Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1234/2024 du 21.10.2024 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1321/2024-EXPLOI ATA/1234/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 21 octobre 2024 2ème section |
| ||
dans la cause
A______ recourant
contre
DIRECTION DE LA POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimée
A. a. B______ Snc (ci-après : B______), inscrite au registre du commerce depuis le 15 février 2013, a pour but « alimentation, tabacs, journaux" et exploite le kiosque à l’enseigne « B______ », rue de C______ ______. Elle a pour associés avec signature individuelle A______ et D______.
b. Le 10 juillet 2023, la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : la direction) a délivré à A______ l’autorisation de vendre des boissons fermentées et distillées à l’enseigne « B______ ».
c. Selon le rapport de police du 26 avril 2023 relatif à un contrôle effectué le 21 avril 2023 à 22h30 dans le commerce à l’enseigne « B______ », l’exploitant avait omis de mettre correctement les boissons alcooliques sous clé. Une chaîne reliait d’un bout à l’autre les frigos en passant par les poignées mais ne permettait pas le verrouillage et les clients pouvaient se servir malgré le dispositif. Un client était d’ailleurs en train de vouloir se servir dans le frigo mais s’était ravisé à la vue des policiers municipaux. Présent sur les lieux, D______ avait été informé de la rédaction du rapport.
d. Selon le rapport de la direction du 2 novembre 2023, lors d’une opération d’achat‑test du 19 octobre 2023 à 15h20 une bouteille de boisson distillée de marque « Smirnoff Ice Original » d’une quantité de 275 ml avait été vendue par E______, répondant sur place, à un mineur.
e. Selon un rapport de police du 27 octobre 2023, D______ avait omis, le même jour, de mettre les boissons alcooliques sous clé et/ou de les soustraire à la vue du public de 21h00 à 07h00.
f. Le 13 novembre 2023, la direction a indiqué à A______ qu’il envisageait de prononcer la suspension de son autorisation du 10 juillet 2023 pour une durée de sept jours à six mois en raison des deux infractions constatées les 20 avril et 19 octobre 2023.
g. Le 21 novembre 2023, D______ a expliqué à la direction que le nécessaire avait été fait pour mettre efficacement sous clé les boissons alcoolisées et les soustraire à la vue du public entre 21h00 et 07h00. Il avait cru que la mise en place d’une chaîne fermée par un cadenas suffirait. L’employé E______ était informé des règles à suivre concernant la vente d’alcool et de tabac aux mineurs mais il n’avait pas eu le réflexe de demander une pièce d’identité au client le 19 octobre 2023. Il avait été menacé de licenciement si cela se reproduisait. Il serait lui-même plus vigilant à l’avenir et demandait l’indulgence de la direction.
h. Le 5 décembre 2023, la PCTN a transmis à A______ le rapport de police du 27 octobre 2023 et l’a informé qu’il envisageait, au vu de ce rapport, de prononcer la suspension de son autorisation du 10 juillet 2023 pour une durée de sept jours à six mois.
i. Le 13 décembre 2023, D______ a expliqué à la PCTN qu’il avait mis sous clé les frigos et posé un store fermé par un cadenas mais qu’apparemment cela n’avait pas suffi car l’agent chargé du contrôle avait réussi à l’ouvrir, et qu’il n’avait pas pensé à mettre sous clé certains alcools destinés à la réserve mais qui n’étaient pas visibles du public. Il avait pris note et ferait le nécessaire pour que plus aucun alcool ne soit accessible à la vue du public.
j. Le 24 janvier 2024, la direction a transmis à A______ le rapport de police du 23 août 2022, selon lequel le 8 août 2022 à 22h54, alors que D______ était présent, les horaires de fermeture n’étaient pas indiqués et des boissons alcoolisées n’étaient pas mises sous clé alors qu’il était plus de 21h00, et l’a informé qu’il envisageait, au vu de ce rapport, de prononcer la suspension de son autorisation du 10 juillet 2023 pour une durée de sept jours à six mois, ainsi qu’une sanction et/ou une amende administrative. Un délai au 26 février 2024 lui était imparti pour se déterminer.
k. Par décision du 28 mars 2024, la PCTN a prononcé la suspension pour une durée de 30 jours de l’autorisation délivrée le 10 juillet 2023 à A______ de vendre dans le commerce à l’enseigne « B______ » sis ______, rue C______ des boissons alcooliques. Une mesure d’exécution fixant les dates de suspension serait prononcée dès l’entrée en force de la décision. Les boissons alcooliques devaient être retirées du commerce durant l’exécution de la mesure.
Le contrôle du 19 octobre 2023 avait révélé la vente d’une bouteille d’alcool fort à un mineur, soit une violation grave des prescriptions légales, laquelle n’était pas contestée.
S’agissant des infractions commises les 6 août 2022, 20 avril et 27 octobre 2023, il était averti qu’en cas de nouveau constat d’infractions il s’exposerait au prononcé d’une nouvelle mesure administrative.
B. a. Par acte remis à la poste le 15 avril 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à la réduction de la durée de la suspension.
Les infractions n’étaient pas contestées. Tout serait mis en œuvre pour qu’elles ne se reproduisent plus. Une suspension de 30 jours sans vente de boissons alcooliques au vu de la situation économique et de la concurrence croissante dans le domaine de la vente des petites épiceries comme la sienne lui serait préjudiciable et fragiliserait grandement sa situation financière. Il était conscient de la gravité des infractions mais serait reconnaissant si la durée de la mesure pouvait être atténuée.
b. Le 24 mai 2024, la PCTN a conclu au rejet du recours.
« Vu les faits constatés notamment le 19 octobre 2023 », elle avait prononcé la suspension d’une durée de 30 jours. La vente du 19 octobre 2023 constituait une violation grave de la loi, en raison de la volonté du législateur de se montrer sévère en cas de vente d’alcool aux mineurs. La durée était proportionnée. D’autres infractions avaient été commises les 6 août 2022, 20 avril et 27 octobre 2023 pour lesquelles la PCTN aurait pu rendre également une mesure de suspension, mais avait toutefois formulé un avertissement.
c. A______ n’a pas répliqué dans le délai imparti au 27 juin 2024.
d. Le 12 juillet 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le recourant conteste la durée de la mesure de suspension.
2.1 La loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l’emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac du 17 janvier 2020 (LTGVEAT - I 2 25) a pour buts d’assurer qu’aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l’ordre public, en particulier la tranquillité et la santé publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu’en raison de sa construction, de son aménagement et de son implantation. Elle vise également à protéger la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction (al. 1). Toute autorisation prévue par la présente loi ne peut être délivrée que si les buts énoncés à l’al. 1 sont susceptibles d’être atteints (al. 2).
À teneur de l'art. 6 al. 4 LTGVEAT, la remise à titre gratuit et la vente de produits du tabac et de produits assimilés au tabac aux mineurs est interdite.
La vente de produits du tabac et de produits assimilés au tabac, y compris l’exploitation d’appareils automatiques délivrant ces produits est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation délivrée par la PCTN (art. 7 al. 1 let. b LTGVEAT).
Les titulaires d’une autorisation doivent en particulier veiller à ce que le personnel de vente contrôle l’âge des jeunes clients. À cette fin, une pièce d’identité peut être exigée (art. 10 al. 3 LTGVEAT).
L’art. 18 al. 3 LTGVEAT permet à la PCTN de prononcer, en cas de violation des prescriptions de cette loi ou de ses dispositions d’exécution, sans préjudice de l’amende prévue à l’art. 19 LTGVEAT, la suspension de l’autorisation pour une durée de sept jours à six mois (let. a) ou le retrait de l’autorisation (let. b).
Selon l'art. 18 LTGVEAT, pour fixer la durée de la mesure ou décider d’un retrait, outre les seuils précités, l’autorité tient compte notamment de la gravité de la faute, des antécédents et de leur gravité. Est notamment considérée comme grave la violation des prescriptions visées aux art. 6, 14 et 16 LTGVEAT (al. 6).
2.2 Selon l’art. 61 al. 1 let. a LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a). Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).
2.3 Aux termes de l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), l’activité de l’État doit répondre à un intérêt public et être proportionnée au but visé. Le principe de la proportionnalité exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d’intérêt public escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, elle interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 148 I 160 consid. 7.10 ; 140 I 218 consid. 6.7.1).
2.4 La PCTN jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer la mesure administrative (ATA/911/2023 du 25 août 2023 consid. 2.3).
La chambre de céans a considéré que, compte tenu de la gravité de l’infraction commise, cette autorité n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation ni excédé celui-ci en prononçant pour une durée de 30 jours la suspension de l’autorisation d’un commerçant qui avait vendu une cigarette électronique jetable à un mineur, durée qui se situait dans la fourchette inférieure de l’art. 18 al. 3 let. a LTGVEAT (ATA/910/2023 du 25 août 2023 consid. 3.5).
Dans une autre affaire, elle a réduit la durée de la suspension d'un mois à quinze jours pour prendre en considération les circonstances, telles l’absence d’antécédent, les regrets exprimés, l’engagement de prendre les mesures pour éviter une récidive, la quantité d’alcool acheté limitée à une bouteille de 5 cl et les effets économiques de la mesure sur l’établissement, lequel ne vendait que de l’alcool (ATA/760/2024 du 25 juin 2024 consid. 3.5).
Dans l'ATA/761/2024 du 25 juin 2024 consid. 2.7, les recourants ont vu la durée de la suspension de l'autorisation de 60 jours pour deux infractions admises réduite à 30 jours pour les motifs qu'elle ne tenait pas suffisamment compte du fait que le recourant n’avait pas d’antécédent disciplinaire, avait exprimé des regrets, s’était engagé à prendre des mesures pour éviter une récidive, que la quantité d’alcool vendu était limitée à une bouteille de 275 ml, que la vente d’un produit assimilé au tabac était limitée à une cigarette électronique et des effets économiques de la mesure sur l’établissement.
Dans l’ATA/856/2024 du 19 juillet 2024 consid. 3.6.3, la durée de la suspension pour avoir vendu le 13 février 2023 une cigarette électronique à un mineur a été réduite de 30 à 20 jours malgré la gravité de l'infraction, en raison de l’absence d’antécédents et compte tenu des effets économiques de la mesure sur le commerce. Deux autres infractions à la LTGVEAT avaient été constatées les 14 janvier et 18 avril 2023, et le recourant s’était vu infliger un avertissement, mais en même temps que la mesure attaquée. Quant à la situation financière précaire du commerce, la comptabilité versée au dossier établissait une baisse du chiffre d’affaires. Toutefois, la suspension ne portait que sur les produits du tabac et assimilés, et le recourant ne soutenant pas qu’il ne vendait que ces produits.
2.5 En l’espèce, l’infraction reprochée est admise par le recourant et seule est contestée la durée de la suspension.
Le recourant admet qu’une bouteille d’alcool distillé « Smirnoff Ice Original » d’une quantité de 275 ml et d’un taux d’alcool de 4% a été vendue par l’établissement « B______ » le 19 octobre 2023 à un mineur. La gravité de cette infraction n’est pas contestée.
Le recourant n’a aucun antécédent. Il fait valoir qu’une suspension de 30 jours fragiliserait la situation économique de son entreprise. Il ne produit toutefois pas de comptabilité et ne soutient pas que son magasin ne vendrait que des boissons alcoolisées.
Il a par ailleurs fait l’objet d’un avertissement pour trois autres infractions commises les 6 août 2022, 20 avril et 27 octobre 2023, qu’il ne conteste pas.
Conformément à la jurisprudence précitée, la durée de la suspension apparaît en l’espèce excessive. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, une suspension de 20 jours apparaît adéquate pour atteindre le but de la LTGVEAT, soit le respect par le recourant des dispositions de cette loi, en particulier la protection de la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction.
Le recours sera admis et la durée de la suspension réduite à 20 jours.
3. Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le recourant n’y ayant pas conclu et ne faisant pas valoir qu’il aurait subi des frais (art. 87 al. 1 et 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 15 avril 2024 par A______ contre la décision de la direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 28 mars 2024 ;
au fond :
l’admet partiellement ;
annule la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 28 mars 2024 en tant qu’elle fixe la durée de la suspension de l’autorisation délivrée à A______ pour la vente à emporter de boissons alcoolisées pour le compte de l’entreprise B______ Snc, dans le commerce à l'enseigne « B______ », à 30 jours ;
réduit la durée de ladite suspension à 20 jours ;
confirme pour le surplus la décision précitée ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
B. SPECKER
|
| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière :
|