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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2603/2019

ATAS/16/2025 du 14.01.2025 ( ARBIT ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2603/2019 ATAS/16/2025

ARRET

DU TRIBUNAL ARBITRAL

DES ASSURANCES

du 14 janvier 2025

 

En la cause

VIVACARE AG

CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

SUPRA-1846 SA

CONCORDIA SCHWEIZERISCHE KRANKEN UND UNFALLVERSICHE AG

ATUPRI GESUNDHEITSVERSICHERUNG

AVENIR ASSURANCE MALADIE SA

KPT KRANKENKASSE AG

VIVAO SYMPANY AG (dans la cause N° 2603/2019 uniquement)

EASY SANA ASSURANCE MALADIE SA

VITA SURSELVA

SWICA KRANKENVERSICHERUNG AG

MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA

SANITAS GRUNDVERSICHERUNGEN AG

PROGRES VERSICHERUNGEN AG

INTRAS KRANKEN-VERSICHERUNG AG

ARCOSANA AG

PHILOS ASSURANCE MALADIE SA

ASSURA-BASIS SA

VISANA AG

HELSANA VERSICHERUNGEN AG

SANA24 AG

MOOVE SYMPANY AG (dans la cause N° 190/2020 uniquement)

AMB ASSURANCE-MALADIE ET ACCIDENTS (dans la cause N° 190/2020 uniquement)

 

 

demanderesses

 

contre

A______

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. La docteure A______ (ci-après : la médecin ou la défenderesse), née en 1962, exploite depuis le 1er mars 2012 un cabinet à Genève, en tant que spécialiste FMH en diabétologie/endocrinologie et en médecine interne et générale, dont elle a obtenu les titres postgrades fédéraux respectivement en 1997 et 2000 (https://www.healthreg-public.admin.ch/medreg/search).

B. En 2015 et 2016, SANTÉSUISSE a interpellé la médecin sur sa pratique jugée non-économique, comparée à celle de ses confrères du groupe « endocrinologie et diabétologie ».

Le 17 juillet 2018, SANTÉSUISSE a eu connaissance des statistiques de la défenderesse pour l’année 2017, selon un courrier de SASIS SA daté du même jour.

C. a. Par demande du 5 juillet 2019, déposée le 8 juillet suivant, 21 caisses-maladie, représentées par SANTÉSUISSE, ont saisi le Tribunal arbitral des assurances (ci‑après : le tribunal), concluant au paiement, par la médecin, de CHF 129'997.- pour l'année statistique 2017 (selon un indice de régression des coûts totaux de 189 points) et, subsidiairement, de CHF 117'854.- (selon un indice ANOVA de 202 points), au titre de violation du principe du caractère économique des prestations, sous suite de dépens (cause enregistrée sous le n° A/2603/2019).

b. À l’appui de leurs prétentions, les demanderesses ont fait valoir que, par convention signée les 10 juillet/15 août/23 août 2018 (ndr : version du 20 mars 2018) (ci-après : convention 2018), la FMH, CURAFUTURA et SANTÉSUISSE avaient perfectionné la méthode ANOVA (modèle d'analyse de variance pour le contrôle du caractère économique des prestations de médecine) pour retenir une « analyse de régression » (ou méthode de « screening »). Cette méthode entrait en vigueur dès l’année statistique 2017. L’analyse de régression était le fruit du développement de la méthode ANOVA, établie en collaboration avec la société POLYNOMICS SA, spécialiste en matière de statistiques. L’analyse s’effectuait désormais en deux étapes. La première étape prenait en compte des facteurs de morbidité plus étendus [âge et sexe, groupes de coûts pharmaceutiques (Pharmaceutical Cost Groups : PCG. Ndr : cet indicateur permet d’identifier, sur la base de leur consommation de médicaments, les assurés traités en ambulatoire qui génèrent des coûts élevés : https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/das-bag/aktuell/medienmitteilungen.msg-id-64174.html), franchise, séjours dans un hôpital au cours de l’année précédente]. La seconde étape tenait compte du canton concerné (en raison de différence des valeurs du point TARMED) et du groupe de médecins spécialistes. Par rapport aux indices RSS figurant sur les statistiques-factureurs (Rechnungssteller-Statistik) et ANOVA, cette nouvelle méthode était plus précise, parce qu’elle analysait plusieurs variables directement liées au cabinet du médecin.

Au vu de « cette spécificité optimisée » de la nouvelle méthode, il se justifiait de réduire la limite supérieure de la marge de tolérance (130) et de la fixer désormais à une valeur non supérieure à 120.

Le montant de CHF 129'997.- s’établissait comme suit : 695'807 (coûts directs + indirects) : 189 (indice de régression) x [(189 – 120)] x [356'079 (coûts directs) : 695’807].

Par courrier du 25 mars 2019, les demanderesses avaient informé la défenderesse qu’elles avaient appliqué l’indice de régression à ses données statistiques pour l’année 2017.

Le rendez-vous fixé au 16 mai 2019 pour en discuter n’avait finalement pas eu lieu en raison des « conditions d’entretien non négociables » imposées par la défenderesse dans un courrier du 5 avril 2019, à savoir une preuve de l’identité des personnes présentes ; un enregistrement filmé de l’entretien avec le droit d’en faire usage auprès de tiers sans le consentement des intéressées ; un dédommagement pour la perte de gain occasionnée par la séance ; un contrat prévoyant les modalités de l’entretien – toutes conditions inacceptables aux yeux de SANTÉSUISSE.

c. Le 18 octobre 2019, le tribunal de céans a tenté en vain de concilier les parties, alors assistées de leurs conseils respectifs, dont Me Nicolas ROUILLER pour la défenderesse. Il a accordé aux demanderesses un délai pour fournir en particulier la traduction française de certaines pièces de leur chargé, ainsi que la liste des médecins du groupe de comparaison et le rapport détaillé par classe d’âge du collectif de patients de la défenderesse.

De son côté, la défenderesse s’est engagée à fournir au 18 décembre 2019 les données concernant un cas « atypique » que HELSANA avait accepté de prendre en charge en dépit de ses coûts importants.

Par courrier du 29 mai 2020, suite aux relances du tribunal des 8 janvier et 8 mai 2020, la défenderesse a communiqué, sous forme anonyme, le cas d’une patiente âgée d’une trentaine d’années (ndr : correspondant à la « patiente A » ; cf. dessous § D.f.), souffrant d’une douzaine de pathologies, décrites dans ledit courrier, et dépendante à la morphine, qui avait été hospitalisée de force entre janvier et juin 2016, date à laquelle le placement avait été suspendu à condition qu’un traitement ambulatoire fût mis en place et suivi. Vu les difficultés, et faute d’autre solution, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) avait pris la décision, le 16 septembre 2016, de placer à nouveau la patiente, en principe sous le régime de l’hospitalisation forcée. Le TPAE avait toutefois renoncé à ordonner ladite mesure, le traitement mis en place et suivi par la patiente étant jugé satisfaisant, dès le 20 janvier 2017. Grâce à cette prise en charge médicale, la patiente n’avait plus connu de longs épisodes d’hospitalisation. Elle devait recevoir sa patiente au moins une fois par semaine. Les traitements impliquaient des soins relevant de la médecine interne et générale, y compris le volet psychosocial du traitement de l’addiction, des affections fonctionnelles et psychosomatiques et des affections psychiques chroniques. Il n’était pas possible d’assurer le traitement avec une fréquence moindre. Les cinq mois d’hospitalisation forcée avaient largement dépassé un coût de CHF 100'000.- compte tenu d’un coût moyen par jour de CHF 1'581.- aux Hôpitaux universitaires de Genève. Consciente de l’économie ainsi réalisée, la responsable du dossier de la patiente au sein de l’assureur (ndr : HELSANA) se rendait plusieurs fois par an au cabinet de la défenderesse pour un consilium « médico-économique » avec elle-même et la patiente. Ce traitement avait un impact sur ses coûts totaux, parce qu’elle n’avait pas capitulé devant ce cas considéré comme désespéré par ses confrères. Dans la mesure où la voie alternative était infiniment plus coûteuse, on ne pouvait voir la moindre violation du principe d’économicité dans ce traitement.

Par courrier du 29 juin 2020, les demanderesses ont estimé que ce cas particulier n’apportait aucun élément utile. Il ne contenait aucune donnée chiffrée permettant d’exercer un quelconque impact sur la polypragmasie dénoncée par elles.

Par envoi du 12 février 2020, les demanderesses ont transmis, pour les années 2017 et 2018, une liste des membres du groupe de comparaison « endocrinologie / diabétologie » (comptant respectivement 123 et 118 médecins) et le rapport détaillé par âge et par sexe du collectif de patients de la défenderesse, ainsi que les traductions des pièces requises, dont le rapport de POLYNOMICS SA de septembre 2017 concernant la nouvelle méthode de « screening » fondée sur l’indice de régression.

d. Dans son mémoire de réponse du 23 octobre 2020, la défenderesse a conclu à l’irrecevabilité de la demande, respectivement à son rejet. À titre subsidiaire, elle a requis la mise en œuvre d’une expertise analytique de l’économicité de sa pratique.

La demande était irrecevable, faute en particulier pour les demanderesses d’avoir produit, déjà au stade du dépôt de leur demande, une traduction du rapport de POLYNOMICS SA.

Sur le fond, la validité de cette nouvelle méthode statistique était douteuse, car fondée, en substance, sur des indicateurs dont les effets sur ses indices étaient invérifiables ou incompréhensibles et reposaient sur des critères obscurs, flous et arbitraires sur le plan scientifique ou non pertinents. Cette méthode ne tenait en particulier pas compte que les praticiens qui adressaient une portion importante de patients à leurs confrères spécialistes ou à l’hôpital faisaient fortement baisser le coût moyen par patient, contrairement à un praticien, qui, comme elle, assurait lui-même le suivi de patients aux pathologies multiples grâce notamment à sa double spécialisation FMH. La méthode ANOVA, tout comme « l’analyse de régression », n’étaient que des outils statistiques de filtrage et ne permettaient pas d’établir l’économicité des prestations fournies, dès lors qu’elles ne tenaient pas compte des spécificités de son cabinet ou des particularités de sa patientèle. Le maintien à domicile de patients âgés ayant une morbidité élevée s’avérait, « en ce qui concerne le nombre de consultations nécessaires », économique pour le système de santé, sans que cela ne fût reflété par l’analyse de régression. Cette méthode avait été développée aux États-Unis, pays dans lequel l’assurance-maladie n’était pas obligatoire, et ne pouvait donc pas être transposée telle quelle au système de santé suisse, dont l’accès aux soins n’était pas limité.

La méthode de régression ne tenait pas compte des spécificités de sa pratique, à savoir : 70% de « patients femmes » ; un nombre important de patients de plus de 50 ans ; un faible taux de patients hospitalisés ; une médication importante en lien avec sa double spécialisation FMH ; un nombre important de visites à domicile ; quatre cas très lourds et complexes, dont une patiente A, dont le coût de traitement de CHF 17'785.- (pour l’année 2018) avait été expressément admis par HELSANA (ndr : cf. courrier de cet assureur du 16 avril 2021, ci‑dessous § D.f.) et représentait plus de 5% de ses coûts totaux. Avec les patientes B, C, et D, les coûts directs s’élevaient à 22,7% des coûts directs facturés (CHF 79'742,61), alors que les coûts indirects étaient bas, l’indice « pharmacie » étant à 88 (ndr : selon l’indice RSS). Des cas aussi chers étaient « évidemment » observés à la loupe par chaque assureur. L’économicité de ces traitements, malgré leur coût, ne pouvait ainsi être contestée.

En violation de son droit d’être entendue, la composition du groupe de médecins de comparaison ne permettait pas de savoir si ces médecins avaient une pratique ou une patientèle similaires à la sienne, notamment du point de vue des indicateurs de morbidités. En outre, le montant réclamé dans le cadre de la méthode ANOVA englobait les coûts indirects, en violation de la jurisprudence.

Sa pratique n’était pas coûteuse, puisque 90% des cas traités avait un coût moyen de CHF 654.60 par patient pour l’année 2017 (sur un total de 313 patients). Sa double spécialisation permettait de limiter les « réadressages » de patients vers d’autres confrères ou vers l’hôpital.

e. Par réplique du 16 décembre 2020, les demanderesses ont maintenu leurs conclusions.

Elles avaient finalement fourni la traduction des pièces demandées et une audience de conciliation avait bien eu lieu, mais la volonté de concilier n’était jamais apparue chez la défenderesse.

Le rapport de POLYNOMICS SA ne se fondait pas seulement sur de la documentation américaine, mais également sur des études européennes et suisses de qualité. L’analyse de régression s’appuyait sur les données suisses de l’assurance obligatoire des soins et permettait de prendre en compte des facteurs scientifiquement fiables et reconnus. POLYNOMICS SA était un organisme scientifique neutre mandaté tant par la FMH que par les assureurs.

Conformément à sa demande, les demanderesses avaient fourni à la défenderesse un tableau anonymisé permettant de comparer sa pratique à celle de ses confrères du même groupe au niveau suisse. Ce fichier permettait à la défenderesse de se situer par rapport à ses confrères pour l’ensemble des rubriques « de la régression » (nombre de malades, coûts directs, PCG, séjours en hôpital les années précédentes, etc.).

La défenderesse traitait plus de patients que la moyenne de ses confrères disposant d’une franchise basse. Cette situation entraînait un impact positif sur ses indices, dès lors qu’elle mettait en évidence une morbidité plus importante par rapport à ses confrères. Cet élément était donc déjà intégré dans le calcul de son indice de régression.

Le faible taux d’hospitalisations allégué n’impliquait pas que les traitements prodigués par la défenderesse seraient plus efficaces ou plus économiques que ceux de ses confrères.

Elle avait reçu les listes nominatives du groupe « endocrinologie/diabétologie » et savait donc à qui elle était comparée.

Le rapport de POLYNOMICS SA précisait l’intégration des indicateurs de morbidités de manière à lui permettre de comprendre leur influence dans le calcul de son indice.

La nouvelle méthode de régression avait été validée par le tribunal de céans dans un arrêt du 3 novembre 2020 (ATAS/1043/2020).

Il n’était pas possible d’exclure les cas prétendument particulièrement lourds du calcul global, car sinon il faudrait en faire de même pour les autres médecins du groupe de comparaison.

Si la défenderesse devait, comme elle semblait le souhaiter, être comparée avec le groupe de médecine interne et de médecine générale, son indice de régression serait de 270, au lieu de 189.

f. La défenderesse a dupliqué le 9 mars 2021.

Fournissant des soins dans deux spécialités, elles-mêmes dédoublées (médecine interne-générale et diabétologie/endocrinologie), l’ampleur des soins prodigués par elle était plus vaste que pour un patient qui, s’il ne recourait pas à un médecin ayant ces deux spécialités FMH, devrait consulter deux spécialistes.

Selon un article des docteurs MÜLLER et KESSLER, respectivement chef et spécialiste à la division Médecine et tarifs ambulatoires de la FMH, paru dans le Bulletin des médecins suisses 2021 ; 102/102 (3), intitulé « Echange d’expérience sur la nouvelle méthode de sélection », seule une analyse individuelle consécutive à la procédure de sélection et tenant compte des particularités du cabinet permettait de déterminer si un médecin ne répondait pas aux critères d’économicité.

Les explications relatives aux quatre cas très lourds (ci-après : A, B, C et D) supposaient de dévoiler les diagnostics, ce qui ne pouvait se faire que dans le cadre a priori d’une expertise analytique.

Il n’était pas possible d’utiliser la méthode de l’indice de régression sans expertise analytique lorsque le médecin invoquait des particularités de sa pratique. Une expertise analytique démontrerait de façon implacable l’absence de toute violation du principe d’économicité.

Sa patientèle comprenait une « occurrence sur-proportionnelle » de pathologies lourdes et complexes impliquant un suivi régulier, soit une situation qui induisait des coûts importants.

En cas de refus du tribunal de mettre en œuvre une expertise analytique, elle requerrait de pouvoir expliquer le coût individualisé par patient, ainsi que les coûts pour les patients dont le traitement était cher.

g. Les demanderesses ont répliqué le 21 avril 2021.

En 2017, la défenderesse n’avait facturé aucune position TARMED en lien avec l’endocrinologie ou la diabétologie, de sorte qu’elle ne pouvait justifier d’une pratique spécifique en tant qu’elle fournissait des soins relevant de ces deux spécialités. Elle avait plutôt une facturation d’un médecin de premier recours (ndr : dont font en particulier partie les médecins titulaires d'un titre postgrade en médecine interne générale : https://www.bag.admin.ch/dam/bag/fr/dokumente/ berufe-gesundheitswesen/medizinalberufe/statistiken/med/aerztinnen-und-aerzte-2022.pdf.download.pdf/M%C3%A9decins%202022_f.pdf). Elle donnait des consultations longues et fréquentes, soit 5.3 consultations par malade durant 2017 en moyenne, contre 2.3 pour ses confrères diabétologues/endocrinologues. Elle facturait davantage de visites à domicile et de prestations en l’absence du patient. En 2017, elle avait facturé plus de points TARMED (1175) qu’un diabétologue/endocrinologue (434) et un médecin interniste généraliste (370) réunis (cf. positions TARMED facturées par la défenderesse en 2017 et rapport de régression 2015-2019, pièces 20 et 22, dem.). Si elle travaillait avec ces deux spécialités simultanément, – hypothèse irréaliste, voire absurde –, elle n’atteindrait ainsi qu’un total de 804 points par malade, selon la méthode de régression. Ce n’était pas parce qu’elle soignait relativement peu de patients qu’elle avait le droit de majorer ses coûts.

Les mesures d’instruction requises, en particulier la mise en œuvre d’une expertise analytique, étaient inutiles.

D. a. Par acte déposé le 14 janvier 2020, les demanderesses ont saisi le tribunal de céans d’une nouvelle requête en remboursement par la défenderesse de CHF 161'069.10 pour l'année statistique 2018 (selon un indice de régression des coûts totaux de 201 points) et, subsidiairement, de CHF 130'044.90 (selon un indice ANOVA de 213 points), au titre de violation du principe du caractère économique des prestations. Elles ont également requis l’allocation de dépens (cause enregistrée sous le n° A/190/2020).

Le montant de CHF 161'069.10 s’établit comme suit : 803’475 (coûts totaux directs et indirects) : 201 (indice de régression) x [(201 – 120)] x [399’690 (coûts totaux directs) : 803’475].

Elles ont en outre requis la jonction de la cause avec la procédure n° A/2603/2019.

b. Lors de l’audience de conciliation du 9 octobre 2020, la défenderesse ne s’est pas présentée, alléguant un problème médical.

Son conseil s’est opposé à la jonction des causes. En substance, il a fait valoir que sa cliente ne disposait pas d’informations suffisantes lui permettant d’aborder la conciliation de façon très constructive et précise. Elle ne disposait en particulier pas de la composition précise des facteurs GAS (Groupe d’âge et de sexe), franchise et PCG, relatifs à sa patientèle, afin de lui permettre de mesurer la pertinence desdits facteurs en l’occurrence. Elle avait également besoin du relevé de l’ensemble des prestations des membres du groupe de référence, respectivement de l’ensemble de ses propres prestations, par position TARMED, afin de lui permettre de démontrer les particularités de sa pratique.

Dans le délai prolongé à cet effet, la défenderesse a produit une attestation d’un centre médical du 29 novembre 2020 certifiant (rétroactivement) que « des problèmes de santé » l’avaient empêchée de se présenter à l’audience de conciliation.

c. Dans leurs écritures des 9 mars et 10 septembre 2021, respectivement des 2 juin et 24 novembre 2021, la défenderesse et les demanderesses ont repris et développé leur argumentation exposée dans la cause A/2603/2019.

d. À l’appui de leurs écritures, les demanderesses ont produit en particulier les positions TARMED facturées par la défenderesse en 2018, ainsi que « les chiffres clés du collectif de référence » pour 2018 (sous forme électronique), contenant en particulier les indicateurs de morbidité GAS, franchise, hospitalisation et PCG, afin de lui permettre de comparer sa pratique à celle de ses confrères du même groupe de toute la Suisse.

La méthode de régression était fondée sur la base d’une méthode logarithmique, qui permettait de rendre moins extrêmes des valeurs très élevées. Tous les médecins étaient confrontés à des pathologies extrêmement lourdes et la défenderesse n’avait pas démontré en quoi elle serait la seule à suivre des patients d’une complexité exceptionnelle.

Si la défenderesse prescrivait un traitement de diabétologie, elle devait impérativement le mentionner, à défaut elle ne respecterait pas les exigences légales. En 2018, elle avait facturé 1'133 points TARMED par patient alors que les endocrinologues/diabétologues et généralistes n’en étaient qu’à respectivement 419 et 378, soit 797 en tout. Elle avait ainsi généré 42.15% [(1'133 - 419 - 378) x 100/797] de frais supplémentaires par rapport à un interniste et à un diabétologue réunis selon les coûts moyens par patient de ces deux spécialités. Si elle avait été comparée avec le groupe de médecine interne et de médecine générale, son indice de régression aurait été de 285 (ndr : au lieu de 201). Elle avait donné 4.6 consultations par malade, alors que ses confères endocrinologues et diabétologues n’en étaient qu’à 2.6 consultations en moyenne ; elle avait facturé 247 points par consultation contre 159 points en moyenne pour ses confères. Certes, plus de la moitié des médecins du groupe de comparaison effectuaient moins de dix visites à domicile, les spécialistes se déplaçant moins que certains de leurs confrères, contrairement à la défenderesse qui en effectuait beaucoup plus. Toutefois, SANTÉSUISSE avait (également) procédé à une comparaison avec les médecins internistes généralistes qui, eux, se déplaçaient beaucoup plus que les endocrinologues et diabétologues.

e. De son côté, la défenderesse a fait valoir que si SANTÉSUISSE lui fournissait les données utilisées au titre des PCG, elle pourrait aisément expliquer pourquoi l’impact sur son indice était mal évalué : en bref, les traitements de pathologies endocriniennes ne recouraient pas tous aux mêmes principes actifs retenus dans le groupe PCG utilisé par SANTÉSUISSE et le dosage quotidien de principes actifs limitativement déterminés – critère retenu sous le label DDD (i.e. : « Defined Daily Dose » ou nombre de doses de médicaments prescrites quotidiennement) – ne produisait pas forcément de bonnes indications de la morbidité ; il en allait de même du critère des hospitalisations de l’année précédente si les traitements prodigués en cabinet permettaient d’éviter des hospitalisations.

Active dans la recherche de pointe dans le domaine de l’endocrinologie et co-autrice de 35 articles scientifiques, ses connaissances issues de la recherche in vivo lui permettaient de prescrire une médication particulièrement fine, de sorte que l’indicateur de morbidité PCG n’était pas un bon révélateur de la morbidité concrète de ses patients.

Son grand nombre de visites à domicile (152 sur 1'520 consultations en 2018) s’expliquait par l’état de santé de patients qui ne pouvait pas se déplacer pour raisons médicales. La visite à domicile était cependant extrêmement économe comparée à la solution alternative qui s’imposerait sans ces visites, à savoir un séjour à l’hôpital ou en EMS. Dans un arrêt 9C_940/2011, le Tribunal fédéral avait même admis qu’un coût de 2.35 fois plus élevé pour un séjour à domicile restait conforme au principe de l’économicité.

La défenderesse a précisé que les coûts générés par la patiente A (née en 1981) s’étaient élevés à CHF 35'000.- environ en 2017 et à CHF 18'000.- environ en 2018, soit respectivement 10% et 5% du total de ses coûts directs, alors que ladite patiente ne représentait qu’environ 0.2% de sa patientèle. Elle intervenait bien comme diabétologue, car cette patiente était diabétique, même si, n’étant pas censée être « grand maître de tous les libellés du TARMED », elle avait inscrit ce traitement sous les « rubriques générales ». Traitant plus de pathologies par patient que si elle n’avait pas ses deux spécialisations, il en résultait dans l’ensemble un impact à la hausse sur le coût moyen par patient. Extrêmement lourds, les cas des patientes A, B, C et D avaient généré, en 2018, des coûts directs de CHF 66'109.91. En particulier, la patiente B, née en 1930, avait généré des dépenses pour CHF 17'006.49, le patient C, né en 1924, avait généré des dépenses pour CHF 13'241.09 et la patiente D, née en 1948, avait généré des coûts de CHF 17'453.95, soit 16.7% des coûts totaux à eux trois.

Ces chiffres résultaient d’une liste anonymisée de ses patients qu’elle avait elle‑même établie (ndr : liste joint à ses déterminations du 9 mars 2021) ; elle était « prête à fournir toute explication » à cet égard (cf. mémoire du 9 mars 2021, p. 25).

Par rapport à un coût direct moyen de l’ordre de CHF 1'000.- on voyait déjà qu’un surcoût de l’ordre de CHF 62'000.- (CHF 66'109.91 – [1'000 x 4]) s’expliquait exclusivement par la spécificité « consistant à s’occuper de quatre cas extraordinairement complexes et onéreux ». La seule prise en compte de cette particularité la ferait normalement passer hors du « filtrage » par la méthode de régression, au vu notamment de ses coûts indirects bas, l’indice « pharmacie » étant à 81 (ndr : index SSR). Sur ses 365 patients, 35 autres cas étaient également compliqués et nécessitaient également une prise en charge sous l’angle de ses différentes spécialités. Ces 39 patients, soit environ 10% de sa patientèle, avaient généré CHF 177'519.26, soit près de 45% des coûts directs du cabinet. Sans ces patients, elle serait entièrement dans la norme statistique. Le solde des patients (326 = 365 - 4 - 35) générait à peine 55% des coûts, soit un coût moyen de l’ordre de CHF 686.- par patient pour l’année 2018 (soit CHF 223'937.- : 326 patients). Sa double spécialisation lui permettait d’effectuer des diagnostics sans recourir à un autre spécialiste et de traiter des pathologies multiples et compliquées, telles que celles qui caractérisaient les cas A, B, C et D, ainsi que les 35 cas ayant coûté plus que CHF 2’000.- en 2018. Sa pratique n’était pas coûteuse, puisque 90% environ des cas traités avaient un coût moyen de CHF 686.- par patient pour l’année 2018.

En 2018, le nombre moyen de patients du groupe de comparaison (911) était de 60% supérieur au nombre de ses patients (365), ce qui constituait déjà un biais statistique significatif dans la composition du groupe de comparaison, lequel ne pouvait dès lors être considéré comme adéquat ; de même, seuls 6% des médecins du groupe effectuaient un nombre de visites à domicile comparable au sien, de sorte que sa pratique différait de 94% des médecins du groupe. Une pratique spécifique liée au type de clientèle justifiait ces consultations à domicile, respectivement ses prestations en l’absence du patient : une « analyse analytique » devait ainsi être effectuée, ce d’autant que le groupe de comparaison n’était pas adéquat.

De même, en 2018, elle avait effectué 1'520 consultations alors que 39% du groupe en avait réalisé plus de 2'000. Les statistiques de SANTÉSUISSE intégraient des médecins ayant plus de 2'500 consultations, et pour l’un plus de 45'000 pour plus de 8'000 patients. Il apparaissait impossible qu’un médecin indépendant pût effectuer autant de consultations ou recevoir autant de patients. De plus, on pouvait s’interroger sur la manière dont ces médecins pratiquaient et dans quel type de structure. Il était hautement vraisemblable que des cabinets de groupe ou des centres cliniques, dans lesquels plusieurs médecins facturaient sous le même numéro RCC (ndr : registre des codes-créanciers), soient inclus dans le groupe.

Seuls deux médecins du groupe semblaient avoir un profil comparable au sien (médecin « A » : 407 patients, 135 visites à domicile et 1'090 consultations ; médecin « B » : 423 patients, 105 visites à domicile et 938 consultations), sans que l’on sût si ces deux médecins avaient, eux aussi, deux spécialisations FMH, en particulier en médecine interne, leur permettant de traiter le même spectre de pathologies que la défenderesse sans recourir à un spécialiste – sans compter que les statistiques ne permettaient pas d’avoir une idée des pathologies traitées, des caractéristiques des patients et des traitements administrés. Les coûts directs de ces médecins étaient inférieurs d’environ CHF 170'000.- aux siens, mais leurs coûts indirects étaient supérieurs d’environ CHF 100'000.- et CHF 290'000.-. Il existait dès lors des indices évidents que les pratiques n’étaient pas comparables. Le groupe de comparaison n’était donc pas adéquat, si bien qu’une expertise analytique devait être ordonnée, comme le recommandait d’ailleurs la convention FMH-assureurs et les auteurs de la méthode de régression. L’analyse de régression n’était nullement la preuve finale de non-économicité. L’examen des particularités était toujours réservé. Ce n’était que si le praticien mis en cause n’expliquait rien de sérieux que la méthode de filtrage pouvait, faute d’autre élément, servir de mesure de l’économicité. Sa pratique était non seulement particulière, mais également économique.

Au titre des mesures d’instruction, la défenderesse a sollicité l’examen d’un panel de ses patients, subsidiairement la réalisation « incontournable » d’une expertise analytique.

f. À l’appui de son écriture du 10 septembre 2021, la défenderesse a produit un courrier de HELSANA du 16 avril 2021, signé par Monsieur B______, « Responsable domaine spécialisé Hôpital/soins », et Madame C______, « Spécialiste Coordination des prestations ». Ses auteurs indiquent que, moyennant des entretiens téléphoniques et des visites au cabinet depuis novembre 2017, des règles strictes concernant les prestations dispensées avaient été posées d’un commun accord. Les interventions concernant la patiente A respectaient le principe d’économicité. En particulier, les prescriptions de médicaments allaient dans le sens d’un usage raisonnable de la médecine. « Par contre », HELSANA n’avait pas eu la possibilité de partager avec la défenderesse et la patiente des entretiens de réseau qui auraient permis d’intégrer d’autres médecins dans la même dynamique, ces médecins n’étant pas enclins à la discussion.

g. Lors de l’audience de comparution personnelle du 29 avril 2022, le tribunal de céans a procédé à une instruction conjointe des causes A/2603/2019 et A/190/2020.

La défenderesse ne s’est pas présentée, en raison d’une « affection médicale », selon une attestation du docteur D______ du 29 avril 2022. À cet égard, le conseil des demanderesses a relevé que le Dr D______, était présent lors de l’audience de conciliation du 18 octobre 2019, pratiquait à la même adresse que la défenderesse et semblait vivre en concubinage avec elle.

Le représentant de la défenderesse a maintenu ses conclusions tendant à l’irrecevabilité des demandes. Sa cliente ne disposait toujours pas des éléments utiles à une conciliation. Elle avait apporté les éléments démontrant le caractère économique de sa pratique. L’application des paramètres retenus par la méthode de régression était en partie impossible à vérifier ; sa complexité rendait vraisemblables des erreurs d’application ou de conception. La FMH n’avait pas su lui répondre sur le contenu de la méthode. Elle ne comprenait pas comment les algorithmes utilisés dans la méthode de régression tenaient compte de ses quatre cas particulièrement onéreux. L’analyse prétendument individuelle opérée par les demanderesses ne correspondait pas à la méthode analytique.

Au vu des nouvelles explications et calculs fournis à l’audience de conciliation, il apparaissait que les coûts indirects n’avaient effectivement pas été inclus dans le montant réclamé, contrairement à ce qu’elle avait avancé précédemment.

h. De leur côté, les demanderesses ont indiqué avoir fourni toutes les informations et explications requises et imaginables. L’article des Drs MÜLLER et KESSLER invoqué par la défenderesse expliquait également cette méthode.

Deux jugements bernois des 17 février 2022 et 9 mars 2022 avaient admis la validité de la méthode de régression et faisaient l’objet de recours pendants devant le Tribunal fédéral. La méthode de régression tenait compte que certains médecins pouvaient avoir dans leur patientèle des cas plus morbides que leurs confrères et qui généraient des coûts plus importants que ces derniers. Les valeurs extrêmes étaient corrigées par le logarithme. C’est pourquoi la défenderesse ne pouvait rien tirer de l’attestation d’HELSANA du 16 avril 2021, par laquelle l’assureur avait estimé que ses interventions concernant la patiente A respectaient le principe d’économicité.

Par rapport aux critères de morbidité définis par la méthode de régression, la défenderesse avait une patientèle moins morbide que la moyenne de ses confrères. Par exemple, pour le PCG diabète type 1, la défenderesse avait un taux de 4.5 alors que la moyenne de ses confrères diabétologues était de 7.4. C’était pour cette raison entre autres qu’elle avait un indice de régression élevé. Les demanderesses avaient dûment procédé à une analyse individuelle de la pratique de la défenderesse, en effectuant diverses comparaisons (examen de la facturation, examen des positions facturées, comparaison avec le groupe des internistes généralistes, calculs mixtes, fréquence des consultations et des prescriptions).

i. Le 15 août 2022, le tribunal de céans a invité les demanderesses à lui communiquer un nouveau décompte de leurs prétentions principales pour les années statistique 2017 et 2018, calculées sur la base de la méthode de régression, et tenant compte d'un groupe de comparaison comprenant la double spécialisation de la défenderesse (endocrinologie / diabétologie - médecine interne / générale). Il leur a également demandé de lui communiquer le tableau correspondant permettant à la défenderesse de comparer sa pratique à celle de ses confrères du même groupe au niveau suisse.

j. Dans leurs écritures du 30 novembre 2022, les demanderesses ont indiqué qu’elles n’étaient pas en mesure de créer un groupe hybride, ni de recalculer les indices sur une telle base. La méthode de régression était rigide, car elle reposait strictement sur le contrat passé avec la FMH. Elle n’était pas conçue pour réaliser un groupe spécifique tel que demandé par le tribunal. Ses paramètres n’étaient prévus que pour appliquer exclusivement ledit contrat. Des obstacles techniques empêchaient donc l’élaboration d’un document de ce genre. À supposer qu’un tel document pût être établi, SANTÉSUISSE ne respecterait pas l’esprit de la convention passée avec la FMH.

Néanmoins, afin de collaborer le mieux possible à l’établissement des faits, SANTÉSUISSE avait tenté de calculer un indice mixte sur la base des données en sa possession. Toutefois, étant donné que la Dre A______ ne facturait pas de façon correcte, cela créait des difficultés supplémentaires. Si la facturation avait été correctement établie par rapport au TARMED, SANTÉSUISSE aurait pu, en examinant la position 00.1550 (traitement par le spécialiste en endocrinologie / diabétologie, par période de 5 minutes), tenter de déterminer quelle était la proportion de l’activité consacrée à cette spécialité. Or, un tel travail était impossible. En effet, la défenderesse n'avait jamais appliqué la position 00.1550, laquelle était systématiquement (ou le plus souvent) retenue par les endocrinologues. L’intéressée n’utilisait pas non plus la position 001.00.2110 (recte : 00.2110) (consilium) également fréquemment appliquée par les endocrinologues.

En 2017, la défenderesse avait facturé 1'175 points TARMED par malade, alors que les endocrinologues n’en étaient qu’à 434 et les internistes à 370.

SANTÉSUISSE avait ainsi procédé à l’examen de trois hypothèses :

1.       Exercice à 50% dans chacune des deux spécialités :

(434 x 50%) + (370 x 50%) = 420 (recte : 402) points TARMED

 

Ce nombre de points équivaudrait dès lors à un indice de 100 dans cette catégorie hybride. Son indice pourrait ainsi être déterminé de la façon suivante :

1'175 x 100 : 420 (recte : 402) = 292.28 (recte : 279.76)

 

2.       Exercice à 2% en endocrinologie et à 98% en médecine interne

(434 x 2%) + (370 x 98%) = 371 points TARMED

Indice personnel : 1'175 x 100 : 371 = 316

 

3.       Exercice à 98% en endocrinologie et à 2% en médecine interne

(434 x 98%) + (370 x 2%) = 433 points TARMED

Indice personnel : 175 (recte : 1'175) x 100 : 433 = 271

Quelle que fût l’hypothèse choisie, la défenderesse présenterait un indice extrêmement supérieur à la moyenne de 100.

Par ailleurs, SANTÉSUISSE avait reconstitué « manuellement » un groupe de médecins au bénéfice des deux titres FMH en cause. Ce travail s’était avéré long et fastidieux, dès lors que les médecins étaient systématiquement classés sous un seul titre. Elle avait finalement pu regrouper, dans toute la Suisse, les médecins ayant pratiqué avec ces deux spécialités en 2017 (111) et en 2018 (107). Un calcul sur la base du système de régression n'étant pas possible, SANTÉSUISSE était néanmoins parvenue à établir un calcul selon la méthode RSS, consistant à prendre en compte les coûts directs moyens de l’ensemble de ce groupe hybride, puis avait divisé ce montant par le nombre total de malade. Ainsi, l’indice RSS de la défenderesse serait de 161 en 2017 et de 162 en 2018.

Toutefois, il n’était pas admissible de ne pas appliquer en l’occurrence la méthode de régression. D’une part, cette méthode était plus précise et était fondée sur une convention passée entre les assureurs et la FMH. Si, contre toute attente, le tribunal de céans décidait de se fonder sur les indices RSS « fabriqués pour la circonstance », il conviendrait, à tout le moins, de ne pas retenir une marge de tolérance de 130, mais de prendre une marge beaucoup plus faible, voire nulle, au vu du travail « sur mesure » effectué.

Les demanderesses ont joint deux listes (2017 et 2018) de médecins suisses au bénéfice du même double titre FMH que la défenderesse et deux tableaux « permettant de déterminer les indices RSS du groupe hybride constitué ».

k. Dans ses déterminations du 20 avril 2023, produites dans le délai régulièrement prolongé à sa demande, la défenderesse a fait valoir que le constat selon lequel « la méthode statistique » ne permettait pas de créer un groupe hybride, démontrait que la particularité de sa pratique, en raison de sa double spécialisation, n’était pas prise en considération par cette méthode. Les demanderesses avaient créé pour la forme une méthode de calcul alternative, afin de générer un indice, dont on ne savait pas ce qu’il représentait. Les demanderesses entendaient, désormais, tirer argument de positions TARMED prétendument non utilisées et / ou employées à mauvais escient.

l. Dans leurs déterminations du 28 avril 2023, les demanderesses ont maintenu leur position, tout en rappelant que la convention relative à la méthode de « screening », dans le cadre du contrôle de l’économicité, ne mentionnait nullement la création de sous-groupes, ni celle de groupes mixtes, mais évoquait exclusivement « le groupe de médecins spécialistes selon le titre FMH ».

m. Par courrier du 8 mai 2023, le tribunal de céans a informé les parties qu’il envisageait de mettre en œuvre une expertise analytique de la pratique de la défenderesse et les a invitées à lui proposer un expert, le cas échéant à désigner un expert commun.

Par courrier du 26 mai 2023, les demanderesses se sont opposées à une telle mesure, laquelle ne s’appliquait que si des données fiables pour une comparaison des coûts moyens faisaient défaut, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Subsidiairement, elles ont proposé en qualité d’expert le docteur E______, spécialiste FMH en médecine interne générale (à Romont/FR).

Par courrier du 20 juin 2023 (après avoir requis, le 31 mai 2023, une prolongation du délai en vue de trouver un expert commun), la défenderesse a proposé le docteur F______, spécialiste FMH en médecine interne et cardiologie (à GE).

Par courrier du 7 août 2023, le tribunal de céans a informé les parties de son intention de confier au Dr E______ le soin de réaliser l’expertise analytique et leur a accordé un délai au 7 septembre suivant pour se déterminer sur les questions libellées dans le projet de mission d’expertise.

Par courrier du 7 septembre 2023, les demanderesses ont déclaré ne pas avoir de remarques à formuler sur les questions posées à l’expert.

Par courrier du 7 septembre 2023 (reçu au greffe du tribunal le 12 septembre), le conseil de la défenderesse a sollicité un délai au 19 septembre suivant, « pour procéder ». Les questions figurant dans la liste avaient assurément été préparées avec soin. Il lui était cependant nécessaire de pouvoir s’entretenir avec sa mandante pour déterminer ce qui pourrait être le cas échéant demandé à l’expert de sa part.

Par courrier du 13 septembre 2023, le tribunal de céans a accordé à la défenderesse un ultime délai au 19 septembre 2023, précisant que l’ordonnance d’expertise serait envoyée à l’expert le 22 septembre suivant.

n. Par pli du 15 septembre 2023, posté le 18 septembre suivant, rédigé sur papier à en-tête de son cabinet, la défenderesse a autorisé le Dr D______ à la représenter dans les présentes causes. Précisant qu’elle en partageait « sans restriction la totalité du contenu », la défenderesse a également joint un courrier daté du même jour, établi sur papier à en-tête du cabinet du Dr D______, et signé par ce dernier.

Le courrier du tribunal de céans du 7 août 2023 leur avait été transmis tardivement par leur avocat, le 6 septembre 2023. Il leur avait été ainsi impossible de répondre dans le délai imparti au 7 septembre 2023.

S’agissant de la « proposition » d’une expertise analytique, ils n’étaient pas du tout convaincus qu’elle apporterait quelque élément déterminant que ce soit. En effet, SANTÉSUISSE avait totalement échoué à démontrer la non-économicité de la pratique de la défenderesse par « des statistiques (indice de régression) » pour sombrer dans diverses spéculations.

o. Par courrier du 19 septembre 2023, Me ROUILLER a informé le tribunal que son mandat avait pris fin. Jusqu’à la constitution d’un nouveau conseil, toute correspondance devrait être adressée, désormais, directement à son ancienne cliente, à son adresse professionnelle. Il a requis qu’un nouveau délai fût accordé à cette dernière, notamment pour qu’un éventuel nouveau conseil « puisse se déterminer ».

p. Par ordonnance du 26 septembre 2023 (ATAS/718/2023), le tribunal de céans a écarté les objections de la défenderesse et confirmé la désignation du Dr E______ comme expert en vue d’analyser la pratique médicale de la Dre A______ pour les années 2017 et 2018.

q. Par courrier du 2 octobre 2023, l’expert a demandé à la défenderesse de lui fournir les dossiers des patients A, B, C et D pour les années 2017 et 2018, les rapports de toutes les consultations correspondantes avec les résultats des éventuels examens (laboratoire, radiologie, etc.), ainsi que les factures correspondantes. Il a requis les mêmes éléments pour 50 patients pour 2017 et 2018.

E. a. Par acte du 5 octobre 2023, la défenderesse a demandé la récusation du juge instructeur, au motif qu’il avait confié l’expertise analytique au Dr E______, en abusant de son pouvoir et en faisant montre de collusion et de complicité avec SANTÉSUISSE, à l’instar de l’expert lui-même. Dans ce même courrier, elle a confirmé sa demande de récusation de l’expert du 5 septembre 2023.

Par décision du 1er décembre 2023, la Délégation des juges du Tribunal arbitral en matière de récusation a rejeté la demande de récusation à l’encontre du juge instructeur (ATAS/933/2023). Incontestée, cette décision est entrée en force.

Par arrêt du 4 décembre 2023, le Tribunal fédéral (auquel le tribunal de céans avait transmis l’écriture du 5 octobre 2023 pour raison de compétence) a déclaré irrecevable le recours interjeté par la défenderesse contre l'ordonnance d'expertise analytique du 26 septembre 2023, singulièrement la désignation de l’expert E______, faute pour l’intéressée d’avoir produit, dans le délai prolongé à cet effet, l’ordonnance d’expertise contestée (arrêt 9C_652/2023).

b. Par courrier du 12 février 2024, le juge instructeur a informé la défenderesse que l'expertise analytique, de facto suspendue dans l’intervalle, allait être reprise. Il lui a rappelé qu'il lui serait loisible à cette occasion de fournir à l'expert toute explication/document qu’elle jugerait utile. En cas de défaut de collaborer avec l'expert, ce dernier rendrait son expertise sur la base du dossier.

c. Par missive du 17 février 2024, la défenderesse a déclaré qu’elle considérait le juge instructeur « toujours et de facto comme récusé et votre ordonnance d’expertise annulée ». Elle lui a diagnostiqué une « grave atteinte psychiatrique », au motif qu’il ne s’était pas spontanément récusé, restant « indifférent (à ses) nombreuses plaintes pénales, administratives, recours et plainte internationales (…), pour un total de 24 courriers, soit près de 300 pages (…) ». Elle a renvoyé au tribunal le courrier du 12 février 2024, qualifié de « délirant », priant le juge instructeur de « ne plus nous importuner d’ici à votre jugement ».

Le 22 février suivant, le juge instructeur lui a retourné ladite missive, au vu de son contenu inconvenant, tout en l’informant que tout nouvel acte du même style serait classé sans suite. Il l’a rendue attentive aux sanctions prévues par la loi pour plaideur téméraire.

d. La défenderesse n’ayant pas donné suite à sa demande du 2 octobre 2023, ni à ses relances des 19 février et 18 mars 2024, l’expert l’a informée, par courrier du 24 avril 2024, qu’il procéderait à l’expertise uniquement sur la base du dossier du tribunal. Dans son courrier du 18 mars 2024, l’expert a souligné que les dossiers des patients étaient le seul moyen de trouver une explication médicale pour les frais facturés.

e. Le 13 mai 2024, l’expert a rendu son rapport.

Les limites des statistiques de SANTÉSUISSE, y compris avec la méthode de régression, étaient bien connues : une sous-spécialité très particulière et peu répandue, une cohorte de patients particuliers et sur-représentés, un nombre de patients nettement moins important que le groupe de contrôle étaient, par exemple, bien connus pour pouvoir fausser les statistiques.

Pour l’année 2017, l’expertisée avait vu 313 patients contre 876 pour le groupe de contrôle (des diabétologues / endocrinologues), la différence était très importante. L’âge moyen des patients était de 45,7 ans contre 54, 7 pour le groupe de contrôle, soit un écart « assez important ». Le nombre de consultations par patient était de 5.3 contre 2.3 pour le groupe de contrôle. Il eût été intéressant de savoir si cette différence s’expliquait par une pratique de la médecine surtout axée sur la médecine interne générale, ce qu’il était impossible de déterminer sans l’étude des dossiers médicaux. Les coûts directs (recte : directs et indirects) par patient étaient de CHF 2'139.- contre CHF 1'352.-. L’indice du nombre de points TARMED facturés par consultation était de 118. L’expertisée était donc plus chère que le groupe de contrôle d’endocrinologie et diabétologie, car elle consultait beaucoup plus souvent les mêmes patients. L’indice de régression pour les coûts directs était de 230, pour les médicaments de 201, pour le laboratoire de 172, pour les appareils LIMA 101 et pour la physiothérapie 218. Finalement, son indice de régression pour les coûts totaux était de 189. Les graphiques montraient beaucoup de femmes entre 16 et 50 ans et beaucoup moins d’hommes et de femmes dès 61 ans et plus. Elle était pratiquement plus chère que ses collègues dans presque toutes les tranches d’âge avec une explosion de plus de CHF 15’000.- et 20'000.- pour les tranches d’âge 86-90 ans et 91-95 ans, mais cela devait concerner 2 à 4 patients tout au plus.

Pour l’année 2018, elle avait vu 365 patients contre 911 pour le groupe de contrôle, la différence étant toujours énorme. L’âge moyen était de 46.3 ans contre 54. 6 ans, soit un écart toujours important. Le nombre de consultations par patient était de 4.6 contre 2.6 pour le groupe de contrôle. Les coûts directs (recte : directs et indirects) par patient étaient de CHF 2'119.- contre CHF 1'344.-. L’indice du nombre de points TARMED facturés par consultation était de 156, soit nettement plus qu’en 2017 (118). L’indice de régression pour les coûts directs était de 248, pour les médicaments de 198, pour le laboratoire de 204, pour les appareils LIMA de 146 et pour la physiothérapie de 472. L’indice de régression pour les coûts totaux était de 201. Les graphiques montraient que l’expertisée avait toujours beaucoup de femmes entre 16 et 55 ans et beaucoup moins d’hommes et de femmes dès 61 ans et plus. Elle était pratiquement plus chère dans tous les groupes d’âge avec une explosion de plus de CHF 13'000.- à CHF 17'000.- pour les groupes de 86-90 ans et 91-95 ans, mais cela devait concerner 2 à 4 patients tout au plus.

Durant la procédure, l’expertisée avait dit qu’elle exerçait principalement la médecine interne générale et prenait en charge globalement ses patients. SANTÉSUISSE avait alors fourni les statistiques 2018 avec comme groupe de contrôle les médecins internistes généralistes. Il s’avérait que pour 2018, son indice pour les coûts directs était de 324, ce qui s’expliquait par le fait qu’elle consultait un peu plus ses patients (4.6 contre 4.1 pour le groupe de contrôle), mais surtout qu’elle facturait 247 points TARMED par consultation contre 92 pour ce groupe de contrôle. Il eût été utile de savoir si elle avait effectivement une pratique de médecine interniste générale, mais qu’elle facturait comme une endocrinologue / diabétologue. Il était toutefois impossible de le savoir sans l’étude des dossiers. Même avec ce groupe de contrôle, elle restait hors norme à tous les niveaux, avec un indice de régression pour les médicaments de 228, pour le laboratoire de 325, pour les appareils LIMA de 429 et pour la physiothérapie de 121.

Afin de comprendre pourquoi, avec la méthode de régression, l’indice RSS pour la prescription des médicaments passait en 2017 de 86 à 201 et pour 2018, de 81 à 198, l’expert avait demandé à SANTÉSUISSE de lui communiquer les statistiques correspondantes des médicaments (PCG), respectivement de maladies. Il en ressortait que l’expertisée soignait 1/3 de moins des problèmes thyroïdiens. Elle prenait très peu en charge des patients avec un diabète de type I et environ 40% de moins de diabète de type II. Par contre, elle soignait trois fois plus d’asthmatiques et prescrivait trois plus « d’anti…non opioïdes » (sic) [ndr : cf. « Chiffres clés du collectif de référence 2018 », rubrique DDD et sous-rubrique SMC (douleurs chroniques sans opioïdes)], ce qui semblait confirmer qu’elle avait un profil de consultation proche d’un interniste généraliste.

Le fait qu’elle ne facturait jamais une position de consilium voulait probablement dire qu’elle n’était que très peu une collègue de référence pour les médecins internistes généralistes et qu’elle n’avait pas le rôle de médecin endocrinologue qui donnait un avis, rendait un diagnostic et consultait donc un patient 1 à 3 fois, puis le référait à nouveau à son médecin traitant. C’était pour cette raison qu’elle avait beaucoup plus de consultations par patient que ses collègues endocrinologues. Elle devait ainsi être pour ses patients leur médecin traitant, ce qui semblait confirmé par son avocat dans son mémoire du 9 mars 2021 (ndr : cf. cause A/190/2020) qui précisait qu’elle avait effectué 152 visites pour 1’520 consultations, cependant qu’une endocrinologue ne faisait pas de visites.

La patiente A avait généré en 2017 et 2018 un coût de respectivement CHF 35'000.- et CHF 18'409.-. Pour 2018, les patients B, C et D avait généré un coût respectivement de CHF 17'006.-, CHF 13'241.- et CHF 17'453.-. En 2018, ces quatre patients avaient généré un coût total de CHF 66'109.-, soit le 16,7% du chiffre d’affaires de l’expertisée. Il était peu probable que celle-ci fît du laboratoire et des radiographies au cabinet médical. Ces coûts étaient donc le produit de ses (seules) consultations. Sachant qu’une heure de consultation était facturée, à Genève, environ CHF 214.44, cela voudrait dire que pour la patiente A en 2017, il y avait eu 163 heures de consultation, soit sur 42 semaines, environ 3.9 heures de consultation par semaine. En 2018, il y avait eu 85 heures de consultation, soit 2 heures par semaine. Pour la patiente B, il y avait eu, en 2018, 79 heures de consultation, soit 1.9 heures par semaine. Pour la patiente C, il y avait eu, en 2018, 61 heures de consultation, soit environ 1,5 heures par semaine. Pour la patiente D, il y avait eu, en 2018, 81 heures de consultation, soit environ 1.9 heures par semaine. Même un psychiatre n’avait pas une telle consultation. On pouvait imaginer qu’un psychiatre voyait, en cas de crise, pendant quelques temps, 2 heures par semaine un patient. En cas de non résolution de crise, le patient serait certainement hospitalisé.

Facturer pour la patiente A en 2017 presque quatre heures par semaine de consultation signifiait probablement que l’expertisée avaient installé une telle dépendance que la relation thérapeutique était devenue symbiotique. Cela allait à l’encontre d’une bonne pratique. Il était dès lors douteux que Mme C______, spécialiste coordination des patients (recte : des prestations) chez HELSANA, fût apte à juger du bien-fondé d’une telle prolifération de consultations. Il était très facile pour un médecin de rendre certains patients dépendants de leur thérapeute. Cette patiente avait développé une dépendance aux opioïdes qui avait nécessité une prise en charge soutenue en 2017, mais aussi très conséquente en 2018. L’expert était lui-même médecin-répondant du centre de polytoxicomanes du Radeau à Orsonnens ; il avait sous sa responsabilité environ une trentaine de polytoxicomanes anciens ou non. Il avait donc une certaine expérience dans cette prise en charge. Les patients sous substitution devaient être vus deux fois par mois environ, les autres patients non substitués étaient vus moins souvent, selon la demande du médecin cantonal, qui délivrait les autorisations de prescription. Ces consultations, que lui-même faisait, étaient relativement courtes, elles consistaient en un contrôle de l’état psychologique et physique du patient, un soutien thérapeutique et une écoute. Si une psychothérapie était nécessaire, ce qui était souvent le cas, elle était déléguée à un psychiatre ou psychologue. Si par hasard un psychothérapeute se laissait phagocyter quatre heures par semaine par un patient, son superviseur mettrait fin immédiatement à ce dérapage.

Pour les patients B, C et D, on pouvait faire les mêmes remarques, rien ne justifiait une telle quantité de consultations, même pour des cas lourds ; la prise en charge était multidisciplinaire, il y avait des infirmières à domicile, des psychothérapeutes, des psychologues « et autres ». Le médecin interniste généraliste coordonnait ces soins, réglait de nombreux problèmes par mail ou téléphone. Il s’appuyait sur l’expertise des autres intervenants et assurait la continuité des soins. Il visitait ou consultait régulièrement ces patients. Selon sa propre expérience, qui reposait sur environ 1'300 patients, par année, une à deux visites ou consultations mensuelles suffisaient sur une moyenne annuelle pour gérer les patients lourdement atteints. Une telle activité, y compris le laboratoire du cabinet et les éventuelles radiographies, électrocardiogrammes, spirométrie, etc., pouvait représenter un coût annuel de CHF 4'000.- à CHF 5'000.-, mais ceci pour une vingtaine de patients sur 1'300 : statistiquement, ils étaient donc noyés dans la masse. Les CHF 66'109.- facturés en 2018 pour quatre patients ressemblaient davantage à une rente qu’à une pratique médicale éthique. Rien ne justifiait une telle attitude. Dans le cas contraire, l’expertisée aurait dû avoir l’honnêteté et la transparence de fournir ses dossiers. Son attitude et son dénigrement faisaient penser qu’elle n’arriverait jamais à justifier (ses coûts).

Sans examen des dossiers, il n’était pas possible de répondre de façon formelle à la question de savoir si le groupe de comparaison dans l’analyse de régression, respectivement dans l’analyse RSS, était adéquat. L’expertisée n’avait jamais utilisé les positions 00.15520 (traitement par le spécialiste en endocrinologie / diabétologie) et 00.2110 (consilium), auquel cas elle aurait été encore plus chère. Ces positions avaient un facteur intrinsèque plus haut que les positions de base de la consultation, car elles étaient réservées à des médecins FMH « 7 ou 8 », soit avec 7 ou 8 ans de formation post-graduée. À teneur du dossier fourni par le tribunal, l’intéressée n’avait elle-même cessé de clamer qu’elle avait surtout une activité de médecin interniste généraliste.

Le nombre de consultations par patient et par année était proche de celui des généralistes. Le nombre de visites à domicile également. Un spécialiste en endocrinologie / diabétologie suivait principalement des patients diabétiques de type I et de type II posant de gros problèmes. Il pouvait le faire seul ou en collaboration avec le médecin généraliste. Il suivait également des patients avec des problèmes thyroïdiens instables. Pour le reste, il était là pour confirmer ou poser un diagnostic, proposer un traitement et il référait ensuite le patient au généraliste après son consilium, ce qui pouvait représenter une à deux consultations. C’est pour cette raison que le groupe de contrôle des endocrinologues / diabétologues avait en 2017 et 2018, respectivement 2.3 et 2.6 consultations par patient par année, et non pas 5,3 et 4,6 comme l’expertisée.

Ses confrères travaillaient en réseau avec les généralistes, les infirmiers spécialistes en diabétologie, les diététiciennes et autre. C’était de cette manière qu’on assurait un suivi optimal à un coût raisonnable.

L’expertisée n’avait aucun intérêt à changer son groupe de contrôle, car si on devait la comparer aux généralistes, elle serait encore plus chère pour la simple raison qu’elle consultait ses patients un peu plus souvent, mais surtout qu’elle avait pour chaque consultation un coût énorme (247 points TARMED contre 92 pour le groupe de contrôle) (ndr : en 2018).

L’idée de « faire un mélange » entre endocrinologie et médecine interne générale (ndr : constituer un groupe de comparaison comprenant les deux spécialités) était saugrenue et ne tenait pas la route.

Le calcul des assureurs dans l’exercice à 50% de chacune des spécialités contenait une erreur : l’indice 100 avait été calculé à 420 au lieu de 402. L’indice en résultant aurait dû être 279,76 (= 1175 x 100 : 420) et non 292.28. Toutefois, cela était anecdotique, car cette manière de faire était (de toute façon) contraire à l’accord passé entre la FMH, ainsi qu’à la jurisprudence. On devait donc garder le groupe de contrôle des endocrinologues / diabétologues, cela était également dans l’intérêt de l’expertisée.

Sans examiner les dossiers, il n’était pas possible de déterminer quelle était la part de la pratique de l’expertisée relevant exclusivement de la médecine interne générale et celle relevant exclusivement de la diabétologie/endocrinologie, respectivement de ces deux spécialités en même temps.

Sans examiner les factures en détail, il avait été impossible de répondre à la question de savoir si la facturation des prestations de l’expertisée était conforme au TARMED, respectivement évaluer un éventuel surcoût de facturation pour les années 2017 et 2018. Que cette dernière n’ait jamais utilisé les positions 00.15520 et 00.2110 était contraire au bon usage du TARMED.

Il était également impossible d’évaluer, en cas d'irrégularités de facturation constatées, à combien s'élevait approximativement le surcoût de facturation sur l'ensemble des positions/prestations pour les années 2017 et 2018, au degré de la vraisemblance prépondérante.

Sans examiner l’agenda et les factures, il n’avait pas été possible de vérifier si les prestations effectuées étaient conformes aux principes d’efficacité, d’adéquation et d’économicité. Toutefois, pour les patients A, B, C et D, l’adéquation et l’économicité n’étaient pas respectées. Il était en conséquence impossible d’évaluer un éventuel surcoût engendré par des prestations non conformes auxdits principes.

Sans l’examen des dossiers, il n’avait pas été possible d’évaluer si l’expertisée avait une pratique non économique constitutive de polypragmasie ou de surfacturation.

Si l’expertisée avait collaboré, l’expertise analytique aurait pu mettre en évidence un nombre de patients lourdement atteints proportionnellement plus important que celui du groupe de contrôle. Vu le nombre de patients très bas, un biais statistique était possible, du moins partiellement. Les coûts des patients A, B, C et D influençaient naturellement fortement la statistique de l’expertisée au regard du nombre très bas de ses patients.

S’agissant des patients A, B, C et D, la polypragmasie (surmédicalisation) était très probable, mais ne pouvait pas formellement être démontrée. N’ayant pas eu accès aux dossiers et aux factures desdits patients, il n’était pas possible de se prononcer sur une éventuelle surfacturation. Un médecin généraliste pouvait émettre pour un patient une facture de CHF 2'000.- sur trois mois par exemple en cas de fin de vie à domicile difficile, nécessitant plusieurs interventions. Mais son activité se faisait alors en collaboration avec les infirmières à domicile et les infirmières spécialisées en soins palliatifs. Ceci limitait aussi les interventions. La bonne pratique voulait qu’on prenne en charge les cas lourds en réseau. De plus, une fin de vie ne durait pas une année et n’allait pas engendrer quatre factures de CHF 2'000.- par exemple. Et même avec cet exemple (CHF 8'000.-), on restait très loin des factures émises par l’expertisée.

L’expertisée ayant refusé de fournir ses dossiers, elle avait, de fait, renoncé à toute défense. Elle ne pouvait donc se prévaloir d’aucune particularité de sa pratique et/ou de sa patientèle.

En conclusion, il n’y avait pas d’autre alternative que de suivre la demande des assureurs, soit une restitution de respectivement CHF 129'997.- et CHF 161’69.10 pour les années 2017 et 2018. Il n’y avait pas lieu d’appliquer la méthode ANOVA qui n’était plus d’actualité.

f. Le 8 mai 2024, la Dre A______ et le Dr D______ ont adressé à l’expert un commandement de payer à hauteur de CHF 6'200.-, avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 2017, au titre de « la défense de mes intérêts contre la tentative d’escroquerie du débiteur ». Le Dr E______ a fait opposition audit commandement le 13 mai suivant, date de sa réception.

g. Dans leurs observations des 12 juin et 1er juillet 2024, les demanderesses ont en particulier relevé que si la défenderesse était comparée aux médecins généralistes, ses résultats seraient encore plus accablants. En définitive, l’expert faisait siennes les conclusions des demanderesses. Selon deux arrêts schwytzois du 28 mars 2024, les particularités du cabinet prouvées et quantifiables n’influençaient pas la marge. Sans particularités, la marge était de 20 points. Si des particularités étaient attestées, la marge était de 30 points. La marge de 20 points avait donc été appliquée à juste titre en l’espèce.

Dans le récent arrêt de principe 9C_135/2022 du 12 décembre 2023 (ndr : désormais publié : ATF 150 V 129), aucun examen au cas par cas n’avait eu lieu. En l’espèce, il en allait différemment, puisqu’une expertise analytique avait été rendue. SANTÉSUISSE avait tenté en vain d’obtenir de la défenderesse des éléments probants quant à sa pratique statistiquement hors norme. L’intéressée avait finalement réagi, le 5 avril 2019, en posant des conditions totalement déraisonnables. C’était dans ces circonstances que la procédure avait dû être intentée par SANTÉSUISSE, le 5 juillet 2019. La défenderesse avait fait obstacle à tout dialogue et fait constamment preuve d’une attitude oppositionnelle en refusant toute collaboration et en sollicitant un nombre déraisonnable de prolongations de délais. Les 18 octobre 2019 et 8 mars 2021, en présence de son avocat, elle avait été à nouveau invitée à documenter les particularités de sa pratique, en vain. Les demanderesses avaient tout tenté pour rechercher un accord à l’amiable et informer au mieux la défenderesse. Cette dernière s’était contentée de prétendre qu’elle n’était pas comparable (ndr : au groupe de contrôle) sans étayer sa position par des éléments concrets ou par des chiffres. Elle n’avait pas remis les pièces qu’elle s’était engagées à fournir et ne s’était pas présentée aux audiences des 9 octobre 2019 et 29 avril 2022. Elle avait aussi refusé de fournir à l’expert les pièces requises par ce dernier.

En définitive, ni SANTÉSUISSE, ni le mandataire de la défenderesse, ni l’expert, ni le tribunal de céans n’étaient parvenus à disposer de certains éléments utiles à l’instruction de la cause par la seule et unique faute de la défenderesse. Cette situation déplorable était incomparable avec celle de l’arrêt 9C_135/2022 et totalement imputable à la mauvaise volonté crasse de cette justiciable et les assureurs ne sauraient en subir les conséquences. Cet arrêt ne remettait pas en question le principe jurisprudentiel (ATF 135 V 415) selon lequel il incombait toujours au médecin statistiquement hors norme de prouver les particularités de sa pratique, ce qui n’avait pas été établi en l’espèce. La nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral n’avait pas pour but de protéger les pratiques scandaleusement dispendieuses de tel ou tel médecin et encore moins de protéger les justiciables qui refusaient délibérément de collaborer à l’instruction de la cause. Les conclusions de l’expertise rendues en dépit de l’obstruction de la défenderesse ne sauraient être écartées au vu des circonstances.

h. Par courrier du 9 juillet 2024 (posté la veille), la défenderesse a produit « une prise de position critique » du Dr F______ du 3 juillet 2024.

La Dre A______ avait une bonne réputation citoyenne et professionnelle. Ceux qui la connaissaient savaient qu’elle n’était pas une « faiseuse de fric ». Sa conception de la médecine « était empathique et hippocratique : le patient au centre ». On ne trouvait aucune indication (ndr : dans l’expertise ou le dossier) que les compétences de la Dre A______ aient été mises en doute pour les actes facturés. Aucun patient n’avait jamais contesté ses honoraires.

La Dre A______ était suspectée d’avoir une pratique médicale chère pour certains malades, avec beaucoup d’indicateurs de facturation se situant hors de la zone statistiquement normale (comprenant 95.4% de l’ensemble des cas aléatoirement sélectionnés comme normaux), mais qui pourrait se situer dans la corne supérieure de la courbe de Gauss (comprenant 2.3% des cas). Une revue critique des arguments exposés dans cette expertise introduisait un doute documenté sur les conclusions : en fait, la défenderesse pourrait se situer en dehors de la zone statistiquement définie comme normale, mais dans la zone « hippocratiquement normale », conformément au serment d’Hippocrate.

L’expertise se référait à des chiffres empruntés aux analyses statistiques ANOVA et de régression, dont les limites de preuve étaient désormais reconnues comme « non conclusives » par la FMH, les assureurs et le Tribunal fédéral. Une discussion critique, publiée dans le Bulletin des médecins suisses 2019, 100 (46), 1550, discréditait déjà la méthode ANOVA. Des statistiques qui ne correspondaient à aucune réalité n’étaient qu’un jeu de l’esprit et se révélaient dangereuses. L’esprit de la loi, c’était une médecine économique, pas l’arbitraire dissimulé derrière une statistique. Ce segment de l’expertise ne devrait donc pas avoir sa place dans ce document, ou, du moins, n’avoir aucun poids dans les conclusions.

L’expert n’avait pas investigué, par exemple, la question de savoir si la Dre A______ avait prescrit des médicaments chers, nouveau, éventuellement « off-label », « parce que des médicaments classiques s’étaient montrés antérieurement insuffisamment efficaces ? A-t-elle obtenu des meilleurs résultats, des reprises de travail, des diminutions d’hospitalisations ou de soins à domicile, par rapport à la période antérieure à ses prises en charge ou à des groupes de contrôle ? ».

Il valait la peine de recenser les méthodes utilisées dans d’autres pays de l’OCDE dans l’évaluation de l’économie des soins. Un domaine systémiquement si complexe serait totalement transformé par la disponibilité d’une nomenclature des diagnostics et de méthodes exploitant des algorithmes d’IA et de « deep learning » à l’avenir. Dès lors, la méthode utilisée dans cette expertise serait probablement considérée comme obsolète en l’absence des données-patients, même si un consensus actuel la considérait comme fiable. La cybersanté en réseau allait jouer un rôle central dans cette analyse et comme moyen de monitoring du système de santé national pour autant qu’elle fût conceptuellement disruptive. On pourrait se retrouver dans la situation de ces condamnés ayant passé des années en détention et qui sont finalement libérés sur la base de tests ADN qui n’étaient pas disponibles au moment du jugement. On découvrirait alors que la pratique de la Dre A______ avait du sens et des conséquences sur la qualité de vie et l’évolution de la santé de ses patients qui justifiaient son approche peut-être « non‑mainstream » de la médecine clinique.

Un segment de l’expertise présentait une analyse individuelle de quatre dossiers médicaux A, B, C et D, basée uniquement sur le dossier transmis par le tribunal, donc sans accès direct aux données médicales, analyse que l’expert avait lui-même qualifiée de partielle. Sur quinze questions spécifiques, huit réponses contenaient la phrase « il est impossible de répondre… ».

Une analyse rigoureuse d’une activité clinique de cabinet devrait se fonder des évaluations médicales, « evidence-based » [ndr : « Evidence-based practice » (ci‑après : EBP) : pratique fondée sur des données probantes ou sur des preuves : https://en.wikipedia.org/wiki/Evidence-based_practice] et sur l’ensemble des coûts générés par et autour de la maladie. Une telle analyse requérait comme référence de base une nomenclature nationale des diagnostics qui n’existait pas en Suisse.

Sur le fond, les éléments suivants décrédibilisaient ou du moins permettaient de jeter un doute sur la fiabilité des conclusions de l’expertise : les montants réclamés résultaient de calculs opaques ; le coût total des quatre patients analysés (CHF 66'109.-) n’était pas mentionné pour l’année 2017, contrairement à l’année 2018 ; à la question relative au montant d’un éventuel surcoût de facturations pour les années 2017 et 2018, de même qu’à huit questions sur quinze, l’expert avait répondu qu’il était « impossible de répondre » ou « qu’il n’était pas possible de répondre » : on pouvait difficilement être plus imprécis.

L’expert E______ se référait principalement à des aspects de la structure et de l’usage du TARMED. Toutefois, le TARMED ne saisissait qu’un aspect partiel, basique, des aspects économiques d’un cabinet médical ambulatoire et était actuellement jugé obsolète et devrait être corrigé par le TARDOC, que le Conseil fédéral avait décidé d’introduire en 2026.

Sans accès aux dossiers, l’expert n’avait pas disposé d’éléments pour juger de biais dus notamment à la polymorbidité, à la gravité et à des facteurs socio‑culturels (non-maîtrise du français, migrant, etc.), ce que l’expert lui-même reconnaissait.

Ne disposant pas des données et des statistiques des assureurs, il (ie : le Dr F______) « assum(ait) que les chiffres énoncés sont justes ».

Les chiffres retenus par l’expert concernant les frais de traitement des patients A, B, C et D étaient difficiles à contester, puisqu’ils étaient basés sur les factures originales émise par le cabinet.

La conclusion selon laquelle la polypragmasie était très probable n’était pas « très robuste ». Le qualificatif « probable » était une « opinion mais pas une preuve démontrée ».

Si l’expert n’avait pas eu accès aux données médicales, au moins les assureurs disposaient-ils d’une base de données essentielle : l’ensemble de codes TARMED associés aux prestations en cabinets et des prestations induites. Une lacune importante était qu’aucun tableau ne présentait une analyse des coûts basée sur les codes et les prestations induits pour les patients A, B, C et D, voire pour tout ou partie du reste de la patientèle. Il n’existait donc aucune base « robuste » pour documenter un abus de prescriptions, d’examens, ou de traitements.

Au titre des « faits qui pourraient justifier des écarts statistiques, au moins partiellement », il convenait de « nuancer » l’explication de l’expert, selon laquelle, faute d’utilisation des positions 00.15520 (traitement par le spécialiste en endocrinologie / diabétologie) et 00.2110 (consilium), il était difficile de documenter que la défenderesse prenait en charge des diabétiques de type I avec complications et des patients référés. En effet, de tels cas pouvaient parfaitement se présenter spontanément par le bouche à oreille.

Il était en outre très important de documenter les faits suivants, dont l’absence suggérait une lacune dans les conclusions de l’expertise : de nombreux patients étaient polymorbides hors problèmes endocriniens / diabétiques ; ces patients étaient difficiles en raison de problème de compréhension et de communication et avaient un grand besoin d’écoute et d’explications ; le nombre de visites à domicile reflétait une « grande disponibilité hippocratique, relevait d’une conception personnelle de la médecine et des relations médecin-patient et permettait de comprendre beaucoup de choses » et ne saurait être standardisé dans le cadre d’une médecine libérale ; un suivi soutenu à domicile pouvait parfois différer, voire éviter une hospitalisation ou un placement en EMS.

L’empathie médicale était aujourd’hui menacée par le manque ou la pression du temps ; plus un médecin était empathique, plus il attirait des patients, déçus sur ce plan, qui venaient grossir l’effectif de cas particuliers souvent lourds, ce qui pouvait induire un biais de clientèle notable ; le modèle de prise en charge en réseau multidisciplinaire intégré était respectable, mais ne saurait exclure une prise en charge globale plus personnalisée encore préférée par de nombreux patients ; par rapport au suivi d’un médecin « holistique », qui savait bien utiliser des proches-aidants, les coûts de prise en charge en réseau pouvaient coûter très cher ; peut-être que les assureurs avaient des données statistiques sur ces points ? ou avaient-ils un groupe de contrôle de patients suivis dans un réseau ? pour démontrer en particulier que ces patients avaient souvent changé de médecin, avaient dû être hospitalisés, avaient eu des soins à domicile plus complexes et de plus longue durée, ou eu des arrêts de travail prolongés avant d’être pris en charge par la Dre A______ ; afin de limiter le recours à des consultants externes et à des procédures coûteuses ou des examens complémentaires à double, il serait également utile de documenter le fait que l’intéressée prenait soin de collecter et étudier tous les documents en main du patient, ce qui pouvait allonger la consultation.

La médecine était un art et la variabilité des pratiques étaient une richesse à préserver. En ne tenant pas compte du précepte d’Hippocrate (« Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement »), on prenait le risque, sur une base purement statistique, de restreindre la valeur de la médecine et de détruire la carrière d’un ou d’une médecin qui disposait d’une formation, de connaissances, de compétences et d’empathie excellentes. Dans un article paru dans le Bulletin des médecins suisses (2024), 105 (27-28),66 (ndr : rédigé à la suite de l’ATF 150 V 129 précité), on pouvait lire que « les médecins touchés par les restitutions d’honoraires pourraient témoigner de l’indignation, de l’injustice et de l’angoisse ressenties. Espérons que l’explicitation des particularités d’une pratique puisse désormais prendre réellement la place centrale qui lui revient lors de tels contrôles ».

Un processus d’évaluation rigoureux impliquait « une qualité de la preuve qui devait réduire l’incertitude des conclusions au minimum ».

Le calcul des montants réclamés était opaque, justifié uniquement par la déclaration de l’expert « de suivre la demande des Assureurs », alors que le coût total des quatre patients lourds analysés n’étaient pas mentionné pour 2017, sans dépassement prouvé dans l’ensemble de la clientèle, puisque l’expert avait lui-même affirmé qu’il n’y avait « pas lieu d’appliquer la méthode ANOVA qui n’était plus d’actualité » et qu’il était « impossible » d’évaluer, au degré de la vraisemblance prépondérante, un éventuel surcoût approximatif de facturation pour les années 2017 et 2018.

En conclusion, il n’existait aucune preuve d’une facturation intentionnellement abusive ou non-médicalement justifiée et il n’était pas non plus établi que la « ligne de démonstration (était) scientifiquement correcte sur la base des données exposées » ; les chiffres extraits de l’analyse de régression, considérée comme sans valeur par le Tribunal fédéral, étaient dénués de « valeur décisionnelle » ; le TARMED contenait des défauts conceptuels majeurs que le TARDOC allait corriger en 2026 ; le mode de facturation de l’expertisée était peut-être l’illustration qu’il ne fallait pas attribuer à la facturation à l’acte les défauts qui seraient gommés par les stratégies de « forfaits par cas » ou « valued-based » (ndr : Value Based Health Care : système de santé basé sur la valeur du point du vue du patient : https://en.wikipedia.org/wiki/Value-based_health_care) ; une absence de présentation des tables des codes TARMED, des prestations induites et des médicaments prescrits mis en relation avec leur pertinence clinique et leurs conséquences en termes notamment d’hospitalisation et d’arrêts de travail, qui « retentiss(ai)ent sur le coût » – situation due en partie au fait « que les dossier cliniques n'étaient pas disponibles » ; l’absence de références à une nomenclature nationale de diagnostics reconnus et avec des définitions précises constituait une grande lacune » ; la composition des groupes de référence de « patients » était opaque, notamment en raison de l’absence de cette nomenclature et « du mélange inconnu des cas inclus probablement de plusieurs provenances » ; on ne savait rien de l’inclusion ou non de cas extrêmes dans ces collectifs.

Le philosophe Abraham KAPLAN suggérait que les possesseurs de marteaux tendaient à traiter tous les problèmes comme des clous et il ne serait pas surprenant qu’un groupe d’intérêts formulât les problèmes d’une manière qui utilisait les techniques dont il disposait à son avantage : on pourrait donc se retrouver dans quelques années avec des méthodes d’analyse invalidant l’approche analytique utilisée dans l’expertise, comme l’expérience avait montré l’absence de valeur conclusive des méthodes ANOVA et de régression, longtemps considérées comme des standards d’évaluation.

i. Le courrier de la défenderesse du 9 juillet 2024 précité mentionne qu’un double de « cette plainte » est envoyé en particulier au Grand Conseil (ndr : genevois), à chacun de ses membres, à « l’Attorney général de la Cour martiale de l’Executive Order 13813 », aux membres des Bâtonnats genevois et vaudois, ainsi qu’à divers citoyens, dont deux journalistes ; il indique que ladite plainte « sera assortie d’un mémoire de 260 pages, adressé à la Commission judiciaire du GC ».

j. Par courrier du 9 août 2024 (transmis à la défenderesse le 3 septembre 2024), les demanderesses ont en substance relevé que la position du Dr F______ n’apportait aucun élément utile à l’instruction de la cause. Ses observations ne s’appuyaient pas sur la facturation de la défenderesse, mais se limitaient à des commentaires généraux, relevant d’une prétendue éthique, voire de considérations politiques, sans aucune base scientifique. Ce praticien, que la défenderesse avait proposé en qualité d’expert, aurait pourtant pu se livrer à une analyse plus fouillée et documentée dès lors qu’il avait été consulté par elle. En sa qualité de mandataire, il aurait pu avoir accès à divers documents, dossiers et pièces que la défenderesse n’avait pas voulu fournir à l’expert E______. Le Dr F______ paraissait avoir oublié que la défenderesse avait refusé de collaborer. Il était donc vain de gloser sur l’impossibilité pour l’expert d’avoir pu répondre à certaines questions du tribunal en raison précisément de l’obstruction manifestée par l’expertisée. En reprochant à l’expertise son caractère lacunaire et en affirmant que sans un examen des dossiers de la défenderesse, il n’était pas possible de savoir si celle-ci aurait réellement plutôt une facturation d’un médecin de premier recours, le Dr F______ oubliait que la facturation d’un médecin devait strictement refléter sa pratique. La défenderesse ne saurait se prévaloir de son propre tort pour tenter ensuite de dénoncer d’éventuelles imprécisions de l’expertise. Il était inutile de soutenir qu’il faudrait effectuer des recherches supplémentaires consistant à examiner en particulier l’agenda ou les factures, puisque la défenderesse s’y était opposée. Il était hors de question de procéder à une deuxième expertise.

k. Par courrier du 16 juillet 2024, le tribunal a accordé à la défenderesse un délai pour se déterminer sur les observations des demanderesses des 12 juin et 1er juillet 2024. Par courrier du 14 août 2024, la défenderesse a sollicité un « délai nécessaire » pour se déterminer sur l’arrêt du Tribunal de Schwyz du 28 mars 2024, « d’autant qu’il était indispensable que lui (en) fût remise dans l’intervalle une traduction française ». Dans ce même courrier, la défenderesse a prié le tribunal de lui confirmer que la « contre-expertise » du Dr F______ avait bien été transmise à la partie adverse et soumise à l’examen du Dr E______.

Par courriers du 16 août 2024, le tribunal de céans a prolongé le délai au 2 septembre suivant. Par courrier du 26 août 2024, la défenderesse a formellement requis la traduction dudit arrêt. Dans ce même courrier, elle a mentionné : « Nous notons que la contre-expertise du Dr F______ a bien été transmise à la partie adverse, soit Santé Suisse et soumise à l’examen du Dr E______ ».

Par courrier du 28 août 2024, le tribunal de céans lui a accordé une dernière prolongation au 12 septembre 2024. Il a également expliqué que la garantie constitutionnelle du droit d'être entendu ne conférait pas au justiciable le droit d'obtenir la traduction dans sa propre langue des décisions citées par les parties. Le cas échéant, il était loisible à la défenderesse de télécharger les décisions en cause depuis le site du Tribunal arbitral/administratif schwytzois en mentionnant leur date (https://gerichte.sz.ch/vg/), puis d'utiliser un outil de traduction en ligne gratuit.

l. Par courrier du 3 septembre 2024, le tribunal de céans a demandé aux demanderesses de préciser si, et dans quelle mesure, SANTÉSUISSE avait tenu compte d'un facteur d'incertitude en l'occurrence ; à défaut, de détailler l'incidence dudit facteur sur les montants réclamés pour les années statistiques 2017 et 2018.

m. Par courrier du 11 septembre 2024, la défenderesse a indiqué au tribunal avoir porté plainte devant le Ministère public de la Confédération (ci-après : MPC) et son procureur général, ainsi que devant l’Attorney général de la Cour martiale de l’Executive Order 13813, en particulier « pour complicité de crime contre l’humanité perpétré contre le peuple suisse », contre l’expert E______, le juge instructeur et les juges de la Délégation du Tribunal arbitral en matière de récusation ayant rejeté sa demande de récusation par décision du 1er décembre 2023, ainsi que contre le juge fédéral ayant rendu l’arrêt d’irrecevabilité du 4 décembre 2023 (cf. ci‑dessus § E.a.). Elle a également requis la récusation de ladite Délégation, dont les juges étaient « dépourvus de droiture, d’intégrité, de conscience, connaissance et capacité », et appelé à ce que les juges du Tribunal arbitral et le Dr E______, « (coupables) de haute trahison et rare prévarication », soient « traduits en justice et condamnés à hauteur de leurs crimes ». Le niveau cognitif et intellectuel de l’avocat de SANTÉSUISSE, respectivement du juge instructeur, confinant à « une déficience mentale majeure » ou à « une forme d’oligophrénie bénigne » (ndr : dans la mesure où ce dernier ne s’était toujours pas spontanément récusé), il était douteux qu’il pût comprendre les tenants et aboutissants de l’analyse « raffinée » du Dr F______, pourvu d’un diplôme post-gradué de calcul numérique d’UNI-GE (ndr : soit un « certificat de calcul électronique », délivré en 1969 par « l’Université de Genève, institut interfacultaire de calcul électronique – Informatique scientifique » (cf. site LinkedIn de l’intéressé : https://ch.linkedin.com/in/gilles-r-m%C3%A9rier-40085557).

n. La défenderesse a également joint audit courrier trois « contre-expertises » du Dr F______, datées des 6 février, 22 juillet et septembre 2024, reprenant en substance la même argumentation que celle précédemment développée et proposant par ailleurs ses « réflexions d’un citizen scientist senior » pour contribuer à définir une nouvelle méthode d’évaluation de l’économicité.

Le jugement du Tribunal administratif de Schwyz du 28 mars 2024 révélait que l’expert E______ n’avait pas déduit les coûts induits par le médecin pris en compte, ce qui justifierait de dire que la « demande est outrancière » et relevait de la tentative d’escroquerie, respectivement avait justifié le dépôt d’une plainte du 5 mai 2024 contre le Dr E______ auprès du MPC, au motif qu’il « poursui(vai)t donc dans la falsification de ses expertises » (sic) ; ce dernier était systématiquement choisi (par le juge instructeur) et rendait ainsi des « ‘services’ grassement rétribués par SANTÉSUISSE ». De plus, contrairement aux prescriptions de ce jugement, la défenderesse n’avait pas reçu les noms des médecins composant le groupe de comparaison ainsi que, sous forme anonymisée, leurs données individuelles provenant du pool de comparaison. Les défauts intrinsèques de TARMED étaient dénoncés par la FMH et les assureurs depuis près de dix ans. Il n’était donc pas exclu que les « particularités, du moins une partie d’entre elles, identifiées par les Assureurs dans la facturation de la Dre A______, soient dues à ces défauts structurels (…) » ni « qu’une facturation basée sur ‘TARDOC + frais ambulatoires’ n’ait gommé, au moins atténué, les particularités dénoncées ».

o. Par courrier du 23 septembre 2024, les demanderesses ont en particulier indiqué que SANTÉSUISSE avait strictement appliqué en l’occurrence la méthode de sélection convenue par les partenaires tarifaires. Elle s’était en outre fondée sur un document intitulé « documentation de la mise en œuvre de l’indice de régression » élaboré en 2020 (ndr : sauf erreur, le 19 août 2020 : https://tarifsuisse.ch/assets/Downloads/2020_08_19_Dokumentation_Umsetzung_Regressionsmodell_Final_FR.pdf). Le taux d’incertitude n’avait certes pas été prévu contractuellement. Toutefois, au vu des recommandations de POLYNOMICS SA, et avant même l’arrêt 9C_135/2022, SANTÉSUISSE avait toujours tenu compte de ce facteur, aussi bien dans la détection des cas identifiés comme « hors norme » que dans l’analyse individuelle des cas. En effet, grâce aux outils scientifiques mis en œuvre par le contrat et audités par POLYNOMICS SA, il était possible de prendre en compte les « importantes grosses » variations de coûts moyens par malade. Il ressortait du rapport final de POLYNOMICS SA (not. p. 22) que, pour couper court à toute difficultés, SANTÉSUISSE avait systématiquement utilisé le « lower bound » du taux d’incertitude afin d’éviter de filtrer un médecin à tort. Tous les médecins filtrés avaient ainsi un « lower bound » supérieur à 130 points d’indice. En revanche, la marge de tolérance pour le calcul du montant théorique de rétrocession devait être de 120 points, car cet indice était plus précis que les anciens indices. Dans l’analyse des cas individuels, SANTÉSUISSE allait au-delà de l’indicateur d’incertitude et évaluait directement l’image des coûts des différents groupes de patients, le cas échéant, elle demandait des compléments d’information.

Aucun élément ne permettait de remettre en question la valeur ponctuelle des indices de régression retenus en l’espèce. Le seul doute subsistant était celui du groupe de comparaison, la pratique de la défenderesse étant plutôt assimilable à celle d’un médecin interniste généraliste. Néanmoins, SANTÉSUISSE se ralliait aux conclusions de l’expert, à savoir que le groupe des endocrinologues / diabétologues était adéquat et de facto plus favorable à la défenderesse. La défenderesse ayant refusé de collaborer à l’expertise, on ne saurait émettre des hypothèses sans les données expressément sollicitées par l’expert. Ainsi ce dernier n’avait pas pu disposer de l’agenda de l’intéressée ; il aurait aussi pu recueillir divers renseignements de vive voix de sa part ; il aurait encore pu examiner les prétendus dossiers les plus lourds. De telles analyses lui auraient permis d’examiner si la pratique de la défenderesse mettait en évidence un nombre de patients lourdement atteints proportionnellement plus important que celui du groupe auquel elle avait été comparée. Ainsi, l’analyse aurait peut-être pu mettre en évidence un éventuel biais statistique (hypothèse évoquée par l’expert) ou plutôt d’éventuelles particularités de sa pratique, comme elle aurait tout aussi bien pu démontrer le contraire et confirmer que sa pratique était parfaitement comparable au groupe et ne présentait aucune particularité. On ignorait le pourcentage de travail de la défenderesse, ou la façon dont elle s’organisait. De toute façon, le fait de comparer le coût moyen par malade permettait d’établir une réelle comparaison sans avoir à connaître son temps de travail ; le choix pour un médecin de travailler à temps partiel ne constituait pas une particularité à prendre en compte au regard de l’économicité.

p. Par courrier du 30 septembre 2024, le tribunal a accordé à la défenderesse un délai au 15 octobre 2024 pour faire valoir ses observations éventuelles, tout en l’informant qu’ensuite de quoi, l’affaire serait en principe gardée à juger.

q. Par courrier du 15 octobre 2024, la défenderesse n’a formulé aucune remarque sur les dernières observations des demanderesses, se limitant à renvoyer à ses précédentes écritures et à critiquer une nouvelle fois les aptitudes mentales de leur mandataire. Elle a fait valoir que « l’analyse fine et brillante de l’expert suisse G. F______ est l’axe principal du rejet de la demande abusive de Santé Suisse visant à rançonner nos médecins et thérapeutes dont la signataire. Ces magistrats laquais déficients ne sont que les exécutant de Santé Suisse ». Elle a réitéré ses invectives et accusations à l’encontre des membres du tribunal, demandé derechef la récusation du juge instructeur et annoncé le dépôt d’une plainte contre les juges précités auprès de la Cour pénale internationale. Leur combat (ndr : de la défenderesse et du Dr D______) visait à « sauver les justiciables, citoyens, patriotes et médecin de juges transhumanistes, criminels, psychopathes, machiavéliques et narcissiques tout puissants : Triade noire » (sic), de sorte à obtenir que tous les juges du TAA et le Dr E______ soient traduits en justice et condamnés à hauteurs de leurs crimes. La Constitution débutait par « ‘Au nom de Dieu Tout‑Puissant, le peuple et les cantons suisses’, ce qui légitime et éclaire notre position ».

Cette dernière missive est également adressée en copie aux destinataires précités.

EN DROIT

 

1.             Préliminairement, vu l’identité des parties et l'étroite connexité des cas, il convient, par économie de procédure, de prononcer la jonction des causes A/2603/2019 et A/190/2020 requise par les demanderesses (art. 70 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). Le tribunal ne rendra ainsi qu'un seul arrêt dans ces deux procédures sous le numéro de cause A/2603/2019.

2.              

2.1 Selon l'art. 89 al. 1 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), les litiges entre assureurs et fournisseurs sont jugés par le Tribunal arbitral. Est compétent le Tribunal arbitral du canton dont le tarif est appliqué ou dans lequel le fournisseur de prestations est installé à titre permanent (art. 89 al. 2 LAMal). Le Tribunal arbitral est aussi compétent si le débiteur de la rémunération est l'assuré (système du tiers garant, art. 42 al. 1 LAMal) ; en pareil cas, l'assureur représente, à ses frais, l'assuré au procès (art. 89 al. 3 LAMal). La procédure est régie par le droit cantonal (art. 89 al. 5 LAMal).

Le Tribunal établit les faits d'office et apprécie librement les preuves (art. 19 et 20 LPA ; art. 45 al. 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 29 mai 1997 (LaLAMal - J 3 05).

2.2 En l'espèce, la qualité de fournisseur de prestations au sens des art. 35 ss LAMal et 38 ss de l'ordonnance sur l'assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102) de la défenderesse n'est pas contestée. Quant aux demanderesses, elles entrent dans la catégorie des assureurs au sens de la LAMal. Par ailleurs, le cabinet de la défenderesse est installé à titre permanent à Genève.

La compétence du Tribunal arbitral du canton de Genève est dès lors acquise ratione materiae et loci.

2.3 La défenderesse a conclu à l’irrecevabilité ratione temporis des demandes, motif pris, autant qu’on la comprenne, de l’absence d’une conciliation préalable des parties. Elle fait en substance valoir que, faute d’avoir obtenu des informations complètes sur la méthode de régression, elle ne disposait pas d’informations suffisantes « lui permettant d’aborder la conciliation de façon très constructive et précise ». Indépendamment de son bien-fondé, pareil argument doit être écarté, déjà parce que la loi ne pose aucune condition particulière concernant les modalités de la conciliation. Elle exige uniquement que le cas ait été soumis à tentative de conciliation sous l’égide du président du tribunal arbitral (art. 41 et 45 al. 2 aLaLAMal), étant précisé que pour les procédures pendantes au moment de l’entrée en vigueur des modifications du 1er mars 2024, le Tribunal arbitral siège dans la composition prévue à l’art. 42 dans sa teneur jusqu’au 11 mai 2024 (art. 51 al. 13 LaLAMal). Tel a bien été le cas en l’espèce.

Certes, l'un des objectifs de l'art. 56 al. 6 LAMal – selon lequel les fournisseurs de prestations et les assureurs prévoient dans les conventions tarifaires des mesures destinées à garantir le caractère économique des prestations – est de rendre le calcul du caractère économique des prestations transparent et compréhensible notamment pour les médecins (ATF 144 V 79 consid 5.3.1). Toutefois, un éventuel défaut des informations requises dans ce contexte pourrait entraîner, tout au plus, l’échec d’une procédure de conciliation et ne saurait être sanctionné par une décision d'irrecevabilité ratione temporis de la demande au fond.

Au demeurant, on peut sérieusement douter de la volonté de concilier de la défenderesse qui s’est déclaré d’emblée victime d’une « tentative de chantage et d’extorsion de la part de SANTÉSUISSE », accusée de vouloir lui « faire signer un accord confidentiel de plusieurs centaines de milliers de francs ».

Mal fondé, le moyen tiré d’une absence de tentative préalable de conciliation doit être rejeté.

Partant, le tribunal de céans est également compétent ratione temporis.

3.             Respectant les conditions de forme prescrites par les art. 64 al. 1 et 65 LPA, applicable par renvoi de l’art. 45 al. 3 LaLAMal, les demandes sont recevables.

4.             Le litige porte sur la question de savoir si la pratique de la défenderesse pendant les années statistiques 2017 et 2018 est ou non contraire au principe de l'économicité, et dans l'affirmative, si et dans quelle mesure, les demanderesses sont habilitées à lui réclamer le trop-perçu.

4.1 La demande de remboursement se fonde sur l'art. 59 al. 1 let. b LAMal (ATF 141 V 25 consid. 8.3). Le droit à la restitution selon l'art. 59 al. 1 let. b LAMal est soumis à un délai de péremption relatif d'un an, mais au plus tard cinq ans après le versement des prestations, selon l'art. 25 al. 2, 1ère phr. de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1), dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), applicable en l’espèce. Selon le Tribunal fédéral, il n'est pas arbitraire, faute d'éléments établissant le contraire, de retenir comme point de départ du délai de péremption, la date figurant sur les documents intitulés « préparation des données » et correspondant à la prise de connaissance par les caisses-maladie des statistiques légitimant leurs réclamations (ATF 150 V 129 consid. 2.2).

4.2 Les statistiques de SASIS SA pour les années 2017 et 2018 ont été préparées respectivement le 17 juillet 2018 et le 17 juillet 2019. Les demanderesses devraient donc en avoir pris connaissance, au plus tôt, le même jour. Le droit au remboursement qui en découle n'était donc pas encore périmé au moment de l'introduction des demandes en paiement déposées devant le tribunal de céans, respectivement les 8 juillet 2019 et 14 janvier 2020. À juste titre, la défenderesse ne le conteste pas.

5.             Les prestations facturées à la charge de l'assurance obligatoire des soins doivent être efficaces, appropriées et économiques (art. 32 al. 1 LAMal). Le fournisseur de prestations doit limiter ses prestations à ce qui est dans l'intérêt des assurés et nécessaire au but du traitement (art. 56 al. 1 LAMal). Des sanctions sont prises à l'encontre des fournisseurs de prestations qui ne respectent pas les exigences d'économicité et de qualité prévues par la loi. Il s'agit notamment du remboursement total ou partiel des honoraires perçus pour des prestations inappropriées (art. 59 al. 1 let. b, et al. 3 let. a LAMal).

6.             Il y a polypragmasie lorsqu'un médecin, en comparaison avec d'autres médecins dans le même bassin de population et avec à peu près le même type de malades, facture en moyenne nettement plus, sans pouvoir faire valoir des particularités qui influencent la moyenne (ATF 137 V 43 consid. 2.2 ; 136 V 415 consid. 6.2). La condition préalable à l'évaluation du caractère économique selon la méthode statistique est tout d'abord que le groupe de référence soit composé de manière suffisamment similaire (ATF 137 V 43 consid. 2.2). Selon la jurisprudence en vigueur avant l'introduction de la méthode de screening (applicable à partir de l'année 2017), pour présumer l'existence d'une polypragmasie, il ne suffit pas que la valeur moyenne statistique (indice de 100, exprimé généralement en pour cent) soit dépassée. Il faut systématiquement tenir compte d'une marge de tolérance (ATF 119 V 448 consid. 4c in fine) et, le cas échéant, d'une marge supplémentaire à l'indice-limite de tolérance (arrêt du Tribunal fédéral 9C_570/2015 du 16 juin 2016 consid. 3.4). La marge de tolérance ne doit pas dépasser l'indice de 130 afin de ne pas vider la méthode statistique de son sens et doit se situer entre les indices de 120 et de 130 (arrêt du Tribunal fédéral 9C_821/2012 du 12 avril 2013 consid. 5.2.3). Cette marge sert à tenir compte des particularités et des différences entre cabinets médicaux ainsi que des imperfections de la méthode statistique en neutralisant certaines variations statistiques (arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2010 du 27 décembre 2011, consid. 4.3). En outre, selon la pratique actuelle, il convient de tenir compte d'une moyenne plus élevée des coûts par cas en raison d'effets de coûts spécifiques au cabinet médical par un supplément (à la valeur de tolérance), pour autant que les particularités du cabinet médical en question ne soient pas déjà prises en compte dans le cadre de la méthode applicable (ATF 137 V 43 consid. 2.2). Un supplément se justifie donc par des caractéristiques telles qu'un très grand nombre de patients de longue date et/ou âgés, un nombre de visites à domicile supérieur à la moyenne, une très forte proportion de patients étrangers ou le fait qu'aucun patient n'est traité en urgence (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_129/2023 du 4 mars 2024 consid. 4.1). Un effet de cabinet doit être démontré – dans la mesure du possible – à l'aide de données de cabinet et de valeurs statistiques comparatives ; les particularités dont l'efficacité en termes de coûts ne peut pas être chiffrée par voie statistique peuvent également être évaluées par voie analytique (à l'aide de dossiers de patients ou de factures sélectionnés) (ATF 150 V 129 consid. 5.2.4).

7.             La question de savoir si l'on est en présence d'une activité médicale ambulatoire non économique et – le cas échéant – la demande de remboursement s'apprécient selon des conditions différentes. Pour l'économicité, une considération globale de tous les coûts qui dépendent du comportement du médecin est déterminante. L'indice des coûts totaux comprend les coûts directs et induits par malade, donc également ceux des médicaments prescrits, des prestations de laboratoire, des moyens et appareils ainsi que de la physiothérapie. Si l'indice global des coûts se situe en dehors de la plage de tolérance, le principe d'économicité n'est pas respecté. Dans ce cas, l'obligation de remboursement doit être examinée. Une demande de remboursement est justifiée dans la mesure où l'indice des coûts directs (totaux) par malade dépasse également la valeur de tolérance. En conséquence, seuls les coûts directs liés à la pratique du médecin (y compris les médicaments remis par le médecin concerné) sont récupérables (ATF 137 V 43 consid. 2.5). Le calcul du montant à rembourser doit se baser sur l'indice des coûts directs, puisque l'obligation de remboursement ne se rapporte qu'à ces derniers (ATF 133 V 43 consid. 2.5.1-2.5.5 ; arrêt du Tribunal 9C_535/2014 du 15 janvier 2015 consid. 5.2 in fine).

7.1 La jurisprudence part du principe – sur la base de la situation antérieure à l'introduction du modèle de screening – que le caractère économique peut être vérifié aussi bien par la méthode statistique (comparaison des coûts moyens) que par la méthode analytique (examen au cas par cas) – ou par une combinaison des deux méthodes. La méthode statistique repose sur des statistiques que les assureurs établissent sur la base des remboursements facturés (art. 76 let. b OAMal) ; les différentes prestations facturées sont alors attribuées au titulaire du numéro de registre des codes-créanciers mentionné sur le décompte concerné (ATF 135 V 237 consid. 4.6.1).

7.2 Conformément au mandat légal de l'art. 56 al. 6 LAMal, la Fédération des médecins suisses (FMH : Foederatio Medicorum Helveticorum) et les associations d'assureurs-maladie (SANTÉSUISSE et CURAFUTURA) se sont mises d'accord, dans un accord conclu les 27 décembre 2013/16 janvier 2014, sur la méthode de calcul des coûts, le contrat s'est d'abord basé sur l'analyse de la variance (« Analysis of Variance », ANOVA) comme méthode statistique de contrôle de l'économicité.

Le 20 mars 2018, les partenaires tarifaires se sont mis d'accord sur la méthode de screening. La convention 2018 s'applique à toutes les procédures de contrôle de l'économicité à partir de l'année statistique 2017. Il s'agit d'un développement de la méthode ANOVA. La méthode de screening consiste en une analyse de régression en deux étapes. Au premier niveau, les facteurs de morbidité actuels « âge » et « sexe » – concernant les patients – sont complétés par les indicateurs « groupes de coûts pharmaceutiques », « franchises » et « séjour à l'hôpital ou en EMS au cours de l'année précédente ». Les indicateurs de second niveau concernant le fournisseur de prestations (groupe de spécialistes et canton d'implantation) restent inchangés. La convention renvoie à la description de la méthode de screening ou de l'analyse de régression à deux niveaux dans le rapport final de POLYNOMICS SA de septembre 2017 précité. Les partenaires tarifaires considèrent que la méthode de dépistage convenue n'est qu'une « première étape » ; elle doit être appliquée pour « la détection des médecins dont les coûts sont anormaux selon la LAMal ».

Pour être complet, il convient de mentionner une version actualisée de la convention sur la méthode de dépistage du 1er février 2023 (en vigueur depuis le 1er janvier 2023) (ci-après : convention 2023 : https://www.fmh.ch/files/pdf29/vertrag-art-v1.pdf), postérieure à la période litigieuse. Cette dernière convention perfectionne la méthode de sélection en y ajoutant des variables de morbidité (https://www.fmh.ch/fr/prestations/tarifs-ambulatoires/infolettre-tarifs-ambulatoires/09072024-controle-economie.cfm).

Celle-ci explique en outre le modèle : pour les fournisseurs de prestations présentant des valeurs d'indice élevées, une première analyse interne de cas individuels est effectuée par SANTÉSUISSE et/ou l'assureur, entre autres sur la base du rapport de régression (ch. 2, al. 4). Le fournisseur de prestations a l'occasion d'exposer son point de vue, c'est-à-dire de montrer de manière objective et compréhensible « les éventuelles particularités du cabinet non prises en compte dans le cadre de la méthode de screening, qui distinguent considérablement son cabinet des fournisseurs de prestations de son collectif de comparaison et qui entraînent donc une valeur d'indice de régression élevée ». Les faits en question doivent être examinés par SANTÉSUISSE et/ou l'assureur et, s'ils sont pertinents, être pris en compte. Si le fournisseur de prestations fait valoir des particularités de pratique, il est « tenu d'en apporter la preuve » (ch. 2, al. 5). Il est en tout temps libre de « mandater des représentants juridiques ou d'autres experts et de les associer aux négociations ou à la procédure » (al. 6). La convention actualisée ne limite pas « la compétence des assureurs à faire valoir et à imposer d'éventuelles autres prétentions qui s'appuient sur une autre base que la présente convention de screening (p. ex. contrôles de cas individuels, méthode analytique, controlling tarifaire, contrôles des factures, respectivement contrôles rétrospectifs systématiques des factures, comparaisons des coûts moyens) » (ch. 7 al. 1) (cf. ATF 150 V 129 consid. 4.3).

7.3 La méthode de screening en tant que telle est de nature statistique. La méthode ANOVA et, par conséquent, la méthode de screening, constituent un développement de la comparaison des coûts moyens. La valeur individuelle du cas (c'est-à-dire les coûts de l'assureur-maladie générés en moyenne par patient par le fournisseur de prestations contrôlé pendant une période donnée par des prestations propres ou de tiers) est comparée à la valeur du cas d'un groupe de référence approprié (valeur du cas de groupe) (GEBHARD EUGSTER, Wirtschaftlichkeitskontrolle ambulanter ärztlicher Leistungen mit statistischen Methoden, 2003, ch. 498). Une comparaison des coûts moyens indique une surmédicalisation lorsqu'un nombre important de factures du même médecin adressées à une caisse-maladie est en moyenne nettement plus élevé que le nombre de factures de médecins exerçant dans le même domaine d'activité géographique et ayant à peu près le même type de malades, sans que des particularités influençant la moyenne puissent être invoquées (ATF 137 V 43 consid. 2.2). Le calcul des indices se fait sur la base des données des assureurs (pool de données et de tarifs de SASIS SA, une entreprise du groupe SANTÉSUISSE).

L'objectif d'établir une comparabilité via la définition du groupe de référence est poursuivi au moyen d'une analyse dite de régression. Dans le langage statistique, le terme « régression » désigne l'influence d'une variable (indépendante) (ici, par exemple, la morbidité du collectif de patients) sur une variable cible (qui en dépend) (ici, les coûts du cabinet médical ; cf. DARIO PICECCHI, Das Wirtschaftlichkeitsgebot im Krankenversicherungsrecht, 2022, n° 566). À l'aide de paramètres ou de coefficients de régression pondérés, on détermine dans quelle mesure la morbidité, par exemple, a une incidence sur les coûts dans un cas concret. Cela permet de standardiser les effets reconnus spécifiques au cabinet médical, c'est-à-dire de normaliser les écarts concernés à la valeur moyenne du groupe de comparaison concerné. Une telle neutralisation de facteurs indépendants du comportement et ayant une incidence sur les coûts permet en fin de compte d'isoler l'effet sur les coûts d'un traitement non économique. À l'aide de paramètres ou de coefficients de régression pondérés, on détermine dans quelle mesure la morbidité, par exemple, a une incidence sur les coûts dans un cas concret. Les écarts par rapport aux coûts moyens du groupe de spécialistes concerné, qui sont dus à des maladies chroniques coûteuses dont la fréquence est supérieure à la moyenne dans le collectif de patients, sont saisis et distingués des anomalies dues à un traitement inefficace (ATF 150 V 129 consid. 4.4.1).

À la différence de la comparaison initiale des coûts moyens, l'analyse de variance (méthode ANOVA) a d'abord permis de standardiser les coûts des différents fournisseurs de prestations par rapport aux caractéristiques statistiquement significatives que sont l'âge et le sexe des patients ainsi que le canton dans lequel l'activité médicale ambulatoire est exercée : Les coûts sont présentés comme si la répartition par âge et par sexe était la même dans le cabinet examiné que dans le groupe de comparaison dans son ensemble ; de même, on simule que tous les fournisseurs de prestations exercent dans le même canton (arrêt du Tribunal fédéral 9C_558/2018 du 12 avril 2019 consid. 7.1). Cette dernière solution permet de profiter de l'avantage d'un groupe de comparaison aussi grand que possible – à l'échelle nationale – (cf. ATF 144 V 79 consid. 6.1) tout en tenant compte des différents niveaux de coûts cantonaux (différences cantonales concernant les valeurs du point TARMED, différents coûts d'infrastructure et de personnel, etc.) (PICECCHI, op. cit., ch. 555) (ATF 150 V 129 consid. 4.4.1).

La méthode de screening applicable à partir de l'année statistique 2017 complète les facteurs de morbidité « âge » et « sexe » contenus dans le modèle ANOVA par les indicateurs « PCG », « franchises » et « séjour à l'hôpital ou en EMS l'année précédente ». Cette extension à des facteurs de morbidité supplémentaires a pour but de saisir les écarts par rapport aux coûts moyens du groupe de spécialistes concerné, qui sont dus à des maladies chroniques coûteuses dont la fréquence est supérieure à la moyenne dans le collectif de patients, et de les distinguer des anomalies dues à un mode de traitement inefficace (ATF 150 V 129 consid. 4.4.1).

8.             La différence entre la valeur moyenne des coûts du fournisseur de prestations évalué – modifiée à l'aide de la méthode de screening, c'est-à-dire de l'analyse de régression à deux niveaux – et la valeur de référence (fixée à 100 points) du groupe de comparaison correspondant (plus la marge de tolérance) indique tout d'abord uniquement s'il existe une anomalie ; elle fonde un soupçon correspondant. La valeur d'indice « anormale » déterminée dans le cadre de la procédure de dépistage correspond pour ainsi dire à un « red flag », un signal d'alarme concernant un traitement éventuellement non économique. L'examen au cas par cas indiqué dans ce cas, c’est-à-dire l’examen des éventuelles particularités du cabinet, permet ensuite de déterminer si le caractère économique de la fourniture de prestations, remis en question auparavant, est effectivement violé au sens de l'art. 59 LAMal. Seule cette constatation complète peut servir de base à une action en remboursement auprès du Tribunal arbitral cantonal (cf. art. 59 al. 2 LAMal) (ATF 150 V 129 consid. 5.3.1). Une anomalie constatée lors du screening déclenche une procédure de constatation correspondante ; il s'agit de la « deuxième étape » de l'examen de l'économicité, qui ne doit d'ailleurs pas être confondue avec la « double étape » de l'analyse de régression (cf. ci-dessus consid. 7.2).

8.1 Le pendant de la méthode de comparaison statistique est la méthode analytique d'examen au cas par cas, également appelée méthode systématique. Elle consiste en une évaluation concrète de l'économicité des différentes factures d'un fournisseur de prestations. Il s'agit de déterminer si les dépenses diagnostiques et thérapeutiques étaient justifiables compte tenu du tableau clinique et du succès de guérison visé (ATF 150 V 129 consid. 4.4).

8.2 En fonction de la situation, il faudra bien sûr continuer à recourir à des dossiers de patients sélectionnés ; il n'est ainsi pas exclu que des particularités de cabinet dont l'efficacité en termes de coûts n'est pas chiffrable par la voie statistique soient analysées avec le concours d'un médecin-conseil sur la base de l'évaluation par échantillonnage d'un nombre représentatif de factures concrètes. À noter que le pouvoir discrétionnaire de sélection méthodologique ne va pas jusqu'à autoriser le recours à un autre type d'examen, pour ainsi dire sans condition, en lieu et place de la méthode de screening et de l'éventuelle évaluation au cas par cas qui s'ensuit (cf. contrat relatif à la méthode de screening dans sa version du 1er février 2023, ch. 7, al. 1). Un tel arbitraire méthodologique porterait atteinte aux garanties d'un contrôle uniforme et approprié du caractère économique, auquel le législateur a contraint les acteurs concernés par l'art. 56 al. 6 LAMal (ATF 150 V 129 consid. 5.2).

8.3 Le fait qu'un facteur ayant un impact sur les coûts soit intégré dans le modèle de screening n'exclut pas d'emblée un examen plus approfondi de son effet en tant que particularité du cabinet. Autrement dit, il peut être tenu compte des particularités du cabinet médical, qui se rapportent aux propriétés du collectif de patients, sur la base des dossiers des patients ou de statistiques pour autant que ces particularités n'aient pas déjà été standardisées dans le cadre de l'analyse de régression. La question de savoir dans quelle mesure les facteurs d'âge et de (multi)morbidité cités, bien que fondamentalement standardisés par la procédure de screening, sont effectivement entièrement représentés dans l'indice (provisoire), doit être clarifiée dans le cadre d'un examen au cas par cas. Selon le résultat de l'analyse de cas individuels (basée sur le dossier et/ou sur des statistiques), la différence entre la valeur de l'indice du cabinet concerné et l'indice de référence, déterminée par l'analyse de régression (screening), doit être diminuée de l'effet en question (ATF 150 V 129 consid. 5.5.3).

8.4 Enfin, un indicateur d'incertitude est calculé dans le modèle d'analyse de régression. Celui-ci représente la dispersion dans les données de coûts et peut être interprété de la manière suivante : Si un médecin s'écarte dans une mesure similaire des coûts prédits par le modèle pour tous ses groupes de patients, l'indicateur d'incertitude est faible. En revanche, si les coûts de certains groupes de patients s'écartent très fortement et positivement, alors que d'autres s'écartent à peine ou très négativement, l'indicateur d'incertitude est élevé. L'indicateur d'incertitude tient donc compte du fait que les coûts d'un médecin peuvent varier sensiblement entre les groupes de patients. Dans le cadre de l'analyse, l'indicateur d'incertitude fournit de précieuses indications sur la robustesse des résultats (ATF 150 V 129 consid. 5.5.4 ; ATAS/802/2023 du 20 octobre 2023 consid. 10.1).

9.             En l’espèce, on relèvera, préalablement, que les conclusions subsidiaires des demanderesses tendant au paiement de CHF 117'854.- (2017) et CHF 130'044.90 (2018), selon l'indice ANOVA, doivent être rejetées, car il n'existe plus de base à cet effet dans la convention 2018 à partir de l'année statistique 2017.

10.          

10.1 La défenderesse conteste la fiabilité et le manque de transparence, respectivement l’applicabilité de la méthode statistique, singulièrement de la méthode de régression.

10.2 Pareille argumentation ne saurait être suivie. Dans l’ATF 150 V 129 précité, le Tribunal fédéral a, au contraire, confirmé l'application du contrôle de l'économicité à l'aide de la méthode de régression en deux étapes, même s’il a jugé qu’en tant que telle, la première étape ne permettait pas, à elle-seule, d’établir une pratique non économique. Par ailleurs, cette méthode a affiné la méthode ANOVA notamment dans l'intérêt des fournisseurs de prestations, en ce sens qu'elle reflète mieux la morbidité des patients et améliore la précision et la prise en compte de la spécificité de la pratique du médecin concerné dans le cadre du contrôle de l'économicité : les fournisseurs de prestations qui facturent correctement ne sont pas identifiés de manière injustifiée comme travaillant de manière non économique (cf. aussi ATAS/567/2023 du 7 juillet 2023 consid. 16.3 et 16.6). La méthode de screening de l'analyse de régression à deux niveaux se base sur le rapport final de POLYNOMICS SA, qui fait partie intégrante du contrat en tant qu'annexe. Le rapport peut être consulté en ligne (www.tarifsuisse.ch). Il décrit en détail la méthode et tous les paramètres à prendre en compte. Il est en outre défini dans le contrat que la méthode de screening s'effectue sur la base des données de la branche des assureurs (pool de données et de tarifs de SASIS SA), ce qui évite toute ambiguïté quant à la base de données. La FMH, en tant que représentante des fournisseurs de prestations, explique également la méthode de screening dans sa prise de position du 12 décembre 2019 (publiée sur www.fmh.ch). Selon la FMH, l'analyse de régression à deux niveaux représente une nette amélioration. Même si elle affirme en outre que la méthode doit encore être améliorée, elle reconnaît néanmoins qu’elle est scientifiquement fondée et globalement transparente ; les variables de morbidité utilisées remplissent les exigences de la FMH dans le cadre de ce qui est actuellement réalisable (prise de position, p. 4) (voir également « Evaluation d’économicité SANTÉSUISSE : Documentation de la mise en œuvre du modèle de régression » du 14 novembre 2023 : https://tarifsuisse.ch/assets/Downloads/2023_11_14_Dokumentation_Umsetzung_Regressionsmodell_FR.pdf).

C’est le lieu de relever qu’en ce qui concernait l'examen du caractère économique selon la méthode ANOVA, le Tribunal fédéral a jugé que celle-ci ne devait être remise en question ni en tant que modèle mathématique, ni en ce qui concernait la base de données (RSS) et qu’il n'était est pas nécessaire d'exposer la « méthodologie », notamment la manière dont les paramètres étaient pris en compte dans l'indice ANOVA, dans la mesure où cette méthode a été convenue par les fournisseurs de prestations et les assureurs (ATF 144 V 79 consid. 5.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_558/2018 du 12 avril 2019 consid. 7.2 ; cf. aussi déjà l'arrêt K 142/05 du 1er mars 2006 consid. 8.1.1). La jurisprudence n’impose pas que l’élaboration de la statistique soit explicitée en détail (comp. en matière de statistiques RSS et ANOVA : arrêts du Tribunal fédéral 9C_784/2023 du 4 septembre 2024 consid. 5.1 et 9C_558/2018 du 12 avril 2019 consid. 7.2). A fortiori, il doit en aller de même dans l'analyse de régression affinée à deux niveaux selon la convention 2018, dont le Tribunal fédéral a rappelé qu’elle était de nature statistique (ATF 150 V 129 consid. 4.3 et 4.4). Concernant cette méthode, la Haute Cour n’exige du reste pas non plus une complète transparence à cet égard : « Gleichzeitig bleibt aber intransparent, ob die einbezogenen Faktoren die tatsächlichen Verhältnisse effektiv abbilden » (ATF 150 V 129 consid. 5.2.2).

De ce point de vue, il est donc indifférent que la défenderesse n’ait pas compris, malgré la demande d’éclaircissements qu’elle allègue avoir adressée à la FMH, comment les algorithmes utilisés dans la méthode de régression avaient tenu compte de ses quatre cas particulièrement onéreux (patients A, B, C et D).

10.3 Au reste, le Dr F______, qui est finalement intervenu à la procédure en qualité d’expert privé, sur mandat de la défenderesse (cf. aussi dans ce sens ch.2 al. 6 convention 2023), a lui-même rappelé que le « consensus actuel » considérait cette méthode « comme fiable » (observations, p. 3).

10.4 Contrairement à ce que le Dr F______ semble admettre, le fait que le TARMED contienne des « défauts conceptuels majeurs » que le TARDOC « allait corriger en 2026 », n’implique pas per se que le mode de facturation de la défenderesse serait, pour ainsi dire, rétrospectivement justifié par le TARDOC.

10.5 Certes, à l’avenir, la disponibilité d’une nomenclature des diagnostics et de méthodes exploitant des algorithmes d’intelligence artificielle et de « deep learning » rendront probablement la méthode de régression obsolète. C’est du reste précisément pour ce motif que les fournisseurs de prestations et les assureurs ont convenu de continuer à développer ensemble le modèle d'analyse de la variance et de le compléter notamment par des variables de morbidité (cf. convention 2018, ch. 7). Les parties se sont ainsi engagées à améliorer régulièrement la méthode en concertation avec la FMH sur la base des nouvelles données et/ou connaissances disponibles. Une rencontre annuelle entre la FMH, SANTÉSUISSE et CURAFUTURA est organisée à cet effet (ibid.). À l'avenir, le modèle statistique devrait prendre en compte le plus grand nombre possible de facteurs externes influant sur les coûts et non directement influençables par le comportement du médecin.

En l’occurrence, il n'y a cependant pas lieu de déterminer dans quelle mesure il sera possible, dans le futur, sur la base de telles possibilités techniques, d’évaluer plus précisément l’économicité de la pratique de la défenderesse (comp. s’agissant de l’évolution technique dans le domaine des mécanismes de saisie et de contrôle des factures des médecins : arrêt du Tribunal fédéral 9C_663/2023 du 24 juin 2024 consid. 5.3 ; dans le même ce sens : arrêt du Tribunal fédéral 9C_567/2007 du 25 septembre 2008 consid. 1.2, selon lequel le caractère efficace, approprié et économique d’un traitement doit être évalué en fonction des connaissances scientifiques au moment de la thérapie ; voir aussi ATF 144 V 79, dans lequel le Tribunal fédéral a admis que l'accord des fournisseurs de prestations et des assureurs sur la méthode ANOVA pour le contrôle de l’économicité ne pouvait pas être qualifié d'illégal, malgré en particulier les possibilités d'améliorer le système prévu (arrêt 9C_150/2020 du 12 juin 2020 consid. 3.3.1). Ainsi, à peine de statuer de lege ferenda, le tribunal de céans ne saurait, en l’état des connaissances et techniques actuelles, procéder au changement de jurisprudence que la défenderesse semble appeler de ses vœux en préconisant une analyse « conceptuellement disruptive » (cf. observations du Dr F______, p. 3). Au demeurant, comme le Dr F______ l’a lui-même souligné, la science ne permet pas d’atteindre « la certitude de la vérité », mais uniquement de réduire progressivement les incertitudes, et si l’intelligence artificielle va considérablement influencer la partie ‘ science’ de la pratique médicale, elle n’influencera sans doute pas ou peu la partie ‘ art’, qui différencie culturellement les médecins ; même les techniques modernes d’intelligence artificielle butent sur la qualité des données primaires, un algorithme ne contenant pas en lui-même un filtre permettant de distinguer une donnée fiable d’une donnée fausse » (cf. « expertise » du 6 février 2024).

On peut néanmoins observer que cette argumentation se retourne d’une certaine façon contre la défenderesse, dans la mesure où elle a refusé de collaborer à l’expertise. POLYNOMICS SA, qui a expertisé la méthode de l’indice de régression pour en valider la pertinence, a relevé que ses imperfections ne devaient précisément pas conduire à la disqualifier, puisque cette méthode ne devait être conçue que comme une première étape de sélection, devant forcément être suivie d’un examen individualisé de la pratique mise en évidence par les statistiques (cf. Olivier FRANCIOLI, « L’indice de régression : la nouvelle méthode statistique utilisée par santésuisse », 10 mars 2020 : https://www.maviedemedecin.ch/articles/l-indice-de-regression). Autrement dit, c’est en raison même des imperfections de la méthode de régression qu’elle critique qu’un devoir de collaboration accru s’imposait à la défenderesse, afin d’expliciter les particularités de sa pratique, singulièrement la partie « art » de celle-ci.

C’est le lieu de relever qu’il semble avoir échappé à la défenderesse que, conformément au mandat légal, il appartient à ses représentants, soit à la FMH, qui a cosigné la convention 2018 – et non au tribunal de céans, qui n’a pas pour vocation d’être érigé en tribune politique – d’améliorer régulièrement, en partenariat avec SANTÉSUISSE, la méthode visant à contrôler le caractère économique des prestations convenue entre les fournisseurs de prestations et les assureurs (cf. art. 56 al. 6 LAMal ; Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 21 janvier 2011, FF 2011 2359).

10.6 La défenderesse fait valoir qu’en 2018, elle avait effectué 1’520 consultations alors que 39% du groupe de comparaison en avait réalisé plus de 2'000. Les statistiques de SANTÉSUISSE intégraient des médecins ayant plus de 2'500 consultations, et pour l’un d’eux plus de 45'000 consultations, respectivement plus de 8'000 patients. Il apparaissait impossible qu’un médecin indépendant pût effectuer autant de consultations ou recevoir autant de patients.

En tant que tels, pareils arguments ne permettent pas d’exclure que les médecins du groupe de comparaison ont globalement une pratique similaire à celle de la défenderesse. Partant, ils ne sont pas pertinents pour conclure à l’absence de représentativité du groupe de comparaison, respectivement à une différence déterminante entre les caractéristiques essentielles des cabinets du groupe de comparaison et celles du médecin contrôlé susceptible de rendre impossible une comparaison des coûts moyens.

En effet, les coûts moyens déterminants ne le sont pas par médecin consulté, mais par patient (ou par cas de traitement), sur la base des factures remboursées par les assureurs aux patients, si bien qu’il est en principe possible de procéder à une telle comparaison des coûts même dans le cas d'un cabinet de groupe avec plusieurs médecins, en mettant en relation les coûts de l'ensemble du cabinet de groupe avec le nombre total de patients qui y sont traités. La comparaison des coûts n'est rendue plus difficile que si des médecins de différentes spécialités travaillent dans le cabinet de groupe (cf. ATF 135 V 237 consid. 4.6.4). C'est le lieu de rappeler que la méthode statistique se fonde sur le coût moyen par patient, lequel n'est pas directement lié au nombre de consultations ou de clients traités, au taux d'activité du médecin, à son chiffre d'affaires ou au niveau général des coûts de la santé. Le revenu, faible ou élevé, du médecin ne joue aucun rôle. Le contrôle d'économicité ne vise pas à imposer un plafond de revenu aux médecins. Le nombre de patients n’augmente pas ou ne diminue pas le besoin de traitement au niveau du patient individuel (ATAS/1043/2020 du 3 novembre 2020 consid. 14b ; ATAS/1065/2021 du 30 novembre 2021 consid. 17b.d ; Valérie JUNOD, Polypragmasie : Analyse d'une procédure controversée, Cahiers Genevois et romands de sécurité sociale 2008, p. 48 no 2.8.4).

À cela s’ajoute que, pour l’année statistique 2018, le groupe de comparaison comprend 118 médecins – ce nombre permet le cas échéant d'atténuer l'éventuelle influence sur les résultats que pourrait avoir le fait que certains d'entre eux ne pratiqueraient pas en cabinet médical individuel (comp ATAS/1043/2020 du 3 novembre 2020 consid. 17 et 20.d).

10.7 C’est en vain que la défenderesse laisse entendre que la formation d’un groupe de comparaison différent serait justifiée par les grandes différences dans le nombre de consultations effectuées au motif que de multiples consultations sont nécessaires dans le cas des patients diabétiques ou polymorbides, voire en raison de difficultés de compréhension du français, évoquées, au demeurant, pour la première fois, par le Dr F______ dans sa prise de position du 3 juillet 2024. D’une part, il n’est pas démontré que la défenderesse aurait, comparativement à ses confères du groupe de contrôle, plus de patients diabétiques ou non francophones. D’autre part, la défenderesse n’a pas chiffré le pourcentage que représenteraient lesdits patients, ni établi, par des exemples concrets, en quoi ces derniers seraient de nature à entraîner des coûts supplémentaires (cf. dans ce sens arrêts 9C_558/2018 du 12 avril 2019 consid. 8.2.3 et 9C_205/2008 du 19 décembre 2008 consid. 4.6.2).

10.8 La défenderesse relève que seuls 6% des médecins du groupe de contrôle effectuaient un nombre de visites à domicile comparable au sien de sorte que sa pratique différait de 94% des médecins du groupe. En tant que tel, cet élément n’est pas non plus déterminant, dans la mesure où il ne permet pas de retenir que les visites en cause seraient justifiées par la typologie de la patientèle de la défenderesse qui, en raison de ses particularités de santé, présenterait un besoin thérapeutique accru en termes de visites à domicile.

10.9 Par ailleurs, la défenderesse a fait valoir que le nombre moyen de patients du groupe de comparaison était largement supérieur au nombre de ses patients, soit 911 contre 365 en 2018, ce qui constituait un biais statistique significatif dans la composition du groupe de comparaison, lequel ne pouvait dès lors être considéré comme adéquat. Contrairement à ce qu’elle allègue, le fait qu’elle traite relativement peu de patients ne constitue pas en tant que telle une particularité pertinente du point de vue de la pratique an point de rendre le groupe de comparaison non représentatif à l’égard de sa pratique (arrêt 9C_656/2020 du 22 septembre 2021 consid. 4.5.2). Sans compter que, s’agissant de médecins spécialistes, dont l’éventail de prestations est relativement étroit, un nombre de patients entre 200 à 250 pourrait même suffire pour parvenir à des conclusions probantes ; il en va de même lorsque le nombre de cas représente plus de 20% de la moyenne de comparaison – ce qui est le cas en l’espèce (cf. EUGSTER, KVG : Statistische Wirtschaftlichkeitsprüfung im Wandel, in : Jusletter du 25 juin 2012, p. 4, § 2.1).

10.10 Il est vrai que si le nombre de patients est réduit, l’indice ne peut pas être calculé avec la même certitude que pour les grands cabinets (cf. Rapport de POLYNOMICS SA de septembre 2017, p. https://tarifsuisse.ch/assets/Downloads/Polynomics_Wirtschaftlichkeitspruefungen_Schlussbericht_20170929_FR.pdf p. 7 et p. 17). Dans ce sens, l’expert a retenu que « vu le nombre de patients très bas, un biais statistique était possible, du moins partiellement », dans la mesure où l’expertise analytique aurait pu mettre en évidence un nombre de patients lourdement atteints proportionnellement plus important que celui du groupe de contrôle. Les coûts des patients A, B, C et D influençaient naturellement fortement la statistique de l’expertisée au regard du nombre très bas de ses patients. Or un tel biais aurait ainsi pu, le cas échéant, être redressé dans le cadre de l’expertise analytique si la défenderesse ne s’y était pas soustraite (expertise, p. 10, ch. 4.8).

Dans son rapport final (déclaré par les partenaires tarifaires comme partie intégrante de la convention sur la méthode de screening), POLYNOMICS SA recommande d'inclure un « écart-type » ou un « facteur d'incertitude pour l'effet spécifique au cabinet médical » dans l'examen du cas individuel pour tenir compte du fait que l’effet spécifique au cabinet ne peut pas être précis, mais reflètera obligatoirement une certaine incertitude statistique. Selon ce rapport, des « valeurs aberrantes » prononcées pourraient modifier un effet spécifique au cabinet, bien qu'elles n'aient probablement rien à voir avec l'économicité du mode de traitement – contrairement aux anomalies qui se situent systématiquement au-dessus des coûts attendus (rapport final de POLYNOMICS SA, p 8, 22 et ss ; EUGSTER suggère de séparer si possible les cas de traitement correspondants au lieu de les traiter comme des particularités du cabinet (in : SBVR, n. 890) (cf. ATF 150 V 129 consid. 5.5.4).

10.10.1 En l’espèce, SANTÉSUISSE a indiqué avoir dûment pris en compte un facteur d’incertitude, ce dont le tribunal de céans n’a pas de raison de douter, même si elle se réfère à un document qui n’était pas encore élaboré à l’époque déterminante du dépôt des demandes. Au demeurant, s’agissant d’une médecin spécialiste, la doctrine admet qu’un nombre de patients entre 200 à 250 pourrait suffire pour parvenir à des conclusions probantes, ou lorsque le nombre de cas représente plus de 20% de la moyenne de comparaison (cf. ci-dessus, consid. 8.9).

10.10.2 Ce point peut toutefois souffrir de rester indécis. En effet, les cas lourds précités (B, C et D) – qui pourraient influencer les coûts moyens dans les petits cabinets médicaux avec un petit nombre de patients, à l’instar de celui de la défenderesse – n’apparaissent pas, en eux-mêmes, conformes au principe d’économicité, le cas de la patiente A étant par ailleurs douteux à cet égard (cf. ci‑dessous consid. 15.3).

10.11 La défenderesse a encore fait valoir qu’en assumant deux spécialités conjointement pour le même patient et les mêmes patients, elle augmentait le spectre des pathologies à traiter par patient. Cette pratique double de médecin interniste généraliste et d’endocrinologue / diabétologue faisait la singularité de son cabinet, laquelle consistait « en l’indissociabilité de ses deux spécificités ».

10.11.1 Pareille spécificité permettrait effectivement de conclure que le groupe des seuls « endocrinologues/diabétologues » retenu au titre de groupe de contrôle ne constitue pas, a priori, un groupe de comparaison approprié pour une comparaison des coûts moyens (comp. s’agissant d’un médecin nanti du double titre de spécialiste en médecine interne et en cardiologie : arrêt du Tribunal fédéral 9C_28/2017 du 15 mai 2017 consid 4.3). Toutefois, il résulte de sa facturation que la défenderesse semble pratiquer davantage en tant que spécialiste en médecine interne générale qu’en tant qu’endocrinologue / diabétologue. L’expertise analytique a du reste confirmé qu’elle avait plutôt un profil de consultation proche d’un interniste généraliste. De surcroît, en expliquant que « de nombreux patients étaient polymorbides hors problèmes endocriniens/diabétiques », le Dr F______ laisse lui-même entendre que sa mandante ne traitait pas essentiellement de pathologies liées à ses deux spécialités simultanément. L’instruction du dossier n’a pas non plus permis de constater, par exemple, une large concordance en ce qui concernait la fréquence des positions facturées par la défenderesse concernant les deux spécialités en question. Or, selon la jurisprudence, le groupe de comparaison doit se baser sur le titre FMH du médecin concerné, dans la mesure où il exerce effectivement dans le domaine correspondant (arrêt du Tribunal fédéral 9C_517/2017 du 8 novembre 2018 consid. 6.1).

La défenderesse a implicitement contesté avoir plutôt un profil de consultation d’un interniste généraliste, alléguant que ses spécialités d’interniste généraliste et d’endocrinologue/diabétologue étaient « indissociables » dans sa pratique ; d’autre part, c’était parce qu’elle était censée soigner ses patients, plutôt que d’être un « grand maître de tous les libellés du TARMED », qu’elle n’avait facturé aucune position TARMED en lien avec l’endocrinologie ou la diabétologie. Outre que cette explication est déconcertante, la défenderesse n’a pas établi cette allégation à suffisance de droit, alors même qu’elle était légalement tenue de détailler les prestations fournies conformément au tarif qui leur est applicable en vertu de l’art. 59 OAMal (dans le même sens, l’art. 42 al. 3 LAMal exige du fournisseur de prestations qu’il remette au débiteur de la rémunération « une facture détaillée et compréhensible ; il doit aussi lui transmettre toutes les indications nécessaires lui permettant de vérifier le calcul de la rémunération et le caractère économique de la prestation »). Il est du reste symptomatique que, dans sa description des nombreuses pathologies dont souffrait la patiente A, la médecin n’ait pas mentionné le diabète, tout précisant que les traitements prodigués impliquaient des soins relevant de la médecine interne et générale, sans mentionner la diabétologie (cf. courrier de la défenderesse du 29 mai 2020).

Cette question peut toutefois rester ouverte à ce stade, car elle sera analysée ci-après en lien avec la spécificité de la pratique de la défenderesse. En effet, un titre postgrade supplémentaire peut également, le cas échéant, être considéré comme une particularité du cabinet médical si le médecin traite une clientèle sensiblement différente de celle de ses collègues du groupe de référence (arrêt du Tribunal fédéral K 108/01 du 15 juillet 2003 consid. 11.1).

En tout état, comme l’a relevé l’expert, le groupe de comparaison retenu par les demanderesses en l’espèce s’avère plus favorable que si l’intéressée avait été comparée à des médecins internistes généralistes. Dans cette hypothèse, elle serait encore plus chère, dans la mesure où elle voyait ses patients un peu plus souvent et, surtout, avait pour chaque consultation « un coût énorme » (247 points TARMED contre 92 pour le groupe de contrôle en 2018). Dans le même sens, les demanderesses ont fait valoir que si la défenderesse avait été comparée avec le groupe de médecine interne et de médecine générale, son indice de régression aurait été de 285 au lieu de 201, en 2018.

La défenderesse a contesté la fiabilité des chiffres retenus dans les statistiques de SANTÉSUISSE. Elle n’a toutefois apporté aucun élément à l’appui de sa contestation et le dossier ne contient aucun indice permettant de remettre en cause leur contenu. Elle s’est limitée à une critique générale de la méthode statistique, qui n'est toutefois pas fondée, comme on l’a vu plus haut. Or selon la jurisprudence constante du tribunal de céans, une pleine valeur probante a depuis longtemps été reconnue aux « Daten-Pool », en l'absence d'éléments contraires rendant vraisemblable, par exemple, que l’une ou l’autre des caisses demanderesses n'aurait pas, pour l’année considérée, presté en faveur du fournisseur de prestations concerné, sur la base de sa propre facturation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_778/2016 du 12 décembre 2017 consid. 6 ; ATAS/899/2023 du 22 novembre 2023 consid. 7). D’ailleurs, le Dr F______, sans autre vérification, est lui-même parti de l’idée que « les chiffres énoncés (étaient) justes » (cf. ci-dessus, § E.h.).

10.12 Partant, les reproches de manque de transparence et de fiabilité de l'examen de l'économicité effectué en l’espèce, en lien également avec la prétendue non représentativité du groupe de comparaison, sont infondés.

10.13 Par surabondance, on rappellera avec l’expert que la défenderesse n’aurait de toute façon aucun intérêt à changer son groupe de contrôle en la comparant aux internistes généralistes, car elle serait alors encore plus chère.

11.         En l’espèce, l'analyse de régression a donné pour la défenderesse un indice de régression des coûts totaux de 189 points pour l'année statistique 2017 et de 201 points pour l’année statistique 2018. Elle dépasse ainsi largement la valeur moyenne de l'indice 100 de son groupe de médecins spécialistes de référence (diabétologues / endocrinologues) et doit être qualifiée de statistiquement « remarquable ».

12.         Cela étant, il faut considérer que la pratique de la défenderesse, sous l'angle de son économicité pour les années 2017 et 2018, a fait l’objet d’un « filtrage » (ou « screening ») en bonne et due forme et que cette première phase a permis de détecter une situation anormale, au sens où l’entend la méthode de régression.

12.1 Comme exposé plus haut, dans son récent ATF 150 V 129, le Tribunal fédéral a jugé que le résultat du screening ou de l'analyse de régression ne constatait pas encore le caractère non économique. Une anomalie constatée lors du screening n'apportait donc pas la preuve d'une polypragmasie ou d’une surfacturation, mais introduisait une procédure de constatation correspondante. Il s'ensuivait que l'opinion qui prévalait jusqu'ici, selon laquelle la méthode statistique était un « moyen de preuve » (ATF 136 V 415 consid. 6.2), était dépassée depuis l'introduction du modèle de dépistage.

12.2 C’est dès lors à juste titre que la défenderesse fait valoir que le dépistage dont elle a fait l’objet ne permet pas encore de constater un traitement non économique, et que, si on le comprend bien, le Dr F______ a estimé que la méthode de régression était « non conclusive ». À lui seul, le dépistage permet uniquement de repérer les prestataires potentiellement non-économiques. Il ne peut dès lors effectivement pas servir de base à une demande de remboursement.

12.3 Pour la même raison, le Tribunal fédéral a jugé, dans ce même arrêt, qu’une anomalie signalée lors du screening n'entraîne pas un renversement du fardeau de la preuve à cet égard. Conformément à la règle générale prévue à l’art. 8 CC, les assureurs-maladie restent en principe (« grundsätzlich ») chargés de la preuve après la constatation d'une structure de coûts anormale. Toutefois, le fournisseur de prestations concerné est tenu de collaborer en ce qui concerne les particularités de pratique invoquées, dans la mesure où il dispose des données nécessaires à l'interprétation des données statistiques (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2023 du 18 septembre 2023 consid. 5.6.2 ; V. JUNOD, op. cit. p. 148 no 40). Dans la mesure où les particularités du cabinet ne sont pas évidentes, le fournisseur de prestations doit en tout cas rendre vraisemblable sous quels aspects il faut procéder à une analyse au cas par cas et dans quelle mesure l'anomalie identifiée dans le cadre du screening doit être attribuée à une particularité du cabinet (cf. ATF 150 V 129 consid. 5.3). Il lui incombe d’autre part, de fournir les données qui permettent d'interpréter les données statistiques en relation avec la particularité du cabinet évidente ou rendue vraisemblable. Autrement dit, le fournisseur de prestations est tenu d'indiquer les particularités de sa pratique et de les étayer (cf. ATF 150 V 129 précité consid. 5.3.2).

12.4  

12.4.1 L'art. 89 al. 5 LAMal prescrit que les cantons fixent la procédure qui doit être simple et rapide. Le Tribunal arbitral établit avec la collaboration des parties les faits déterminants pour la solution du litige ; il administre les preuves nécessaires et les apprécie librement. Le principe inquisitoire, qui régit la procédure dans les litiges ressortant de la compétence du Tribunal arbitral (cf. art. 89 al. 5 LAMal), exclut que la charge de l'apport de la preuve (« Beweisführungslast ») incombe aux parties, puisqu'il revient à l'administration, respectivement au juge, de réunir les preuves pour établir les faits pertinents. Partant, les parties ne supportent en règle générale le fardeau de la preuve que dans la mesure où la partie qui voulait déduire des droits de faits qui n'ont pas pu être prouvés en supporte l'échec. Cette règle de preuve ne s'applique toutefois que s'il n'est pas possible, dans les limites du principe inquisitoire, d'établir sur la base d'une appréciation des preuves un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 128 V 218 consid. 6). La maxime inquisitoire ne dispense pas les parties de collaborer à l'établissement des faits et il leur incombe d'étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître. En l'absence de collaboration de la partie concernée par de tels faits et d'éléments probants au dossier, l'autorité qui met fin à l'instruction en considérant qu'un fait ne peut être considéré comme établi, ne tombe ni dans l'arbitraire ni ne viole l'art. 8 CC relatif au fardeau de la preuve (ATF 148 II 465 consid. 8.3).

12.4.2 La collaboration des parties prévue par l’art 89 al. 5 LAMal s'étend à tous les éléments essentiels pour la prise de décision et implique l'obligation pour les parties de fournir les documents qui se trouvent en leurs mains, en particulier ceux que l'autorité ne peut pas recueillir ou ne pourrait qu'au prix d'efforts disproportionnés. Ce devoir de collaborer est en particulier d'importance dans les procédures d'action selon l'article 89 LAMal, dès lors que les parties sont le mieux à même de contribuer à l'établissement des faits déterminants (arrêt du Tribunal fédéral K 150/03 du 10 mai 2004 consid. 5.1 non publié in ATF 130 V 377). En particulier, c'est au médecin qu'il revient d'amener les éléments de fait susceptibles d'entrer dans le catalogue des particularités de sa pratique. Il ne lui suffit pas d'inviter le Tribunal arbitral à mandater un expert pour établir celles-ci. Au contraire, il doit démontrer dans quelle mesure (si possible chiffrée) ces particularités débouchent sur des coûts supplémentaires. Autrement dit, le médecin doit se prévaloir des particularités de sa pratique, de manière à ce que le Tribunal arbitral ait des motifs raisonnables de considérer que la question mérite d'être éclaircie. Si le médecin ne fournit pas au Tribunal cantonal des éléments pour quantifier l'effet de ces particularités sur son coût moyen, le tribunal appréciera lui-même cet effet (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 113/03 du 10 août 2004 consid. 7.2). Pour le cas où, malgré des investigations supplémentaires, il n'est pas possible de retenir que la particularité invoquée influence réellement les statistiques, le médecin supporte en tous les cas le fardeau de la preuve (arrêt du Tribunal fédéral K 83/05 du 4 décembre 2006 consid. 7).

12.4.3 L'obligation faite à la partie adverse de collaborer à l'administration de la preuve, même si elle découle du principe général de la bonne foi, est de nature procédurale et est donc exorbitante de l'art. 8 CC, car elle ne touche pas au fardeau de la preuve et n'implique pas, en principe, un renversement de celui-ci. C'est dans le cadre de l'appréciation des preuves que le juge se prononcera sur le résultat de la collaboration de la partie adverse ou qu'il tirera les conséquences d'un refus de collaborer à l'administration de la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 5A_503/2018 du 25 septembre 2018 consid. 3). Exceptionnellement, la partie qui n'est pas chargée du fardeau de la preuve ne peut pas se contenter de contester les faits allégués par la partie adverse, mais elle doit, en vertu des règles de la bonne foi, collaborer à l'administration des preuves. Ainsi en est-il lorsque celui qui prétend à un droit se trouve dans un état de nécessité quant à la preuve et que son adverse partie est mieux à même de la rapporter (ATF 115 II 1 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.48/1988 du 22 juin 1989 consid. 2a, reproduit in JdT 1991 II 190). Le devoir des parties de collaborer à l'instruction de la cause porte sur tous les faits déterminants pour la décision et comprend l'obligation de produire tout document se trouvant en leur possession (consid. 5.1 non publié de l'ATF 130 V 377).

12.4.4 Le principe inquisitoire oblige l'autorité à déterminer également les faits favorables aux intérêts de l'administré, dans la mesure de ses possibilités. Si ce dernier n'apporte pas la preuve requise et que l'autorité a la possibilité d'éclaircir la situation, elle doit le faire. Le devoir de collaborer de l'administré ne libère nullement l’autorité de son devoir d’instruction. L'autorité ne saurait faire supporter à l'administré l'absence de la preuve d'un fait déterminé si elle n'a pas pleinement satisfait à son devoir. Après une libre appréciation des preuves en sa possession, l'autorité se trouve à un carrefour. Si elle estime que l'état de fait est clair et que sa conviction est acquise, elle peut rendre sa décision. En revanche, si elle reste dans l'incertitude après avoir procédé aux investigations requises, l'autorité applique les règles sur la répartition du fardeau de la preuve. Dans ce cadre et à défaut de dispositions spéciales, elle s'inspire de l'art. 8 CCS, en vertu duquel quiconque doit prouver les faits qu'il allègue pour en déduire un droit. Le principe inquisitoire et l'obligation de collaborer n'ont, par conséquent et en principe, aucun effet sur le fardeau de la preuve, car ils interviennent à un stade antérieur. Cependant, il existe, en pratique, une certaine connexité entre ces notions. Ainsi, dans la mesure où, pour établir l’état de fait déterminant, l’autorité est dépendante de la collaboration de l’administré, le refus, par celui-ci, de fournir des renseignements ou des moyens de preuve requis peut conduire à un « état de nécessité en matière de preuve » (Beweisnot), c'est-à-dire à une impossibilité pour l'autorité d'établir les faits pertinents. Dans un tel cas de figure, la violation du devoir de collaborer peut non seulement être prise en compte au stade de la libre appréciation des preuves, mais aussi conduire à un allégement de la preuve à charge de l'autorité, voire à un renversement du fardeau de la preuve, ainsi qu'à une diminution de son obligation d'établir l'état de fait pertinent. L'administré ne doit, en effet et en principe, pas tirer avantage de son défaut de collaboration, à tout le moins lorsque celui-ci apparaît fautif. En particulier, il ne doit pas être traité plus favorablement que celui qui a coopéré à satisfaction. En revanche, il ne doit, en règle générale, subir aucun désavantage d’un manquement à son devoir de collaborer lorsque sa collaboration n’est pas raisonnablement exigible (arrêt du Tribunal administratif fédéral A‑481/2021 du 9 août 2021 consid. 5). Autrement dit, s’il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d'établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité, il n’incombe plus à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse (ATF 139 V 176 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_180/2021 consid. 4).

12.4.5 Le Tribunal arbitral ne peut inférer d’un refus légitime de collaborer d’une partie ou d’un tiers que le fait allégué est prouvé (art. 162 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 : CPC ; RS 292, par analogie). En revanche, si une partie refuse de collaborer sans motif valable, le tribunal en tient compte lors de l’appréciation des preuves (art. 164 CPC par analogie). Selon l’art. 24 al. 2, 1ère phr. LPA, l’autorité apprécie librement l’attitude d’une partie qui refuse de produire une pièce ou d’indiquer où celle-ci se trouve.

12.4.6 En lien avec son obligation de collaborer, le fournisseur de prestations doit remettre au débiteur de la rémunération une facture détaillée et compréhensible ; il doit aussi lui transmettre toutes les indications nécessaires lui permettant de vérifier le calcul de la rémunération et le caractère économique de la prestation (art. 42 al. 3 1ère et 2ème phrase LAMal). Selon l'art. 59 al. 1 OAMal, les fournisseurs de prestations doivent inscrire sur leurs factures toutes les indications administratives et médicales nécessaires à la vérification du calcul de la rémunération et du caractère économique des prestations conformément à l'art. 42 al. 3 et 3bis LAMal. Ils doivent en particulier indiquer les prestations fournies, détaillées comme le prévoit le tarif qui leur est applicable (art. 59 al. 1 let. b OAMal), et les diagnostics et les procédures qui sont nécessaires au calcul du tarif applicable (art. 59 al. 1 let. c OAMal).

12.5 En matière d’appréciation des preuves, une expertise privée n'a pas la même valeur probante qu'une expertise judiciaire, l'expert mandaté par une partie n'étant ni indépendant, ni impartial, de sorte que le résultat d'une telle expertise doit être appréhendé avec circonspection (ATF 142 II 355 consid. 6). Une expertise privée doit être appréciée avec retenue dès lors que l'expérience retient qu'une expertise privée n'est produite que si elle est favorable à son mandant (ATF 141 IV 369 consid. 6.2). Au demeurant, les résultats issus d'une expertise privée sont soumis au principe de la libre appréciation des preuves et sont considérés comme des simples allégués de parties (ATF 142 II 355).

13.          

13.1 Dans l’ATF 150 V 129 précité, le Tribunal fédéral s'est également penché sur la seconde étape de l'examen de l'économicité selon la convention 2018. La Haute Cour a constaté que les facteurs intégrés dans le screening amélioraient la précision de l'identification des cas suspects d'un traitement non économique, mais qu'en même temps, il n'était pas aisé de déterminer si les facteurs pris en compte reflétaient effectivement les conditions réelles. Il était donc d'autant plus important de valider ensuite le résultat provisoire du screening, c'est-à-dire la valeur d'indice concernée, sur la base d'une analyse complète de chaque cas (consid. 5.2.2). Par analyse de cas individuels, il ne fallait toutefois pas entendre une méthode de contrôle analytique au sens traditionnel du terme (alternative à la méthode statistique), même si, selon la situation, il n'était pas exclu de recourir, selon les besoins, à des dossiers de patients sélectionnés pour évaluer, par échantillonnage et avec le concours d'un médecin-conseil, des particularités du cabinet dont l'efficacité en termes de coûts ne pouvait être chiffrée par la voie statistique (consid. 5.2.4).

13.2 Malgré un indice de régression « frappant », des coûts supérieurs à la moyenne peuvent, le cas échéant, être expliqués par des effets spécifiques au cabinet, ce qui permet de réfuter le soupçon d'un mode de traitement non économique. Le type et l'étendue de l'examen au cas par cas dépendent des caractéristiques apparentes ou crédibles du cabinet. Cela vaut sans autre dans la mesure où les variables du screening en deux étapes ne couvrent pas les caractéristiques de manière exhaustive. Mais il peut également s'avérer nécessaire de valider des facteurs déjà pris en compte dans l'analyse de régression) (ATF 150 V 129 consid. 5.5). Autrement dit, les caractéristiques individuelles de la pratique doivent être examinée quant à leur portée effective, même si elles ont déjà été saisies dans le jeu de variables élargi de la méthode de screening – destinée uniquement à la détection de cas suspects (arrêt du Tribunal fédéral 9C_129/2023 du 4 mars 2024 consid. 5.3).

13.3 La caractéristique à examiner peut être de nature typologique du cabinet, « catégorielle », notamment lorsque le fournisseur de prestations dispose de compétences particulières (p. ex. gestion d'une pharmacie de cabinet) ou d'une spécialisation professionnelle qui se répercute sur la composition du collectif de patients. Il est préférable de tenir compte d'une caractéristique visant la typologie du cabinet médical dès le screening, afin d'éviter d'emblée les résultats faussement positifs (frappants) (ou également les résultats faussement négatifs). Pour cela, il faudrait créer un groupe de référence correspondant. Dans la mesure où il n'est pas possible de constituer un groupe de comparaison spécifique, il faut au moins un correctif correspondant au niveau de l'examen du cas individuel, en ce sens que la différence entre la valeur de l'indice de pratique et l'indice de comparaison est diminuée de l'effet de pratique démontré à l'aide de données statistiques. Alternativement, le correctif peut également être déterminé par un contrôle analytique (systématique) complémentaire au cas par cas, par exemple avec une évaluation par échantillon d'un certain nombre de cas représentatifs du cabinet concerné, suivie d'une extrapolation (ATF 150 V 129 consid. 5.5.2). L'évaluation au cas par cas ne doit pas être confondue avec la méthode dite analytique. Aucun dossier de patient n'est examiné par SANTÉSUISSE dans le cadre de l'évaluation des cas individuels (https://tarifsuisse.ch/assets/Downloads/2023_11_14_Dokumentation_Umsetzung_Regressionsmodell_FR.pdf).

13.4 Il convient de distinguer les caractéristiques « catégorielles » du fournisseur de prestations mentionnées ci-dessus des particularités du cabinet qui se rapportent à des caractéristiques variables du collectif de patients (cf. EUGSTER, op. cit., n. 409 ss.). À ce titre, une proportion d'étrangers supérieure à la moyenne, des visites à domicile fréquentes dans une grande zone de chalandise ou l'absence de patients en urgence peuvent par exemple être pertinentes (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2023 du 18 septembre 2023 consid. 5.2). Mais les aspects liés à la morbidité doivent également être examinés de plus près, dans la mesure où ils n'ont pas déjà été standardisés auparavant dans le cadre de l'analyse de régression. Le fait qu'un facteur ayant un impact sur les coûts soit intégré dans le modèle de screening n'exclut pas d'emblée une prise en compte supplémentaire en tant que particularité du cabinet. Il faut garder à l'esprit qu'un facteur de morbidité n'est pas toujours validé sans autre, c'est-à-dire qu'il n'est pas toujours effectivement approprié dans le cas concret pour fournir la connaissance attendue. Il peut par exemple arriver qu'un cabinet médical traite, en raison d'une certaine spécialisation, un nombre supérieur à la moyenne de malades chroniques nécessitant une prise en charge importante et que, pour des raisons spécifiques à la maladie, relativement peu de médicaments soient néanmoins prescrits ou remis. Dans une telle situation, le facteur de morbidité PCG indique une faible morbidité qui ne correspond pas aux conditions réelles. Dans ce cas, le fournisseur de prestations peut faire valoir, même sous la méthode de screening, qu'un correctif correspondant sera examiné au cas par cas. L'analyse du cas individuel (basée sur le dossier et/ou sur les statistiques) donne lieu, le cas échéant, à une correction par laquelle la différence entre la valeur de l'indice de pratique et l'indice de comparaison est diminuée de l'effet en question (ATF 150 V 129 consid. 5.5.3).

14.          

14.1 Il convient maintenant d'examiner si les anomalies constatées à l’issue de la première étape du contrôle de l’économicité ont été suivies d'un examen au cas par cas dans le sens précité.

14.2 En l’espèce, après avoir été interpelée par les demanderesse sur sa pratique a priori hors norme, la défenderesse a pu faire valoir, au titre de spécificités de sa pratique, qu’elle comptait 70% de « patients femmes » ; un nombre important de patients de plus de 50 ans ; un faible taux de patients hospitalisés ; une médication importante en lien avec sa double spécialisation FMH en médecine interne/générale et en diabétologie/endocrinologie ; un nombre important de visites à domicile ; quatre cas très lourds et complexes, dont une patiente A, dont le coût de traitement avait été spécifiquement admis par HELSANA.

De leur côté, les demanderesses ont procédé à une analyse des données de la défenderesse. Cette analyse a été suivie d’une expertise analytique judiciaire.

14.3 Dans son rapport du 13 mai 2024, l’expert a en particulier pris en compte les positions TARMED facturées par l’intéressée et comparé les données avec ses collègues endocrinologues et diabétologues, en particulier le nombre moyen de prestations de base par malade, concluant en substance que l’expertisée était pratiquement plus chère que ses collèges dans presque toutes les tranches, car elle consultait beaucoup plus souvent (cf. ci-dessus § E.e.).

14.4 En l’occurrence, hormis le cas de la patiente A, la défenderesse s’est bornée à fournir des explications d’ordre général en lien avec les limites actuelles des outils statistiques ou la nécessité d’apprécier l’économicité de sa pratique dans un cadre économique global. Elle n'a fourni aucun document permettant de justifier les particularités alléguées de sa pratique. Elle a même expressément refusé de le faire. Elle a également délibérément refusé de participer à l’expertise analytique ordonnée par le tribunal, alors même qu’il lui avait rappelé, dans l’ordonnance d’expertise, qu’il lui incombait de soutenir activement le travail de l'expert (ATFA non publié K 124/03 du 16 juin 2004, consid. 6 et 7 ; V. JUNOD, op. cit. p. 129–174, § 2.3.1). La défenderesse avait pourtant elle-même souligné, par la voix de son avocat, qu’une expertise analytique s’imposait, afin de pouvoir précisément discuter les cas considérés a priori douteux par les assureurs et d'apporter ses justifications ; une telle mesure d’instruction était même « incontournable » et démontrerait « de façon implacable » l’absence de toute violation du principe d’économicité dans sa pratique. C’est le lieu de rappeler que, contrairement à la méthode statistique qui s'appuie essentiellement sur la comparaison chiffrée des médecins, la méthode analytique entre dans le détail de la pratique du médecin soupçonné de polypragmasie, afin de déterminer si les dépenses diagnostiques et thérapeutiques étaient justifiables compte tenu du tableau clinique et du succès de guérison visé (ATF 150 V 129 consid. 4.4.2 ; V. JUNOD, op. cit., p. 137). Or la défenderesse a refusé de fournir en particulier les indications sur le diagnostic et sur le type de mesures prises dans le cadre de sa pratique, rendant impossible l’examen des dossiers de ses patients par l’expert (comp. arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 124/03 du 16 juin 2004, consid. 6 et 7).

14.5 Antérieurement à la procédure judiciaire, la défenderesse n’a pas non plus saisi l’occasion, dans la phase d’examen de son cas, de « démontrer de manière objective et compréhensible les éventuelles particularités de sa pratique qui n'auraient pas été prises en compte avec la méthode de screening et qui distinguaient essentiellement sa pratique de celle des fournisseurs de prestations de son collectif de comparaison et qui, pour cette raison, conduisaient à une valeur d'indice de régression plus élevée » (cf. ch. 2, al. 5 de la convention 2023). Elle ne l’a pas davantage fait tout au long de la présente procédure, en dépit des nombreux délais que le tribunal lui a généreusement accordés.

Les demanderesses ont ainsi tenté en vain de confronter la défenderesse avec le résultat de l'examen d'économicité en lui proposant un entretien personnel pour clarifier l'écart de coûts et trouver une solution commune. Elles lui ont en outre régulièrement transmis les informations requises par elle. Elles l’ont régulièrement vainement invitée à collaborer, en lui demandant notamment de mettre en évidence les particularités de son cabinet et ses effets sur la structure de ses coûts. L’intéressée s’était pourtant initialement déclarée prête à fournir toute explication quant à sa facturation et avait même annoncé qu’en cas de refus de mettre en œuvre une expertise analytique, elle requerrait de pouvoir expliquer le coût individualisé par patient.

L’attitude de la défenderesse est d’autant plus regrettable qu’avec la méthode de régression, l'examen de chaque cas par les caisses d'assurance maladie ou par l'association qu'elles ont habilitée est, on l’a dit plus haut, conçu de manière participative, et ce également dans le but de parvenir à un accord amiable dans le cadre d'un dialogue avec le fournisseur de prestations examiné (cf. ATF 150 V 129 consid. 5.6). De surcroît, l’intéressée s’est refusée, sans motif valable, à se soumettre à l’expertise analytique ordonnée par le tribunal, alors même que cette mesure d’instruction est « certainement celle qui se prête le mieux à expliquer, en cas de litige, les options prises en vertu de la liberté diagnostique et thérapeutique reconnue au médecin » (V. JUNOD, op. cit., p. 138 note n° 70).

14.6 Pour justifier son refus de collaborer, la défenderesse a avancé, autant qu’on la comprenne, que seul l’avènement d’un « Big Data » (ndr : « données massives ») en matière de cybersanté permettrait de démontrer les particularités de son cabinet ou de sa patientèle, respectivement le caractère économique de sa pratique ; de même, le futur TARDOC pourrait « gommer » une éventuelle surfacturation résultant du TARMED.

Pareil raisonnement ne saurait être suivi. Au contraire, c’est justement parce que ces données n'existent pas (encore) qu’il importait que la défenderesse fournisse toute explication ou documentation utile afin de justifier sa pratique, respectivement « son approche peut-être ‘non‑mainstream’ de la médecine clinique ».

14.7 Cela étant, il apparaît que les demanderesses, respectivement le tribunal de céans et l’expert judiciaire ont clarifié (ou tenté de clarifier) la portée effective des particularités alléguées de la pratique de la défenderesse, à la suite d’une analyse plus approfondie de ses données statistiques et du dossier. Force est ainsi de constater qu’il a été finalement procédé en l’espèce à une évaluation individuelle des coûts anormaux constatés en l’occurrence par l’analyse de régression, conformément à la voie prévue dans la convention 2018, même si une partie de cet examen est intervenue devant le tribunal de céans. C’est le lieu de rappeler que la seconde étape a pour but principal de donner au médecin la possibilité de justifier l'image de ses coûts – ce que la défenderesse aurait également largement eu l’occasion de faire devant le tribunal de céans. Or, en l’occurrence, cet examen a été doublé d’une expertise analytique judiciaire (partielle) de la pratique de la défenderesse portant en particulier sur les dossiers des patients A, B, C et D. À cette occasion, le tribunal de céans a fixé le cadre et les modalités de la mission d’expertise, après avoir invité les parties à se déterminer sur les questions libellées dans le projet de la mission d’expertise (cf. ci-dessus, § D.m.).

14.8 Certes, une partie de cet examen s’est déroulée devant le tribunal de céans, et non pas avant la procédure arbitrale proprement dite, comme le prescrit, désormais, le Tribunal fédéral. Cette circonstance n’apparaît toutefois pas de nature à en altérer le résultat, dans la mesure où un examen complet de l’économicité a en définitive pu être mené, ou du moins tenté, en l’espèce.

15.          

15.1 Reste à analyser le contenu et la portée de cet examen en l’espèce.

15.2 Dans ce cadre, la défenderesse a fait en particulier valoir que sa double spécialisation d’interniste/généraliste et de diabétologue/endocrinologue contribuait à réduire les coûts indirects, dans la mesure où elle pouvait traiter elle-même les patients concernés sans qu’il soit nécessaire de les référer à ses confères internistes/généraliste ou diabétologues/endocrinologues. Sa pratique n’était pas coûteuse, dans la mesure où sa double spécialisation permettait de limiter les « réadressages » de patients vers d’autres confrères ou vers l’hôpital, et donc, indirectement, de réduire les coûts.

15.2.1 Le médecin qui génère des coûts directs supérieurs à la moyenne, mais des coûts totaux (directs et indirects) moyens ou éventuellement inférieurs à la moyenne, agit également en conformité avec l'exigence d'efficacité économique car il effectue lui-même de nombreux traitements que d'autres médecins auraient sous-traité à des tiers (ATF 133 V 37 consid. 2.5.6). Le principe d'économicité ne peut en effet être considéré comme ayant été violé si l'indice des coûts globaux (directs et indirects) reste dans la marge de tolérance. Dans un tel cas, il n'existe aucune obligation de restitution malgré l'existence d'une pratique médicale non économique (ATF 137 V 43 cons. 3.1). Des sanctions au sens de l'art. 59 al. 1 let. a, c ou d LAMal peuvent néanmoins s'imposer (arrêt du Tribunal fédéral 9C_570/2015 du 6 juin 2016 consid. 3.5 ; ATF 137 V 43 consid. 2.5.4). Le coût des prestations médicales effectuées en plus par rapport aux autres cabinets du groupe de comparaison est pris en considération dans les coûts indirects. Ceux-ci sont ainsi, le cas échéant, diminués d'autant, puisque les patients n'ont pas à être adressés à d'autres fournisseurs de prestations (ATAS/27/2020 du 16 janvier 2020 consid. 12c).

La preuve qu'un médecin évite un nombre de séjours hospitaliers supérieur à la moyenne par rapport à son groupe de référence pourrait, le cas échéant, constituer une particularité pertinente de la pratique. Des économies compensatoires peuvent en effet être prises en compte en tant que particularités du cabinet ayant un impact sur les coûts. Il s'agit de cas où le médecin justifie une valeur élevée de l'indice des coûts directs par le fait que son mode de traitement comparativement plus coûteux a pour conséquence une diminution des coûts qu'il a occasionnés. Cela vaut par exemple pour l'indication d'un médecin selon laquelle son mode de traitement permet d'éviter de nombreux séjours hospitaliers stationnaires. La jurisprudence reconnaît toutefois que cette preuve est très difficile à apporter, ce qui ne change rien à la charge de la preuve qui pèse sur le médecin concerné (ATF 119 V 455 consid. 5a ; consid. 6.3 non publié de l'ATF 130 V 37 (= cause K 150/03 du 18 mai 2004).

15.2.2 En l’espèce, la défenderesse n’a apporté aucun élément permettant d’établir que sa patientèle est moins souvent hospitalisée que celle de son groupe de comparaison grâce aux prestations dont elle se charge elle-même. Indépendamment du fait que tout médecin a en principe pour objectif d’éviter l’hospitalisation de ses patients, on ne voit pas, en l’état actuel de la technique, d'autres mesures de preuve qui permettraient en l'espèce de démontrer les séjours hospitaliers prétendument évités : en l'absence de données statistiques, le tribunal de céans ne peut guère vérifier l'objection de l'économie compensatoire (cf. à propos des données statistiques manquantes dans ce contexte : ATF 144 V 79 consid. 6.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_517/2017 du 8 novembre 2018 consid. 6.3). Il en va de même des économies futures potentielles, qui relèvent de la pure conjoncture et ne sont dès lors pas pertinentes. Le Dr F______ ne s’est du reste montré guère catégorique sur cette question, se contentant d’expliquer qu’un suivi soutenu à domicile « pouvait parfois différer, voire éviter une hospitalisation ou un placement en EMS ».

Certes, la référence accrue de sa patientèle à des spécialistes permet en principe au médecin concerné de diminuer ses coûts totaux. Mais c’est avant tout parce que ledit médecin est un généraliste, et non un spécialiste. En effet, la rémunération des spécialistes est plus élevée (cf. André DUBEY / François DUFRESNE, Étude du contrôle du caractère économique des traitements basée sur les statistiques du Concordat des assureurs maladie suisses, Lausanne, 2000 https://www.physicianprofiling.ch/PHYEtudeLamalLausanne2000.pdf, p. 12). Tombe dès lors à faux l’argument de la défenderesse relatif aux économies que sa pratique spécialisée permettrait de réaliser en raison de la non-nécessité d’un « réadressage » de sa patientèle à un confrère spécialiste. À noter que si elle intervient elle-même comme spécialiste ou qu’elle adresse sa patientèle à un confrère de la même spécialité, la première consultation devra, de toute façon, être facturée dans les deux cas.

En tout état, les coûts directs et indirects de la défenderesse dépassent la moyenne du groupe de comparaison. L'indice des coûts totaux par patient est en effet de 189 pour 2017 et de 201 pour 2018, soit des chiffres se situant largement au-delà de l'indice de 130, marge de tolérance comprise.

Partant, il convient, de ce point de vue, de nier l'existence d'une particularité de la pratique de la défenderesse de nature à justifier ses coûts élevés.

15.3 La défenderesse fait valoir que l’impact des PCG sur son indice a été mal évalué. Selon elle, les traitements de pathologies endocriniennes ne recouraient pas tous aux mêmes principes actifs que ceux retenus dans le groupe PCG utilisé par SANTÉSUISSE ; le dosage quotidien de principes actifs limitativement déterminés (DDD) ne produisait « pas forcément » de bonne indication de la morbidité ; ses connaissances issues de la recherche in vivo lui permettaient de prescrire une médication particulièrement fine, de sorte que l’indicateur de morbidité PCG n’était pas un bon révélateur de la morbidité concrète de ses patients.

Nullement étayées, ces assertions n’emportent pas la conviction.

15.4 L’argument selon lequel la double spécialisation de la défenderesse augmentait le spectre des pathologies à traiter par patient se recoupe avec la notion de cas lourds ou complexes. Il y sera revenu ci-après (consid. 16.4).

15.5 La défenderesse a mis en avant qu’elle pratiquait un plus grand nombre de visites à domicile que ses confrères. Le Dr F______ a en outre fait valoir que de nombreux patients étaient polymorbides hors problèmes endocriniens/diabétiques et que ces patients avaient des difficultés de compréhension et de communication et qu’ils avaient un grand besoin d’écoute et d’explications, ce qui impliquait des consultations plus longues ou plus nombreuses.

Succinctes et dénuées de données quantitatives, ces explications ne permettent toutefois pas de rendre vraisemblable à cet égard une particularité du cabinet pouvant expliquer les indices de régression litigieux. C’est le lieu de rappeler que le but visé par la réglementation sur la polypragmasie consiste précisément à empêcher une mise en œuvre excessive de thérapies non justifiées médicalement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_167/2010 du 14 janvier 2011 consid. 4.3) et que la valeur de l’indice est déterminée par rapport aux coûts par patient et non par rapport au chiffre d’affaires résultant du volume de consultations. À cela s’ajoute qu’on ne saurait considérer que le canton de Genève constitue un bassin de population particulièrement large qui pourrait contribuer à un nombre de visites à domicile supérieur à la moyenne (cf. arrêt du Tribunal fédéral K 113/03 du 10 août 2004 consid. 3.3 ; SVR 1995 KV n° 40 p. 125 ; V. JUNOD, op. cit., p. 22 n° 2.8.2 let. g a contrario).

En tout état, la défenderesse n’a nullement démontré la « nécessité médicale » alléguées des visites à domicile litigieuses, se contentant d’affirmer que celles-ci s’avéraient extrêmement économes comparées à la solution alternative qui s’imposerait sans ses visites, à savoir un séjour à l’hôpital ou en EMS. D’ailleurs, l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_940/2011 invoqué à cet égard ne lui est d’aucun secours. Dans cette affaire, le Tribunal fédéral s’est limité à estimer que, dans les circonstances particulières du cas d’espèce, la prise en charge, à efficacité égale, de soins à domicile 2,35 fois plus chers que les soins dispensés dans un établissement médico-social respectait « tout juste » (« gerade noch ») le critère de l'économicité. Quant au Dr F______, il s’est borné à affirmer vaguement que le nombre de visites à domicile reflétait une « grande disponibilité hippocratique, relevait d’une conception personnelle de la médecine et des relations médecin‑patient », ce qui permettait « de comprendre beaucoup de choses ».

15.6 Au reste, si l’approche thérapeutique et la méthodologie de travail de la défenderesse impliquent notamment des séances plus longues, elles ne constituent pas des motifs suffisants pour justifier les coûts supplémentaires par rapport à son groupe de comparaison. La liberté thérapeutique du médecin ne le dispense en effet pas de respecter les dispositions relatives à l'économicité, qui s'appliquent de la même manière à tous les types de traitements. Celui-ci doit ainsi veiller à respecter la règle de l’économicité de l’art. 56 LAMal, sans égard à la solution thérapeutique choisie, singulièrement à l’approche thérapeutique appliquée. À défaut, cela reviendrait à privilégier la forme de thérapie qu’un médecin préconise (de manière non justifiée), au détriment d’une autre approche potentiellement plus économique. Or, en l’occurrence, le dossier ne contient aucun élément permettant de conclure à satisfaction de droit que la méthode thérapeutique de la défenderesse dépendrait des spécificités de ses patients. Si la défenderesse a une « grande disponibilité hippocratique (relevant) d’une conception personnelle de la médecine et des relations médecin-patient », sa méthode apparaît avant tout dictée par ses préférences personnelles (comp. arrêt du Tribunal fédéral 9C_457/2009 du 10 décembre 2009 consid. 8.2 et 8.3).

15.7 L’argument selon lequel la défenderesse pratique une médecine « empathique et hippocratique » tombe à faux, déjà parce qu’il laisse entendre que tel ne serait pas le cas de ses confrères du groupe de comparaison dont la pratique respecte le principe d’économicité. Quoiqu’il en soit, selon la jurisprudence, la satisfaction des patients et leur bien-être, la compétence du praticien, ou encore l’absence de contestations des factures par les patients ne permettent pas de tirer des conclusions sur l'efficacité et l'adéquation des traitements (ATF 144 V 79 consid. 6.2 ; voir aussi, s’agissant plus particulièrement d’une approche holistique de la santé invoquée pour justifier des consultations plus longues ou plus nombreuses : ATAS/899/2023 du 22 novembre 2023 consid. 14.1).

15.8 La défenderesse a également mis en avant, au titre de spécificités de sa pratique, qu’elle comptait 70% de « patients femmes » et que la moyenne d'âge de ses patients était sensiblement plus élevée que le groupe de comparaison, ce qui était de nature à entraîner des coûts plus élevés. Depuis 2005, ces facteurs sont cependant automatiquement incorporés dans le calcul soumis par les caisses-maladie. Les coûts du médecin concerné sont donc présentés comme si sa patientèle présentait la même répartition par âge et par sexe que celle du groupe de comparaison dans son ensemble ainsi qu'une morbidité comparable (cf. not. V. JUNOD, op. cit., p. 20, § 2.8.2 let. b ; arrêt du Tribunal fédéral K 107/01 du 13 mai 2003 consid. 7.2.2). Ils ne peuvent donc justifier une pratique hors norme en l’espèce.

15.9 L’argument selon lequel sa pratique, proportionnellement au nombre de ses patients, est globalement économique est inopérant. En effet, les indices sont établis sur la base du coût moyen par patient et non pas sur le chiffre d’affaires. Le nombre de patients est dès lors sans pertinence pour apprécier la nécessité d’un traitement au niveau du patient individuel (cf. ci-dessus consid. 7.6). Autrement dit, le nombre de patients n’augmente pas ou ne diminue pas le besoin de traitement au niveau du patient individuel.

15.10 Enfin, la défenderesse n’a nullement justifié le nombre comparativement plus important de ses prestations en l’absence du patient, sinon qu’en invoquant « une pratique spécifique liée au type de clientèle », ce qui est manifestement insuffisant.

16.          

16.1 Les autres « observations critiques » du Dr F______ ne permettent pas non plus de remettre en cause le rapport d’expertise, ni même de jeter un quelconque doute sur ses conclusions.

16.2 Tout d’abord, le tribunal observe que le Dr F______ n’a pas disposé d’un dossier complet, et en particulier des statistiques litigieuses, faute pour la défenderesse de les lui avoir remises. Cela est surprenant dès lors que la défenderesse a mandaté ce dernier aux fins de rédiger une « contre-expertise ». Le Dr F______ n’a pas non plus cherché, semble-t-il, à obtenir le dossier de sa mandante (cf. « prise de position critique », p. 5). De ce point de vue, son avis apparaît d’emblée incomplet, voire sujet à caution.

16.3 Contrairement à ce que le Dr F______ affirme, le calcul opéré par les demanderesses permettant d’aboutir aux montants réclamés est clair. D’autre part, si, dans son expertise, l’expert n’a certes pas mentionné le coût total des patients B, C et D analysés pour l’année 2017, contrairement à l’année 2018, il convient d’admettre que les conclusions qu’il en a tirées sous l’angle de l’économicité pour l’année 2018 sont transposables pour l’année 2017. En effet, les patients concernés présentent a priori, – en l’absence d’indications contraires de l’expertisée –, les mêmes affections chroniques ou lourdes que l’année précédente (2017). Au demeurant, les coûts de ces trois patients pour 2018 ont été fournis par la défenderesse elle-même, si bien qu’elle a également connaissance des coûts correspondants pour l’année 2017.

16.4 De surcroît, on ne saurait reprocher à l’expert d’avoir formulé des conclusions imprécises au motif qu’à huit questions sur quinze, celui-ci avait répondu qu’il était « impossible de répondre » ou « qu’il n’était pas possible de répondre ». En effet, cette situation est imputable au refus de la défenderesse de se soumettre à l’expertise. Le Dr F______ a lui-même admis que si l’expert n’avait pas pu examiner si les dépenses diagnostiques et thérapeutiques étaient justifiables compte tenu du tableau clinique, cela était « en partie » dû au fait que les dossiers cliniques « n'étaient pas disponibles » (observations, p. 10, ch. 4) – ce qui relève d’un euphémisme en l’occurrence. Feignant d’ignorer les raisons de cette situation, le Dr F______ est ainsi mal pris d’opposer que, sans accès aux dossiers, l’expert ne disposait d’aucun élément de preuve pour juger de biais dus notamment à la polymorbidité, à la gravité ou à des facteurs socio-culturels de la patientèle (non maîtrise du français, patients étrangers). Le refus caractérisé de la défenderesse de collaborer en l’occurrence la met du reste en porte-à-faux avec la position du Dr F______, pour lequel « l’explicitation des particularités d’une pratique » devrait revêtir une place centrale lors de l’examen de l’économicité.

Cela étant, la défenderesse ne saurait se prévaloir du caractère lacunaire de l’expertise analytique, dont elle est la seule responsable par son refus non justifié de fournir à l’expert les informations réclamées par ce dernier. L'administré ne doit, en effet et en principe, pas tirer avantage de son défaut de collaboration, à tout le moins lorsque celui-ci apparaît fautif (cf. ci-dessus consid. 10.4.4). Manifestement contraire à la bonne foi, un tel comportement ne saurait être protégé (« nemo auditur propriam turpitudinem allegans »). La maxime inquisitoire trouve en effet sa limite dans l'interdiction de l'abus de droit, qui est érigée en principe général par l'ordre juridique suisse (cf. art. 2 al. 2 CC ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_122/2023 du 23 août 2024 consid. 11.1). Dans ce contexte, on relèvera que le principe posé à l’ATF 150 V 129, selon lequel, conformément à la règle générale de l'art. 8 CC, les assureurs-maladie restent chargés de la preuve après la constatation d'une structure de coûts anormale, n’est pas absolu (cf. la formulation « grundsätzlich » : consid. 5.3.3), le médecin concerné restant tenu de collaborer en ce qui concerne les particularités de la pratique invoquées. Dans la mesure où l’autorité est à cet égard dépendante de la collaboration de l’administré, la jurisprudence admet que dans un tel cas de figure, la violation du devoir de collaborer peut même conduire à un renversement du fardeau de la preuve (cf. ci‑dessus, consid. 10.4.4).

16.5 Par ailleurs, les observations du Dr F______ sont pour la plupart formulées sous forme interrogative ou au conditionnel (« faits qui pourraient justifier des écarts statistiques, au moins partiellement » ; « peut-être ») - procédé qui, au demeurant, ne correspond pas aux critères de l’EBP qu’il préconise (cf. ci-dessus § E.h.). Il réitère des critiques sur la fiabilité des analyses statistiques encore récemment réfutées par la jurisprudence (cf. ATF 149 II 381 du 18 septembre 2023 consid. 3), ou se limite à des considérations générales ou hypothétiques ou encore à caractère philosophique, voire militant (observations, pp. 3, 4, 7, 8 et 10). Lesquelles s’avèrent dès lors insuffisamment motivées, sinon dénuées de pertinence, pour emporter la conviction.

16.6 Le Dr F______ s’est également demandé si « la décision de faire rembourser à un médecin des frais facturés par des tiers et non pas encaissés par lui avait une base légale ? » (p. 4), – pareille interrogation ne laisse pas d’étonner, étant donné que la défenderesse, par l’entremise de son avocat, a admis que les coûts indirects (dans la méthode ANOVA) n’avaient pas été inclus dans les montants réclamés, contrairement à ce qu’elle avait initialement fait valoir (cf. ci-dessus, § D.g.).

16.7 Qu’aucun patient n’ait jamais contesté les honoraires de la défenderesse, que cette dernière ait une « bonne réputation citoyenne et professionnelle » ou que « ceux qui la connaissent savaient que (la défenderesse) n’était pas une "faiseuse de fric" » (observations, p. 1) n’est pas déterminant selon la jurisprudence (cf. ci-dessus consid. 12.7).

16.8 On ne décèle aucune pertinence à l’argumentation en lien avec les imperfections du TARMED, – auxquelles le TARDOC devrait remédier en particulier par les stratégies de « forfaits par cas » ou « valued-based » –, déjà parce que la défenderesse, en violation de l’art. 59 OAMal, n’a pas utilisé correctement les positions TARMED en l’occurrence. Au demeurant, les médecins du groupe de comparaison sont, eux aussi, soumis au TARMED.

16.9 En affirmant que la conclusion de l’expert selon laquelle la polypragmasie était très probable, n’était pas « très robuste » ou que le qualificatif « probable » était une « opinion, mais pas une preuve démontrée », le Dr F______ méconnaît qu’en matière de polypragmasie, le degré de preuve est celui de la vraisemblance prépondérante (ATF 144 V 427 consid. 2). Ce standard est plus élevé que la simple vraisemblance, mais nettement moins élevé que la preuve exigée en matière civile ou pénale (ATAS/440/2021 du 10.05.2021 consid. 8 f ; V. JUNOD, op. cit., p. 33).

16.10 Le Dr F______ ne saurait valablement opposer à l’expertise l’absence d’analyse des coûts basée sur les codes TARMED associés aux prestations induites pour les patients A, B, C et D, voire pour tout ou partie du reste de la patientèle. Non seulement l’expert n’a pas eu accès aux données médicales en raison de l’obstruction de la défenderesse, mais encore cette dernière, en violation de la loi, n’a jamais utilisé les positions 00.15520 et 00.2110 relatives aux diabétologues/endocrinologues. Au reste, il est a priori contradictoire de soutenir que l’expert aurait dû fonder son analyse sur le TARMED, tout en faisant valoir que ce tarif était obsolète, contenait des défauts conceptuels majeurs ou ne saisissait qu’un aspect partiel des aspects économiques d’un cabinet médical ambulatoire.

16.11 Le Dr F______ a en outre relevé qu’il convenait de nuancer l’explication de l’expert selon laquelle, faute d’utilisation des positions 00.15520 (traitement par le spécialiste en endocrinologie/diabétologie) et 00.2110 (consilium), il était difficile de documenter que la défenderesse prenait en charge des diabétiques de type I avec complications et des patients référés. Selon lui, de tels cas pouvaient « parfaitement se présenter spontanément par le bouche à oreille ». On peine toutefois à discerner en quoi cet argument pourrait, comme il l’affirme, justifier, même partiellement, les écarts statistiques litigieux. Au demeurant, on rappellera que le groupe de comparaison finalement utilisé par les demanderesses est bien celui des endocrinologues/diabétologues, quand bien même son profil de consultation relève plutôt de la médecine interne générale.

16.12 Le Dr F______ semble reprocher à l’expert de ne pas avoir investigué, « par exemple, la question de savoir si la Dre A______ avait prescrit des médicaments chers, nouveaux, éventuellement off-label, parce que des médicaments classiques s’étaient montrés antérieurement insuffisamment efficaces ? ». Cette argumentation ne saurait être suivie, car, en vertu de son devoir de collaborer, il incombait avant tout à la défenderesse, si elle s’y estimait fondée, de répondre à ces questions, en fournissant elle-même les éléments de fait qu’elle était mieux à même de connaître.

16.13 Le Dr F______ a estimé que l’expertise était lacunaire et qu’il n’existait donc aucune base « robuste » pour documenter un abus de prescriptions, d’examens, ou de traitements. À cet égard, il a relevé qu’il n’existait aucun tableau présentant une analyse des coûts basée sur les codes et les prestations induits pour les patients A, B, C et D, voire pour tout ou partie du reste de la patientèle.

Cet argument tombe à faux. Dans le cadre de la méthode de comparaison des coûts moyens, – dont la méthode de screening constitue un développement (ATF 150 V 129 consid. 4.4.1) –, utilisée dans le cas d'espèce pour contrôler le caractère économique de l'activité médicale, il n'est pas nécessaire, conformément à la jurisprudence, de procéder à un contrôle de toutes les positions de l'ensemble des factures, mais le contrôle peut plutôt se limiter à comparer les coûts moyens de traitement du médecin concerné avec ceux d'autres médecins dans des conditions similaires (comp. arrêt du Tribunal fédéral 9C_784/2023 du 4 septembre 2024 consid. 6.1). Sans compter qu’en raison du refus de collaborer de la défenderesse, l’expert a finalement dû se résoudre à établir son rapport sur la base du seul dossier en possession du tribunal, – et des statistiques afférentes –, à sa disposition.

16.14 Pour le reste, le Dr F______ s’est contenté de faire siennes, mot pour mot, les critiques générales auparavant formulées par la défenderesse à l’encontre de la fiabilité des statistiques de SANTÉSUISSE (« Des statistiques qui ne correspondaient à aucune réalité n’étaient qu’un jeu de l’esprit et se révélaient dangereuses »).

16.15 Enfin, ce « contre-expert » n’a apporté aucun élément de nature analytique à l’appui de ses « observations critiques ». Faute de disposer d’un dossier complet, il n’a pas non plus analysé les statistiques fournies à sa cliente par SANTÉSUISSE. Il n’a pas davantage remis en cause la statistique des PCG jointe à l’expertise du Dr E______, qu’il ne mentionne même pas dans sa prise de position. Il ne prend pas non plus position, dans le délai (prolongé) accordé à cet effet, sur l’argument de SANTÉSUISSE selon lequel la marge de tolérance devait être ramenée à 120 avec la méthode de régression, selon le jugement du Tribunal administratif de Schwyz du 28 mars 2024.

17.         Cela étant, il n’y a pas lieu de faire suite à la demande de la défenderesse d’inviter l’expert à se déterminer sur la « contre-expertise » du Dr F______, laquelle ne contient aucun élément permettant de mettre en doute les conclusions de l’expertise (cf. sur l’appréciation anticipée des preuves : ATF 145 I 167 consid. 4.1). On peut du reste s’interroger sur la motivation de cette requête, dans la mesure où la défenderesse n’a eu de cesse de contester les compétences et l’objectivité de l’expert, prétendument à la solde de SANTÉSUISSE – expert qu’elle a de surcroît accusé de tentative d’escroquerie opérée dans le cadre de son expertise analytique.

18.          

18.1 Il convient de se pencher maintenant plus particulièrement sur l’économicité de la pratique de la défenderesse s’agissant des patients A, B, C et D.

18.2 Concernant la patiente A, la défenderesse s’est prévalue d’un courrier d’HELSANA du 16 avril 2021, adressé à son ancien avocat, dans lequel l’assureur a estimé que ses interventions en 2017 et 2018 avaient respecté le principe d’économicité. La défenderesse a précisé que les coûts générés par la patiente A s’étaient élevés à CHF 35'000.- environ en 2017 et à CHF 18'000.- environ en 2018, représentant respectivement 10% et 5% du total de ses coûts directs.

De son côté, l’expert a remis en cause les conclusions d’HELSANA. Selon lui, facturer pour la patiente A en 2017 presque quatre heures par semaine de consultation signifiait probablement que la défenderesse avait installé une telle dépendance que la relation thérapeutique était devenue symbiotique. Or, les patients sous substitution devaient être vus tout au plus deux fois par mois environ, les autres patients non substitués étaient vus moins souvent. Ces consultations étaient relativement courtes. Elles consistaient en un contrôle de l’état psychologique et physique du patient, un soutien thérapeutique et une écoute. Si une psychothérapie était nécessaire, ce qui était souvent le cas, elle était déléguée à un psychiatre ou psychologue. Rien ne justifiait en l’occurrence une telle quantité de consultations, même pour des cas lourds.

18.3 En l’espèce, on ignore sur quels éléments HELSANA s’est fondée pour conclure à l’économicité de la pratique de la défenderesse dans le cas particulier. Il n’est d’ailleurs pas clairement établi que la patiente A serait effectivement diabétique : dans son courrier du 29 mai 2020, dressant les multiples pathologies dont cette dernière était atteinte, la défenderesse n’a curieusement pas mentionné le diabète, mais indiqué que le traitement prodigué impliquait des soins relevant de la médecine interne et générale. On ne sait pas davantage si cet assureur s’est préalablement enquis à cet égard de l’avis de son médecin-conseil, conformément à l’art. 57 al. 4 LAMAL. Cette disposition prévoit que le médecin-conseil donne son avis à l’assureur sur des questions médicales, ainsi que sur des questions relatives à la rémunération et à l’application des tarifs : il examine en particulier si les conditions de prise en charge d’une prestation sont remplies.

Par ailleurs, quatre heures de consultation par semaine (pour la patiente A), respectivement deux heures environ pour les patients B, C et D, apparaissent effectivement excessives. Le Dr F______ n’a du reste pas contesté l’argumentation, convaincante et dûment motivée, de l’expert sur ce point. À cela s’ajoute que, s’agissant de la patiente A, la défenderesse avait elle‑même indiqué, dans son courrier du 29 mai 2000 précité, que son état de santé nécessitait de la recevoir « au moins une fois par semaine », soit pour une durée ou une fréquence considérablement moins élevée. Par comparaison, dans un arrêt K 50/00 du 30 juillet 2001 (consid. 6.6), le Tribunal fédéral a retenu, s’agissant de patients sous méthadone qui devaient bénéficier d'une prise en charge (psychosociale) plus intensive qu'un entretien par mois, qu'une consultation par semaine était (encore) compatible avec le principe d'économicité.

La question de l’économicité du traitement de la patiente A peut toutefois souffrir de rester irrésolue, dans la mesure où HELSANA a finalement accepté de prendre en charge les coûts de traitement correspondants. En effet, si l’assureur a expressément approuvé la poursuite du traitement d’un patient, il reconnaît indirectement la pertinence et donc l’économicité du traitement qui suit et qui a précédé, puisque les approbations (expresses) ne représentent pas seulement des garanties de remboursement des coûts, mais comprennent également la confirmation du caractère économique du traitement correspondant. D'après la jurisprudence, une pratique non économique constitutive de polypragmasie doit être niée dans le cas où les traitements ont été pour la plupart approuvés de manière spécifique par les assureurs (respectivement les médecins-conseils de ceux-ci) (arrêt du Tribunal fédéral 9C_180/2021du 24 juin 2022 consid. 3.2). Dans de telles circonstances, il n'y a plus de place pour une restitution ultérieure selon la méthode de régression. Cela étant, g (cf. EUGSTER, KVG : Statistische Wirtschaftlichkeitsprüfung im Wandel, in Jusletter du 25 juin 2012, p. 6 § 3.2). En effet, ces traitements ont contribué aux indices du médecin et à son coût moyen par patient. Il serait dès lors contradictoire et contraire au principe de la bonne foi de ne pas les exclure, d'une manière ou d'une autre, du montant soumis à restitution (arrêt TARB.2019.1 NE du 23 août 2023 consid 9 c.bb, lequel fait l’objet d’un recours au Tribunal fédéral).

Dans cette mesure, il faut admettre que la défenderesse peut – indépendamment des particularités alléguées de sa pratique médicale – justifier les coûts comparativement plus élevés générés par la spécificité de la patiente A (cf. V. JUNOD, op. cit., p. 49 n° 2.8.5). En l’occurrence, les frais de traitement de cette patiente, admis par HELSANA, se sont élevés, selon les déclarations de la défenderesse – non contestées – à CHF 35'000.- en 2017 et à CHF 18'409.- (ou CHF 17'785.- selon les versions) en 2018.

18.4 La défenderesse s’est également prévalue des cas B, C et D, qualifiés de lourds. Cette notion implique que le médecin concerné voit moins de patients différents durant l’année que d’autres de ses collègues ne traitant pas de tels cas, ce qui est de nature à augmenter son indice, le dénominateur du coût moyen par patient étant le nombre de patients traités dans l’année par un médecin.

En l’occurrence, le tribunal se ralliera aux conclusions, dûment motivées, de l’expertise analytique, selon lesquelles le coût des traitements correspondants n’est pas économique. D’ailleurs, si tel avait été le cas, la défenderesse, alors assistée d’un avocat, n’aurait assurément pas manqué – abstraction faite de son devoir de collaborer – de produire spontanément un courrier des assureurs concernés attestant l’économicité des traitements prodigués aux patients B, C et D, à l’instar du courrier d’HELSANA du 16 avril 2021 concernant la patiente A, dont les pathologies apparaissent d’ailleurs similaires selon le rapport d’expertise. Pareille démarche était d’autant plus aisée à accomplir que, comme elle l’a soutenu, des cas « aussi chers étaient évidemment observés à la loupe » par lesdits assureurs. Au demeurant, la défenderesse n’a nullement démontré, ni même allégué, qu’elle a traité un nombre de pathologies particulièrement lourdes supérieur à la moyenne de son groupe de comparaison. En tout état, comme l’ont expliqué les demanderesses, il faut admettre que les indices extrêmes ont été corrigés par le logarithme avec la méthode de régression.

18.5 Certes, les assureurs concernés ont accepté de rembourser les factures correspondantes des patients B, C et D. Cela ne permet toutefois pas de reconnaître un accord implicite valant traitement économique pour l’ensemble des prestations. Il y a en effet lieu d'opérer une différence entre le contrôle de la facturation et le contrôle de l'économicité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_122/2023 du 23 août 2024 consid. 4.3.1 et 4.4). Dans le cas du contrôle des factures, il s'agit avant tout de vérifier la conformité des positions individuelles figurant sur les notes d'honoraires avec les différents tarifs ainsi qu'avec les exigences légales spécifiques à certaines thérapies. La question qui peut par exemple se poser dans ce contexte est celle de savoir si les services facturés ont bien été fournis et, le cas échéant, s'il y a eu facturation frauduleuse (cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 124/03 du 16 juin 2004 consid. 6.1.2). Or, si un cas de polypragmasie peut être réalisé lorsque le médecin facture des montants qui excèdent ceux de traitements plus économiques qu'il aurait pu dispenser, ou que des positions tarifaires sont cumulées de façon prohibée, le contrôle de la facturation ne vaut pas encore celui de l'économicité (arrêts du Tribunal fédéral 9C_21/2016 du 17 novembre 2016 consid. 6.2 et K 116/03 du 23 novembre 2004 consid. 4.2). Si l'on devait admettre qu'à chaque fois qu'un assureur honore une facture d'un médecin, il en reconnaît indirectement la nécessité et surtout l'économicité, la ratio legis de l'art. 56 LAMal serait vidée de sa substance et la procédure en matière de polypragmasie n'aurait pas lieu d'être. Ainsi, un remboursement de prestations par une caisse-maladie ne saurait de manière générale et à lui seul dédouaner le médecin de ses obligations de limiter ses prestations à la mesure exigée par l’intérêt de l’assuré et le but du traitement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_485/2022 du 20 juin 2023 consid. 6.4). Aussi, contrairement à ce que semble penser la défenderesse, le fait que les assureurs concernés aient payé les factures en cause sans discussion ne signifie pas qu’ils en reconnaissent la nécessité et l’économicité.

19.         Au vu des considérations qui précèdent, force est de conclure que la défenderesse ne peut se prévaloir d’aucune pratique particulière, respectivement d’une patientèle différente de celle du groupe de comparaison, permettant de justifier une prise en charge de ses coûts au-delà de la marge de tolérance-type de 120-130 au sens où l’entend l’ATF 150 V 129 consid. 5.5. C’est le lieu de rappeler que si le médecin refuse de soumettre les pièces nécessaires pour établir les particularités de sa pratique, « il en subira les conséquences puisque ces particularités ne seront pas prises en compte » (cf. V. JUNOD, op. cit. p. 20 n° 2.8.1). Partant, il convient de considérer que les facteurs de morbidité intégrés et fondamentalement standardisés par la procédure de screening en l’occurrence sont effectivement (déjà) entièrement représentés dans les indices de régression retenus par les demanderesses à l’appui de leurs prétentions, indices dont les taux sont respectivement de 189 et 201 points pour les années 2017 et 2018.

Dans la mesure où la défenderesse n’est pas parvenue à démontrer – comme il le lui incombait – le caractère inapproprié ou ne correspondant pas aux conditions réelles de ces facteurs de morbidités, il y a lieu de valider sans autre les indices correspondants. En effet, comme exposé à juste titre par l’ancien conseil de la défenderesse lui-même, ce n’est « que si le praticien mis en cause n’explique rien de sérieux que la méthode de filtrage peut, faute d’autre élément, servir de mesure de l’économicité » (cf. mémoire du10 septembre 2021, p. 3 consid. 1.1). C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la conclusion de l’expert, selon laquelle « il n’y avait pas d’autre alternative que de suivre la demande des assureurs ». De ce point de vue, l’avis de l’expert est motivé à suffisance, contrairement à ce que semble avoir retenu le Dr F______.

20.         Par surabondance, on observera ce qui suit.

20.1 Le tribunal de céans est conscient que, dans le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, un médecin au bénéfice de plusieurs spécialisations et ayant peu de patients les traite de manière plus approfondie et économise ainsi de nombreux coûts indirects, un surcroît de travail de clarification, de conseil et de traitement pouvant en particulier se traduire par une baisse des coûts des médicaments, voire d’hospitalisations (cf. ATF 133 V 37 consid. 5.3.3 et 5.3.5 ; voir aussi « Rapport sur les effets d’un financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires » du Département fédéral de l’intérieur, du 30 novembre 2020, faisant état d’une baisse des coûts de santé de 10% liés à une maladie chronique ou des patients polymorbides (diabète, maladies cardiovasculaires et maladies respiratoires) grâce à des soins coordonnés dans le système de santé suisse, respectivement d’une plus faible probabilité d’hospitalisation liée à leur maladie pour les patients souffrant en particulier de diabète dans un modèle de soins intégrés par rapport à un modèle classique (rapport (https://www.parlament.ch/centers/documents/fr/bericht-09-528-edi-2020-11-30-f.pdf, p. 78).

20.2 Pareil constat ne dispense pour autant pas la défenderesse de son obligation de collaborer, singulièrement de démontrer, au degré requis de vraisemblance prépondérante, que les traitements prodigués à ses patients pendant la période litigieuse, singulièrement les patients sélectionnés dans la cadre de l’expertise analytique, s’avéraient, comme elle l’allègue, globalement, économiques. Or, s’enferrant dans une attitude contreproductive, cette dernière, contre toute attente et sans motif valable, a renoncé à étayer devant l’expert cette particularité alléguée de sa pratique, – soit le rapport « coût-efficacité » de ses prestations –, au prétexte, si on la comprend bien, que les dés étaient pipés.

Le refus (sinon l’incapacité) de la défenderesse à donner les informations nécessaires pour vérifier le caractère économique de sa pratique est d’autant plus étonnant qu’elle a été en mesure de fournir à HELSANA les éléments d’informations ayant permis à cette dernière d’estimer que les interventions concernant la patiente A respectaient le principe d’économicité.

Un tel manque de transparence de sa part ne peut qu’incliner le tribunal de céans à considérer que la défenderesse ne dispose d’aucun élément susceptible d’étayer sa position.

21.         Il sied maintenant de calculer les montants à restituer.

21.1 Lors de l'examen de la question de l'économicité, l'indice de l'ensemble des coûts est en principe déterminant (ATF 133 V 37 consid. 5.3). L'obligation de restituer en application de l'art. 56 al. 2 LAMal n'englobe toutefois que les coûts directement liés à la pratique du médecin ; le calcul du montant à rembourser doit se baser sur l'indice des coûts directs, puisque l'obligation de remboursement ne se rapporte qu'à ces derniers (ATF 133 V 43 consid. 2.5.1-2.5.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_535/2014 du 15 janvier 2015 consid. 5.2 in fine). Ainsi, pour le calcul d'un remboursement, il n'est pas possible de se référer directement à l'indice (global) des coûts déterminés par le screening. Il faut en outre déduire de l'indice des coûts directs déterminant pour le remboursement la marge de tolérance et, en plus, les effets sur les coûts des particularités du cabinet.

21.2 En présence d’une particularité de pratique – à laquelle il convient d’assimiler la prise en charge spécifique d’un assureur (cf. ci-dessus consid. 16.3 in fine) – permettant de justifier des coûts plus élevés que le groupe de contrôle, deux méthodes de calcul ont été admises (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 50/00 du 30 juillet 2001, résumé dans PJA 2005 p. 109). D'une part, une marge supplémentaire peut être ajoutée à la marge de tolérance déterminée au préalable (SVR 2001 KV n° 19 p. 52 [K 144/97] consid. 4b, 1995 KV n° 40 p. 125 consid. 4). D'autre part, il est permis de quantifier les particularités en question au moyen de données concrètes recueillies à cette fin, puis de soustraire le montant correspondant des coûts totaux découlant des statistiques (SVR 1995 KV n° 140 p. 125 consid. 4b) (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 148/04 du 2 décembre 2005 consid. 3.3.1).

21.3 En l’occurrence, dans la mesure où l’approbation du traitement de la patiente A par HELSANA constitue une justification indépendante de la pratique de la défenderesse, le tribunal de céans – qui dispose d'une certaine marge d'appréciation et d'évaluation en ce qui concerne la détermination mathématique du montant à récupérer (arrêt du Tribunal fédéral 9C_517/2017 du 8 novembre 2018 consid. 6.3) – adoptera pour le calcul dudit montant, mutatis mutandis, la solution retenue par le Tribunal arbitral neuchâtelois dans son arrêt TARB.2019.1 NE du 23 août 2023 précité, à savoir déduire du montant à rembourser, – calculé sur la base de l’indice des coûts directs et d’une marge de tolérance de 130 (cf. ci-dessous consid. 19.4) –, les coûts de traitement de la patiente A dont cet assureur a spécifiquement admis le caractère économique (cf. aussi dans ce sens la solution retenue par le Tribunal arbitral fribourgeois dans son arrêt ARB 2019 5 du 7 novembre 2022 consid. 9 et 10.3, que le Tribunal fédéral a implicitement confirmée dans son arrêt 9C_588/2022 du 7 novembre 2023 consid. 7.5 in fine).

21.4 Selon la jurisprudence, un manque d'économicité résulte d’un dépassement de la valeur moyenne statistique (100 points d'indice) au-delà d’un indice de 120 à 130 (cf. ci-dessus consid. 5).

21.4.1 En l’espèce, les demanderesses ont appliqué une marge de tolérance de 120 points, qu’elles justifient par l'amélioration de la méthodologie de l'analyse de régression à deux niveaux par rapport aux anciennes méthodes statistiques.

21.4.2 Dans l’ATF 150 V 129 précité, le Tribunal fédéral a toutefois écarté cette argumentation (consid. 5.4). Selon la Haute Cour, la marge de tolérance fait partie du dépistage des structures de coûts anormales et son but est avant tout de respecter le style de pratique individuel du fournisseur de prestations. Elle respecte le principe de la liberté de traitement du médecin. Autrement dit, la marge de tolérance à estimer dans le cadre du screening tient compte avant tout de la liberté de traitement du médecin ; la nouvelle méthode n'a pas d'effet sur celle‑ci. À ce stade de la procédure, il est tenu compte du fait que le succès thérapeutique visé (résultat du traitement) peut être atteint par différentes voies thérapeutiques. Dans la mesure où la tolérance n'est pas destinée à tenir compte d'un écart-type « technique », lié à la méthode, on ne voyait pas en quoi la meilleure prise en compte de la morbidité – c'est-à-dire d'une caractéristique du collectif de patients – liée à la méthode de screening devrait affecter la zone de tolérance. De même, les particularités quantifiables du cabinet ne doivent pas être évaluées par le biais de la marge de tolérance forfaitaire, mais chacune sur la base d'une constatation statistique ou d'une estimation. La marge de tolérance ne devait donc pas être transformée en un supplément immuable de 20% en se référant à la spécification méthodologique améliorée. La marge se situe toujours dans une fourchette de 20 points minimum à 30 points maximum sous la nouvelle convention 2018. La détermination du supplément dans les cas individuels est laissée à l'appréciation des assureurs-maladie ou du Tribunal arbitral. Le fait que le fournisseur de prestations concerné soit spécialisé dans certaines maladies ou formes de thérapies particulières sera par exemple déterminant pour l'exercice de ce pouvoir d'appréciation, dans la mesure où celles-ci ne doivent pas être considérées comme des particularités du cabinet (cf. ATF 150 V 129 consid. 5.4).

21.4.3 Comme exposé ci-avant, la marge de tolérance sert à tenir compte des particularités et des différences entre cabinets médicaux ainsi que des imperfections de la méthode statistique en neutralisant certaines variations statistiques (arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2010 du 27 décembre 2011 consid. 4.3). En outre, il ne faut pas étendre à la légère la zone de tolérance au‑delà de la valeur de 130, car celle-ci permet déjà d'absorber un certain nombre de particularités du cabinet médical qui ne peuvent pas être chiffrées avec précision (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_732/2010 du 7 avril 2011 consid. 4.2). Le Tribunal cantonal dispose d'une certaine latitude, puisqu'il peut retenir n'importe quel pourcentage entre 20% et 30%. Cette marge usuelle peut en revanche être augmentée s'il est établi que la pratique du médecin présente des particularités justifiant des coûts plus élevés que ceux de son groupe de comparaison (V. JUNOD, op. cit. p. 48 § 7).

21.5 Aussi, à défaut de particularité reconnue, et contrairement à la thèse défendue par SANTÉSUISSE, le tribunal de céans retiendra une marge de 30%, au lieu de 20%, quand bien même la méthode de régression constitue une amélioration de la méthode ANOVA – et même si la marge de tolérance est précisément également prévue pour neutraliser certaines variations statistiques inhérentes à l'imperfection de la méthode statistique. Cette marge de 30% tient compte par ailleurs du principe de la liberté de traitement de la défenderesse, singulièrement de « son approche peut‑être ‘non-mainstream’ de la médecine clinique », respectivement de « sa conception personnelle de la médecine », pour reprendre la formulation du Dr F______.

22.         Les montants dus par la défenderesse s’établissent comme suit.

22.1  

Année 2017 

Frais de traitement patiente A : CHF 35'000.-

Coûts directs : CHF 356'079.-

Indice de régression des coûts directs : 230

Montant admissible (marge de 30) : CHF 201'262,04 (356'079 x 130 : 230)

Dépassement : CHF 154'816,95 (356'079 – 201'262,04)

Total avec correctif : CHF 119'816.95 (154'816,95 - 35'000)

Année 2018

Frais de traitement patiente A : CHF 18'409.- (montant plus favorable retenu par l’expert)

Coûts directs : CHF 399'690.-

Indice de régression des coûts directs : 248

Montant admissible (marge de 30) : CHF 209'514,91 (399'690 x 130 : 248)

Dépassement : CHF 190'175,10 (399'690 - 209'514,91)

Total avec correctif : CHF 171'766.10 (190'175,10 - 18'409)

Les demanderesses ayant conclu au paiement de CHF 161'069.10 pour l’année 2018, il conviendra de leur allouer ce dernier montant, afin de ne pas statuer ultra petita (ATAS/776/2016 du 16 septembre 2016 consid. 14b).

23.         Enfin, le tribunal de céans ne décèle en l’espèce aucune circonstance particulière permettant, en vertu du principe de proportionnalité, une restitution seulement partielle des honoraires selon l'art. 59 al. 1 let. b LAMal (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_784/2023 du 4 septembre 2024 consid. 7.1 ; voir aussi ATF 141 V 25 consid. 8.4). C’est le lieu d’observer que, conformément au principe de la bonne foi (au sens de la protection de la confiance en droit public en cas de renseignements erronés fournis par les autorités : ATF 127 I 31 consid. 3a), SANTÉSUISSE a dûment rendu la médecin attentive au caractère non économique de son mode de traitement avant de déposer ses demandes de remboursement pour cause de surmédicalisation devant le tribunal de céans (cf. dans ce sens arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 57/95 du 5 juillet 1996 consid. 4c).

24.         Par surabondance, on observera ce qui suit.

Avec les « indices mixtes RSS », « fabriqués pour la circonstance », – soit 161 points pour 2017 et 162 points pour 2018 (cf. ci-dessus § D.k.), les montants à restituer auraient a priori pu être inférieurs aux montants réclamés.

Toutefois, en application de la jurisprudence inaugurée avec l’ATF 150 V 129, cette méthode alternative à la méthode de screening n’aurait, en tout état, pas (plus) été admissible, à peine de porter atteinte aux garanties d'un contrôle uniforme et approprié du caractère économique, auquel le législateur a contraint les acteurs concernés par l'art. 56 al. 6 LAMal (ATF 150 V 129 consid. 5.2).

25.         Selon l'art. 88 LPA (applicable par renvoi de l’art. 45 al. 2 LaLAMal), la juridiction administrative peut prononcer une amende à l’égard de celui dont le recours, l’action, la demande en interprétation ou en révision est jugée téméraire ou constitutive d’un emploi abusif des procédures prévues par la loi (al. 1). L’amende n’excède pas CHF 5'000.- (al. 2).

En l’occurrence, il ressort du dossier que la défenderesse a largement enfreint les limites de la convenance, en dépit d’un avertissement formel, en formulant (ou laissant formuler par le Dr D______ ou le Dr F______) des critiques de mauvaise foi ou purement polémiques, ou dans une forme attentatoire à l'honneur, visant à discréditer sa partie adverse, l’expert et le tribunal de céans.

Elle a en outre tenté, à réitérées reprises, de perturber le déroulement de la présente procédure et violé de manière manifeste son devoir de collaboration, ce qui constitue un comportement téméraire (dans ce sens ATF 124 V 285 consid. 4b), alors qu’elle s’était initialement déclarée « prête à fournir toute explication » concernant sa pratique. À partir du moment où elle n’a plus été assistée d’un homme de loi (formellement du moins, cf. la mention laissée par inadvertance dans son écriture du 11 septembre 2024 : « C’est bien sûr à toi de rédiger la seconde partie avec Maria, car vous êtes seuls à disposer des éléments de réponse »), la défenderesse n’a eu de cesse de tenter d’intimider délibérément le juge instructeur, en particulier par l’annonce du dépôt de plaintes tous azimuts, auprès d’un grand nombre de personnes et diverses instances politiques ou judiciaires, – aux fins de l’inciter à se récuser –, tout en lui reprochant ensuite d’être resté « indifférent aux nombreuses plaintes pénales, administratives, recours et plaintes internationales (…) ». Sans compter la notification abusive d’un commandement de payer à l’expert, qu’elle a accusé de surcroît de tentative d’escroquerie, peu avant que ce dernier ne rende son rapport – manœuvre visant sans doute à provoquer un motif de récusation, respectivement à écarter in fine ledit rapport du dossier.

Dans ce contexte, la défenderesse n’a pas hésité à invoquer des faits ou des accusations qu’elle savait infondés ou inexacts. Sous la présidence du juge instructeur, le Dr E______ n’a été désigné qu’une seule fois par le Tribunal arbitral, et cela dans le cadre de la présente affaire, et non pas « systématiquement » comme elle l’a faussement affirmé. Elle a également faussement accusé l’expert d’être « grassement » rémunéré par SANTÉSUISSE sachant pertinemment que ce dernier avait été nommé par le tribunal.

Enfin, la défenderesse a adopté un comportement contradictoire ou contraire à la bonne foi à plusieurs titres. En particulier, nonobstant l’entrée en force de la décision de la Délégation des juges du Tribunal arbitral du 1er décembre 2023 rejetant sa demande de récusation à l’encontre du juge instructeur, la défenderesse, sans (pouvoir) se prévaloir d’aucun élément nouveau, a persisté à considérer ce dernier « toujours et de facto comme récusé », au lieu de recourir au Tribunal fédéral contre le rejet de sa demande de récusation. En outre, alors même qu’elle avait remis gravement en cause l’impartialité de l’expert devant le tribunal de céans, la défenderesse a provoqué l’irrecevabilité de son recours devant le Tribunal fédéral en ne fournissant pas, dans le délai supplémentaire accordé à cet effet, l’ordonnance d’expertise contestée (qu’elle avait pourtant qualifiée de « félonne » dans la cause ATAS/933/2023 précitée). De surcroît, elle a accusé abusivement le juge instructeur de parti pris en faveur de SANTÉSUISSE, feignant d’ignorer que ce dernier, accédant à sa demande initiale, avait ordonné la mise en œuvre d’une expertise analytique, et cela malgré l’opposition de SANTÉSUISSE, qui s’est déclarée « très fortement surprise » par cette mesure d’instruction (cf. courrier de Me BURNET du 26 mai 2023). De même, la défenderesse a refusé, sans motif digne de considération, de collaborer à ladite expertise, alors que son propre conseil avait requis cette mesure d’instruction, qu’il estimait même « intournable », afin de permettre à sa cliente de démontrer, « de façon implacable », l’absence de toute violation du principe d’économicité. En outre, malgré l’admission par son ancien conseil qu’une expertise analytique l’autoriserait à « dévoiler les diagnostics » des patients retenus, la médecin a, contre toute attente, exigé le respect de leur anonymat sous couvert du secret médical. Enfin, elle a aussi fait preuve de témérité en reprochant à l’expert d’avoir rendu son expertise sans avoir eu un « accès direct » aux données médicales de ses patients, alors qu’elle a expressément refusé de lui fournir lesdites données.

D’un autre côté, il ne ressort pas du dossier que les actes de la défenderesse en lien avec la polypragmasie constatée ci-dessus relèvent d’une infraction pénale.

Dans ces circonstances, eu égard au maximum de CHF 5'000.-, le tribunal de céans lui infligera une amende de CHF 2’500.-.

26.         La procédure devant le Tribunal arbitral n’est pas gratuite. Conformément à l’art. 46 al. 1 LaLAMal, les frais du tribunal et de son greffe sont à la charge des parties. Ils comprennent les débours divers (notamment indemnités de témoins, port, émolument d’écriture), ainsi qu’un émolument global n’excédant pas CHF 50'000.-. Le tribunal fixe le montant des frais et décide quelle partie doit les supporter (art. 46 al. 2 LaLAMal).

En l’occurrence, le montant total des conclusions initiales des demanderesses pour 2017 et 2018 s’élève à CHF 291'066.10 (129'997 + 161'069.10) contre un montant global admis de CHF 280'886.05 (119'816.95 + 161'069.10).

Les demanderesses obtiennent ainsi gain de cause sur 96,5 % (280'886.05 : 291′066.10 x 100) de leurs conclusions. Cette proportion est appliquée à la répartition des frais entre les parties. Eu égard au sort du litige, les frais du tribunal, arrêtés à CHF 39'954,85 (dont CHF 9'954,85 à titre de frais d’expertise), et un émolument de justice, fixé à CHF 5'000.-, seront mis à raison de CHF1’573.40, à la charge des demanderesses, prises conjointement et solidairement, et à raison de CHF 43’381.40 à la charge de la défenderesse.

27.         SANTÉSUISSE a réclamé des dépens. Selon un récent ATF 149 II 381 du 18 septembre 2023 (consid.7.3), les assurances-maladies qui obtiennent gain de cause avec l’assistance d’un avocat n’ont plus droit à des dépens. Sa demande sera dès lors écartée.


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES :

À la forme :

1.        Déclare les demandes recevables.

Au fond :

2.        Joint les causes A/2603/2019 et A/190/2020, sous la cause A/2603/2019.

3.      Condamne la défenderesse à verser aux demanderesses, prises conjointement et solidairement, en mains de SANTÉSUISSE, la somme de CHF 119'816.95 pour l’année 2017.

4.        Condamne la défenderesse à verser aux demanderesses pour l’année 2018, prises conjointement et solidairement, en mains de SANTÉSUISSE, la somme de CHF 161'069.10 pour l'année 2018.

5.        Inflige à la défenderesse une amende de CHF 2'500.-.

6.        Met les frais du tribunal, de CHF 39'954,85, et un émolument de justice, fixé à CHF 5'000.-, à la charge des parties, à raison de 3,5% (CHF 1’573.40) pour les demanderesses, prises conjointement et solidairement, et de 96,5% (CHF 43’381.40) pour la défenderesse.

7.        Dit qu’il n’est pas alloué de dépens.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

Christine RAVIER

 

Le président suppléant

 

 

Jean-Louis BERARDI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le