Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/821/2024 du 09.07.2024 ( TAXIS ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1077/2024-TAXIS ATA/821/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 9 juillet 2024 2ème section |
| ||
dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Guy ZWAHLEN, avocat
contre
SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé
_________
A. a. A______, né le ______ 1976, chauffeur de taxi, a déposé auprès du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci‑après : PCTN), le 25 octobre 2023, une requête en délivrance d’une autorisation d’usage accru du domaine public, en application du formulaire à l’attention des chauffeurs de taxi visés à l’art. 46 al. 13 de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31). Il avait loué une autorisation d’usage accru du domaine public (ci‑après : AUADP) liée aux plaques d’immatriculation GE 1______ du 12 juillet 2018 au 30 novembre 2020, puis à nouveau à compter du 15 février 2023 et une autre liée à l’immatriculation GE 2______ du 1er juin 2022 au 31 janvier 2023.
Il a, notamment, produit le contrat de mise à disposition d’une AUADP relative à l’immatriculation GE 2______, un contrat de bail à ferme portant sur l’immatriculation GE 1______ et des quittances de paiement des loyers.
b. Le 8 novembre 2023, le PCTN l’a informé qu’il envisageait de refuser sa requête. Il apparaissait qu’il n’avait pas été l’utilisateur effectif d’une AUADP le 28 janvier 2022. En outre, le dossier n’était pas complet, l’extrait du casier judiciaire suisse et l’autorisation de travailler en Suisse n’étant pas produits.
c. Le chauffeur a produit l’extrait de son casier judiciaire suisse et précisé que la demande de renouvellement de son autorisation de travail était en cours de traitement. Il n’a pas contesté qu’il ne disposait pas d’une AUADP le 28 janvier 2022.
d. Par décision du 29 février 2024, le PCTN a rejeté sa requête.
Aucun document n’attestait du fait qu’il avait été au bénéfice d’une AUADP entre le 1er décembre 2020 et le 30 mai 2022. Il ne pouvait ainsi bénéficier du régime transitoire prévu à l’art. 46 al. 3 LTVTC permettant d’obtenir le renouvellement facilité des AUADP.
e. Le 14 mars 2024, il a demandé au PCTN de bien vouloir annuler sa décision et traiter sa requête « dans le cadre des cas de rigueur consécutifs à la situation due au Covid 19 ». Il avait mis fin à la location de son AUADP au 31 décembre 2020 en raison de la pandémie. Lorsqu’il avait voulu en louer une à la fin de la pandémie, les loyers pratiqués étaient trop élevés. C’est ainsi qu’il n’avait pu en louer à nouveau une qu’à compter du 1er juin 2022. Il annexait un article de journal dans lequel une association de défense des taxis confirmait que les loyers pratiqués par les loueurs de plaques avaient été extrêmement élevés. Il lui serait très préjudiciable de devoir figurer sur une liste d’attente alors que son métier de chauffeur de taxi indépendant était sa seule source de revenus.
B. a. Par acte du 28 mars 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre la décision du 29 février 2024. Après la pandémie, il n’avait pas eu les moyens de payer les loyers excessifs pratiqués pour la location d’une AUADP. Ce n’était qu’après l’adoption de la nouvelle LTVTC que les prix étaient redevenus « normaux ». Il s’était, de ce fait, trouvé dans un cas de rigueur. La décision querellée violait le principe de la proportionnalité. Aucun intérêt public ne la justifiait.
L’art. 46 al. 13 LTVTC violait le principe de non-rétroactivité des lois, la liberté du commerce et de l’industrie et la préservation des droits acquis. Il a conclu à l’annulation de la décision et à l’octroi de l’AUADP sollicitée au sens de l’art. 20 LTVTC.
b. Le PCTN a conclu au rejet du recours.
La constitutionnalité du droit transitoire avait été admise par la chambre administrative. Celui-ci tenait compte des particularités provoquées par la pandémie. Les principes constitutionnels invoqués par le recourant avaient été respectés.
c. Dans sa réplique, le recourant a relevé que le législateur n’avait pas modifié la loi en raison des abus pratiqués par les loueurs d’AUADP durant la pandémie, le projet de loi ayant été déposé avant celle-ci. La pratique du PCTN conduisait à ce que des chauffeurs soient des employés fictifs, qui payaient tous les frais liés à leur véhicule et aux charges sociales. Il aurait été conforme au principe de proportionnalité que la loi prévoie de placer en tête de liste d’attente les chauffeurs qui ne disposaient pas encore d’une AUADP.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Le recourant se réfère à sa propre audition en tant que moyen de preuve.
2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).
2.2 En l’espèce, le recourant a été entendu avant le prononcé de la décision querellée et a pu également exposer son point de vue et ses arguments dans son recours et sa réplique. Il n’explique pas quels éléments autres que ceux déjà exposés son audition permettrait d’apporter d’utile à la solution du litige. Par ailleurs, les éléments qui figurent d’ores et déjà au dossier permettent à la chambre administrative de statuer en toute connaissance de cause.
Il ne sera donc pas procédé à l’audition du recourant.
3. Le litige porte sur le bien-fondé du refus de délivrer une AUADP au recourant, en application du régime transitoire prévu par l’art. 46 al. 13 LTVTC.
3.1 La LTVTC, actuellement en vigueur depuis le 1er novembre 2022, résulte du projet de loi (ci-après : PL) n° 12'649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur, déposé par le Conseil d’État devant le Grand Conseil le 26 février 2020. Ce projet a été renvoyé à la commission parlementaire des transports qui a rendu deux rapports, respectivement le 16 août 2021 (ci-après : Rapport A) et le 11 janvier 2022 (ci-après : Rapport B).
3.2 Dans sa présentation du projet de loi, le département a exposé qu’en raison du numerus clausus des AUADP, le délai d’attente pour leur obtention pouvait atteindre plusieurs années, ce qui augmentait leur valeur économique et permettait à leurs titulaires de gagner de l’argent en vivant de la rente résultant de la location de leurs plaques pour un loyer dépassant parfois plus de dix fois le montant de la taxe annuelle. De nombreux chauffeurs voulant exercer la profession de taxi étaient ainsi contraints de louer une AUADP, ce qui les rendait dépendants et économiquement vulnérables. Il était apparu que 53 personnes détenaient 150 AUADP, dont une personne qui en avait dix. En l’absence d’outils permettant de contrôler les prix, le PL prévoyait de supprimer la cession des plaques, en recourant à leur location ou au bail à ferme. Ainsi, selon le PL, le détenteur d’une AUADP pouvait soit l’utiliser lui-même, soit engager un chauffeur pour l’utiliser, qui devenait contractuellement son employé, soit céder définitivement l’AUADP.
La commission parlementaire a voulu supprimer la location des plaques, qui conférait une rente de situation aux titulaires d’une AUADP, lesquels les louaient à un prix abusif. Le bail à ferme permettait la réalisation de marges excessives par rapport à l’outil de travail proposé, en tirant profit d’un avantage octroyé par l’État pour le monnayer. Il convenait de supprimer cette possibilité, une indemnisation étant introduite dans les dispositions transitoires en faveur des personnes rendant leur AUADP.
3.3 À l’issue de la séance du 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la LTVTC (loi 12'649), publiée le 4 février 2022 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) fixant le délai référendaire au 16 mars 2022.
3.4 Vu l’expiration du délai référendaire, le Conseil d’État a, par arrêté du 23 mars 2022 publié dans la FAO du 25 mars 2022, promulgué la LTVTC pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication dudit arrêté, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État. Le 19 octobre 2022, le Conseil d’État a annoncé que la LTVTC et son règlement d’application entreraient en vigueur le 1er novembre 2022.
3.5 L’art. 46 al. 13 LTVTC dispose, sous l’intitulé « Attribution des autorisations restituées ou caduques », que le département peut attribuer l’AUADP à la personne physique ou morale qui en était l’utilisateur effectif au moment du dépôt de la LTVTC, s’il en est toujours l’utilisateur au moment de l’adoption de la LTVTC, en fait la requête et réalise les conditions de délivrance visées à l’art. 13 al. 5 LTVTC.
3.6 Dans son arrêt du 24 mars 2023 (ACST/15/2023), la chambre constitutionnelle a jugé que l’art. 46 al. 13 LTVTC était une disposition légale transitoire, adoptée pour permettre aux chauffeurs de taxis exerçant leur profession à travers la location de plaques ou d’un bail à ferme de continuer leur activité, malgré l’abolition de ces pratiques par l’entrée en vigueur de la LTVTC, et de leur attribuer, pour autant que les conditions légales soient remplies, une AUADP (consid. 5.3.4). Dans ce contexte, le Conseil d’État avait indiqué que l’augmentation transitoire du nombre d’AUADP pendant un an (art. 57 al. 11 RTVTC) permettait d’atténuer les effets du passage au régime de l’interdiction de location des autorisations.
La chambre constitutionnelle a rappelé que l’AUADP octroyée aux taxis ne conférait généralement pas de droits acquis, à moins de garanties spécifiquement obtenues concernant la poursuite de l’activité de location de plaques, ce qui n’était pas le cas dans les affaires dont elle était saisie (ACST/26/2022 du 22 décembre 2022 ; ACST/27/2022 du 22 décembre 2022).
3.7 Se penchant sur la condition d’être utilisateur effectif de l’AUADP au moment du dépôt de la LTVTC, la chambre de céans a jugé que celle-ci n’était pas décisive, mais qu’était en revanche déterminant le fait d’être utilisateur effectif au moment de l’adoption de la loi le 28 janvier 2022 (ATA/779/2023 du 18 juillet 2023 consid. 5.6.2 ; ATA/886/2023 du 22 août 2023 consid. 6.6).
3.8 Dans un arrêt récent du 4 juin 2024 (2C_690/2023), le Tribunal fédéral a confirmé la compatibilité de l’art. 46 al. 13 LTVTC avec les principes de non-rétroactivité des lois et de proportionnalité en lien avec la liberté économique.
3.9 En l’espèce, la requête – c’est-à-dire le fait juridiquement déterminant – du recourant auprès du PCTN en vue de l’obtention d’une AUADP date du 25 octobre 2023, soit après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. Cette demande doit donc s’examiner au regard de la nouvelle réglementation, conformément au principe général du droit intertemporel rappelé par la jurisprudence fédérale susmentionnée. Contrairement à ce que semble penser le recourant, sa requête ne soulève pas de question sous l’angle de la rétroactivité des lois puisqu’elle a été déposée après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. Ce grief doit être écarté.
Le recourant ne conteste pas ne pas avoir été l’utilisateur effectif d’une AUADP le 28 janvier 2022. Il ne répond ainsi pas à une des conditions permettant de bénéficier du régime transitoire de l’art. 46 al. 13 LTVTC.
Le recourant invoque la violation de la liberté économique. La chambre administrative ne voit pas de raison de s’écarter de la jurisprudence de la chambre constitutionnelle et du Tribunal fédéral qui ont tranché ces questions, incluant l’examen du respect du principe de la proportionnalité et celui de la question des droits acquis dans la nouvelle LTVTC et de son règlement d’application. L’AUADP octroyée aux taxis ne conférait généralement pas de droits acquis, à moins de garanties spécifiquement obtenues concernant la poursuite de l’activité de location de plaques, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Enfin, la loi ne prévoit pas de clause permettant de déroger aux conditions d’octroi d’une AUADP telles que définies par la loi. La chambre de céans ne saurait, sous peine de violer la loi, admettre en l’espèce l’existence de critères non prévus par celle-ci pour octroyer au recourant l’AUADP convoitée.
Au vu de ce qui précède, le recourant ne peut donc pas non plus se prévaloir de droits acquis concernant son activité de chauffeur de taxi du 12 juillet 2018 au 30 novembre 2020 et du 1er juin 2022 au 31 janvier 2023 fondée sur la location de plaques d’autrui.
Mal fondé, son recours sera rejeté.
4. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 28 mars 2024 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 29 février 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Guy ZWAHLEN, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.
Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
|
| le président siégeant :
C. MASCOTTO |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière : |