Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/986/2024 du 20.08.2024 sur JTAPI/332/2024 ( LCI ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2494/2022-LCI ATA/986/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 20 août 2024 3e section |
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dans la cause
A______ et B______
C______ et D______,
E______ et F______
G______ et H______
I______ et J______
K______ et L______
M______ et N______
représentés par Me Jacques JOHNER, avocat Me Sylvie BUSCAGLIA, avocate [rectification erreur matérielle]
et
O______
représentée par Me Christophe GAL, avocat recourants
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
et
P______ SA, T______, U______, V______ et W______, représentés par Me François BELLANGER, avocat, avec élection de domicile
et
Q______ et R______
et
S______ intimés
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 avril 2024 (JTAPI/332/2024)
A. a. Le litige concerne un projet de construction d'habitat groupé sur les parcelles nos 4’695 et 6’028 à 6’040 de la commune X______ (ci-après : la commune), dont sont propriétaires la société P______ SA, ainsi que T______, U______, V______ et W______ (ci-après : les propriétaires).
Ces parcelles, actuellement vierges de toute construction (sauf la parcelle n° 4’695 sur laquelle est érigée une villa) et situées en 5e zone, sont enclavées à l'intérieur d'un quartier de villas fermé au nord et à l'ouest par la route Y______, à l'est par la route Z______ et au sud par le cours d'eau AA______.
b. Le 8 juillet 2022, le département du territoire a délivré l’autorisation de construire DD 1______sur les parcelles précitées. Le projet prévoit la construction de six immeubles d'habitation pour un total de cinquante-cinq logements, avec un sous-sol connecté à chacun des immeubles et abritant 118 places de stationnement pour voitures et 18 places pour deux-roues motorisés. Ce parking souterrain disposerait d'une rampe se terminant en une voie d'accès de près de 6 m de large traversant la parcelle n° 4'695 et se raccordant au segment nord de l'Impasse Z______. Sur cette dernière parcelle, la villa existante serait transformée afin d'accueillir des espaces communs et des bureaux. Deux noues, destinées à récolter les eaux pluviales, seraient aménagées de part et d'autre de l'allée centrale située entre les immeubles.
c. Sept recours ont été interjetés auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette autorisation :
- le 2 août 2022, par I______ et J______ ;
- le 5 août 2022, par A______ et B______ ;
- le 31 août 2022, par C______ et D______, E______ et F______, G______ et H______, Q______ et R______ ;
- le 31 août 2022, par S______ ;
- le 5 septembre 2022, par K______ et L______ ;
- le 7 septembre 2022 par O______ et
- le 7 septembre 2022 par M______ et N______.
référencés sous sept numéros de causes.
d. Par décision du 20 octobre 2022 (DITAI/471/2022), le TAPI a joint ces causes sous le numéro de procédure A/2494/2022.
e. F______ est décédé le ______ 2024.
f. Par jugement du 9 avril 2024, le TAPI a rejeté les sept recours et a ajouté à l'autorisation DD 1______une condition supplémentaire consistant dans le fait que la villa située sur la parcelle n° 4'695 ne pourrait accueillir aucune activité commerciale. Il a confirmé l’autorisation pour le surplus.
B. a. Par acte du 15 mai 2024, A______ et B______, C______ et D______, E______, G______ et H______, I______ et J______, K______ et L______, M______ et N______ ont interjeté recours contre ce jugement devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Ils ont conclu au constat de la nullité du jugement à l’égard d’F______, à la suspension de la procédure en raison du décès du précité et, principalement, à l’annulation du jugement et de l’autorisation DD 1______.
b. Par acte du 16 mai 2024, O______ a interjeté recours contre ce jugement devant la chambre administrative. Elle a conclu à l’annulation du jugement et de l’autorisation DD 1_____.
c. Par décision du 27 mai 2024, la procédure a été suspendue en raison du décès de feu F______.
d. Le 5 juin 2024, les propriétaires ont sollicité la reprise de la procédure alléguant que le conseil des recourants aurait déjà pu indiquer qui étaient les héritiers d’F______, respectivement s’ils avaient l’intention de continuer la procédure. À tout le moins, il n’expliquait pas quels motifs l’en aurait empêché, à plus forte raison que E______ était déjà partie à la procédure de recours. Tous les recourants, dont la famille E______ et F______, étaient représentés par le même conseil. Ils partageaient la même argumentation juridique. Rien ne justifiait de suspendre la procédure.
e. Par décision du 18 juin 2024, la juge déléguée a prononcé la reprise de la procédure et invité les parties à se déterminer sur une éventuelle nullité du jugement.
ea. I______ et J______, A______ et B______, C______ et D______, E______, G______ et H______, K______ et L______, M______ et N______ ont conclu à la nullité du jugement. Les démarches auraient dû être effectuées par le TAPI. Les seules héritières étaient E______, son épouse, et AB______, leur fille. Les certificats d’héritier avaient été homologués par la justice de paix le 30 mai 2024 soit deux semaines après le dépôt du recours. E______ avait l’intention de poursuivre seule la procédure. Deux extraits de la feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (FAO) du 14 juin 2024 étaient joints : la première publication mentionnait que la précitée était devenue l’unique propriétaire de la parcelle impliquée dans le litige ; la seconde précisait que la propriété avait été vendue à la société AC______ SA, avec constitution d’un droit d’habitation en faveur de l’intéressée, lequel s’exercerait sa vie durant sur la totalité de la parcelle. Il était garanti par l’inscription d’une servitude au registre foncier.
Ils ont par ailleurs sollicité la suspension de l’instruction de la procédure jusqu’à droit connu sur le statut juridique du cordon boisé replanté sur certaines parcelles litigieuses, objet d’une procédure pendante devant le TAPI.
eb. O______ a conclu à la nullité du jugement du TAPI.
ec. Les propriétaires ont conclu à une substitution de partie par la chambre de céans. Les droits concernés par la procédure étaient transmissibles. La qualité pour recourir se fondait sur le droit de propriété et le prétendu impact du projet de construction sur celui-ci. Avec le décès de feu F______, ses héritiers avaient acquis ses droits à titre universel, impliquant une substitution automatique des parties. Les recourants s’étaient abstenus de fournir la moindre indication sur les membres de l’hoirie. Ils n’avaient pas d’intérêt digne de protection à faire constater la nullité du jugement. Le décès d’une partie n’avait aucune conséquence sur le fond de la procédure, l’argumentation des recourants ou leurs conclusions, sous réserve de la répartition des frais et dépens. Une substitution de partie présentait l’avantage d’éviter un formalisme excessif et inutile et de mieux respecter les principes de proportionnalité et de célérité déjà mis à mal compte tenu du temps écoulé depuis le dépôt du recours devant la juridiction de première instance. Le droit d’être entendu des héritiers pouvait être assuré dans le cadre de la présente procédure, la chambre administrative disposant du même pouvoir d’examen que le TAPI. La situation découlait de l’inaction des recourants.
ed. Le département a soutenu que le jugement querellé ne devait pas être déclaré nul, du moins à l’égard des autres recourants. À la date du décès, les parties, feu F______ aussi, avaient fait valoir l’ensemble de leurs nombreuses observations. La cause était gardée à juger. Il ne pouvait raisonnablement être reproché à la juridiction de première instance de n’avoir pas pris en compte celui-ci avant la reddition de son jugement au vu du laps de temps très court entre les deux et de l’absence de communication de la part des recourants. Il ne pouvait être retenu que la procédure aurait été entachée d’un vice tel que la nullité doive être prononcée.
f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur nullité.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. La chambre administrative applique le droit d'office. Elle ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, sans toutefois être liée par les motifs invoqués (art. 69 LPA) ni par l'argumentation juridique développée dans la décision entreprise (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, Berne 2011, p. 300 ss). Le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA). La chambre administrative n’a toutefois pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA) et non réalisée en l’espèce.
Le jugement querellé a été rendu après le décès du recourant F______, sans qu’apparemment les juges précédents n’en soient informés par les parties. Se pose par conséquent, d’office, la question de la validité dudit jugement.
3. Aux termes de l’art. 8 LPA, toute partie qui, à teneur du droit public ou du droit privé, peut agir personnellement ou par un mandataire de son choix a capacité d’ester.
3.1 La capacité d'ester en justice (Prozessfähigkeit) est la faculté de mener soi‑même le procès ou de désigner soi-même un mandataire qualifié pour le faire. Elle appartient à toute personne qui a la capacité d'être partie (Parteifähigkeit), c'est‑à-dire à toute personne qui a la faculté de figurer comme partie dans un procès. Aussi bien la capacité d'être partie que la capacité d'ester en justice sont des notions de procédure et relèvent donc, théoriquement, du droit cantonal. Elles découlent néanmoins du droit matériel puisque la capacité d'être partie appartient à quiconque a la jouissance des droits civils, de même que la capacité d'ester en justice est le corollaire de l'exercice des droits civils (ATA/12/2013 du 8 janvier 2013 consid. 4 et les références citées). Tant la capacité d’être partie que celle d’ester en justice sont des conditions sine qua non de l’exercice des droits de partie devant les autorités et juridictions administratives. En conséquence, vu leur caractère impératif, ces conditions ne peuvent faire défaut et il est naturellement exclu de pallier un éventuel défaut par un accord des parties. Un défunt n’est pas une personne et n’a pas la jouissance des droits civils. Il est ainsi de jurisprudence constante qu’une personne décédée - ou une société ayant cessé d’exister - ne peut plaider ni comme demanderesse ni comme défenderesse (ATA/12/2013 précité consid. 4 et les références citées).
3.2 Sur la base de ces principes, qu’elle a intégralement fait siens, la chambre administrative a précisé qu’un jugement de première instance rendu après le décès du recourant était nul de plein droit, la cause devant être suspendue et les parties invitées à se déterminer, conformément à l’art. 78 LPA (ATA/12/2013 précité consid. 4 et 5).
3.3 En application de l’art. 22 LPA, les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits dans les procédures qu’elles introduisent elles-mêmes, dans celles où elles prennent des conclusions indépendantes ainsi que dans les autres cas prévus par la loi. La violation de ce devoir peut, selon les cas, conduire à l’irrecevabilité du recours (art. 24 al. 2 LPA).
3.4 En l’espèce, le jugement querellé a été rendu en date du 9 avril 2024 et notifié le 15 avril 2024. Le recourant F______ est décédé en date du 24 mars 2024, ce qui n’a été appris dans la procédure que dans le cadre du recours du 15 mai 2024. Il s’ensuit la nullité du jugement attaqué, la juridiction précédente, qui n’est en rien responsable de cette situation, n’ayant pu statuer valablement alors qu’un des recourants était décédé au jour de son prononcé.
Subséquemment, faute d’acte attaquable, la chambre de céans ne peut se saisir du litige.
Compte tenu de la nullité du jugement querellé, le recours est irrecevable.
4. Il ne sera pas perçu d’émolument, le décès d’F______ étant intervenu juste avant les féries de Pâques et quelques jours avant le prononcé du jugement (art. 22 et 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
constate la nullité du jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 avril 2024 ;
déclare irrecevables les recours interjetés par A______ et B______, C______ et D______, E______, G______ et H______, I______ et J______, K______ et L______, M______ et N______ et par O______ contre ledit jugement ;
renvoie le dossier au Tribunal administratif de première instance pour un nouveau jugement au sens des considérants ;
dit qu'il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt, incident, peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à M Me Jacques JOHNER, avocats Me Sylvie BUSCAGLIA, avocate [rectification erreur matérielle] de A______ et B______, C______ et D______, E______ et F______, G______ et H______, I______ et J______, K______ et L______, M______ et N______, à Me Christophe GAL, avocat de O______, à Me François BELLANGER, avocat de P______ SA, ainsi que T______, U______, V______ et W______, à S______, à Q______ et R______, au département du territoire-oac ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
D. WERFFELI BASTIANELLI
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| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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