Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/291/2025 du 22.04.2025 ( PC ) , ADMIS
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/785/2025 ATAS/291/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 22 avril 2025 Chambre 6 |
En la cause
A______
| recourante |
contre
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES |
intimé |
A. a. A______ (ci-après : la recourante), née le ______ 1992, séparée depuis l’été 2021, est mère de trois enfants, B______, né le ______ 2019, C______, né le ______ 2021, tous deux issus de sa relation avec D______, et E______ née le ______ 2024, non reconnue par son père.
b. Une attestation de l’office cantonal de la population et des migrations (OCPM) du 29 novembre 2023 mentionne que D______, né le ______ 1992, de nationalité congolaise, est domicilié chez F______ depuis le 18 août 2020.
c. Selon un jugement du 29 avril 2024 du Tribunal de première instance, il est prononcé que D______ n’est pas le père de l’enfant E______.
d. Le 9 octobre 2024, la recourante a requis des prestations complémentaires familiales (ci-après : PCFam). Elle a précisé qu’elle n’était pas « passée au Tribunal afin de divorcer » car elle-même et son époux n’étaient pas d’accord sur certains points. Elle ne touchait aucune pension et elle avait dû faire un désaveu de paternité pour son troisième enfant, qui était d’un autre père.
B. a. Le 17 octobre 2024, la recourante a indiqué au service des prestations complémentaires (ci-après : SPC), en remplissant le formulaire « déclaration de pension alimentaire », qu’elle ne recevait aucune pension d’entretien pour ses enfants et aucune démarche n’était en cours pour le moment.
b. Par décision du 19 novembre 2024, le SPC a alloué à la recourante des PCFam de CHF 636.- par mois dès le 1er octobre 2024. Il était pris en compte, au titre de revenu, un montant de CHF 24'228.- de pensions alimentaires potentielles.
c. Le 28 novembre 2024, la recourante a fait opposition à cette décision, en faisant valoir qu’elle ne percevait aucune pension alimentaire pour ses trois enfants.
d. Par décision du 6 février 2025, le SPC a rejeté l’opposition de la recourante, au motif qu’elle n’avait pas démontré avoir entrepris des démarches afin d’obtenir une contribution d’entretien pour ses enfants B______ et C______, ni entrepris d’action en paternité à l’encontre du père de E______, de sorte que la pension de CHF 673.- par mois et par enfant était maintenue au titre de revenu.
C. a. Le 28 février 2025, la recourante a contesté cette décision auprès du SPC, lequel a transmis l’écriture à la chambre de céans. Elle fait valoir qu’elle ne reçoit aucune pension alimentaire et que des démarches ont été entreprises pour divorcer et fixer une pension alimentaire. Elle a joint une citation à comparaitre par‑devant le Tribunal civil le 26 mars 2025. S’agissant du père de E______, il attendait un acte de naissance original pour être en mesure de reconnaitre sa fille et était par ailleurs sans emploi et à l’Hospice général.
b. Le 4 avril 2025, l’intimé a conclu au rejet du recours.
c. Le 14 avril 2025, la chambre des assurances sociales a entendu les parties en audience de comparution personnelle. La recourante ne s’est pas présentée. Le représentant de l’intimé a admis que celui-ci n’avait pas formellement requis de la recourante qu’elle entreprenne des démarches en vue d’obtenir des pensions pour ses enfants et a proposé l’admission du recours.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Selon l’art. 1A al. 2 LPCC, les PCFam sont régies par les dispositions figurant aux titres IIA et III de la LPCC (let. a), par les dispositions de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30) auxquelles la LPCC renvoie expressément et les dispositions d'exécution de la LPC désignées par règlement du Conseil d'État (let. b) ainsi que par la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830) et ses dispositions d’exécution (let. c), applicables à titre de droit cantonal supplétif (ATF 138 I 232 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_670/2015 du 7 janvier 2016 consid. 3.1).
Quant à l’art. 2 du règlement relatif aux prestations complémentaires familiales, du 27 juin 2012 (RPCFam - J 4 25.04), il décrit notamment, à son alinéa 1, conformément au renvoi de l’art. 1A al. 2 let b LPCC, les domaines dans lesquels les dispositions d’exécution de la LPC s’appliquent, étant précisé que le dessaisissement en fait partie. L’art. 2 RPCFam prévoit en outre, à son alinéa 3, que dans les limites des renvois prévus par la loi, les directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI de l'Office fédéral des assurances sociales (DPC) sont applicables par analogie.
1.3 Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 43 LPCC et 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ; LPA – E 5 10).
2. Le litige porte sur la prise en considération de pensions alimentaires potentielles dans le calcul des prestations complémentaires familiales de la recourante dès le 1er octobre 2024.
3.
3.1 La couverture des besoins vitaux en matière d’assurance-vieillesse et survivants et d’invalidité est une tâche incombant conjointement à la Confédération et aux cantons (art. 112a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101).
Ce principe se trouve concrétisé par l’art. 2 al. 1 LPC, selon lequel la Confédération et les cantons accordent aux personnes qui remplissent les conditions fixées aux art. 4 à 6 LPC des prestations complémentaires destinées à la couverture des besoins vitaux.
L’art. 2 al. 2 phr. 1 LPC prévoit en outre que les cantons peuvent allouer des prestations allant au-delà de celles qui sont prévues par la LPC et fixer les conditions d’octroi de ces prestations. Ils disposent d’une entière autonomie pour prévoir et régler des aides supplémentaires, pour le financement desquelles, toutefois, ils ne reçoivent pas de contributions de la Confédération ni, en vertu de l’art. 2 al. 2 phr. 2 LPC, ne peuvent percevoir de cotisations patronales (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2015, n. 1 ss ad art. 2).
3.2 Le canton de Genève prévoit ainsi deux types de prestations sociales, en complément ou en marge des prestations complémentaires prévues par la LPC, ciblant deux catégories distinctes de bénéficiaires : d’une part, les personnes âgées, les conjoints ou partenaires enregistrés survivants, les orphelins et les invalides – bénéficiaires pouvant prétendre le cas échéant au versement de prestations cantonales complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité (art. 1 al. 1 et 2 à 36 LPCC) –, d’autre part, les familles avec enfant(s) – bénéficiaires pouvant cas échéant prétendre au versement de prestations complémentaires cantonales pour les familles, appelées prestations complémentaires familiales (art. 1 al. 2 et 36A à 36I LPCC ; ATAS/994/2014 du 9 septembre 2014 ; ATAS/955/2014 du 25 août 2014).
4.
4.1 L'art. 1 al. 2 LPCC prévoit que les familles avec enfant(s) ont droit à un revenu minimum cantonal d'aide sociale, qui leur est garanti par le versement de prestations complémentaires cantonales pour les familles (ou PCFam).
Ont ainsi droit aux prestations complémentaires familiales, selon l'art. 36A al. 1 LPCC dans sa teneur depuis le 1er août 2020, les personnes qui, cumulativement, ont leur domicile et leur résidence habituelle sur le territoire de la République et canton de Genève depuis 5 ans au moins au moment du dépôt de la demande de prestations (let. a) ; vivent en ménage commun avec des enfants de moins de 18 ans, respectivement 25 ans si l'enfant poursuit une formation donnant droit à une allocation de formation professionnelle au sens de l'art. 3 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les allocations familiales du 24 mars 2006 (let. b) ; exercent une activité lucrative salariée (let. c); ne font pas l'objet d'une taxation d'office par l'administration fiscale cantonale (let. d) et répondent aux autres conditions prévues par la LPCC (let. e).
Selon l’art. 4 al. 1 RPCFam, les prestations se composent de la prestation complémentaire annuelle (let. a) et du remboursement des frais de garde d’enfants et de soutien scolaire (let. b).
Le montant annuel des prestations complémentaires familiales correspond à la part des dépenses reconnues au sens de l'art. 36F qui excède le revenu déterminant au sens de l'art. 36E, mais ne doit pas dépasser le montant prévu à l'art. 15 al. 2 (art 36D al. 1 LPCC). Les dépenses reconnues et les revenus déterminants des membres du groupe familial sont additionnés (art 36D al. 2 LPCC).
4.2
4.2.1 Le revenu déterminant est défini à l’art. 36E LPCC. Selon l’al. 6 de cette disposition, lorsque l'ayant droit, son conjoint ou son partenaire enregistré renonce à faire valoir un droit à une pension alimentaire, pour lui-même ou en faveur d'un enfant, il est tenu compte d'une pension alimentaire hypothétique, dont le montant correspond aux avances maximales prévues par la législation cantonale en matière d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires.
Les art. 15 à 19 RPCFam apportent des précisions concernant le revenu déterminant. L’art. 19 porte plus particulièrement sur la notion de revenus auxquels il est renoncé. Cette disposition prévoit ainsi à son alinéa 1 que lorsqu’un ayant droit ou un membre du groupe familial renonce à des éléments de fortune ou renonce à faire valoir un droit à un revenu, il est tenu compte d'un revenu hypothétique, conformément à l'art. 11 al. 1 let. g LPC.
4.2.2 Le règlement d’application de la loi sur l’avance et le recouvrement des pensions alimentaires du 2 juin 1986 dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2009 (RARPA - E 1 25.01), auquel y est notamment fait référence à l’art. 36E al. 6 LPCC, prescrit, à son at. 4 al. 1, que le montant de l'avance en faveur d'un enfant correspond à celui de la pension fixée par le jugement ou la convention, mais au maximum à CHF 673.- par mois et par enfant.
4.3
4.3.1 Dans un arrêt de principe du 9 septembre 2022 (ATAS/783/2022), la chambre de céans a jugé que les interprétations de l’art. 36E LPCC conduisaient à retenir que la question de la renonciation à une contribution d’entretien devait être traitée de manière identique en matière de prestations complémentaires familiales et de prestations complémentaires fédérales, seul le montant éventuellement à prendre en considération à titre de contribution d’entretien potentielle étant différent (forfaitaire en matière de PCFam et calculé en fonction de la capacité contributive du débiteur en matière de PCF), de sorte que le SPC devait impartir au bénéficiaire un délai de trois mois pour saisir l’autorité compétente d’une demande tendant à la fixation, éventuellement avec effet rétroactif, d’une pension alimentaire, avant de pouvoir prendre en considération une contribution d’entretien potentielle.
4.3.2 En effet, selon les DPC, si aucune convention d’entretien n’a été conclue ou si le montant de la contribution d’entretien convenue est manifestement trop bas, l’organe PC intime au bénéficiaire de PC de demander à l’autorité ou au juge compétents, dans un délai de trois mois, d’approuver la contribution d’entretien ou d’en fixer le montant. Durant ces trois mois, seules les contributions d’entretien effectivement versées peuvent être prises en compte au titre du revenu (n° 3491.06 DPC). Si le bénéficiaire de PC se conforme dans les trois mois à l’exigence de l’organe PC, seules les contributions d’entretien effectivement versées peuvent être prises en compte jusqu’à ce que l’autorité ou le juge approuve la contribution d’entretien ou en fixe le montant. Après l’approbation de la contribution d’entretien ou la fixation de son montant, le calcul des PC doit, le cas échéant, être adapté rétroactivement (n° 3491.07 DPC). Si le bénéficiaire de PC n’obtempère pas dans les trois mois, l’organe PC fixe lui-même le montant de la contribution d’entretien. Il le calcule conformément aux règles des chapitres 3.4.9.2 à 3.4.9.6 des directives, lesquelles prévoient, notamment, que, pour le calcul de la prestation d’entretien, il faut, dans un premier temps, déterminer les besoins de base et le revenu des deux conjoints ; dans un deuxième temps, il faut déduire leurs besoins de base de leur revenu ; l’excédent éventuel est attribué pour moitié aux deux conjoints. Il est également précisé que les besoins de base correspondent en principe au minimum vital au sens du droit des poursuites (nos 3491.08, 3492.02 et 3492.03 DPC).
4.3.3 Enfin, dans un arrêt récent (8C_563/2024 du 14 février 2025), le Tribunal fédéral a considéré qu’il incombait au SPC d’émettre une communication claire et complète de ce qui était attendu du bénéficiaire pour faire modifier le montant de la pension alimentaire en cours, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce, le SPC n’ayant pas indiqué clairement au bénéficiaire qu’il devait saisir le juge civil d’une demande en modification du jugement de divorce, en vue de diminuer ou de supprimer la contribution d’entretien ratifiée par ce juge.
5. En l’occurrence, l’intimé a admis qu’il n’avait pas imparti à la recourante, conformément à la jurisprudence précitée, un délai de trois mois pour entreprendre les démarches en vue d’obtenir des pensions alimentaires pour ses trois enfants, de sorte que le recours devait, pour cette raison, être admis et la décision litigieuse annulée. Une nouvelle décision devra être rendue, sans la prise en compte de pensions alimentaires hypothétiques.
6. Il convient en conséquence, d’admettre le recours, d’annuler la décision litigieuse et de renvoyer la cause à l’intimé, pour nouvelle décision, dans le sens des considérants.
Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet.
3. Annule la décision litigieuse du 6 février 2025.
4. Renvoie la cause à l’intimé pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
5. Dit que la procédure est gratuite.
6. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Adriana MALANGA |
| La présidente
Valérie MONTANI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le