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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/2546/2020

ACST/36/2020 du 23.11.2020 ( ABST ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2546/2020-ABST ACST/36/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 23 novembre 2020

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Alessandro Brenci, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT


EN FAIT

1) En décembre 2019, des médecins chinois ont donné l'alerte sur un nouveau virus inconnu, le SARS-CoV-2, se transmettant par contact direct, indirect ou étroit avec une personne contaminée par le biais de sécrétions infectées telles que la salive et les sécrétions respiratoires ou par des gouttelettes respiratoires qui sont expulsées lorsqu'une personne infectée tousse, éternue, parle ou chante, mais également par des surfaces ou objets contaminés à proximité immédiate d'une telle personne, et provoquant la maladie à coronavirus 2019 (ci-après : Covid-19), laquelle peut se manifester par des difficultés respiratoires pouvant chez certains patients nécessiter une hospitalisation, voire entraîner la mort.

2) Fin janvier 2020, les premiers cas de patients atteints de la Covid-19 ont été découverts en Europe puis, dès fin février 2020, au Tessin et à Genève.

3) Le 28 février 2020, le Conseil fédéral a déclaré l'état de situation particulière au sens de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme du 28 septembre 2012 (loi sur les épidémies, LEp - RS 818.101) et interdit les manifestations publiques ou privées accueillant simultanément plus de mille personnes en adoptant l'ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (aRS 818.101.24).

4) Par arrêté du 11 mars 2020, publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du lendemain et entré en vigueur le même jour, le Conseil d'État a interdit la tenue de manifestations publiques et privées de moins de mille mais de plus de cent personnes sur le territoire cantonal.

5) Le 13 mars 2020, face à la progression de l'épidémie en Suisse, le Conseil fédéral a adopté l'ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (ordonnance 2 Covid-19 - aRS 818.101.24) interdisant les rassemblements de plus de cent personnes, ordonnant la fermeture des écoles et réintroduisant les contrôles aux frontières.

6) Le 16 mars 2020, le Conseil fédéral a déclaré la situation comme extraordinaire au sens de l'art. 7 LEp et modifié l'ordonnance 2 Covid-19, ordonnant la fermeture des commerces non essentiels, le déploiement renforcé de l'armée et la fermeture partielle des frontières.

7) Le même jour, le Conseil d'État a adopté un arrêté destiné à mettre en oeuvre les mesures décidées par le Conseil fédéral.

8) En juin 2020, l'Organisation mondiale de la santé (ci-après : OMS) a publié un document intitulé « Conseils sur le port du masque dans le cadre de la Covid-19 », aux termes duquel elle indiquait que le port du masque facial s'inscrivait dans le cadre d'un ensemble de mesures anti-infectieuses propres à limiter la propagation de certaines affections respiratoires virales, dont la Covid-19 faisait partie, comme l'hygiène des mains ou le respect des distances physiques. Il pouvait permettre aussi bien à des sujets sains en bonne santé de se protéger qu'à des sujets porteurs de virus de ne pas les transmettre (p. 1). Notamment à la lumière des études disponibles évaluant la transmission présymptomatique et asymptomatique du SARS-CoV-2, un faisceau croissant d'observations dans plusieurs pays et la difficulté de respecter les distances physiques dans de nombreux contextes, elle conseillait aux autorités, pour prévenir efficacement la transmission de la Covid-19 dans les zones de transmission communautaire, d'encourager le port du masque par le grand public dans des situations et lieux particuliers, dans le cadre d'une approche globale de lutte contre la transmission du virus (p. 8). Tel était le cas dans les zones à transmission répandue ou présumée, où la capacité d'appliquer notamment la distance physique était limitée, voire nulle, en particulier les commerces, pour les clients et le personnel de vente (p. 9). Étaient également énumérés les effets bénéfiques et les avantages potentiels du port du masque par le grand public, de même que ses effets indésirables et ses inconvénients potentiels, comme le risque d'auto-contamination dû à une mauvaise manipulation du masque ou lorsqu'il n'était pas remplacé, des maux de tête ou des difficultés respiratoires possibles selon le type de masque utilisé, une sensation possible d'inconfort, ou encore les désavantages et difficultés éprouvés notamment par les asthmatiques ou les personnes souffrant d'affections respiratoires chroniques (p. 9 s).

9) Le 19 juin 2020, à la suite d'une diminution du nombre de nouveaux cas, le Conseil fédéral a requalifié la situation extraordinaire en situation particulière, scindé l'ordonnance 2 Covid-19 et restructuré ses mesures au sein de l'ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 en situation particulière (ordonnance Covid-19 situation particulière - RS 818.101.26) et de l'ordonnance 3 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (ordonnance 3 Covid-19 - RS 818.101.24).

10) Le 2 juillet 2020, le Conseil fédéral a modifié l'ordonnance Covid-19 situation particulière et a imposé le port du masque facial aux voyageurs dans les véhicules de transports publics (art. 3a de l'ordonnance Covid-19 situation particulière). Ladite modification est entrée en vigueur le 6 juillet 2020.

11) À compter du 6 juillet 2020, le canton du Jura a rendu obligatoire le port du masque facial par les clients des commerces situés sur son territoire. Dès le 8 juillet 2020, le canton de Vaud en a fait de même pour les commerces accueillant simultanément plus de dix clients. S'en est également ensuivie la même obligation dans les cantons de Neuchâtel, Fribourg et du Valais fin août 2020.

12) À Genève, entre début mai et mi-juillet 2020, le nombre de cas positifs au SARS-CoV-2 était de moins de dix par jour. À compter du 14 juillet 2020, il a dépassé ce seuil, jusqu'à atteindre plus de quarante cas par jour le 24 juillet 2020, alors que le nombre de tests positifs au niveau national était de cent quarante-huit.

13) Le 24 juillet 2020, le Conseil d'État a adopté un arrêté relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19, publié dans la FAO du 27 juillet 2020, qui comportait notamment les dispositions suivantes :

« Article 2 - Port obligatoire du masque

1 Les prestataires offrant des services impliquant un contact physique rapproché et prolongé avec la clientèle, tels que les salons de coiffure, les salons d'esthétique, les barbiers, etc., doivent porter un masque.

2 Le personnel de service dans les cafés, restaurants, bars, buvettes, dancings, discothèques et établissements assimilés, doit porter un masque.

3 Le port du masque dans les commerces est exigé de la clientèle ainsi que du personnel en contact avec cette dernière s'il ne peut pas être protégé par un dispositif vitré ou équivalent.

 

Article 4 - Contravention

Quiconque contrevient intentionnellement aux mesures ordonnées est puni de l'amende.

 

Article 5 - Entrée en vigueur

1 Le présent arrêté entre en vigueur le 24 juillet 2020 et est déclaré exécutoire nonobstant recours.

2 Les mesures prévues aux articles 1 et 2 alinéa 2 entrent en vigueur le 24 juillet 2020 à 20h00.

3 Les autres mesures entrent en vigueur le 28 juillet 2020 à 8h00.

4 Les mesures du présent arrêté s'appliquent jusqu'au 1er octobre 2020 ; elles pourront être prolongées en cas de besoin.

 

Article 6 - Voie de recours

Le présent arrêté constitue une décision susceptible de recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice dans les 30 jours suivant sa publication (...). »

14) Le 14 août 2020, le Conseil d'État a adopté un nouvel arrêté relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19, publié dans la FAO du 17 août 2020 et entré en vigueur le lendemain. Abrogeant l'arrêté du 24 juillet 2020, il a repris, à son art. 8, l'obligation du port du masque facial dans les commerces par la clientèle. La durée de validité dudit arrêté, prolongeable au besoin, a été fixée au 30 septembre 2020, date à laquelle il a été prolongé jusqu'au 16 novembre 2020.

15) a. Par acte du 24 août 2020, enregistré sous cause n° A/2505/2020, Madame A______, domiciliée dans le canton de Genève et travaillant dans une boutique de chaussures à Genève exploitée par la société B______ SA (ci-après : B______), société anonyme inscrite au registre du commerce du canton de Genève, dont l'administratrice est sa mère et pour laquelle Mme A______ est au bénéfice d'une procuration collective à deux, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'arrêté du Conseil d'État du 24 juillet 2020, puis, le lendemain, par acte enregistré sous cause n° A/2546/2020, auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre le même arrêté, concluant, avec suite de frais et dépens, à ce que sa nullité soit constatée, subsidiairement à ce qu'il soit annulé.

L'obligation du port du masque facial prévue par l'arrêté litigieux était contraire à la liberté personnelle et à la liberté de mouvement, puisque, d'une part, la personne dans l'impossibilité de se procurer un tel masque se voyait limitée dans ses déplacements et que, d'autre part, la personne en cause ne pouvait se présenter à autrui comme bon lui semblait.

Elle contrevenait également à la liberté économique des entreprises actives sur le territoire cantonal. L'arrêté n'était ainsi pas valable, faute de base légale formelle permettant de restreindre cette liberté, puisqu'il avait été adopté par le Conseil d'État et non le Grand Conseil, qui était habilité à légiférer en la matière. La mesure envisagée n'était pas non plus conforme au principe de proportionnalité, dès lors qu'elle n'impliquait aucune responsabilité individuelle, pourtant recherchée par les autorités fédérales, qui avaient préféré un semi-confinement à un confinement intégral au printemps 2020. Aucun élément concret ne permettait en outre de conclure à une augmentation significative du nombre de cas positifs au virus, en l'absence de comparaison possible avec celui recensé lors de la première vague et de fiabilité des tests effectués. Le discours des autorités avait également été contradictoire s'agissant du port du masque facial, dont l'utilité avait d'abord été niée, la communauté scientifique ne parvenant pas non plus à un consensus au sujet de son efficacité, y compris l'OMS. Les mêmes doutes sur la fiabilité des masques en tissu avaient été exprimés par les hôpitaux genevois et vaudois. À cela s'ajoutait qu'aucune étude n'avait été entreprise s'agissant des risques du port du masque facial pour la population avant qu'il ne soit rendu obligatoire, des masques périmés, voire impropres à être portés, lui ayant au surplus été distribués. Le port du masque facial n'apparaissait ainsi pas efficace ni nécessaire eu égard à la situation sanitaire et aux chiffres actuels, alors qu'il pouvait avoir des conséquences néfastes, encore inconnues, pour les employés, obligés de les porter en permanence, ainsi que pour les enfants, qui pouvaient développer un sentiment de peur généralisée.

L'obligation du port du masque dans les commerces créait en outre une inégalité de traitement, au vu du caractère particulièrement drastique de la mesure, plus souple dans les autres cantons, notamment Vaud. Une telle situation créait une distorsion de la concurrence et pouvait faire fuir la clientèle des magasins genevois vers d'autres cantons. Par ailleurs, la même obligation n'était pas imposée dans les bureaux de poste, alors même que les distances physiques n'y étaient pas toujours respectées, ce qui créait également une distorsion de la concurrence au détriment des acteurs de l'économie locale.

b. Elle a produit un chargé de pièces comportant notamment des articles critiquant l'efficacité des masques faciaux.

16) Le 15 septembre 2020, la chambre constitutionnelle a informé Mme A______ que son recours pendant devant la chambre administrative dans la cause n° A/2505/2020 serait intégré à celui formé devant la chambre constitutionnelle.

17) En octobre 2020, le service des maladies infectieuses des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) a actualisé la directive « Nouveau coronavirus : SARS-CoV-2 - Vue d'ensemble et diagnostic » établie en janvier 2020 et régulièrement mise à jour depuis lors. Il y indiquait que la prévention de l'infection Covid-19 passait par l'intermédiaire de mesures de protection telles que le port du masque facial généralisé, l'hygiène des mains et le respect des distances physiques, mesures propres à réduire la transmission du virus (p. 4).

18) Le 9 octobre 2020, le Conseil d'État a conclu au rejet des recours.

Les conditions de restriction des libertés invoquées par Mme A______, qui ne démontrait pas de manière étayée en quoi elles étaient violées, étaient remplies. L'arrêté litigieux se fondait ainsi sur la LEp et les ordonnances adoptées par le Conseil fédéral dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 et reposait également sur la législation cantonale, qui autorisait l'État à adopter les mesures nécessaires afin de combattre les maladies transmissibles, la compétence pour ce faire étant attribuée au médecin cantonal. Il avait toutefois évoqué ladite compétence, en vue de prendre les mesures nécessaires impliquant divers départements. L'arrêté entrepris respectait également les exigences de densité normative, dès lors qu'il détaillait les mesures et situations dans lesquelles elles s'appliquaient, et avait été adopté au regard de la menace grave et imminente pesant sur la santé de toute la population, voire sur la vie d'un grand nombre de personnes, que représentait l'épidémie de Covid-19. Le principe de la proportionnalité était également respecté, sous ses différents aspects. Les mesures litigieuses permettaient ainsi de protéger l'intérêt égal de chaque citoyen à la préservation de la santé, voire de la vie. La communauté scientifique, dans sa très large majorité, convenait de ce que le port du masque constituait une mesure efficace non seulement pour protéger sa propre personne, mais aussi et surtout pour protéger les autres individus. La transmission par voie aérienne du SARS-CoV-2, notamment par gouttelettes, était favorisée dans certains lieux caractérisés par une forte densité de personnes et des contacts étroits et prolongés entre individus. L'obligation du port du masque facial dans de tels lieux, en ce qu'il diminuait les projections susceptibles d'infecter autrui, était donc apte à atteindre son but, soit de limiter les contaminations. En rendant le masque obligatoire dans de tels cas, il avait ainsi suivi les recommandations notamment de l'office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP) et de l'OMS. Bon nombre de cantons avaient opté pour une mesure similaire, de même que la Confédération pour les transports publics. Le port du masque facial ne constituait pas, en soi, une atteinte supérieure à la liberté personnelle par rapport au respect des distances physiques, même s'il pouvait entraîner un sentiment d'inconfort, et entravait moins la liberté de se déplacer de son porteur, tout en ayant un moindre impact sur la liberté économique, puisqu'il permettait à davantage de clients de fréquenter les commerces. Des exceptions étaient prévues pour le personnel de vente, lorsqu'un dispositif vitré ou équivalent était installé. Le port du masque facial était par conséquent imposé dans les seuls cas qui étaient nécessaires afin de porter l'atteinte la moins intrusive possible aux libertés fondamentales.

L'arrêté litigieux ne violait pas non plus le principe d'égalité de traitement, Mme A______ ne démontrant pas qu'au sein du canton certaines personnes seraient traitées différemment, étant précisé que les exemples qu'elle citait concernaient d'autres cantons, qui avaient, depuis lors, adopté les mêmes mesures que Genève. Quand bien même une différence pouvait exister, celle-ci s'expliquait par le fait que le canton de Genève connaissait l'une des transmissions du virus les plus importantes de Suisse au regard de la densité de sa population, ce qui était susceptible d'accroître le nombre de personnes malades nécessitant d'être hospitalisées.

19) Le même jour, la chambre constitutionnelle a accordé à Mme A______ un délai pour formuler toute requête complémentaire, après quoi la cause serait gardée à juger.

20) Le 18 octobre 2020, le Conseil fédéral a modifié l'ordonnance Covid-19 situation particulière et a notamment imposé le port du masque facial dans les espaces clos accessibles au public des installations et des établissements ainsi que dans les zones d'attente des gares, des arrêts de bus et de tram, dans les gares, les aéroports ou d'autres points d'accès aux transports publics, obligation qu'il a étendue, le 28 octobre 2020, aux espaces publics extérieurs de ces installations et établissements (art. 3b al. 1 de l'ordonnance Covid-19 situation particulière). Ces modifications sont respectivement entrées en vigueur les 19 et 29 octobre 2020.

21) Le 1er novembre 2020, le Conseil d'État a adopté un arrêté d'application de l'ordonnance Covid-19 situation particulière et sur les mesures de protection de la population, publié dans la FAO et entré en vigueur le lendemain. Abrogeant l'arrêté du 14 août 2020, il a repris, à son art. 12 al. 4, l'obligation du port du masque facial dans les commerces par la clientèle. La durée de validité dudit arrêté, prolongée en cas de besoin, a été fixée au 29 novembre 2020.

22) Le 6 novembre 2020, le Conseil d'État a indiqué n'avoir aucune requête complémentaire à formuler, précisant que l'obligation du port du masque facial, à la suite de la modification de l'ordonnance Covid-19 situation particulière, relevait désormais d'une « décision » fédérale.

23) Le 11 novembre 2020, Mme A______ a informé la chambre constitutionnelle du maintien de ses recours.

24) Sur quoi, les causes ont été gardées à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) a. Selon l'art. 70 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), l'autorité peut, d'office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (al. 1). Toutefois, la jonction n'est pas ordonnée si la première procédure est en état d'être jugée alors que la ou les autres viennent d'être introduites (al. 2).

b. En l'espèce, la présente procédure et celle transmise par la chambre administrative à la chambre de céans pour raison de compétence sont dirigées contre le même arrêté du Conseil d'État, contesté par la même recourante et ont trait aux mêmes questions juridiques. Il se justifie ainsi de joindre les causes n° A/2505/2020 et n° A/2546/2020 sous ce dernier numéro, qui est la procédure la plus anciennement ouverte devant la chambre constitutionnelle.

2) a. La chambre constitutionnelle est l'autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d'application de cette disposition, il s'agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Les arrêtés du Conseil d'État peuvent également faire l'objet d'un contrôle abstrait par la chambre constitutionnelle, pour autant qu'ils contiennent des règles de droit (ACST/24/2020 du 4 août 2020 consid. 2c ; ACST/6/2017 du 19 mai 2017 consid. 1d), à savoir des mesures générales, destinées à s'appliquer à un nombre indéterminé de personnes, et abstraites, se rapportant à un nombre indéterminé de situations, affectant au surplus la situation juridique des personnes concernées en leur imposant une obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer ou en réglant d'une autre manière et de façon obligatoire leurs relations avec l'État, ou alors ayant trait à l'organisation des autorités (ATF 135 II 328 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1023/2017 du 21 décembre 2018 consid. 2.2).

b. En l'espèce, les recours sont formellement dirigés, indépendamment d'un cas d'application, contre l'arrêté relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 du 24 juillet 2020, à savoir un acte édicté par le Conseil d'État contenant, malgré sa dénomination de « décision », des règles de droit, puisqu'il impose en particulier le port du masque facial à l'ensemble des clients de tous les commerces sis sur le territoire cantonal durant sa période de validité, à chaque fois que lesdits clients s'y rendent, ainsi qu'au personnel de vente. La chambre de céans est par conséquent compétente pour connaître des présentes causes.

3) Les recours ont été interjetés dans le délai légal à compter de la publication de l'arrêté litigieux dans la FAO, qui est intervenue le 27 juillet 2020, de sorte qu'ils sont recevables sous cet angle également (art. 62 al. 1 let. d et al. 3, 63 al. 1 let. b et 64 al. 2 LPA).

4) a. Saisie d'un recours, la chambre constitutionnelle contrôle librement le respect des normes cantonales attaquées au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE ; art. 61 al. 1 LPA). L'acte de recours, formé par écrit (art. 64 al. 1 LPA), contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de l'acte attaqué et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA), ainsi que l'exposé des motifs et l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 LPA). En cas de recours contre une loi constitutionnelle, une loi ou un règlement du Conseil d'État, l'acte de recours doit en sus contenir un exposé détaillé des griefs du recourant (art. 65 al. 3 LPA). Selon l'exposé des motifs relatifs à la loi 11311 modifiant la LOJ, en matière de recours en contrôle abstrait des normes, il est nécessaire de se montrer plus exigeant que dans le cadre d'un recours ordinaire, le recourant ne pouvant se contenter de réclamer l'annulation d'une loi ou d'un règlement au motif que son contenu lui déplaît. Il doit, au contraire, être acheminé à présenter un exposé détaillé de ses griefs (ACST/33/2019 du 21 novembre 2019 consid. 3a). La chambre constitutionnelle n'en a pas moins la compétence d'appliquer le droit d'office, sans être liée par les motifs invoqués par les parties (art. 69 al. 1, 2ème phr., LPA), à la condition toutefois que le recours, voire le grief invoqué, soit recevable.

b. L'exigence de motivation des recours en contrôle abstrait des normes ne saurait être interprétée aussi rigoureusement que ne l'est le principe d'allégation (Rügeprinzip) devant le Tribunal fédéral pour les griefs de violation des droits fondamentaux et des dispositions de droit cantonal et intercantonal (art. 106 al. 2 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110 ; Johanna DORMANN, in Marcel Alexander NIGGLI/Peter UEBERSAX/Hans WIPRÄCHTIGER [éd.], Bundesgerichtsgesetz, 3e éd., 2018 n. 1 ss ad art. 106 LTF ; Bernard CORBOZ et al. [éd.], Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n. 32 ss ad art. 106 LTF). D'une part, la chambre constitutionnelle statue en première instance (a contrario ATF 140 III 86 consid. 2, où le Tribunal fédéral précise, en lien avec les exigences ordinaires de motivation, qu'il « n'examine pas, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, mais uniquement celles qui sont soulevées devant lui »). D'autre part, le constituant a explicitement souhaité que la chambre constitutionnelle soit plus accessible aux citoyens et administrés que ne peut l'être l'instance judiciaire suprême de la Suisse (BOACG tome XVII, p. 8930, tome XXII, p. 11308 s, p. 11311-11312, p. 11315, p. 13240 s, p. 13248 ; Arun BOLKENSTEYN, Le contrôle des normes, spécialement par les cours constitutionnelles cantonales, 2014, p. 291 ss ; Michel HOTTELIER / Thierry TANQUEREL, La Constitution genevoise du 14 octobre 2012, SJ 2014 II 341, p. 378 ss). Au demeurant, la LPA ne prévoit pas la sanction d'une motivation insuffisante, en particulier l'irrecevabilité du recours ou du grief (ACST/42/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4b et les références citées).

c. En l'espèce, l'on comprend des écritures de la recourante, qui a conclu à l'annulation de l'arrêté litigieux dans son ensemble, que ses recours portent uniquement sur l'obligation du port du masque facial dans les commerces par la clientèle ainsi que par le personnel de vente, de sorte que la seule conformité aux garanties constitutionnelles invoquées des art. 2 al. 3 de l'arrêté du 24 juillet 2020 sera examinée. Par ailleurs, même brève, la motivation des recours apparaît suffisante, la recourante ayant exposé dans ses écritures les motifs pour lesquels cette disposition serait contraire à la liberté personnelle, à la liberté économique ainsi qu'au principe d'égalité de traitement. Autre est la question de la pertinence des griefs invoqués, qui sera analysée lors de l'examen du fond du litige. Les recours satisfont dès lors aux réquisits de l'art. 65 al. 3 LPA, tel qu'interprété par la chambre de céans, de sorte qu'ils sont également recevables de ce point de vue.

5) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d'État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L'art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l'action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu'il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/25/2020 du 27 août 2020 consid. 4a).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n'est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l'acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 145 I 26 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 du 29 août 2019 consid. 1.2).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l'annulation de l'acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2019 du 2 septembre 2020 consid. 6.2.2 ; ACST/22/2019 du 8 mai 2019 consid. 3b). Il est exceptionnellement possible de faire abstraction de l'exigence d'un intérêt actuel lorsque la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 142 I 135 consid. 1.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2019 précité consid. 6.2.2).

b. En l'espèce, bien que l'arrêté litigieux ait été abrogé par l'arrêté subséquent du Conseil d'État du 14 août 2020, lequel a, à son tour, également été abrogé par celui du 1er novembre 2020, ce dernier reprend l'obligation du port du masque facial dans les commerces du canton par la clientèle et le personnel de vente. Dès lors que la recourante, domiciliée à Genève, risque de se voir appliquer cette obligation en se rendant dans ces lieux, voire dans le magasin dans lequel elle travaille, malgré l'abrogation de l'arrêté litigieux, il se justifie de renoncer à l'exigence de l'intérêt actuel, en présence d'un intérêt public à trancher la question de la conformité du contenu de l'acte entrepris aux garanties constitutionnelles invoquées. Dans ce cadre, en cas d'admission du recours, la chambre de céans ne pourrait alors pas annuler l'acte entrepris, mais seulement en constater l'inconstitutionnalité (ACST/42/2019 précité consid. 10), étant précisé que son arrêt n'aurait alors aucune incidence sur l'obligation du port du masque résultant de la modification du 18 octobre 2020 de l'ordonnance Covid-19 situation particulière. La question de la recevabilité des recours peut toutefois, en l'état, souffrir de rester indécise, au regard de ce qui suit.

6) À l'instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu'elle se prononce dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, s'impose une certaine retenue et n'annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu'elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme - ou non - au droit supérieur. Les explications de l'autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 146 I 70 consid. 4 ; 145 I 26 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 précité consid. 2 ; ACST/26/2020 du 27 août 2020 consid. 5).

7) La recourante soutient que l'obligation du port du masque facial dans les magasins par les clients et le personnel de vente constituerait une restriction injustifiée à la liberté personnelle et à la liberté économique.

8) a. Droit constitutionnel garanti par l'art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la liberté personnelle ne tend pas seulement à assurer le droit d'aller et venir, voire à protéger l'intégrité corporelle et psychique, mais elle garantit, de manière générale, toutes les libertés élémentaires dont l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine et que devrait posséder tout être humain, afin que la dignité humaine ne soit pas atteinte par le biais de mesures étatiques (ATF 133 I 110 consid. 5.2). Sa portée ne peut être définie de manière générale mais doit être déterminée de cas en cas, en tenant compte des buts de la liberté, de l'intensité de l'atteinte qui y est portée ainsi que de la personnalité de ses destinataires (ATF 142 I 195 consid. 3.2). La liberté personnelle se conçoit comme une garantie générale et subsidiaire à laquelle le citoyen peut se référer pour la protection de sa personnalité ou de sa dignité, en l'absence d'un droit fondamental plus spécifique (ATF 123 I 112 consid. 4). L'art. 20 Cst-GE contient une garantie similaire.

b. Selon l'art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1). Cette liberté comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). Cette liberté protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu. Elle peut être invoquée aussi bien par les personnes physiques que par les personnes morales (ATF 143 II 598 consid. 5.1).

La liberté économique comprend le principe de l'égalité de traitement entre personnes appartenant à la même branche économique. Selon ce principe, déduit des art. 27 et 94 Cst., sont prohibées les mesures étatiques qui ne sont pas neutres sur le plan de la concurrence entre les personnes exerçant la même activité économique (ATF 143 I 37 consid. 8.2). On entend par concurrents directs les membres de la même branche économique qui s'adressent avec les mêmes offres au même public pour satisfaire les mêmes besoins. Ne sont considérés comme concurrents directs que les entreprises situées dans la circonscription territoriale à laquelle s'applique la législation en cause (ATF 132 I 97 consid. 2.1). L'art. 35 Cst-GE contient une garantie similaire.

c. En l'espèce, en tant qu'il rend obligatoire le port du masque facial dans les commerces de la part des clients et du personnel de vente, l'on peut concevoir que l'arrêté litigieux emporte une restriction à la liberté personnelle des individus concernés, puisque l'accès à un tel lieu ne leur est ouvert, sauf exceptions, que moyennant le port, sur le visage, d'une protection, qui leur est ainsi imposée. Cette obligation peut également avoir pour effet une ingérence dans la liberté économique des exploitants de commerces sis sur le territoire cantonal, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter leur fréquentation, à tout le moins la durée de celle-ci, des clients réticents au port du masque facial et ainsi diminuer leur chiffre d'affaires, étant précisé que, même si la recourante n'exploite pas le magasin dans lequel elle travaille ni ne fait partie des organes de la société qui l'exploite, elle est légitimée à invoquer ce grief, dès lors que s'agissant d'un contrôle abstrait, un intérêt virtuel à se voir appliquer les dispositions contestées en cette qualité suffit.

9) Encore convient-il d'examiner si ces restrictions sont justifiées. Conformément aux art. 36 Cst. et 43 Cst-GE, toute restriction d'un droit fondamental doit reposer sur une base légale qui doit être de rang législatif en cas de restriction grave (al. 1) ; elle doit en outre être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et, selon le principe de la proportionnalité, se limiter à ce qui est nécessaire et adéquat à la réalisation des buts d'intérêt public poursuivis (al. 3), sans violer l'essence du droit en question (al. 4).

10) a. Les restrictions graves à une liberté nécessitent ainsi une réglementation claire et expresse dans une loi au sens formel, les cas de danger sérieux, direct et imminent étant réservés (art. 36 al. 1 Cst. ; art. 43 al. 1 Cst-GE). Lorsque la restriction d'un droit fondamental n'est pas grave, la base légale sur laquelle se fonde celle-ci ne doit pas nécessairement être prévue par une loi, mais peut se trouver dans des actes de rang inférieur ou dans une clause générale. Savoir si une restriction à un droit fondamental est grave s'apprécie en fonction de critères objectifs (ATF 143 I 310 consid. 3.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_956/2016 du 7 avril 2017 consid. 4.2.1 et les références citées).

Se déduisant du principe de la légalité, l'exigence de densité normative suffisante renvoie au degré de clarté et de précision que des dispositions générales et abstraites doivent avoir pour que leur application soit prévisible (ACST/33/2019 précité consid. 9a). Le degré de précision exigible ne peut toutefois pas être défini abstraitement car il dépend de la diversité des états de fait à réglementer, de la complexité et de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas d'espèce, des destinataires de la règle, de l'intensité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux et, finalement, de l'appréciation de la situation qui n'est possible que lors de l'examen du cas individuel et concret (ATF 145 IV 470 consid. 4.5 et les références citées).

b. La LEp règle la protection de l'être humain contre les maladies transmissibles (art. 1 LEp) et a pour but de prévenir et de combattre l'apparition et la propagation de celles-ci (art. 2 al. 1 LEp). En cas de situation particulière au sens de l'art. 6 LEp, soit notamment lorsque les organes d'exécution ordinaire ne sont pas en mesure de prévenir et de combattre l'apparition et la progression d'une maladie transmissible (al. 1 let. a) ou que l'OMS a constaté la présence d'une urgence sanitaire de portée internationale menaçant la Suisse (al. 1 let. b), le Conseil fédéral peut, après avoir consulté les cantons, notamment ordonner des mesures visant des individus et la population (al. 2 let. a et b). Le Conseil fédéral a adopté l'ordonnance Covid-19 situation particulière, qui réserve la compétence des cantons, sauf disposition contraire (art. 2 de l'ordonnance Covid-19 situation particulière), et prévoit le respect, par chaque personne, des recommandations de l'OFSP en matière d'hygiène et de conduite face à l'épidémie de Covid-19 (art. 3 de l'ordonnance Covid-19 situation particulière). Selon celles-ci, disponibles sur le site internet « www.bag.admin.ch », dans l'espace public le port d'un masque facial est recommandé notamment lorsqu'il n'est pas possible de garder une distance de 1,5 m avec une autre personne et qu'il n'existe pas de protection physique. Les visières ne peuvent toutefois pas remplacer un masque, dès lors qu'elles ne garantissent pas d'être protégé contre une infection par la bouche ou par le nez.

L'art. 40 LEp prévoit par ailleurs que les autorités cantonales compétentes ordonnent les mesures nécessaires pour empêcher la propagation de maladies transmissibles au sein de la population ou dans certains groupes de personnes (al. 1). Elles peuvent en particulier (al. 2) : prononcer l'interdiction totale ou partielle de manifestations (let. a), fermer les écoles, d'autres institutions publiques ou des entreprises privées ou réglementer leur fonctionnement (let. b), interdire ou limiter l'entrée et la sortie de certains bâtiments ou zones ou certaines activités se déroulant dans des endroits définis (let. c). Les mesures ordonnées ne doivent pas durer plus longtemps qu'il n'est nécessaire pour prévenir la propagation d'une maladie transmissible et elles doivent être réexaminées régulièrement (al. 3). Selon l'art. 75 LEp, les cantons exécutent la présente loi dans la mesure où son exécution n'incombe pas à la Confédération, en particulier en désignant les autorités compétentes (Message concernant la révision de la LEp du 3 décembre 2010, FF 2011 291, p. 398).

En outre, sur la base de l'art. 40 LEp, le canton peut prendre des mesures temporaires applicables régionalement si le nombre d'infections est élevé localement ou menace de le devenir (art. 8 al. 2 de l'ordonnance Covid-19 situation particulière), notamment imposer des règles de conduite à la population, comme le port de masques faciaux (rapport explicatif concernant l'ordonnance Covid-19 situation particulière, p. 14 ad art. 8). Selon l'art. 10 de l'ordonnance Covid-19 situation particulière, l'employeur garantit que les employés puissent respecter les recommandations de l'OFSP en matière d'hygiène et de distance. À cette fin, les mesures correspondantes doivent être prévues et mises en oeuvre (al. 1). Si la distance recommandée ne peut pas être respectée, des mesures doivent être prises pour appliquer le principe STOP (substitution, technique, organisation, personnel) et notamment recourir au télétravail, à la séparation physique, à la séparation des équipes ou au port de masques faciaux (al. 2).

c. À Genève, l'art. 21 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03) prévoit que l'État encourage les mesures destinées à prévenir les maladies qui, en termes de morbidité et de mortalité, ont des conséquences sociales et économiques importantes ainsi que les mesures visant à limiter les effets néfastes de ces maladies sur la santé et l'autonomie des personnes concernées (al. 1). Il prend les mesures nécessaires pour détecter, surveiller, prévenir et combattre les maladies transmissibles en application de la LEp (al. 2) et encourager leur prévention (al. 3).

Selon l'art. 9 al. 1 LS, le médecin cantonal est chargé des tâches que lui attribuent la présente loi, la législation cantonale ainsi que la législation fédérale, en particulier la LEp. L'art. 121 LS précise que la direction générale de la santé, soit pour elle le médecin cantonal notamment, exécute les tâches de lutte contre les maladies transmissibles prévues par la LEp (al. 1). Elle peut en particulier ordonner les mesures nécessaires pour empêcher la propagation de maladies transmissibles dans la population ou des groupes de personnes (al. 2 let. a ch. 3).

Selon l'art. 1 de la loi sur l'exercice des compétences du Conseil d'État et l'organisation de l'administration du 16 septembre 1993 (LECO - B 1 15), le Conseil d'État exerce le pouvoir exécutif et prend les décisions de sa compétence. Il peut en tout temps évoquer, le cas échéant pour décision, un dossier dont la compétence est départementale en vertu de la loi ou d'un règlement ou a été déléguée lorsqu'il estime que l'importance de l'affaire le justifie et pour autant qu'il ne s'agisse pas d'une matière où il est autorité de recours (art. 3 LECO).

d. En l'espèce, la mesure litigieuse ne constitue pas une atteinte grave aux libertés invoquées par la recourante, même si le port du masque peut occasionner une certaine gêne, au demeurant subjective et dépendant des sensibilités de chacun. Il n'empêche pas non plus les clients de se rendre dans les commerces ni le personnel de vente de faire son travail, étant précisé que, dans ce cadre, l'arrêté litigieux laisse la possibilité de prévoir un dispositif de protection alternatif vitré ou équivalent. Si elle peut conduire à une potentielle diminution du chiffre d'affaires des commerces, dans lesquels les clients souhaitent passer moins de temps, la mesure contestée ne porte pas une atteinte grave à la liberté économique, comme le serait par exemple leur fermeture.

En l'absence d'une atteinte grave à la liberté personnelle et à la liberté économique, les restrictions à celles-ci ne devaient ainsi pas figurer dans une loi au sens formel mais pouvaient être prises par le Conseil d'État, lequel s'est basé pour ce faire sur la LS et a évoqué la compétence dévolue par cette loi à la direction générale de la santé, soit pour elle au médecin cantonal. Ce procédé ne prête pas le flanc à la critique, étant précisé que la LEp se limite à prévoir que les cantons exécutent la loi, à charge pour ceux-ci de désigner les autorités compétentes à cette fin. La disposition contestée s'inscrit du reste dans le cadre de la LEp, qui laisse aux cantons la possibilité de prévoir des mesures plus restrictives, comme imposer le port du masque facial, en cas de nombre élevé d'infections localement ou qui menace de le devenir.

À cela s'ajoute que la densité normative de la disposition attaquée s'avère suffisante, puisqu'elle définit précisément les lieux dans lesquels l'obligation du port du masque s'applique, les personnes concernées ainsi que les exceptions à ladite obligation. Elle est dès lors suffisamment précise pour être appliquée de manière prévisible dans un cas particulier et permet aux personnes concernées d'adapter leur comportement en conséquence.

Par ailleurs, dans le cadre des présents recours, le juge constitutionnel, chargé du contrôle abstrait des normes, doit faire preuve d'une certaine retenue, un contrôle concret de l'application des dispositions litigieuses dans un cas particulier demeurant possible (ACST/33/2019 précité consid. 9c).

11) a. Les restrictions à la liberté personnelle et à la liberté économique doivent répondre à un intérêt public ou se justifier par la protection d'un droit fondamental d'autrui (art. 36 al. 2 Cst. ; art. 43 al. 2 Cst-GE). La notion d'intérêt public varie en fonction du temps et des lieux et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la paix publics), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'État sont l'expression. Il incombe au législateur de définir, dans le cadre d'un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être considérés comme légitimes, en tenant compte de l'ordre de valeurs posé par le système juridique. Si les droits fondamentaux en jeu ne peuvent être restreints pour les motifs indiqués par la collectivité publique en cause, l'intérêt public allégué ne sera pas tenu pour pertinent (ATF 142 I 49 consid. 8.1 et les références citées).

b. En l'espèce, l'obligation du port du masque facial dans les commerces par les clients et le personnel a pour but de freiner la propagation du virus SARS-CoV-2 au sein de la population et ainsi protéger la santé publique, voire la vie, ce qui constitue un but d'intérêt public admissible pour restreindre la liberté personnelle et la liberté économique et n'est d'ailleurs pas contesté par la recourante.

12) a. Pour qu'une restriction à un droit fondamental soit conforme au principe de la proportionnalité, il faut qu'elle soit apte à atteindre le but visé, que ce dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (art. 36 al. 3 Cst. ; art. 43 al. 3 Cst-GE ; ATF 142 I 49 consid. 9.1).

b. En l'espèce, le Conseil d'État a adopté l'arrêté du 24 juillet 2020 comportant l'obligation du port du masque facial dans les magasins par la clientèle et le personnel à la suite d'une augmentation significative du nombre de cas positifs à la Covid-19 sur le territoire cantonal, de plus de dix par jour dès le 14 juillet 2020, allant jusqu'à atteindre plus de quarante cas le 24 juillet 2020, soit plus du quart des cas au niveau national. La situation ayant perduré, le Conseil d'État a repris cette mesure dans l'arrêté du 14 août 2020, puis dans celui du 1er novembre 2020.

La recourante allègue que cette mesure ne serait pas apte à atteindre le but visé, l'efficacité des masques faciaux n'étant pas prouvée. Comme l'a toutefois relevé l'autorité intimée, la communauté scientifique, dans sa très large majorité, considère que le port d'un tel masque dans les lieux fermés à forte densité de personnes, comme les commerces, permet de limiter la propagation du virus SARS-CoV-2, lequel se transmet par voie aérienne, principalement par gouttelettes. Une telle mesure a été recommandée par l'OMS, l'OFSP ainsi que les HUG. Elle n'apparaît ainsi pas inapte à atteindre le but de santé publique recherché par l'autorité intimée visant à protéger la santé et la vie de la population en empêchant une propagation exponentielle dudit virus. Dans ce cadre, la chambre de céans doit faire preuve d'une certaine retenue, s'agissant d'un domaine où elle ne saurait substituer son appréciation à celle qui fait référence en matière scientifique.

Selon la recourante, d'autres mesures, laissant libre cours à la responsabilité individuelle, permettraient d'atteindre le même but. La recourante perd toutefois de vue que les mesures recommandées par l'OMS, l'OFSP ou encore les HUG, soit l'hygiène des mains, le respect des distances physiques et le port du masque facial, sont complémentaires et, prises dans leur ensemble, permettent de freiner la diffusion d'un virus comme le SARS-CoV-2 qui se propage par voie aérienne, principalement par gouttelettes. Le but de santé publique visé par la disposition litigieuse ne pourrait pas non plus être atteint si le port du masque était seulement recommandé, ce qui mettrait en péril son efficacité à freiner la propagation du virus, s'agissant d'une mesure collective à respecter par toute personne et non pas selon le bon vouloir de chacun. Il en est de même du port d'une simple visière, qui n'est pas préconisé par l'OFSP. Outre le fait qu'une limitation des clients dans les commerces peut poser des problèmes de mise en oeuvre organisationnelle, notamment au niveau du décompte et du contrôle de leur nombre, elle ne constitue pas une mesure moins incisive que le port du masque facial, puisqu'elle restreint l'accès auxdits magasins, risquant de créer un effet d'entonnoir à leur entrée et de longues files d'attente. Le port du masque facial tend précisément à remédier à de tels inconvénients, en laissant librement les clients entrer dans les commerces, même lorsque les distances physiques ne peuvent pas être respectées en permanence. Le Conseil fédéral a, au demeurant, appliqué la même obligation aux voyageurs dans les véhicules de transports publics et aux personnes se trouvant dans les espaces clos accessibles au public et devant ceux-ci. À cela s'ajoute que la mesure litigieuse a été prise pour une durée déterminée et fait l'objet d'un réexamen régulier et est limitée dans l'espace. D'autres cantons ont également pris les mêmes mesures entre les mois de juillet et août 2020, en particulier tous les cantons romands.

La mesure litigieuse respecte aussi le principe de la proportionnalité au sens étroit, dès lors que le port du masque facial dans les commerces, comme précédemment évoqué, a permis d'en augmenter la fréquentation et ainsi laisser à davantage de personnes, sans devoir effectuer de longues files d'attente, et ce pour tous les magasins, indépendamment des produits proposés à la vente, la possibilité de les fréquenter. Dans ce cadre, elle a également permis la réouverture, dans le respect des mesures d'hygiène, de tous les autres commerces dont la fermeture avait été ordonnée par le Conseil fédéral le 16 mars 2020, malgré une augmentation du nombre de cas positifs à la Covid-19. À cela s'ajoute que l'arrêté litigieux prévoyait des exceptions au port du masque facial, en particulier en faveur du personnel, qui devait alors être mis au bénéfice d'un dispositif de protection, sous forme de séparation vitrée ou équivalente. Dans ce dernier cas, le personnel de vente n'était ainsi pas tenu de porter en permanence un masque facial durant la journée de travail, de sorte que le grief de la recourante au sujet des méfaits d'un tel dispositif sur la santé des personnes concernées tombe également à faux. Il en va au demeurant de même des clients, qui ne sont tenus de porter un tel masque facial que lorsqu'ils se rendent dans un commerce ou un centre commercial. Rien n'indique d'ailleurs que le port du masque serait plus nocif que de laisser se propager le SARS-CoV-2 au sein de la population, l'OMS ayant recensé certains effets indésirables et inconvénients potentiels liés au fait de porter un masque, tout en le recommandant néanmoins. Il appartient au demeurant à chacun de choisir le type de masque qui lui convient, de même que de le manipuler selon les recommandations de l'OFSP et de le changer ou laver régulièrement, de manière à éviter les risques d'auto-contamination. L'obligation litigieuse constitue ainsi la mesure qui porte le moins atteinte aux intérêts privés en cause dans le contexte dans lequel elle a été prise. En l'état, elle respecte dès lors le principe de proportionnalité.

Elle ne porte pas non plus atteinte au noyau intangible (art. 36 al. 4 Cst. ; art. 43 al. 4 Cst-GE) des libertés invoquées, pour autant qu'une telle notion ait une quelconque portée sur le plan juridique (ACST/35/2019 du 21 novembre 2019 consid. 6 et les références citées).

13) La recourante soutient, enfin, que l'obligation du port du masque facial serait constitutive d'une inégalité de traitement, notamment entre concurrents directs. Elle perd toutefois de vue que l'arrêté en cause ne s'applique pas aux commerces sis dans d'autres cantons, qui ne peuvent ainsi être considérés comme concurrents directs des magasins genevois sous cet angle, étant précisé que l'ensemble des cantons romands a également imposé le port du masque facial dans les commerces sis sur leur territoire. Le fait que le canton de Vaud ait prévu une exception pour les commerces accueillant moins de dix clients simultanément n'est au demeurant pas propice à créer un tourisme d'achat, comme le soutient la recourante, dès lors que cette limite ne peut s'appliquer qu'aux petits magasins et n'a plus de portée au regard de l'art. 3b al. 1 de l'ordonnance Covid-19 situation particulière. Par ailleurs, cet arrêté concerne l'ensemble des commerces genevois, sans exceptions, de sorte que, de ce point de vue également, il n'est constitutif d'aucune inégalité de traitement. S'agissant des locaux postaux, leur réglementation ressortit à la compétence de la Confédération selon l'art. 92 al. 1 Cst., laquelle a également récemment imposé le port du masque facial dans tous les établissements clos accessibles au public. Il s'ensuit que ce grief doit être écarté.

14) Entièrement mal fondés, les recours seront par conséquent rejetés, dans la mesure de leur recevabilité.

15) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA), pas plus qu'au Conseil d'État, qui dispose de son propre service juridique.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

ordonne la jonction des causes n° A/2505/2020 et n° A/2546/2020 sous la cause n° A/2546/2020 ;

rejette, dans la mesure où ils sont recevables, les recours interjetés respectivement les 24 et 25 août 2020 par Madame A______ contre l'arrêté du Conseil d'État relatif aux mesures destinées à lutter contre l'épidémie de Covid-19 du 24 juillet 2020 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alessandro Brenci, avocat de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mmes Lauber et McGregor, M. Knupfer, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :