Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1220/2024 du 15.10.2024 ( EXPLOI ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/263/2024-EXPLOI ATA/1220/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 15 octobre 2024 1ère section |
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dans la cause
A______ Sàrl recourante
représentée par Me Serge Fasel, avocat
contre
DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE,
DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION intimée
représentée par Me Stephan Fratini, avocat
A. a. La société A______ Sàrl (ci-après : la société), avec siège social à Genève et inscrite au registre du commerce depuis le 27 juin 2000, a pour but le commerce dans l’informatique et l’électronique, notamment l’achat, la vente, l’importation et l’exportation de software et hardware ainsi que la formation d’opérateurs et consultants dans ces domaines.
b. Le 12 février 2021, la société a présenté une demande d’aide « pour cas de rigueur » dans le cadre de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.
c. Par décision du 18 mars 2021, la conseillère d’État en charge du département du développement économique devenu depuis lors le département de l’économie et de l’emploi (ci‑après : le département) a accordé à la société une aide financière de CHF 750'000.-. Ce montant tenait compte d’un chiffre d’affaires de CHF 5'226'800.-, de coûts totaux de CHF 6'629'059.- et de coûts fixes de CHF 794'912.70 pour l’année 2020.
d. Les 10 février et 23 avril 2021, la société a signé des Conventions d’octroi de contribution à fonds perdu avec le département.
e. Le 30 avril 2021, la société a présenté une nouvelle demande d’aide « pour cas de rigueur ».
f. Par décision du 6 septembre 2021, la conseillère d’État a accordé à la société une aide financière de CHF 400'713.-. Ce montant tenait compte d’un chiffre d’affaires 2018 et 2019 de respectivement CHF 9'733'444.- et CHF 9'924'183.- et un chiffre d’affaires 2020 de CHF 5'225'961.-.
B. a. Par courrier du 15 juillet 2022, le département a indiqué à la société qu’il allait procéder aux calculs de la participation au bénéfice conformément aux dispositions légales en vigueur.
b. Par décision du 7 juin 2023, la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation (ci-après : la direction générale) du département a sollicité la restitution d’un montant de CHF 349'386.-, valant participation au bénéfice de la société de l’exercice 2021 au sens de l’art. 8e de l’ordonnance concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 (ordonnance Covid-19 cas de rigueur 2020,
OMCR 20 - RS 951.262 ; ci-après : l’ordonnance Covid-19).
Sur la base du résultat fiscal 2021 (CHF 1'494'741.-), tel que déterminé par l’administration fiscale, le département avait recalculé les résultats annuels nets de l’impact des aides « cas de rigueur » (CHF 344'028.-). La perte de l’exercice 2020 (- CHF 1'145'355.-) était reportée sur le résultat de l’exercice 2021
(- CHF 801'327.-). Enfin, le montant total des aides perçues dans le cadre du dispositif « cas de rigueur » (CHF 1’1507'713.-) était additionné au résultat 2021. Il en résultait un montant positif de CHF 349'386.-, qui était retenu au titre de participation au bénéfice, étant précisé que ce montant était inférieur au montant des aides perçues.
c. Le 7 juillet 2023, la société s’est opposée à cette décision.
S’il était vrai qu’elle avait réussi à présenter un résultat positif pour l’année 2021, les impacts de la pandémie du Covid-19 avaient perduré durant l’année 2022. Elle avait dû faire face à des difficultés supplémentaires liées aux conséquences inattendues de la pandémie, lesquelles avaient causé une perte importante pour l’année 2022 de CHF 131'221.85.
La décision ne reposait sur aucune base légale cantonale ou fédérale, si bien qu’elle violait le principe de la légalité. Tant l’art. 12 al. 1septies de la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid‑19 du 25 septembre 2020 (loi Covid-19 - RS 818.102) que l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 « cas de rigueur » avaient été abrogés depuis le 31 décembre 2021, soit bien avant la décision litigieuse. Quant au droit cantonal, il ne prévoyait pas la possibilité pour les cantons de participer au bénéfice des entreprises. Il en allait de même des décisions d’octroi de l’aide publique des 18 mars et 6 septembre 2021 et des conventions d’octroi de contribution à fonds perdus conclues avec le département les 10 février et 23 avril 2021.
Le montant réclamé par le département mettait sa survie en péril, constituant ainsi un restriction grave à sa liberté économique, ne reposant sur aucune base légale. Le montant réclamé ne tenait pas compte de sa réalité économique, si bien qu’elle était disproportionnée. Il était manifeste, au vu des documents comptables 2022 et de la perte réalisée, que l’aide octroyée n’avait pas contribué à une quelconque surindemnisation. Non seulement les aides versées en 2021 étaient nécessaires, mais elles étaient insuffisantes, car elle subissait encore des pertes liées à la pandémie.
Enfin, les aides avaient été octroyées à fond perdu, si bien que leur montant n’était pas sujet à restitution. Ce revirement de situation était contraire à la bonne foi, aucun document ne mentionnant la possibilité de participer à son bénéfice.
d. Par décision du 8 décembre 2023, le département a confirmé sa décision du
7 juin 2023.
Selon le système mis en place dès la révision de la loi Covid-19 du 20 mars 2021 et celle de l’ordonnance Covid‑19 du 1er avril 2021, la législation fédérale prévoyait une réglementation uniforme régissant pour l’ensemble du pays l’aide pour cas de rigueur aux entreprises dont le chiffre d’affaires dépassait CHF 5'000'000.-, aide intégralement prise en charge par la Confédération. Les cantons devaient mettre en œuvre ces mesures d’aide en appliquant les prescriptions fédérales sans dérogation. La loi cantonale urgente 12938 et son règlement d’application avaient été adoptés en 2021. Les dispositions relatives aux mesures pour le cas de rigueur concernant les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépassait CHF 5'000'000.- renvoyaient aux dispositions fédérales, qui régissaient les mesures de manière uniforme.
Contrairement à ce que soutenait la recourante, le fait que l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 ne soit plus en vigueur depuis le 1er janvier 2023 n’empêchait en rien son application, même après cette date, aux entreprises ayant reçu des aides pour cas de rigueur et réalisé un bénéfice durant l’année 2021.
Sous l’angle de la liberté économique, la société ne démontrait nullement en quoi la décision de restitution du bénéfice 2021 mettait sa survie en péril. L’art. 8e de l’ordonnance Covid‑19 indiquait expressément que l’analyse devait se fonder uniquement sur les résultats 2020 et 2021. Dès lors, la perte enregistrée durant l’exercice 2022 n’avait aucune incidence sur la participation au bénéfice, dès l’instant où elle se situait en dehors du périmètre d’analyse fixé par les prescriptions légales. L’analogie avec les règles fiscales n’était pas documentée et n’était de toute façon d’aucune aide à la société.
L’intention du législateur était d’éviter la surindemnisation. Le principe de participation au bénéfice qui en découlait ne pouvait donc être qualifié de contradictoire. Il était manifeste que par l’obtention des aides « cas de rigueur », la société souscrivait aux dispositions relatives à la participation au bénéfice.
Le but des aides « cas de rigueur » n’était pas de combler un manque à gagner mais d’indemniser la part des coûts fixes non couverts de l’entreprise pour une période donnée.
C. a. Par acte posté le 24 janvier 2024, la société a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur réclamation précitée, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l’autorité intimée pour nouvelle décision.
Elle a repris en substance sa motivation précédente. S’agissant de l’absence de base légale, la décision entreprise aurait dû appliquer, par analogie, la lex mitior, consistant à appliquer le droit en vigueur au moment de la sanction. Il était par ailleurs explicitement précisé dans les commentaires de l’ordonnance Covid‑19 du 11 mars 2022 que la participation des cantons aux bénéfices des entreprises ne resterait valable au-delà de 2021 que pour autant que cela ressorte de la réglementation cantonale. Or, les dispositions légales genevoises ne le prévoyaient pas.
S’agissant de la bonne foi, l’autorité intimée n’avait, à aucun moment, attiré son attention sur une éventuelle participation au bénéfice et la documentation remise ne le prévoyait pas.
Enfin, étant donné que la première aide avait été accordée antérieurement à l’entrée en vigueur de l’art. 8e de l’ordonnance Covid‑19 le 1er avril 2021, la décision du 8 décembre 2023 était contraire à l’interdiction de non-rétroactivité des lois.
b. Par pli du 13 février 2024, la chambre de céans a prolongé le délai de réponse du département au 8 mars 2024.
c. Par réponse déposée le 11 mars 2024, le département a conclu au rejet du recours.
Les faits s’étaient tous déroulés durant l’année 2021, alors que les art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 et 8e de l’ordonnance Covid‑19 étaient en vigueur, si bien qu’ils s’appliquaient à la présente cause. Dès lors que ces dispositions renvoyaient à la notion de bénéfice annuel imposable 2021 au sens de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), ils ne pouvaient de fait être mis en œuvre qu’à partir du 1er janvier 2022. Il devait ainsi attendre l’établissement des états financiers définitifs, voire la notification de la taxation par l’administration fiscale pour l’année 2021, avant de pouvoir examiner la question de la participation aux bénéfices pour rendre une décision. Quant à la lex mitior, elle ne s’appliquait qu’en cas de sanctions administratives, et non aux décisions de restitution. Les commentaires de l’administration fédérale des finances confirmaient par ailleurs que les art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 et 8e de l’ordonnance Covid‑19 restaient applicables, même après leur abrogation, aux aides octroyées en 2021 en vertu de l’ordonnance Covid‑19. Les aides octroyées aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à CHF 5'000'000.- étaient intégralement financées par la Confédération, qui en contrepartie avait imposé une réglementation uniforme aux cantons. Le fait que la loi 12938 et son règlement d’application ne mentionnaient pas les art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 et 8e de l’ordonnance Covid‑19 ne signifiait pas que ces dispositions ne seraient pas applicables ou que le canton de Genève aurait renoncé à leur application. C’était par inadvertance que la convention du 23 avril 2021 ne se référait pas à ces dispositions ; elle indiquait toutefois clairement que la loi Covid-19 et l’ordonnance Covid‑19 étaient applicables.
Il ne s’agissait pas d’un retour en arrière de l’administration mais de l’application d’une mesure corrective voulue par le législateur. Les données financières 2022 n’étaient pas pertinentes, cette période n’étant pas concernée par le calcul de la participation conditionnelle aux bénéfices de l’exercice 2021. La société ne démontrait au demeurant pas que sa survie était en péril, étant rappelé qu’un dispositif d’aide avait été ouvert aux entreprises genevoises pour le premier trimestre 2022. Il était donc loisible à la recourante de déposer une nouvelle demande en 2022. La perte qu’elle aurait subie semblait liée, selon ses comptes provisoires, à une augmentation de ses charges d’exploitation.
C’était à tort que la société invoquait la jurisprudence en matière d’attentes légitimes, le département ne lui ayant jamais garanti qu’elle ne serait pas tenue de restituer tout ou partie de l’aide reçue.
Enfin, la participation aux bénéfices s’appliquait aux entreprises qui avaient reçu des aides après le 1er avril 2021, selon l’art. 22a al. 2 de l’ordonnance Covid‑19. Cette disposition ne disait en revanche pas que la participation ne s’appliquerait qu’aux montants d’aide octroyés postérieurement au 1er avril, étant précisé que, selon le commentaire de l’ordonnance Covid‑19, l’art. 8e de l’ordonnance était applicable à la totalité de la contribution qu’une entreprise recevait en 2021.
d. Par réplique du 27 mai 2024, la société s’en est remise à l’appréciation de la chambre de céans quant à la recevabilité de la réponse du département, reçue le 11 mars 2024, alors que le délai avait été prolongé au 8 mars 2024.
Contrairement à ce que retenait le département, l’aide du 6 septembre 2021 n’était pas complémentaire à celle du 18 mars 2021. La première aide n’était pas concernée par l’art. 22a al. 2 de l’ordonnance Covid‑19, cette disposition n’étant pas en vigueur au moment où la demande avait été déposée et accordée. Cette disposition précisait d’ailleurs explicitement que la nouvelle réglementation s’appliquerait à toutes les entreprises ayant bénéficié de contributions à partir de l’entrée en vigueur de la modification du 31 mars 2021 de l’ordonnance Covid‑19. L’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 était quant à lui encore inexistant. Aucune des deux conventions ne mentionnait le principe de la participation conditionnelle aux bénéfices. Un simple renvoi général était fait à la loi.
e. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
f. Par duplique spontanée du 11 juin 2024, le département a rappelé que la décision du 6 septembre 2021 mentionnait expressément qu’il s’agissait d’une aide complémentaire. Si la recourante n’avait pas déposé la première demande, elle aurait perçu une aide financière de CHF 1'150'713.-, ce qui confirmait le caractère complémentaire de l’aide reçue en septembre 2021. C’était à tort que la société soutenait qu’elle serait désavantagée par rapport à une entreprise qui n’aurait pas déposé la seconde demande, le montant qu’elle conservait après restitution étant supérieur à la première tranche de CHF 750'000.- (CHF 1'150'713.- - CHF 349’386.- = CHF 801'327.-).
Elle a produit le suivi de recommandé de la Poste, confirmant que sa réponse avait été remise à la Poste le 8 mars 2024.
g. Cette écriture a été transmise à la recourante.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
Il en va de même de la réponse du département, expédiée dans le délai fixé par la chambre de céans.
2. Le litige porte sur le bien-fondé de la décision par laquelle l’intimée a réclamé le transfert à l’État de Genève du montant de CHF 349'386.-, valant participation au bénéfice de l’exercice 2021 de la recourante.
2.1 Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi Covid-19, qui prévoit, à son art. 12, des mesures destinées aux entreprises.
Selon ladite disposition, la Confédération peut, à la demande d’un ou de plusieurs cantons, soutenir les mesures de ces cantons pour les cas de rigueur destinées aux entreprises individuelles, aux sociétés de personnes ou aux personnes morales ayant leur siège en Suisse qui ont été créées ou ont commencé leur activité commerciale avant le 1er octobre 2020, avaient leur siège dans le canton à cette date, sont particulièrement touchées par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 en raison de la nature même de leur activité économique et constituent un cas de rigueur, en particulier les entreprises actives dans la chaîne de création de valeur du secteur événementiel, les forains, les prestataires du secteur des voyages, de la restauration et de l’hôtellerie ainsi que les entreprises touristiques (al. 1).
La Confédération verse aux cantons une participation financière à hauteur de 100% des mesures pour les cas de rigueur qu’ils destinent aux entreprises réalisant un CA annuel de plus de CHF 5'000'000.- (al. 1quater let. b), le Conseil fédéral édictant, les concernant, des dispositions particulières (al. 1quinquies).
2.2 L’art. 12 al. 1septies loi Covid-19, en vigueur du 20 mars 2021 au 31 décembre 2022, prévoyait que les entreprises ayant un chiffre d’affaires de plus de CHF 5'000'000.- qui, durant l’année où une contribution non remboursable leur était octroyée, réalisaient un bénéfice annuel imposable au sens des art. 58 à 67 LIFD, le transféraient au canton compétent, ce toutefois au maximum à concurrence du montant de la contribution perçue. Le canton transférait 95 % des fonds reçus à la Confédération. Le Conseil fédéral réglait les modalités, notamment la prise en compte des pertes de l’année précédente et le mode d’inscription comptable.
Selon le message du Conseil fédéral relatif à une modification de la loi Covid-19 (cas de rigueur, assurance-chômage, accueil extra-familial pour enfants et acteurs culturels), à un arrêté fédéral concernant le financement des mesures pour les cas de rigueur prévues par la loi Covid-19 et à une modification de la loi sur l’assurance-chômage du 17 février 2021 (FF 2021 285), la Confédération assumait les coûts des mesures cantonales en faveur des grandes entreprises réalisant un CA de plus de CHF 5'000'000.-, dans le but de compenser leurs coûts non couverts, la responsabilité de la procédure revenant au canton dans lequel l’entreprise avait son siège le 1er octobre 2020. Comme la Confédération finançait intégralement lesdites contributions, elle pouvait imposer aux cantons des règlements concernant les conditions d’éligibilité et le calcul des aides correspondantes aux fins d’éviter toute inégalité de traitement entre les entreprises (FF 2021 285, p. 20). Il était également important de s’assurer que les entreprises concernées ne reçoivent pas de contributions excessives qui pourraient, par exemple, les amener à atteindre de meilleurs résultats l’année du coronavirus que les années antérieures. Le fait que la Confédération et les cantons accordent des contributions à fonds perdu pour les entreprises pouvait susciter des prétentions, soulever d’innombrables questions de délimitation et laisser, dans une certaine mesure, des entreprises insatisfaites. Dans la mise en œuvre, il fallait éviter autant que possible les inégalités de traitement manifestes entre entreprises comparables. Concernant les grandes entreprises pour lesquelles la Confédération prenait en charge l’intégralité des contributions, le Conseil fédéral édicterait une réglementation stricte afin d’éviter toute surindemnisation (FF 2021 285, p. 22).
2.3 Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance Covid-19, modifiée à plusieurs reprises, qui prévoyait que la Confédération participait aux coûts et aux pertes que les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises occasionnaient à un canton (art. 1 al. 1).
L’art. 8e de l’ordonnance Covid-19, intitulé « base déterminante pour la participation conditionnelle aux bénéfices pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à CHF 5'000'000.- », prévoyait que le bénéfice annuel imposable de 2021 avant compensation des pertes au sens des art. 58 à 67 LIFD était déterminant pour calculer la participation conditionnelle aux bénéfices visée à l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19. Seule une perte subie au cours de l’exercice 2020 déterminante sur le plan fiscal pouvait être déduite du bénéfice annuel imposable ». Cet article a été en vigueur du 1er avril 2021 au 31 décembre 2021 (art. 23 al. 2).
Selon l’art. 22a al. 2 de l’ordonnance Covid-19, la participation aux bénéfices prévue à l’art. 8e, dans la version de la modification du 31 mars 2021, s’applique aux entreprises qui se sont vu octroyer des aides pour les cas de rigueur à compter du 1er avril 2021.
2.4 D'après la jurisprudence, afin d'assurer l'application uniforme de certaines dispositions légales, l'administration peut expliciter l'interprétation qu'elle leur donne dans des directives. Celles-ci n'ont pas force de loi et ne lient ni les administrés, ni les tribunaux, ni même l'administration. Elles ne dispensent pas cette dernière de se prononcer à la lumière des circonstances du cas d'espèce
(ATF 145 II 2 consid. 4.3). Par ailleurs, elles ne peuvent sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elles sont censées concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, elles ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 148 V 144 consid. 3.1.3).
Selon les commentaires de l’ordonnance Covid-19 cas de rigueur, état au 11 mars 2022 (ci-après : le commentaire), pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépasse CHF 5'000'000.-, l’ordonnance Covid-19 comportait toute une série de prescriptions contraignantes concernant les conditions d’éligibilité, le calcul des contributions, les plafonds applicables à ces dernières, les prestations propres, la participation aux bénéfices, les justificatifs et le traitement des prêts, cautionnements et garanties. Les cantons devaient reprendre les prescriptions figurant dans la loi et l’ordonnance sans y déroger. Les grandes entreprises exerçaient souvent leurs activités dans différents cantons, et la Confédération finançait intégralement les mesures correspondantes. Il fallait donc qu’une réglementation uniforme s’applique à ces entreprises dans l’ensemble du pays (Grandes lignes de la réglementation, p. 3).
L’art. 8e l’ordonnance Covid-19 prévoyait que la participation aux bénéfices portait sur le bénéfice annuel imposable de 2021 avant compensation des pertes. Conformément au droit fiscal, si l’exercice ne correspondait pas à l’année civile, le bénéfice annuel déterminant est celui de l’exercice qui se termine durant l’année civile 2021. Si dans ce cas et dans le cas de paiements effectués à compter de 2022, des contributions n’étaient allouées et/ou versées qu’après le bouclement de l’exercice déterminant, elles devaient être ajoutées au résultat de l’exercice 2021 aux fins du calcul de la participation aux bénéfices. Seule la perte de l’exercice 2020 restait déductible. L’allocation ou le versement d’une contribution ne devait pas conduire à un bénéfice lors de l’exercice 2021 (commentaire de l’art. 8e, p. 15).
Selon l’art. 22a al. 1 de l’ordonnance Covid-19, la nouvelle réglementation s’appliquera à toutes les entreprises qui se seront vu octroyer des contributions à partir de l’entrée en vigueur de la modification du 31 mars 2021 de ladite ordonnance. L’al. 2 prévoit la même règle pour la participation aux bénéfices. L’art. 8e est donc applicable à la totalité de la contribution qu’une entreprise reçoit en 2021 (commentaire de l’art. 22a, p. 26).
Même si l’art. 12 de la loi Covid-19 cessait d’être en vigueur à la fin de 2022, l’exécution des dispositions restait régie après 2022 par le droit fondant l’allocation des aides. Ce principe s’appliquait en particulier à la participation aux bénéfices. Le fait que la participation des cantons aux bénéfices des entreprises qu’ils avaient aidées pour une période postérieure au 31 décembre 2021 devait ressortir de la réglementation cantonale (par ex. actes légaux, contrats ou décisions) qui régissait le versement d’aides pour les cas de rigueur à une entreprise (commentaire de l’art. 23, p. 27).
2.5 Sur le plan cantonal, la loi relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus, pour l’année 2021 (12938), adoptée le 30 avril 2021, avait pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l’épidémie de coronavirus (Covid-19 ; ci-après : loi 12938) pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi Covid-19 et à l’ordonnance Covid-19 (art. 1 al. 1). Cette aide financière extraordinaire visait à atténuer les pertes subies par les entreprises dont les activités ont été interdites ou réduites en raison de la nature même de leurs activités, entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021 (al. 2). Elle a été modifiée par la loi 12991 du 2 juillet 2021, elle-même modifiée par les loi 13029 du 7 octobre 2021 et 13072 du 24 février 2022.
Le chapitre II de la loi 12938 traitait des entreprises dont le chiffre d'affaires moyen 2018-2019 était supérieur à CHF 5’000'000.-. Selon l’art. 11, étaient visées par les disposition du chapitre les entreprises répondant aux critères de l'art. 8b al. 1 de l'ordonnance Covid-19.
Selon l’art. 12 de la loi 12938, l’indemnisation consistait en une participation à fonds perdu de l’État de Genève, entièrement compensée par la Confédération, aux coûts fixes non couverts en raison du recul du chiffre d'affaires durant l'exercice 2020, cas échéant 2021 pour les mois de janvier à juin, conformément aux dispositions de l'ordonnance Covid-19 (al. 1). L’indemnité était calculée sur la base de parts de coûts fixes forfaitaires conformément aux modalités prévues à
l'art. 8b al. 2 de l’ordonnance Covid-19. L’indemnité maximale par entreprise et pour l'année 2021 ne dépassait pas la somme totale de CHF 5'000'000.- et 20% du chiffre d'affaires comme prévu à l’art. 8c al. 1 de l'ordonnance Covid-19 (al. 2).
Selon l’art. 13 al. 1 de la loi 12938, l’indemnité maximale par entreprise et pour l'année 2021 ne dépassait pas la somme totale de CHF 5'000'000.- et 20% du chiffre d'affaires comme prévu à l'art. 8c al. 1 de l'ordonnance Covid-19.
3. La recourante invoque tout d’abord une violation du principe de la légalité.
3.1 Le principe de la légalité, consacré à l'art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi. Au contraire du principe de la suprématie du droit fédéral (art. 49 al. 1 Cst.), le principe de la légalité et de la hiérarchie des normes ne constitue pas (hormis en matière pénale et fiscale) un droit constitutionnel distinct. Il s'agit d'un principe constitutionnel qui, en relation avec une mesure de droit cantonal, ne peut pas être invoqué séparément, mais seulement en relation avec la violation, notamment, du principe de la séparation des pouvoirs, de l'égalité, de l'interdiction de l'arbitraire ou d'un droit fondamental spécial (ATF 149 I 329 consid. 6.2 ; 140 I 381 consid. 4.4 ; 136 I 241 consid. 2.5 ; 134 I 322 consid. 2.1).
L'exigence de la base légale signifie que les actes étatiques doivent trouver leur fondement dans une loi au sens matériel, qui soit suffisamment précise et déterminée et qui émane de l'autorité constitutionnellement compétente
(ATF 141 II 169 consid. 3.1 ; 131 II 13 consid. 6.5.1 ; 128 I 113 consid. 3c).
3.2 Conformément aux principes généraux du droit intertemporel, lorsqu'un changement de droit intervient au cours d'une procédure administrative contentieuse ou non contentieuse, la question de savoir si le cas doit être tranché sous l'angle du nouveau ou de l'ancien droit se pose. En l'absence de dispositions transitoires, s'il s'agit de tirer les conséquences juridiques d'un événement passé constituant le fondement de la naissance d'un droit ou d'une obligation, le droit applicable est celui en vigueur au moment dudit événement. Dès lors, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste en principe celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (ATA/918/2018 du 11 septembre 2018 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 403 ss).
3.3 En l’occurrence, la recourante fait valoir que la décision entreprise ne repose sur aucune base légale valable. L’art. 12 al. 1septies loi Covid-19 était abrogé depuis le 31 décembre 2022 et l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 était abrogé depuis le 31 décembre 2021. Il ressortait par ailleurs clairement du commentaire de l’ordonnance Covid-19 que la participation des cantons aux bénéfices des entreprises ne restait valable au-delà de 2021 que pour autant que cela ressorte de la réglementation cantonale. Or, la participation du canton aux bénéfices des entreprises n’était prévue par aucune disposition cantonale. La recourante soutient également que l’art. 22a de l’ordonnance Covid-19 précisait expressément que la participation aux bénéfices prévue à l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 ne s’appliquait qu’aux entreprises qui s’étaient vu octroyer des aides pour les cas de rigueur à compter du 1er avril 2021. Or, la première décision d’octroi d’aide financière avait été rendue le 12 février 2021, si bien qu’elle n’était pas concernée par les art. 12 al. 1septies loi Covid-19 et 8e de l’ordonnance Covid-19. Enfin, la recourante estime qu’il doit être fait usage du principe de la lex mitior et appliquer le droit en vigueur au moment de la décision de transfert.
Ces différents arguments ne sauraient être suivis. Il n’est en effet pas contesté que les demandes déposées les 12 février et 30 avril 2021 concernaient des faits qui s’étaient déroulés en 2021. Or, dans la mesure où la législation applicable est en principe celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, c’est à bon droit que l’autorité intimée a appliqué les dispositions légales en vigueur pour l’année 2021. Le fait que lesdites dispositions n’étaient plus en vigueur au moment de la décision de transfert de l’autorité intimée est ainsi sans pertinence. Contrairement à ce que fait valoir la recourante, le commentaire ne prévoit aucune exception à ce principe. Il se limite à rappeler que, l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 ayant été abrogé avec effet au 31 décembre 2021, la participation des cantons aux bénéfices des entreprises qu’ils ont aidées pour les années postérieures à 2021 doit ressortir de la réglementation cantonale. Or, la recourante ne se trouve pas dans ce cas de figure, puisque, comme indiqué ci-avant, ses demandes concernaient l’année 2021.
Certes, l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 sur la participation aux bénéfices des entreprises n’est entré en vigueur que le 1er avril 2021. L’art. 22a al. 2 de l’ordonnance précise d’ailleurs expressément qu’il ne s’applique qu’aux entreprises qui se sont vu octroyer des aides pour cas de rigueur à compter du 1er avril 2021. Or, s’il est exact que la première décision d’octroi d’aides financières de l’autorité intimée date du 12 février 2021 – soit avant l’entrée en vigueur de la disposition – la deuxième décision d’octroi a été rendue le 30 avril 2021, soit après son entrée en vigueur. Ainsi, conformément au texte clair de l’art. 22a al. 2 de l’ordonnance Covid-19, la participation aux bénéfices prévue à l’art. 8e de l’ordonnance s’applique à la recourante, laquelle s’est vu octroyer des aides pour cas de rigueur à compter du 1er avril 2021. Le point de savoir si, comme le prévoit le commentaire de l’ordonnance Covid-19, le « montant de la contribution perçue » au sens de l’art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 comprend la totalité de la contribution qu’une entreprise reçoit en 2021, ce que conteste la recourante, sera examiné ci-après.
Enfin, comme le relève l’autorité intimée, la décision entreprise porte sur une demande de transfert d’argent au canton. Il s’agit ainsi uniquement d’une procédure administrative tendant à la fixation du montant de la participation du canton au bénéfice de l’entreprise dont il est question, à l’exclusion de toute procédure pénale. Par conséquent, les principes de droit pénal, en particulier celui de la lex mitior, ne sauraient s’appliquer.
4. La recourante invoque ensuite une restriction à sa liberté économique.
4.1 Aux termes de l'art. 27 Cst., la liberté économique est garantie (al. 1). Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). La liberté économique protège toute activité économique privée, exercée à titre professionnel et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu. Elle peut être invoquée tant par les personnes physiques que par les personnes morales. Des restrictions cantonales à la liberté économique sont admissibles, mais elles doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et respecter le principe de proportionnalité (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.) (ATF 143 II 598 consid. 5.1 et les références).
4.2 En l’occurrence, il est indéniable que les activités lucratives dans le domaine de l’informatique et de l’électronique sont protégées par l’art. 27 Cst. Cela étant, la recourante n’explique pas en quoi la demande de transfert litigieuse serait propre à la limiter dans le libre exercice de son activité économique. C’est le lieu de préciser qu’aux termes de l’art. 12 al. 1septies de loi covid-19, un transfert au canton ne s’applique qu’en cas de réalisation d’un bénéfice annuel imposable durant l’année où la contribution a été octroyée. Comme l’indique l’autorité intimée, la recourante n’a pas non plus démontré en quoi la décision litigieuse mettrait en péril sa survie, étant précisé qu’il n’est pas contesté qu’elle a réalisé un bénéfice, après déduction des aides de cas de rigueur, de CHF 344'028.- en 2021. Le fait que la recourante ait réalisé une perte de chiffre d’affaires en 2022 n’est pas pertinent, cette période n’étant pas concernée par le calcul de participation aux bénéfices de l’exercice 2021.
Sur le vu de ce qui précède, le grief de violation de la liberté économique doit être écarté, faute d'atteinte.
5. Invoquant une violation des principes de la bonne foi et de la proportionnalité, la recourante reproche à l’autorité intimée un « revirement de situation », consistant à réclamer une restitution alors que les aides financières avaient été octroyées « à fonds perdu ».
5.1 Ancré à l'art. 9 Cst. et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi confère au citoyen, à certaines conditions, le droit d'exiger des autorités qu'elles se conforment aux promesses ou assurances précises qu'elles ont faites à l'intéressé sans réserve et qu'elles ne trompent ainsi pas la confiance qu'il a légitimement placée en elles (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; 141 V 530 consid. 6.2 ; 137 II 182 consid. 3.6.2 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_458/2022 du 30 septembre 2022 consid. 4.1). Le droit à la protection de la bonne foi peut aussi être invoqué en présence simplement d'un comportement de l'administration, pour autant que celui-ci soit susceptible d'éveiller chez l'administré une attente ou une espérance légitime (ATF 129 II 361 consid. 7.1 ; 129 I 161 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 2C_458/2022 du 30 septembre 2022 consid. 4.1). La précision que l'attente ou l'espérance doit être « légitime » est une autre façon de dire que l'administré doit avoir eu des raisons sérieuses d'interpréter comme il l'a fait le comportement de l'administration et d'en tirer les conséquences qu'il en a tirées (ATF 134 I 199 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_458/2022 du 30 septembre 2022 consid. 4.1).
5.2 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose de trois critères : l’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, la nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et la proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 144 I 306 consid. 4.4.1 ; ATA/111/2024 du 30 janvier 2024 consid. 4.1.3). Le principe de la proportionnalité est un principe constitutionnel mais il ne constitue pas un droit constitutionnel ayant une portée propre, dont la violation pourrait être invoquée, dans un recours constitutionnel subsidiaire, indépendamment de celle d'un droit fondamental particulier. Dans un recours en matière de droit public, la violation du principe de proportionnalité peut être invoquée de manière indépendante ATF 148 II 475 consid. 5 ; 141 I 1 consid. 5.3.2 ; 136 I 241 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_528/2023 du 15 décembre 2023 consid. 4.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 551).
5.3 En l’occurrence, la participation du canton aux bénéfices de l’entreprise est expressément ancrée aux art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 et 8e de l’ordonnance Covid-19, auxquels se réfère l’art. 12 de la loi 12938. Or, les rapports entre les administrés et l'administration sont régis notamment par le principe fondamental selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », si bien que la recourante ne peut pas tirer avantage de sa propre ignorance du droit. Il n’existe pas d’obligation générale d’attirer l’attention des sociétés sur les conditions applicables en matière de mesures pour cas de rigueur. Les conventions d’octroi signées par la recourante les 10 février et 23 avril 2021 se réfèrent d’ailleurs expressément à la loi et à l’ordonnance fédérales topiques en la matière. Enfin, on ne trouve au dossier aucune promesse de la part de l’intimée d’une quelconque dérogation au principe de participation au bénéfice de l’entreprise posé aux art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19 et 8e de l’ordonnance Covid-19. Dans ces conditions, l’on ne saurait admettre que l’intimée ait pu, par son comportement, susciter une attente légitime chez la recourante qu'elle aurait ensuite déçue d'une manière contraire aux règles de la bonne foi.
Enfin, la décision entreprise respecte le principe de la proportionnalité, si tant est que ce principe puisse être invoqué séparément devant la chambre de céans. Contrairement à ce que soutient la recourante, la décision entreprise aménage un juste équilibre entre les effets de la mesure choisie sur la situation de la société et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public. Les dispositions fédérales topiques n’occultent aucunement l’activité réelle des entreprises puisqu’elles tiennent compte tant de leurs bénéfices imposables durant l’année où les contributions ont été versées que des pertes réalisées dans l’année précédente. Dans la mesure où ces dispositions visent à éviter toute surindemnisation durant l’année où les contributions ont été versées, il n’apparaît pas critiquable que la situation financière des sociétés dans l’année qui suit celle du versement des contributions n’ait pas été prise en compte. Au demeurant, et comme l’a expliqué l’intimée, un dispositif d’aide a été ouvert aux entreprises genevoises pour le premier trimestre 2022, si bien qu’il était loisible à la recourante de déposer une nouvelle demande en cas de pertes réalisées durant cette période. C’est le lieu de préciser que la décision entreprise ne porte pas sur une demande de restitution de prestations versées indûment (art. 17 de loi 12938) mais sur un transfert au canton du bénéfice réalisé après l’octroi d’aides financières (art. 12 al. 1septies de la loi Covid-19). Or, une telle mesure a été prévue par le législateur fédéral dans le but de s’assurer que les entreprises ne reçoivent pas de contributions excessives qui pourraient les amener à atteindre de meilleurs résultats l’année du coronavirus que les années antérieures, l’idée étant d’éviter toute surindemnisation, et cela même dans le cas des contributions à fonds perdu. Il s’agit ainsi d’un correctif, dûment voulu par le législateur, visant à éviter autant que possible les inégalités de traitement manifestes entre entreprises comparables.
Les griefs tirés de la violation du principe de la bonne foi et de la proportionnalité doivent ainsi être rejetés.
6. Reste à examiner le montant du transfert litigieux.
En l’occurrence, il n’est pas contesté que la recourante a réalisé, selon ses avis de taxation, un bénéfice de CHF 1'494’741.- en 2021. N’est pas non plus remis en cause le fait qu’elle a perçu une aide de CHF 750'000.- par décision du 18 mars 2021 et de CHF 400'713.- par décision du 6 septembre 2021, soit au total CHF 1'150'713.-. Après déduction des aides étatiques, la recourante a réalisé, durant l’exercice 2021, un bénéfice de CHF 344'028.-. En déduisant la perte subie en 2020 (- CHF 1'145'355.-), l’intéressée a subi une perte de CHF 801'327.-. Afin d’éviter sa surindemnisation pour l’année en question, seul ce montant devait donner lieu à l’aide étatique fondée sur la loi Covid-19. Partant, la recourante doit rembourser tout montant dépassant cette somme. Ayant perçu au total CHF 1'150'713.- pour 2021, le trop-perçu se monte à CHF 349'386.- (CHF 1'150'713.- - CHF 801'327.-).
La recourante conteste ce calcul, faisant valoir que la première aide avait été accordée antérieurement à l’entrée en vigueur, le 1er avril 2021, de l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19. Ainsi, et pour autant que l’on comprenne son raisonnement, seule la contribution financière du 6 septembre 2021 devrait être prise en compte dans le calcul de la participation du canton au bénéfice de l’entreprise. La recourante perd toutefois de vue que la deuxième aide a été accordée après l’entrée en vigueur de l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19, si bien que cette disposition, de même que l’art. 12 al. 1septies de loi Covid-19 dont elle règle les modalités, s’appliquait à sa situation. L’art. 12 al. 1septies de loi Covid-19 impose toutefois aux entreprises de transférer au canton compétent le « bénéfice annuel imposable au sens de la LIFD ». Or, il va de soi que le bénéfice annuel comprend la totalité des contributions étatiques perçues durant l’année où la contribution a été octroyée. Le commentaire de l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19 ne fait que reprendre la législation fédérale sur ce point. C’est partant à juste titre que, dans son calcul de participation des bénéfices, l’autorité intimée a tenu compte de la totalité des contributions versées en 2021.
La décision entreprise doit partant être confirmée sur ce point également.
7. Enfin, en tant que la recourante fait valoir qu’une entreprise n’ayant pas formulé de deuxième demande serait avantagée par rapport à une entreprise ayant été amenée à n’en déposer qu’une seule, son argument doit être écarté. Il n’est en effet pas contestable que les personnes ayant reçu les contributions financières avant l’entrée en vigueur de l’art. 8e de l’ordonnance Covid-19, le 1er avril 2021, ne se trouvent pas dans la même situation que celles ayant reçu des aides étatiques après son entrée en vigueur. La recourante ne saurait au demeurant se plaindre d’avoir été désavantagée du fait d’avoir formé une seconde demande d’aide financière. En effet, comme l’a pertinemment relevé l’autorité intimée, le montant qu’elle peut conserver suite à la décision litigieuse, soit CHF 801'327.- (CHF 1'150'713.- [montant total des aides octroyées en 2021] – CHF 349'386.- [montant de la participation du canton aux bénéfices de l’entreprise]) est supérieur à celui de l’aide octroyée par la première décision du 18 mars 2021 (CHF 750'000.-).
Mal fondé, le recours sera rejeté.
8. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure. Il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure en faveur de l’État, celui-ci disposant de son propre service juridique.
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 24 janvier 2024 par A______ Sàrl contre la décision de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation du 8 décembre 2023 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 800.- à la charge de A______ Sàrl ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Serge Fasel, avocat de la recourante ainsi qu'à Me Stephan Fratini, avocat de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation.
Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Eleanor McGREGOR, Michèle PERNET juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
S. CARDINAUX
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| le président siégeant :
P. CHENAUX |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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