. 203 ss).

2.2.1En l'occurrence,au regard de l'état actuel de la jurisprudence fédérale et cantonale, ainsi que de la doctrine, la question de la compétence pour prononcer une interdiction de postuler n'a pas été définitivement résolue en matière civile.

Cette problématique doit être abordée sous l'angle du principe de la primauté du droit fédéral, en particulier, savoir si le droit fédéral de procédure laisse une marge de manoeuvre aux cantons pour prévoir une compétence spécifique en ce domaine. En effet, il s'agit de déterminer si, lors de l'entrée en vigueur du CPC, le droit fédéral n'a pas épuisé la matière, de sorte que les cantons ne seraient plus compétents pour instituer leur propre système.

En se fondant sur l'ATF 138 II 162 précité, certains auteurs de doctrine, en particulier Grodecki et Jeandin, estiment que la compétence pour interdire à un avocat de postuler a été exclusivement attribuée, en matière pénale, à la direction de la procédure sur la base de l'art. 62 CPP.

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral, qui devait résoudre la question de la qualité pour recourir d'un justiciable contre une interdiction de postuler de son conseil, a effectivement émis cet avis, tout en employant le conditionnel. Bien que le Tribunal fédéral ait retenu qu'une telle décision ne constituait pas une mesure disciplinaire au sens de l'art. 17 LLCA, il n'a pas remis en question la compétence de décision en la matière de la Commission du barreau du canton de Genève, fondée sur
l'art. 14 LPAv.

En matière civile, Grodecki et Jeandin estiment que cette compétence relève exclusivement du juge saisi de la cause sur la base de l'art. 59 CPC. Or, à l'instar de Chappuis, Pellaton et Jordan, la Cour considère que cet article, qui vise les conditions de recevabilité des requêtes, ne saurait s'étendre à l'examen d'un éventuel conflit d'intérêts dans lequel se trouverait un avocat, dès lors que celui-ci concerne l'exercice même de la profession d'avocat. En effet, la question de la capacité de postuler de l'avocat ne relève pas de la simple procédure et de sa bonne marche, mais bien de la mise en oeuvre des règles de la profession d'avocat instituées par la LLCA.

Le CPC a certes pour but d'unifier la procédure civile au niveau fédéral, mais cela ne peut pas avoir pour conséquence, par le biais de l'art. 59 CPC ou encore de l'art. 124 CPC, de régler de manière exhaustive l'application de LLCA, qui réserve expressément la compétence de la procédure en la matière aux cantons.

Ainsi, en l'absence d'une disposition du CPC exhaustive et univoque à cet égard, les cantons demeurent compétents pour légiférer sur la capacité ou non des autorités de surveillance des avocats à statuer sur les situations de conflit d'intérêts et à prononcer une éventuelle interdiction de postuler.

2.2.2 A Genève, l'art. 43 al. 3 LPAv attribue à la Commission du barreau le pouvoir de prononcer des injonctions destinées à imposer à l'avocat le respect des usages professionnels. Parmi celles-ci figure indéniablement le respect de l'interdiction d'agir en cas d'existence d'un conflit d'intérêts, de sorte que ladite Commission a la compétence de se prononcer sur la capacité de postuler des avocats, ce que l'ATF 138 II 162 précité n'a d'ailleurs pas remis en cause.

Dès lors que le législateur genevois a prévu une disposition prévoyant une compétence expresse de la Commission du barreau en la matière, seule cette autorité peut être saisie pour prononcer une interdiction de postuler à l'encontre d'un avocat.

Cette solution, cohérente, s'impose d'autant plus pour les motifs suivants. La Commission du barreau, spécialisée en matière de LLCA et en résolution des conflits d'intérêts, a le pouvoir de sanctionner un avocat, qui ne se conforme pas aux règles de la profession, de sorte qu'elle doit également pouvoir prendre les mesures pour qu'un tel comportement cesse, en interdisant notamment à l'avocat pris dans un conflit d'intérêts de postuler. En outre, ce système permet de garantir une pratique uniforme en la matière, ce qui serait plus difficile si celle-ci devait revenir au juge civil saisi de la cause au vu des nombreuses et différentes autorités amenées à appliquer le CPC. De plus, le fait que la Commission du barreau, soit une autorité tierce, statue sur l'interdiction de postuler d'un avocat a l'avantage d'éviter que des éléments de fait, couverts par le secret professionnel et qui n'ont pas à être connus de l'autorité judiciaire saisie de la cause, ne soient dévoilés à celle-ci. Enfin, cette solution empêche d'offrir un moyen dilatoire supplémentaire aux plaideurs qui souhaiteraient paralyser le cours d'une procédure civile.

L'arrêt ACJC/1318/2018 de la Cour de céans ne saurait remettre en cause ce qui précède. En effet, celui-ci s'est uniquement fondé sur l'ATA/283/2017, rendu dans une affaire pénale, et partant sur l'avis minoritaire de Grodecki et Jeandin, sans aucune motivation, en particulier sur la question de la primauté du droit fédéral en la matière, qui est en l'espèce contestée.

Ainsi, dès lors qu'à Genève la Commission du barreau est compétente pour prononcer une interdiction de postuler à l'encontre d'un avocat, dans le cadre d'une procédure civile, la requête préalable de l'intimé est irrecevable.

3. Il sera statué sur les frais de la présente décision avec le fond.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 10 février 2020 par A______ contre la décision DJP/43/2020 du 27 janvier 2020 rendue dans la cause C/26978/2019.

Déclare irrecevable la requête préalable formée le 2 mars 2020 par B______ dans la cause précitée.

Au fond :

Réserve la suite de la procédure au fond.

Réserve les frais avec la décision au fond.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Paola CAMPOMAGNANI et Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Carmen FRAGA, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral - 1000 Lausanne 14.