Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1326/2024 du 12.11.2024 ( TAXIS ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1148/2024-TAXIS ATA/1326/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 12 novembre 2024 2ème section |
| ||
dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Guy ZWAHLEN, avocat
contre
DIRECTION DE LA POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimée
A. a. A______, né le ______ 1989, est titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi depuis le 26 juin 2018.
b. Le 7 mars 2023, il a déposé auprès du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir, devenue la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN), une « requête en délivrance d’une autorisation d’usage accru du domaine public, formulaire à l’attention des chauffeurs de taxi visés à l’art. 46 al. 13 de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31) ».
Il avait loué une première autorisation d’usage accru du domaine public (ci-après : AUADP) du 1er juillet 2018 au 31 mai 2021 (plaques GE 1______) et une seconde AUADP du 9 juillet 2022 au 9 janvier 2023 (plaques GE 2______). Il n’avait pas loué d’AUADP en janvier 2022 pour des raisons de santé.
c. À la suite de l’arrêt ATA/779/2023 rendu le 18 juillet 2023 par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administratives) et indiquant qu’il n’était pas décisif d’avoir été titulaire d’une AUADP le 26 février 2020 lors du dépôt de la loi, la PCTN a imparti aux chauffeurs de taxi un délai pour déposer une nouvelle requête.
d. Le 31 octobre 2023, A______ a déposé auprès de la PCTN une nouvelle requête.
Il avait loué une première AUADP de juillet 2018 à mai 2021 et une seconde AUADP de juillet 2022 à décembre 2022.
Il convenait de tenir compte de sa situation très exceptionnelle. En raison de la pandémie de covid-19 et de ses conséquences, il n’avait plus pu payer le loyer de l’AUADP et son bail avait été résilié en mai 2021. Il était en outre tombé gravement malade le 29 novembre 2021 et n’avait pu reprendre son travail qu’en juillet 2022, date à laquelle il avait à nouveau loué une AUADP.
Il remplissait les conditions d’un cas de rigueur dès lors que c’était sans sa faute qu’il n’avait pu obtenir une AUADP qu’après le 28 janvier 2022.
Il produisait :
- un rapport du Docteur B______, spécialiste FMH en pneumologie, du 29 novembre 2021 à un confrère relevant une dyspnée à l’effort depuis plusieurs années, en investigation, une obstruction nasale et une ancienne dépendance au tabac, une saturation à 99%, une spirométrie et des fonctions pulmonaires dans la norme, et proposant un traitement par inhalation de corticostéroïdes et de formotérol ;
- un rapport des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) du 16 janvier 2022 : rapportant une dyspnée de stade IV depuis la veille alors qu’il conduisait sa voiture, sans facteur déclenchant identifié, toux légère sèche depuis quelques jours, gêne thoracique habituelle depuis longtemps augmentée de type serrement l’empêchant de prendre une grande respiration, irradiant dans le bras gauche, intermittente, d’une durée de quelques heures, fréquence aléatoire, péjorée en position assise, pas à l’effort, ainsi que des palpitations associées ; ne constatant aucun signe de détresse cardiaque ou respiratoire ; retenant une sensation de dyspnée d’origine indéterminée ; préconisant le suivi chez le pneumologue traitant ;
- un rapport des HUG du 21 janvier 2022 rapportant une persistance de la dyspnée, retenant une dyspnée d’origine indéterminée sans critère de gravité retrouvé et proposant un suivi chez le médecin traitant et le traitement d’une gastrite ;
- un rapport du Dr B______ du 28 janvier 2022 indiquant que le traitement par inhalation de corticostéroïdes n’avait pas donné de résultats, que le patient avait consulté à deux reprises aux urgences et que des investigations complémentaires étaient prévues ;
- un rapport d’imagerie médicale du 3 février 2022 concluant à quelques rares plages de condensation en situation sous-pleurale présentes uniquement au niveau des bases pulmonaires, d’étiologie infectieuse en premier lieu ;
- un rapport de l’unité de physiologie respiratoire des HUG du 18 février 2022 concluant à une capacité d’effort abaissée, limitée par la mécanique respiratoire et une réponse ventilatoire à l’effort anormale, avec une fréquence respiratoire jusqu’à 89/min ;
- une prescription du Dr B______ du 21 mars 2022 faisant suite à l’examen radiologique, rapportant la confirmation par un confrère de l’hypothèse d’une respiration dysfonctionnelle aboutissant à l’épuisement de la réserve respiratoire et proposant une physiothérapie de reconditionnement ventilatoire ainsi qu’un examen des cordes vocales vu la sensation de blocage inspiratoire ;
- un certificat du Docteur C______, spécialiste FMH en psychiatrie-psychothérapie, du 12 janvier 2023 attestant l’avoir vu le 24 janvier 2022 et appris qu’il avait vécu un période très difficile de maladie de son épouse, des enfants et de lui-même, et qu’il avait été malade du covid-19 et avait eu des problèmes respiratoires avec un sentiment de ne pas pouvoir prendre complètement son air (seulement à 70%) et d’avoir dû consulter en urgence plusieurs fois ainsi qu’un spécialiste en pneumologie ;
- un certificat de la Docteure D______, spécialiste FMH en médecine interne générale, du 16 janvier 2023 attestant l’avoir vu le 21 janvier 2022 en urgence pour gêne respiratoire ;
- un certificat du Dr B______ du 16 janvier 2023 attestant l’avoir rencontré les 9 novembre 2021, 28 janvier et 23 mars 2022 pour des problématiques respiratoires.
e. Le 16 novembre 2023, la PCTN a informé A______ de son intention de rejeter sa requête dès lors qu'il ne résultait pas des pièces produites qu'il aurait été l'utilisateur effectif d'une AUADP au moment de l'adoption de la LTVTC, le 28 janvier 2022. Il était invité à faire part de ses observations avant le prononcé d'une décision.
f. Le 22 novembre 2023, A______ s’est plaint que la PCTN n’avait pas pris en compte les circonstances particulières qu’il avait détaillées dans sa requête. Il s’était trouvé dans une situation de rigueur consécutive au covid-19 qui avait tout particulièrement affecté le transport professionnel de personnes.
Il était tombé gravement malade le 29 novembre 2021 et n’avait pu reprendre le travail qu’en juillet 2022.
Une dérogation devait lui être accordée.
g. Par décision du 21 mars 2024, la PCTN a rejeté la requête d’AUADP.
Il n’avait pas démontré avoir été titulaire ou utilisateur effectif d’une AUADP le 28 janvier 2022.
Aucune disposition transitoire ne prévoyait d’exception fondée sur la survenance de la pandémie, sauf pour ce qui concernait la taxe annuelle. Cela étant la crise sanitaire n’avait pu être ignorée par le législateur. Le droit transitoire tenait ainsi compte des circonstances particulières provoquées par la crise sanitaire, et si le législateur avait voulu déroger au régime transitoire, plus particulièrement à l’exigence d’avoir été titulaire d’une AUADP, il l’aurait clairement indiqué.
L’argument du cas de rigueur ne pouvait être suivi.
B. a. Par acte remis à la poste le 5 avril 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’une AUADP lui soit délivrée.
Il n’avait pas les moyens de payer les loyers exorbitants demandés pour la location d’une AUADP après la crise de la pandémie. Il produisait un exemple de contrat de bail du 20 décembre 2021, un article de journal et proposait son audition et celle de E______.
Il était en outre, à la même période, dans l’incapacité d’exercer sa profession pour raison de maladie, ce que son audition établirait.
Ce n’était qu’après l’adoption de la loi que les loyers étaient revenus à la normale. Son état de santé s’était par ailleurs amélioré. Il avait ainsi pu louer une AUADP dès le 9 juillet 2022.
S’il n’avait pas été obligé de résilier son contrat de bail le 31 mai 2021 en raison du covid-19, il aurait été utilisateur d’une AUADP le 28 janvier 2022 lors de son incapacité de travail due à la maladie.
Ces circonstances exceptionnelles et le principe de proportionnalité, qui l’emportait sur les lois cantonales, permettaient de déroger à la loi. Il n’y avait pas d’intérêt public à priver pour l’avenir une personne d’une AUADP indispensable pour exercer sa profession du simple fait qu’elle n’en avait pas eu l’usage effectif le 22 janvier 2022 en raison d’une situation indépendante de sa volonté. Le refus violait également sa liberté du commerce et de l’industrie ainsi que le principe de non-rétroactivité, le principe de la sécurité et de la prévisibilité du droit.
b. Le 7 juin 2024, la PCTN a conclu au rejet du recours.
Les documents médicaux produits ne démontraient pas d’incapacité de travail.
c. Le 18 juillet 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions et son argumentation.
Il avait été gravement malade depuis le 29 novembre 2021 et n’avait pu reprendre le travail qu’en juillet 2022.
d. Le 22 juillet 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Dans le corps de ses écritures, le recourant semble solliciter son audition et celle de E______, en qualité de témoin.
2.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s’étend qu’aux éléments pertinents pour l’issue du litige et n’empêche pas la juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n’implique pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).
2.2 En l’espèce, le recourant a eu l’occasion de développer son argumentation et de faire valoir toute pièce utile devant la PCTN et la chambre de céans. Il a notamment produit de nombreuses pièces médicales, qui suffisent pour établir son état de santé, et il sera vu plus loin que la prise en compte de celui-ci n’est pas déterminante pour l’issue du litige, de sorte que son audition n’apparaît pas nécessaire sur ce point. Il en va de même de son audition et de l’audition d’un témoin sur l’envolée du montant des loyers réclamés pour la location d’une AUADP, étant observé que personne ne conteste que le recourant a dû renoncer à son AUADP en mai 2021 pour des raisons de coûts et qu’il n’a pu en reprendre une pour les mêmes motifs que dès juillet 2022, et que par ailleurs cet élément ne modifie pas, ainsi qu’il sera vu, l’issue du litige.
Il ne sera pas donné suite aux demandes d’actes d’instruction.
3. Le litige porte sur le bien-fondé du refus de délivrer une AUADP, en application du régime transitoire prévu par l’art. 46 al. 13 de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31).
3.1 La LTVTC, actuellement en vigueur depuis le 1er novembre 2022, résulte du projet de loi (ci-après : PL) n° 12'649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur, déposé par le Conseil d’État devant le Grand Conseil le 26 février 2020. Ce projet a été renvoyé à la commission parlementaire des transports qui a rendu deux rapports, respectivement le 16 août 2021 (ci-après : Rapport A) et le 11 janvier 2022 (ci-après : Rapport B).
Dans sa présentation du PL, le département a exposé qu’en raison du numerus clausus des AUADP, le délai d’attente pour leur obtention pouvait atteindre plusieurs années, ce qui augmentait leur valeur économique et permettait à leurs titulaires de gagner de l’argent en vivant de la rente résultant de la location de leurs plaques pour un loyer dépassant parfois plus de dix fois le montant de la taxe annuelle. De nombreux chauffeurs voulant exercer la profession de chauffeur de taxi étaient ainsi contraints de louer une AUADP, ce qui les rendait dépendants et économiquement vulnérables. Il était apparu que 53 personnes détenaient 150 AUADP, dont une personne qui en avait dix. En l’absence d’outils permettant de contrôler les prix, le PL prévoyait de supprimer la cession des plaques, en recourant à leur location ou au bail à ferme. Ainsi, selon le PL, le détenteur d’une AUADP pouvait soit l’utiliser lui-même, soit engager un chauffeur pour l’utiliser, qui devenait contractuellement son employé, soit céder définitivement l’AUADP.
La commission parlementaire a voulu supprimer la location des plaques, qui conférait une rente de situation aux titulaires d’une AUADP, lesquels les louaient à un prix abusif. Le bail à ferme permettait la réalisation de marges excessives par rapport à l’outil de travail proposé, en tirant profit d’un avantage octroyé par l’État pour le monnayer. Il convenait de supprimer cette possibilité, une indemnisation étant introduite dans les dispositions transitoires en faveur des personnes rendant leur AUADP.
À l’issue de la séance du 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la LTVTC (loi 12'649), publiée le 4 février 2022 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) fixant le délai référendaire au 16 mars 2022.
Vu l’expiration du délai référendaire, le Conseil d’État a, par arrêté du 23 mars 2022 publié dans la FAO du 25 mars 2022, promulgué la LTVTC pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication dudit arrêté, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État. Le 19 octobre 2022, le Conseil d’État a annoncé que la LTVTC et son règlement d’application entreraient en vigueur le 1er novembre 2022.
3.2 L’art. 46 al. 13 LTVTC dispose, sous l’intitulé « attribution des autorisations restituées ou caduques », que le département peut attribuer l’AUADP à la personne physique ou morale qui en était l’utilisateur effectif au moment du dépôt de la LTVTC, s’il en est toujours l’utilisateur au moment de l’adoption de la LTVTC, en fait la requête et réalise les conditions de délivrance visées à l’art. 13 al. 5 LTVTC.
Les personnes réalisant les conditions de l’art. 46 al. 13 de la loi peuvent requérir la titularité d'une AUADP. La requête doit être déposée dans le délai transitoire mentionné à l’al. 11 du présent article ; l'art. 5 du présent règlement est applicable pour le surplus (art. 57 al. 12 règlement d'exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 21 juin 2017 - RTVTC - H 1 31 01). L’art. 57 al. 11 RTVTC prévoit que le service peut, pendant le délai transitoire des douze mois visé à l’art. 46 al. 8 LTVTC délivrer jusqu’à 200 AUADP supplémentaires aux utilisatrices et utilisateurs effectifs au sens de
l’art. 46 al. 13 LTVTC.
Dans son arrêt du 24 mars 2023 (ACST/15/2023), la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) a jugé que l’art. 46 al. 13 LTVTC était une disposition légale transitoire, adoptée pour permettre aux chauffeurs de taxis exerçant leur profession à travers la location de plaques ou d’un bail à ferme de continuer leur activité, malgré l’abolition de ces pratiques par l’entrée en vigueur de la LTVTC, et de leur attribuer, pour autant que les conditions légales soient remplies, une AUADP (consid. 5.3.4). Dans ce contexte, le Conseil d’État avait indiqué que l’augmentation transitoire du nombre d’AUADP pendant un an (art. 57 al. 11 RTVTC) permettait d’atténuer les effets du passage au régime de l’interdiction de location des autorisations.
La chambre constitutionnelle a rappelé que l’AUADP octroyée aux taxis ne conférait généralement pas de droits acquis, à moins de garanties spécifiquement obtenues concernant la poursuite de l’activité de location de plaques, ce qui n’était pas le cas dans les affaires dont elle était saisie (ACST/26/2022 du 22 décembre 2022 ; ACST/27/2022 du 22 décembre 2022).
3.3 Se penchant sur la condition d’être utilisateur effectif de l’AUADP au moment du dépôt de la LTVTC, la chambre de céans a jugé que celle-ci n’était pas décisive, mais qu’était en revanche déterminant le fait d’être utilisateur effectif au moment de l’adoption de la loi le 28 janvier 2022 (ATA/779/2023 du 18 juillet 2023 consid. 5.6.2 ; ATA/886/2023 du 22 août 2023 consid. 6.6).
Dans un arrêt récent du 4 juin 2024 (2C_690/2023), le Tribunal fédéral a confirmé la compatibilité de l’art. 46 al. 13 LTVTC avec les principes de non‑rétroactivité des lois et de proportionnalité en lien avec la liberté économique.
Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a eu l’occasion de relever que la situation des chauffeurs de taxis liée à la crise sanitaire ne permettait pas de déroger à l’application de l’art. 46 al. 13 LTVTC. À rigueur de texte, cette disposition ne prévoyait pas la possibilité d’invoquer des motifs d’empêchement à la location d’une AUADP. Il ressortait des travaux parlementaires que l’idée du régime transitoire était de prévoir un passage en douceur pour les personnes subissant des sacrifices trop importants du fait de la nouvelle réglementation. Or, les chauffeurs de taxi qui n’étaient pas locataires d’une AUADP au moment de l’adoption de la loi ne se trouvaient pas dans la situation dans laquelle leur relation par rapport au bailleur devait être clarifiée et ils ne couraient pas le risque de perdre leur outil de travail en raison de la restitution par leur bailleur de l’AUADP (ATA/1051/2024 du 3 septembre 2024 consid. 3.6 et 3.7 ; ATA/1013/2024 du 27 août 2024 consid. 2.3 ; ATA/918/2024 du 6 août 2024 consid. 2.10 ; ATA/878/2024 du 23 juillet 2024 consid. 3.9 ; ATA/879/2024 du 23 juillet 2024 consid. 2.9 ; ATA/821/2024 du 9 juillet 2024 consid. 3.9).
Ces considérations ont conduit la chambre administrative à retenir qu'un chauffeur de taxi (il s'agissait déjà du recourant) qui, sans être locataire à ce moment d'une AUADP, avait été absent de Suisse de janvier à mars 2022 n’était pas, durant cette période, l’utilisateur effectif des plaques louées au sens de l'art. 46 al. 13 LTVTC, peu importaient les motifs pour lesquels il s’était rendu à l’étranger (ATA/687/2023 du 27 juin 2023 consid. 3.9). Elle a abouti à la même conclusion dans le cas d'un chauffeur de taxi dont le contrat de location d'une AUADP avait pris fin depuis plusieurs mois en raison d'un accident et qui se trouvait toujours en incapacité de travail à la date d'adoption de la LTVTC (ATA/814/2024 du 9 juillet 2024 consid. 2.6).
3.4 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme ; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 144 V 313 consid. 6.1 ; 137 IV 180 consid. 3.4). La chambre de céans suit la même approche (ATA/1279/2023 du 28 novembre 2023 consid. 4.8 et l'arrêt cité).
3.5 Selon un principe général de droit intertemporel, les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 140 V 41 consid. 6.3.1). Liée aux principes de sécurité et de prévisibilité du droit (art. 5 al. 1 Cst.), l'interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l'égalité de traitement (art. 8 Cst.), ainsi que de l'interdiction de l'arbitraire et de la protection de la bonne foi (9 Cst.). L'interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1), car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause (ATF 144 I 81 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_339/2021 du 4 mai 2022 consid. 4.1). Il n'y a pas de rétroactivité proprement dite lorsque le législateur entend réglementer un état de chose qui, bien qu'ayant pris naissance dans le passé, se prolonge au moment de l'entrée en vigueur du nouveau droit ; cette rétroactivité (improprement dite) est en principe admise, sous réserve du respect des droits acquis (ATF 148 V 162 consid. 3.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; 144 I 81 consid. 4.1).
4. En l’espèce, la seconde requête formée par le recourant auprès de la PCTN en vue de l’obtention d’une AUADP – qui constitue le fait juridiquement déterminant – date du 31 octobre 2023, soit après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. Cette demande doit donc s’examiner au regard de la nouvelle réglementation, conformément au principe général du droit intertemporel rappelé par la jurisprudence fédérale susmentionnée.
Contrairement à ce que semble penser le recourant, sa requête ne soulève pas de question sous l’angle de la rétroactivité des lois puisqu’elle a été déposée après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2023 du 4 juin 2024 consid. 5.1). Ce grief doit être écarté.
4.1 Le recourant ne conteste pas ne pas avoir été l’utilisateur effectif d’une AUADP le 28 janvier 2022. Il fait toutefois valoir qu’en raison de la crise sanitaire, qui a durement affecté le secteur du transport de personnes, d'un déplacement à l'étranger et des prix prohibitifs pratiqués à l'époque, il n’a pas pu disposer d’une AUADP au moment déterminant du 28 janvier 2022. Cette situation exceptionnelle constituerait selon lui un « cas de rigueur », justifiant une dérogation au régime transitoire, en ce sens que la condition d’avoir été utilisateur effectif au moment de l’adoption de la loi ne devrait pas s’appliquer à son cas.
La chambre administrative a toutefois déjà retenu, dans sa jurisprudence, que l’art. 46 al. 13 LTVTC ne prévoyait pas la possibilité d’invoquer des motifs d’empêchement à la location d’une AUADP au moment de l’adoption de la loi, le 28 janvier 2022. Si le législateur avait voulu déroger au régime transitoire, plus particulièrement à l’exigence d’avoir été l’utilisateur effectif d’une AUADP au moment déterminant, il l’aurait clairement indiqué. Ainsi que l’a relevé l’intimé, l’art. 46 al. 13 LTVTC a été élaboré durant la période de la crise sanitaire, si bien que les conséquences économiques de cette situation sur les chauffeurs de taxis ne pouvaient être ignorées par le législateur. Par ailleurs, comme l’a jugé récemment le Tribunal fédéral, il n’apparaît pas contraire au principe de la bonne foi de circonscrire le cercle des bénéficiaires d'un régime transitoire prévoyant un accès privilégié à la titularité des autorisations aux chauffeurs qui ont recouru à la location de celles-ci jusqu'au moment de l'adoption de la LTVTC, car ces chauffeurs ne pouvaient pas, avant ce moment-là, s'attendre à l'interdiction d'une telle pratique. En revanche, dès l'adoption de la loi, les chauffeurs devaient s'attendre aux modifications juridiques intervenues, même s'ils ne savaient pas de manière définitive quand une telle suppression entrerait en vigueur. Le régime permet ainsi d'éviter des abus consistant à devenir locataire d'une autorisation d'usage accru du domaine public avant l'entrée en vigueur de la loi, dans le seul but de pouvoir bénéficier de l'application de l'art. 46 al. 13 LTVTC et de court-circuiter l'ordre prévu dans la liste d'attente de ces autorisations.
Or, dans le cas présent, le recourant a reloué une AUADP le 9 juillet 2022, soit à une période où il devait s’attendre à l’interdiction d’une telle pratique. Contrairement aux chauffeurs de taxi qui étaient utilisateurs effectifs au moment de l’adoption de la loi, le recourant connaissait le risque qu’il prenait de perdre son outil de travail en raison de la restitution par son bailleur de l’AUADP. En tant qu’elle distingue ces situations, la loi échappe à toute critique.
4.2 Le recourant fait encore valoir son état de santé défaillant, qui constituerait un cas exceptionnel justifiant une dérogation.
Il ne rend toutefois pas vraisemblable que son état de santé l’aurait empêché d’exploiter une AUADP au 28 janvier 2022. L’abondante documentation médicale qu’il a produite, si elle atteste en effet de troubles dans la fonction respiratoire, montre également que ceux-ci sont anciens, qu’ils sont suivis et traités, et elle n’indique nulle part que leur exacerbation à la fin de l’année 2021 et au début de l’année 2022 aurait entraîné une incapacité de travail.
En outre, selon le recourant lui-même, ce qui l’avait empêché de louer une AUADP dès mai 2021 était le niveau exorbitant des loyers réclamés, qui ne serait revenu à la normale qu’après l’adoption de la loi.
Ainsi, une éventuelle incapacité de travail pour cause de maladie survenue à la fin de l’année 2021 et au début de l’année 2022 aurait en toute hypothèse été sans effet sur la possibilité pour le recourant d’être l’exploitant effectif une AUADP au 28 janvier 2022 – étant rappelé qu’il a été vu plus haut que la loi ne prévoit pas d’exceptions.
Il sera encore observé que le recourant n’a fourni aucune information sur son activité et ses revenus – y compris d’éventuelles prestations pour perte de gain en cas d’incapacité de travail due à la maladie – de mai 2021 à juillet 2022.
Il suit de là que, faute d'avoir été titulaire d’une AUADP au moment déterminant du 28 janvier 2022, le recourant ne peut bénéficier du régime transitoire instauré par l’art. 46 al. 13 LTVTC (ATA/814/2024 du 9 juillet 2024 consid. 2.6 ; ATA/619/2024 du 21 mai 2024 consid. 4).
5. Invoquant l’art. 27 Cst., le recourant se plaint d’une violation du principe de proportionnalité en lien avec la liberté économique.
5.1 Selon l’art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1) ; elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). L'art. 35 Cst-GE contient une garantie similaire.
5.2 L’activité de chauffeur de taxi indépendant ou salarié est protégée par l’art. 27 Cst., même si l’exercice de cette activité implique un usage accru du domaine public (ATF 143 II 598 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_79/2023 du 23 février 2024 consid. 4.1.1, destiné à la publication et les arrêts cités). Les restrictions cantonales à l’exercice de la profession de chauffeur de taxi qui portent ainsi atteinte à la liberté économique doivent reposer une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et respecter le principe de proportionnalité, qui exige qu’une mesure soit apte à produire les résultats escomptés (aptitude), que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (nécessité), et interdit toute limitation des droits individuels allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (proportionnalité au sens étroit ; art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 149 I 191 consid. 6 et 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_79/2023 précité consid. 4.1.1, destiné à la publication).
5.3 Dans un arrêt récent concernant un refus d’attribution d’une AUADP en faveur d’un chauffeur de taxi genevois au motif qu’il n’était locataire d’une AUADP que depuis le 4 février 2022, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 46 al. 13 LTVTC ne restreignait d’aucune manière sa liberté économique. Une telle restriction résultait de l’art. 13 al. 3 (« les autorisations et la plaques d’immatriculation correspondantes sont strictement personnelles et intransmissibles ») et 9 let. e LTVTC (« le département constate la caducité de l’autorisation lorsque son titulaire met à la disposition d’un tiers l’autorisation, respectivement la plaque d’immatriculation correspondante en violation de l’al. 3 »). Le fait que l’art. 46 al. 13 LTVTC prévoie la possibilité, et non pas le droit, de se voir attribuer en priorité une autorisation personnelle pour les chauffeurs qui en louaient une à leur titulaire au moment de l’adoption de la loi ne signifiait pas que cette disposition consacre une violation « directe » de sa liberté économique (arrêt du Tribunal fédéral 2C_690/2023 du 4 juin 2024 consid. 7.2).
5.4 Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que prétend le recourant, ni l’art. 46 al. 13 LTVTC ni le refus de la PCTN d’admettre une dérogation ne restreignent sa liberté économique. La disposition prévoit la possibilité – et non le droit – de se voir attribuer une autorisation, étant rappelé que la jurisprudence admet que le droit cantonal puisse limiter l’utilisation du domaine public par les chauffeurs de taxi en soumettant celle-ci à autorisation. Le recourant reste libre d’obtenir une telle autorisation en déposant une demande d’inscription sur une liste d’attente. On rappellera, enfin, qu’il n’existe pas de droit au maintien d’une législation en vigueur jusqu’alors et qu’un régime transitoire doit seulement permettre aux administrés de s’adapter à la nouvelle réglementation et non pas de profiter le plus longtemps possible de l’ancien régime plus favorable (ATF 149 I 291 consid. 5.4 ; 145 II 140 consid. 4).
La décision attaquée apparaît ainsi conforme au droit.
Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.
6. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 5 avril 2024 par A______ contre la décision de la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 21 mars 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met à la charge de A______ un émolument de CHF 500.- ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Guy ZWAHLEN, avocat du recourant, ainsi qu'à la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
|
| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière :
|