Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1296/2024 du 05.11.2024 sur DITAI/448/2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2415/2024-LCI ATA/1296/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 5 novembre 2024 3ème section |
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dans la cause
A______ SA recourante
représentée par Me Jean-Daniel BORGEAUD, avocat
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC
et
B______ intimés
Représenté par Me Sidonie MORVAN, avocate
_________
Recours contre la décision sur mesures provisionnelles du Tribunal administratif de première instance du 27 août 2024 (DITAI/448/2024)
A. a. Par deux décisions du 19 octobre 2021, le département du territoire (ci-après : le département) a délivré à A______ SA les autorisations M 1______ de démolir le bâtiment existant et DD 3______de construire quatre habitats groupés (HPE), avec parking souterrain et abattage d’arbres, sur la parcelle n° 1'489 de la commune de Carouge.
b. Sur recours de B______, voisin de la parcelle, qui s’était opposé à la délivrance des autorisations, le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) a, par jugement du 16 mars 2023, annulé l’autorisation de construire et renvoyé le dossier au département pour instruction au sens des considérants, et réformé l’autorisation de démolir en soumettant son entrée en force à la condition suspensive de l’entrée en force de l’autorisation de construire.
c. Par décision du 28 mai 2024, le département a délivré à A______ SA une nouvelle autorisation de construire DD 3______portant sur quatre habitats groupés (HPE 43.9%), avec parking souterrain et abattage d’arbres, sur la même parcelle.
d. L’autorisation a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le même jour.
e. Le département n’a pas informé B______ – qui s’était opposé à la délivrance de la nouvelle autorisation.
B. a. Par acte du 16 juillet 2024, B______ a recouru auprès du TAPI contre cette décision, concluant à son annulation. Sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, il a conclu qu’il soit fait interdiction à A______ SA de commencer les travaux de démolition objet de la décision M 1______ et de commencer les travaux de construction objet de l’autorisation DD 2______.
Le département ne l’avait pas avisé de la délivrance de l’autorisation de construire alors qu’il avait formulé des observations en 2019 et était partie à la précédente procédure de recours.
b. Par décision du 16 juillet 2024, le TAPI a admis la demande de mesures superprovisionnelles.
c. Le 23 juillet 2024, A______ SA a conclu au rejet de la demande de mesures provisionnelles, subsidiairement à une interdiction de trois mois.
Elle avait déposé une seconde requête d’autorisation de construire DD 3______. Il n’avait jamais été convenu qu’elle prendrait la place de la première. Elle devait être traitée en parallèle.
d. Le 26 juillet 2024, le département a fait valoir que la condition suspensive posée par le jugement du TAPI du 16 mars 2023 concernait toute autorisation de construire portant sur la parcelle n° 1'489. L’autorisation de construire DD 3______était l’objet du recours et l’autorisation DD 3______ était en cours d’instruction. L’autorisation de démolir M 1______ ne pouvait donc entrer en force. Le recours avait par ailleurs effet suspensif de plein droit et la requête de mesures provisionnelles était sans objet.
e. Par décision du 27 août 2024, le TAPI a déclaré irrecevable la demande de mesures provisionnelles portant sur l’interdiction de commencer les travaux de démolition objet de l’autorisation M 1______, et admis la demande de mesures provisionnelles portant sur l’interdiction de commencer les travaux de construction objet de la décision d’autorisation DD 2______.
L’entrée en force de l’autorisation de démolir était subordonnée à l’entrée en force de l’autorisation de construire.
Il était vraisemblable que la nouvelle autorisation de construire aurait dû être notifiée à B______. Dans l’hypothèse où le recours serait recevable, il emporterait automatiquement effet suspensif, empêchant tous travaux de construction. Il s’ensuivait qu’afin de maintenir la situation actuelle et d’éviter une situation de fait quasi irréversible, il devait être fait interdiction à A______ SA de commencer les travaux de construction.
C. a. Par acte remis à la poste le 9 septembre 2024, A______ SA a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, en ce qu’elle lui faisait interdiction de commencer les travaux de construction, concluant à son annulation ainsi qu’au prononcé de l’irrecevabilité du recours de B______ devant le TAPI.
Le recours était manifestement irrecevable faut d’avoir été déposé dans les 30 jours suivant la publication de l’autorisation dans la FAO. Il ne comportait aucun grief contre le contenu de l’autorisation, mais uniquement des griefs de nature procédurale. Il était possible de mettre sans attendre un terme définitif à l’affaire.
La décision retenait à tort que B______ était une partie. Elle ne tenait pas compte du devoir de diligence du mandataire, qui devait suivre la publication des décisions. Elle concluait à tort qu’il était vraisemblable que le recours serait recevable.
b. Le 19 septembre 2024, le département a fait valoir que l’effet suspensif résultait ex lege du recours et se confondait avec l’interdiction prononcée par le TAPI, lequel aurait dû constater l’absence d’intérêt de B______ à obtenir la mesure provisionnelle. La décision querellée n’était pas conforme au droit.
c. Le 1er octobre 2024, B______ a conclu à l’irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours.
La décision incidente du TAPI ne causait aucun préjudice à A______ SA. La chambre administrative ne disposait pas des éléments pour mettre fin immédiatement au litige.
d. Le 18 octobre 2024, A______ SA a persisté dans ses conclusions.
e. Le 23 octobre 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. La chambre administrative examine d’office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATA/660/2022 du 23 juin 2022 consid. 1 et les références mentionnées).
1.1 Interjeté devant l'autorité compétente et dans le délai de dix jours prescrit par l'art. 62 al. 1 let b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), le recours est recevable sous ces deux aspects (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).
1.2 Selon l'art. 57 let. c LPA in initio, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable. Selon la même disposition in fine, elles peuvent également faire l'objet d'un tel recours si cela conduisait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.
L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 432 n. 1265).
Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a).
Le simple fait d'avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées).
La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c et les arrêts cités). Cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l'estiment trop restrictive (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss). Elle a néanmoins été confirmée par le Tribunal fédéral (arrêt 2C_1156/2018 consid. 4.3).
Lorsqu'il n'est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d'expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1622/2017 précité consid. 4d ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2d).
1.3 Selon l’art. 66 al. 1 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours.
1.4 En l’espèce, le recours formé par B______ devant le TAPI contre l’autorisation de construire a produit ex lege effet suspensif.
Il s’ensuit que B______ n’avait aucun intérêt au prononcé par le TAPI, sur mesures provisionnelles, d’une interdiction d’entreprendre les travaux, laquelle a le même but et produit les mêmes effets, de sorte que le TAPI aurait dû déclarer cette conclusion irrecevable.
Cela étant, l’effet suspensif et l’interdiction d’entreprendre ayant la même portée, la seconde ayant d’ailleurs été prononcée pour obtenir les mêmes effets que la première, A______ SA n’a, devant la chambre de céans, aucun intérêt à l’annulation de la décision attaquée, l’effet suspensif continuant à déployer ses effets en telle hypothèse. Aucun autre intérêt spécifique n’est invoqué.
Il suit de là que la recourante ne rend vraisemblable aucun préjudice irréparable.
Quant à la conclusion tendant au prononcé, par la chambre de céans, de l’irrecevabilité du recours devant le TAPI, elle est irrecevable, cette question n’étant pas l’objet de la mesure provisionnelle attaquée et le TAPI devant encore la trancher sur partie ou dans son jugement au fond. La chambre de céans n’est en effet appelée à statuer que sur le bien-fondé de la mesure provisionnelle attaquée, dont le dispositif ne dit rien de la recevabilité du recours, de sorte que sa décision ne saurait en toute hypothèse porter sur cet aspect et conduire immédiatement, comme le soutient la recourante, à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse, au sens de l’art. 57 let. c LPA.
Le recours devra être déclaré irrecevable.
2. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité ne sera allouée à B______, qui conclut certes à l’irrecevabilité du recours, mais également à son rejet et ainsi au maintien d’une décision contraire à la loi et à laquelle il n’a ni intérêt ni droit (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
déclare irrecevable le recours interjeté le 9 septembre 2024 par A______ S.A. contre la décision sur mesures provisionnelles du Tribunal administratif de première instance du 27 août 2024 ;
met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ SA ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Jean-Daniel BORGEAUD, avocat de la recourante, à Me Sidonie MORVAN, avocate de l'intimé, au département du territoire - OAC ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. MICHEL
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| le président siégeant :
P. CHENAUX |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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