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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/2935/2020

ACJC/720/2021 du 07.06.2021 sur JTBL/29/2021 ( OBL ) , RENVOYE

Normes : CPC.227
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2935/2020 ACJC/720/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 7 JUIN 2021

 

Entre

1) Madame A______ et Monsieur B______, domiciliés rue ______, ______ (GE),

2) Monsieur C______, domicilié chemin ______, ______(GE), tous trois appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 19 janvier 2021, représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile,

et

D______ SA, sise ______ (VS), intimée, comparant par Me Myriam DE LA GANDARA-COCHARD, avocate, quai Gustave-Ador 26, case postale 6253, 1211 Genève 6, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/29/2021 du 19 janvier 2021, reçu par A______ et B______ le 25 janvier 2021, le Tribunal des baux et loyers a dit qu'il n'y avait pas lieu à rectification des parties (ch. 1 du dispositif), débouté A______ et B______ des fins de leur demande en contestation du loyer initial (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Le 17 février 2021, A______, B______ et C______ ont formé appel de ce jugement, concluant principalement à ce que la Cour l'annule, ordonne la rectification de la qualité des parties, dise que les demandeurs sont A______, B______ et C______ et renvoie la cause au Tribunal pour instruction et décision sur le fond.

b. Le 22 mars 2021, D______ SA a conclu principalement à la confirmation du jugement querellé. Subsidiairement, en cas d'annulation de ce jugement, elle a conclu à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal pour qu'il ordonne une procédure en vérification d'écritures s'agissant de la procuration produite pour C______ et qu'il déboute ses parties adverses de toutes leurs conclusions.

c. Les parties ont été informées le 7 mai 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. Le 14 janvier 2020,B______, A______ et C______, en tant que colocataires solidaires, ont conclu avec D______ SA, en tant que bailleresse, un contrat de bail à loyer portant sur un appartement de 3,5 pièces situé au premier étage de l'immeuble situé 1______ (GE). Le bail prenait effet au 16 janvier 2020 et pouvait être résilié pour la première fois le 31 janvier 2025.

Le loyer était fixé à 19'200 fr. par an, charges non comprises, indexé à l'indice IPC.

Le contrat précisait que le nombre d'occupants de l'appartement était de deux personnes. C______ n'a jamais occupé cet appartement.

B______ et A______ allèguent que C______ a été ajouté sur le bail en tant que colocataire à la demande de la bailleresse, afin de garantir le paiement du loyer.

b. Le 12 février 2020, B______ et A______ ont déposé par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyer une requête en contestation du loyer initial, concluant principalement à la fixation du loyer de l'appartement litigieux à 12'420 fr. par an, charges non comprises, à la condamnation de la bailleresse à rembourser le trop-perçu de loyer et à la réduction, dans une mesure correspondante, de la garantie de loyer.

B______ et A______ allèguent que, en raison d'une inadvertance de leur avocat, le nom de C______ n'a pas été mentionné sur cette requête. Cependant, le chargé joint à celle-ci comportait deux procurations distinctes en faveur de l'ASLOCA, l'une signée par B______ et A______ et l'autre par C______, ce qui attestait qu'en réalité l'ASLOCA entendait bien introduire une requête en contestation de loyer au nom des trois locataires figurant sur le bail.

c. Lors de l'audience de conciliation du 8 juin 2020, B______ et A______ ont comparu, de même que C______. Ce dernier est désigné comme "garant" dans le procès-verbal de ladite audience.

Ce procès-verbal indique que la Commission de conciliation a refusé la requête de B______ et A______ tendant à la rectification des parties pour y ajouter C______. Ledit procès-verbal mentionne par ailleurs que le chargé produit avec la requête contient deux procurations, l'une aux noms de B______ et A______ et l'autre au nom de C______.

Le 8 juin 2020, la Commission de conciliation a autorisé les parties demanderesses, à savoir A______ et B______, à procéder contre D______ SA, dans le cadre d'une action en contestation du loyer initial.

d. Le 3 juillet 2020, A______, B______ et C______ ont déposé par devant le Tribunal une requête en contestation du loyer initial à l'encontre de D______ SA. Ils ont conclu, à titre préalable, à ce que le Tribunal ordonne la rectification de la qualité des parties et dise en conséquence que les demandeurs sont A______, B______ et C______, subsidiairement dise que C______ est intervenu en qualité de garant et non de locataire.

Sur le fond, ils ont pris les mêmes conclusions que celles figurant dans leur requête de conciliation.

e. Par ordonnance du 7 octobre 2020, le Tribunal a limité la procédure à la question de la qualité pour agir des parties demanderesses.

f. Le 9 novembre 2020, D______ SA a conclu préalablement à ce que le Tribunal ordonne une expertise en vérification d'écritures s'agissant de la signature apposée sur la procuration produite au nom de C______ et, principalement, à ce qu'il déboute ses parties adverses de toutes leurs conclusions.

Elle a fait valoir que le fait que la requête en contestation du loyer initial n'avait pas été déposée par tous les locataires entraînait le rejet de celle-ci. Les conditions d'une rectification de la qualité des parties n'étaient pas réalisées.

g. Le 3 décembre 2020, les locataires ont persisté dans leurs conclusions.

h. La date à laquelle la cause a été gardée à juger par le Tribunal ne ressort pas du dossier.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 92 al. 2 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2012 du 6 décembre 2012 consid. 1.1).

L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC), de sorte qu'il est recevable.

2. Le Tribunal a considéré que les demandeurs devaient être déboutés de leurs conclusions au motif que tous les consorts nécessaires n'avaient pas signé, ni introduit la requête, puisque C______, locataire, ne figurait pas comme partie demanderesse lors du dépôt de la requête en conciliation. Cette omission ne découlait pas d'une simple inadvertance, mais d'une lacune procédurale à laquelle la rectification des parties ne pouvait palier. Les locataires demandaient en réalité une substitution de partie, dont les conditions n'étaient pas réalisées.

Les appelants font valoir que les conditions d'une rectification de la qualité des parties sont réalisées car l'omission d'indiquer C______ dans la requête résultait d'une "erreur de plume" de leur avocat, ce qui était attesté par le fait qu'une procuration signée par ce dernier était annexée à la requête et qu'il était présent lors de l'audience de conciliation. Cette erreur était aisément décelable et rectifiable tant pour l'intimée que pour le Tribunal. Le refus de rectification était au demeurant constitutif de formalisme excessif.

2.1 2.1.1 Selon l'art. 70 al. 1 CPC, les parties à un rapport de droit qui n'est susceptible que d'une décision unique doivent agir ou être actionnées conjointement.

A teneur de la jurisprudence, les colocataires sont des consorts nécessaires dans les actions formatrices relatives au loyer, y compris l'action en contestation du loyer initial. Afin de concilier cette exigence avec le besoin de protection sociale contre les loyers abusifs, le Tribunal fédéral a introduit des tempéraments à l'action conjointe en cas de désaccord entre locataires : l'un d'eux peut agir seul et attraire ses autres colocataires (arrêt du Tribunal fédéral 4A_484/2019 du 29 avril 2020 consid. 4.4.3).

En cas de consorité nécessaire, si l'action n'est pas introduite par tous les ayants-droits ou n'est pas dirigée contre toutes les personnes obligées, la légitimation active, respectivement, passive, fait défaut et la demande doit être rejetée, car infondée (ATF 138 III 737 consid. 2, JdT 2013 II 379).

2.1.2 En matière de baux et loyers, la procédure au fond est précédée d'une tentative de conciliation devant une autorité de conciliation (art. 197 CPC).

La requête de conciliation contient la désignation de la partie adverse, les conclusions et la description du litige (art. 202 al. 2 CPC).

La requête de conciliation, respectivement la demande en justice, doivent être déposées par tous les consorts nécessaires (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3).

2.1.3 Selon l'art. 221 al. 1 let. a CPC, la demande contient notamment la désignation des parties.

L'autorisation de procéder doit être jointe à la demande (art. 221 al. 2 let. b CPC).

La demande peut être modifiée, notamment si la prétention nouvelle ou modifiée relève de la même procédure et qu'elle présente un lien de connexité avec la dernière prétention (art. 227 al. 1 CPC).

Les conclusions de la requête de conciliation peuvent être modifiées ou complétées lors de la phase de conciliation (appliquent l'art. 227 CPC par analogie : CR-CPC BOHNET art. 202 N 6; BSK ZPO-INFANGER, 2ème éd. 2013, art. 209 N 8; plus larges : BK ZPO-KILLIAS art. 227 N 19; ZPO Komm-HONEGGER, 2ème éd. 2013, art. 202 N. 11; BSK ZPO-WILLISEGER, 2ème éd. 2013, art. 227 N 13). L'autorisation de procéder devra cependant mentionner les modifications opérées. L'autorité de conciliation attire par ailleurs l'attention des parties en cours de procédure sur les éventuels vices touchant leurs conclusions, en leur accordant éventuellement un délai pour rectifier l'acte (art. 132 al. 1 CPC par analogie) (arrêt du Tribunal fédéral 5A_588/2015 du 9 février 2016 consid. 4.3.1).

L'autorisation de procéder - excepté le prononcé sur les frais - n'est pas une décision attaquable et sa validité peut être contestée dans la procédure de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 4A_387/2013 du 17 février 2014 consid. 3.2 n.p. in ATF 140 III 70).

2.1.4 Lorsque la demande ne reprend pas la désignation de la partie adverse figurant dans l'autorisation de procéder, le tribunal doit vérifier que l'objet du litige et les parties demeurent les mêmes; sont réservées les modifications admissibles, notamment la modification de la demande, conformément à
l'art 227 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_560/2015 du 20 mai 2016 consid. 4.1.3).

La désignation incomplète ou inexacte d'une partie peut être rectifiée et n'a pas pour conséquence l'irrecevabilité de l'acte, pourvu qu'il n'existe dans l'esprit du tribunal et des parties aucun doute raisonnable quant à l'identité de cette partie. Il en va ainsi, notamment, lorsque l'identité résulte de l'objet du litige (ATF 114 II 335 consid. 3a, JdT 1989 I 337; arrêt du Tribunal fédéral 4C.447/2006 du 27 août 2007 consid. 1.2; arrêt du Tribunal fédéral du 6 novembre 1986 consid. 3c,
SJ 1987 p. 22).

Le juge peut ainsi rectifier d'office ou sur requête une désignation de partie qui est entachée d'une inexactitude purement formelle, d'une simple erreur rédactionnelle. L'erreur commise doit être aisément décelable et rectifiable tant pour la partie adverse que pour le juge; il ne doit exister aucun risque de confusion quant à l'identité de la personne visée, identité qui peut notamment résulter de l'objet du litige. Si un tel risque peut être exclu, peu importe alors que la désignation inexacte se rapporte à une tierce personne existante (arrêt du Tribunal fédéral 4A_560/2015 précité consid. 4.2; ATF 131 I 57 consid. 2.2 p. 63). Pour le surplus, un changement des parties au procès ("substitution de partie") ne peut avoir lieu qu'avec le consentement de la partie adverse (art. 83 al. 4 1ère phrase CPC), sous réserve du cas de l'aliénation de l'objet du litige (art. 83 al. 1 CPC) et des dispositions spéciales prévoyant une succession légale (art. 83 al. 4
2ème phrase CPC) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_17/2016 du 29 juin 2016 consid. 2.2).  

Lorsqu'il n'est plus possible de rectifier l'inexactitude relative à la désignation d'une partie dans la procédure en cours, il ne restera plus au demandeur que la possibilité d'introduire une nouvelle action (arrêt du Tribunal fédéral 4A_655/2018 du 3 octobre 2019 consid. 4).

2.2 En l'espèce, c'est à tort que la Commission de conciliation a refusé la requête des appelants tendant à rectifier leur requête de conciliation, pour y inclure C______ comme demandeur aux côtés de A______ et B______.

En effet, il résulte des principes précités que la demande peut être modifiée au stade de la procédure de conciliation que ce soit par application analogique de l'art. 227 al. 1 CPC, voire, selon certains auteurs, de manière plus large.

Dans le cas d'espèce, la demande de rectification de la qualité des parties demanderesses formulée devant la Commission de conciliation respectait les conditions posées par l'art. 227 al. 1 CPC.

La prétention modifiée relevait de la même procédure et présentait un lien de connexité avec la dernière prétention.

Il n'existait en outre dans l'esprit du Tribunal et de l'intimée aucun doute raisonnable quant à l'identité des locataires, puisque C______ figurait sur le contrat de bail, produit en annexe de la requête.

C______ a qui plus est participé à l'audience de conciliation et a signé une procuration autorisant l'ASLOCA à le représenter par-devant les juridictions des baux et loyers.

Il résulte de ce qui précède que la Commission de conciliation aurait dû admettre la demande de rectification formée en temps utile devant elle et faire figurer C______ parmi les parties demanderesses dans l'autorisation de procéder délivrée le 8 juin 2020.

Dans la mesure où ladite autorisation n'était pas susceptible de recours, c'est à juste titre que les appelants ont fait valoir leurs griefs sur ce point devant le Tribunal.

Pour les motifs relevés plus haut, il aurait alors incombé au Tribunal de remédier à l'omission de la Commission de conciliation et de considérer que l'autorisation de procéder du 8 juin 2020 était incomplète.

La requête déposée par-devant le Tribunal le 3 juillet 2020, mentionnant correctement comme demandeurs les trois locataires figurant dans le contrat de bail et ayant comparu lors de l'audience de la Commission de conciliation aurait dès lors dû être déclarée recevable.

Le jugement querellé sera par conséquent annulé et il sera constaté que les parties demanderesses à l'action en contestation du loyer initial déposée le 3 juillet 2020 à l'encontre de l'intimée sont A______, B______ et C______.

La cause sera renvoyée au Tribunal pour qu'il instruise le fond du litige, sur la base de la requête précitée.

Dans ce cadre, il n'y a pas lieu à ce stade d'ordonner au Tribunal d'ouvrir une procédure en vérification d'écritures concernant la procuration signée par C______, comme le requiert l'intimée dans ses conclusions subsidiaires.

En effet, l'intimée ne fournit aucune motivation à l'appui de cette conclusion.

A cela s'ajoute que, dans la mesure où C______ a participé à l'audience lors de laquelle la procuration litigieuse a été produite, il n'y a aucune raison de penser que sa signature sur ladite procuration aurait été falsifiée, puisque, si tel avait été le cas, l'intéressé l'aurait certainement relevé.

En tout état de cause, s'il s'avère, au cours de l'instruction de la cause, qu'une procédure de vérification d'écritures se justifie, l'intimée aura toujours la possibilité de la requérir auprès du Tribunal le moment venu.

3. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 17 février 2021 par A______, B______ et C______ contre le jugement JTBL/29/2021 rendu le 19 janvier 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/2935/2020-4-OSL.

Au fond :

Annule ce jugement et, statuant à nouveau :

Dit que les parties demanderesses à la requête en contestation du loyer initial déposée le 3 juillet 2020 à l'encontre de D______ SA sont A______, B______ et C______.

Renvoie la cause au Tribunal pour instruction et décision sur le fond du litige.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ,
Monsieur Grégoire CHAMBAZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.