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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3173/2023

ATA/117/2024 du 30.01.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

Recours TF déposé le 01.03.2024, rendu le 20.03.2024, REJETE, 2C_137/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3173/2023-EXPLOI ATA/117/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 janvier 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Arnaud PARREAUX, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) a été inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) de Genève le 28 juillet 2022. Elle a pour but, notamment, le courtage en assurances, le conseil en matière de prévoyance individuelle et collective entreprise, les mandats de gestion en portefeuille d'assurances. B______ en est l’associé-gérant. Elle a son siège à C______.

b. D______, inscrite au RC le 12 septembre 2019, a pour but les prestations de services de conseils dans le domaine des assurances et de la prévoyance. Elle a la même adresse qu’A______ et B______ en a été associé‑gérant du 3 mars 2021 au 5 juillet 2022.

c. Par courrier du 7 novembre 2022, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a initié un contrôle d’A______ en vue de s’assurer du respect du salaire minimum. L’entreprise était invitée à produire pour chaque employé actif depuis novembre 2020 le nom, prénom, la date de naissance, la fonction, la date d’engagement, le taux d’activité, la durée hebdomadaire de travail et les contrats de travail, les fiches de salaire, les attestations de salaire AVS pour 2021, le mode de calcul des salaires annuels et tout renseignement utile relatif au mode de rémunération ainsi que le mode d’enregistrement de la durée de travail.

d. A______ a répondu qu’elle n’avait pas d’employés.

e. Faisant état d’informations relatives à cinq employés, l’OCIRT a réitéré sa demande, en sollicitant les mêmes informations également pour les mois de novembre et décembre 2022.

f. Par courriel du 6 février 2023, A______ a annoncé huit employés, engagés entre le 22 août et le 4 novembre 2022, ayant selon elle tous abandonné leur poste quelques jours après leur embauche.

B______ a expliqué que les agents avaient un contrat de travail avec A______, que les conventions avec les partenaires étaient nouées avec D______ et les commissions étaient versées par E______. Il a joint plusieurs contrats de travail signés entre A______ et des « conseillers » entre août et novembre 2022, notamment celui de F______ et G______ ainsi que « le contrat d’apporteur d’affaires » d’H______.

g. Examinant les documents remis par la société et les informations fournies par les employés qu’il a entendus, l’OCIRT a constaté que le salaire minimum n’était pas respecté pour G______, qui avait perçu un revenu brut de CHF 6'000.- du 1er août au 31 octobre 2022 au lieu de CHF 12'705.40, pour F______, dont le salaire brut de CHF 1'000.- perçu du 1er octobre au 6 novembre 2022 aurait dû être de CHF 5'017.-, pour H______, dont le salaire effectif de CHF 1'635.50 perçu entre le 1er et le 31 juillet 2022 aurait dû être de CHF 4'235.14, pour I______, qui avait perçu du 1er juillet au 31 août 2022 CHF 2'727.- au lieu de CHF 8'470.30, et pour J______, qui avait perçu entre le 1er juillet et le 31 août 2022 CHF 1'347.70 au lieu de CHF 8'470.30.

Il sera revenu ci-après, dans la partie « En droit », sur les déclarations des employés précités ainsi que leurs contrats et fiches de salaire.

h. A______ a contesté ces constats, faisant valoir que la relation la liant aux personnes précitées ne relevait pas du contrat de travil.

i. Dans un courrier du 29 juin 2023, l’OCIRT a exposé qu’A______ avait repris les contrats de D______. Les salaires avaient continué à être versés par E______. Il a détaillé les éléments relevant du contrat de travail (directives données par B______, transmission par celui-ci de noms et coordonnées de clients potentiels à contacter, rendez-vous fixés aux agents pour une centrale d’appel, etc.). Un délai était fixé à A______ pour procéder au rattrapage de salaires.

j. A______ n’ayant pas procédé à ce rattrapage, l’OCIRT a rendu, le 1er septembre 2023, une décision reprenant la sous-enchère salariale constatée. Celle-ci concernait cinq des quinze employés d’A______ et s’était déroulée entre le 1er juillet et le 31 décembre 2022. L’amende était fixée à CHF 5'900.-.

B. a. Par acte expédié le 2 octobre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Son droit d’être entendu avait été violé, la décision ne faisant que renvoyer aux déclarations des employés en question, d’une part, et les dépositions de ceux-ci n’ayant pas été adressées à A______ avant la prise de décision. Elle n’avait pas non plus pu s’exprimer oralement.

Les cinq personnes citées dans la décision n’étaient pas ses employés. F______ avait été formée comme « conseillère » et exerçait une activité de « négociateur », qui ne lui conférait pas le pouvoir de représenter A______. Elle était aussi libre de travailler pour d’autres sociétés. Son salaire dépendait de la valeur de production mensuelle. Elle avait été intégrée au groupe WhatsApp en raison du modèle d’affaires de la recourante. Les prétendues directives et feedback de B______ n’étaient pas précisés. Le même raisonnement valait mutatis mutandis pour G______.

Aucun moyen de preuve n’attestait de la qualité d’employé d’H______ et J______. Celui-ci avait uniquement le pouvoir de négocier des contrats pour D______, mais n’était pas lié par un contrat de travail et pouvait agir pour une tierce personne.

Les cartes de visite créées pour J______ et I______ s’inscrivaient dans le cadre de la reprise par A______ de certaines activités de D______, projet qui n’avait toutefois pas été concrétisé.

Enfin, l’OCIRT n’avait pas établi le travail effectué par les cinq employés. Ainsi, l’amende prononcée était disproportionnée.

b. L’OCIRT a conclu au rejet du recours.

A______ aurait pu venir consulter les procès-verbaux d’audition des employés. Les éléments essentiels en avaient été repris dans la décision querellée.

c. Dans sa réplique, la recourante a relevé que le procès-verbal d’audition du 21 mars 2023 d’H______ ne figurait pas au dossier. Elle ne trouvait pas non plus les fiches de rendez-vous et échanges WhatsApp avec M. K______ et les relevés bancaires que F______ aurait produits. Reprenant en détail les déclarations de cinq employés à l’OCIRT, la recourante a exposé en quoi celles-ci ne permettaient pas de conclure à l’existence d’un contrat de travail la liant à ceux‑ci. H______ avait uniquement travaillé pour D______. Le contrat d’apporteur d’affaires avait été signé avec A______ en octobre 2022.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante sollicite l’audition de son associé-gérant et de G______.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’espèce, la recourante, et singulièrement son associé-gérant qui a signé l’acte de recours, a eu l’occasion de s’expliquer déjà devant l’autorité intimée, puis devant la chambre de céans, à deux reprises, et pu produire toute pièce qu’elle estimait utile. Elle n’explique pas quels éléments autres que ceux qu’elle a déjà exposés l’audition de son associé-gérant pourrait apporter. Par ailleurs, la recourante souhaite l’audition de G______ en vue d’établir qu’elle aurait eu une activité dans le domaine de l’immobilier en France depuis de nombreuses années, notamment durant « la période considérée » et que le montant de CHF 5'000.- versé en septembre 2022 à celle-ci constituait une avance remboursable. Or, d’une part, l’assertion relative à l’avance est contredite par l’intitulé même du montant en question, qui fait référence sur le « décompte de salaire – septembre » au « salaire brut », d’une part. D’autre part, si contrairement à ces indications claires la somme de CHF 5’000.- devait être considérée comme une avance remboursable, les obligations salariales de la recourante à l’égard de G______ seraient augmentées de ce montant, ce qui ne constitue pas un élément en sa faveur. En outre, la recourante a pu prendre connaissance des déclarations de son ancienne employée à l’OCIRT et des pièces (contrat de travail, fiches de salaire, échange WhatsApp, notamment) que celle-ci a produites. Enfin et comme cela sera établi ci-après, les éléments au dossier permettent de qualifier la relation contractuelle entre la précitée et la recourante sans qu’il soit nécessaire de procéder à son audition.

Il ne sera donc pas donné suite aux actes d’instruction sollicités.

3.             La recourante sollicite encore l’apport d’autres pièces.

Il est relevé à cet égard qu’à teneur du dossier, la seconde audition d’H______, prévue le 21 mars 2022, n’a finalement pas eu lieu. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner l’apport d’un procès-verbal à cet égard. Les échanges WhatsApp avec M. K______ sont sans pertinence, aucune sous-enchère salariale n’étant retenue le concernant, de sorte que leur apport ne sera pas ordonné. Il n’apparaît pas que F______ ait produit de relevés bancaires ; aucun message électronique ni document au dossier ne laisse à penser que tel serait le cas.

La chambre de céans statuera ainsi sur la base du dossier en sa possession, étant précisé qu’il ne ressort pas de la décision querellée que l’OCIRT se serait fondé sur d’autres éléments que ceux qu’il a remis à la chambre administrative et que la recourante a pu consulter.

4.             Celle-ci reproche à l’OCIRT d’avoir violé son droit d’être entendue en ce que cet office ne décrit pas avec la précision requise l’état de fait qui lui est imputé et que la décision ne contient aucune précision quant aux employés, les montants individuels et la période temporelle des sous-enchères.

Ce grief tombe à faux. L’OCIRT a clairement indiqué, dans sa décision, le nom des employés et la période durant laquelle la sous-enchère salariale concernant les cinq employés en question a eu lieu. L’autorité intimée expose également les éléments sur lesquels elle se fonde, à savoir les contrats remis par les employés, leur audition, les fiches de salaire, des extraits d’agenda et de conversation WhatsApp et les explications fournies par la recourante. Cette dernière a, au demeurant, parfaitement compris les éléments reprochés, comme le démontrent les critiques qu’elle adresse à l’encontre de la décision.

Le grief n’est donc pas fondé.

5.             Est litigieuse la qualification de contrat de travail liant cinq personnes à la recourante et l’obligation en découlant de respecter le salaire minimum.

5.1 Lorsqu'il est amené à qualifier ou interpréter un contrat, le juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO).

Pour ce faire, le juge prendra en compte non seulement la teneur de leurs déclarations de volonté, mais encore le contexte général, soit aussi les circonstances et leurs déclarations antérieures, concomitantes et postérieures à la conclusion du contrat, le comportement ultérieur des parties établissant en particulier quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2 ; 140 III 86 consid. 4.1 ; 131 III 606 consid. 4.1 ; 127 III 444 consid. 1b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_58/2018 du 28 août 2018 consid. 3.1).

5.2 La qualification juridique d'un contrat est une question de droit (ATF 131 III 217 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_602/2013 du 27 mars 2014 consid. 3.1). La juge détermine librement la nature de la convention d'après l'aménagement objectif de la relation contractuelle, sans être lié par la qualification, même concordante, donnée par les parties (ATF 84 II 493 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_194/2011 du 5 juillet 2011 consid. 5.3). La dénomination d'un contrat n'est pas déterminante pour évaluer sa nature juridique (ATF 129 III 664 consid. 3.1).

5.3 Par le contrat individuel de travail, le travailleur s'engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l'employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d'après le temps ou le travail fourni (salaire aux pièces ou à la tâche ; art. 319 al. 1 CO).

Les quatre éléments constitutifs du contrat de travail sont les suivants: a) une prestation personnelle de travail, b) la mise à disposition par le travailleur de son temps pour une durée déterminée ou indéterminée, c) un rapport de subordination, et d) un salaire (Rémy WYLER/Boris HEINZER, Droit du travail, 4ème éd. 2019, p. 2 ss ; Anne MEIER, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3ème éd., 2021, n. 8 ss ad art. 319 CO).

5.4 La preuve de l'existence d'un contrat de travail incombe à la partie qui s'en prévaut pour en déduire un droit (art. 8 CC; ATF 125 III 78 consid. 3b).

5.5 Le lien de subordination constitue le critère distinctif essentiel du contrat de travail (ATF 125 III 78 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_602/2013 du 27 mars 2014 consid. 3.2). Il présuppose que le travailleur soit soumis à l'autorité de l'employeur pour l'exécution du contrat, cela au triple point de vue personnel, fonctionnel (organisation et contrôle), temporel (horaire de travail), et, dans une certaine mesure, économique (ATF 125 III 78 consid. 4 ; 121 I 259 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_553/2008 du 9 février 2009 consid. 4.1).

La dépendance personnelle réside en ceci que le travailleur s'engage à développer une activité dont la nature, l'importance, les modalités et l'exécution ne sont souvent déterminées que de manière très générale dans le contrat de travail et doivent être précisées et concrétisées par le biais d'informations et d'instructions particulières, données au fil du temps par l'employeur. Le travailleur s'engage ainsi à respecter les instructions de l'employeur et à se soumettre aux mesures de supervision que celui-ci ordonne (Anne MEIER, op. cit., n. 10 et 11 ad art. 319 CO; Rémy WYLER/Boris HEINZER, op. cit., p. 22 ss).

La notion de rapport hiérarchique ou fonctionnel implique que le travailleur est incorporé dans l'entreprise de l'employeur et se voit attribuer une position déterminée au sein de son organisation (arrêt du Tribunal fédéral 4C_276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.3.1).

La dépendance économique – critère dont l'importance doit être relativisée selon le Tribunal fédéral – réside en ceci que le salaire permet au travailleur d'assurer sa subsistance (arrêts du Tribunal fédéral 4C_276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.3.1 et 4.6.1 ; 4C.462/2004 du 20 avril 2005 consid. 4.3.3; Anne MEIER, op. cit., n. 10 ad art. 319 CO).

5.6 En plus des quatre critères essentiels, d'autres indices peuvent aider à distinguer le contrat de travail d'autres types de contrats, sans toutefois être décisifs pour eux‑mêmes. Sont des indices d'existence d'un contrat de travail la stipulation d'un délai de congé, d'une clause de prohibition de concurrence, le droit de jouir de vacances, l'existence d'un temps d'essai, la présence d'un élément de durée, le fait que les conditions de temps et de lieu dans lesquelles le travail doit être exécuté sont fixées dans le contrat, la mise à disposition des instruments de travail ainsi que le remboursement des frais (Anne MEIER, op. cit., n. 15 ad art. 319 CO).

5.7 Le contrat d'engagement des voyageurs de commerce est un contrat individuel de travail à caractère spécial, par lequel une personne, appelée voyageur de commerce (travailleur), s'oblige, contre paiement d'un salaire, à négocier ou à conclure, pour le compte d'un commerçant, d'un industriel ou d'un autre chef d'entreprise exploitée en la forme commerciale (employeur), des affaires de n'importe quelle nature hors de l'établissement (art. 347 al. 1 CO).

Le contrat d'engagement des voyageurs de commerce est avant tout un contrat de travail, dont les quatre éléments caractéristiques usuels doivent être cumulativement réalisés. L'éloignement physique entre le voyageur et son employeur et l'autonomie organisationnelle dont les voyageurs bénéficient souvent, impliquent une appréciation particulière du lien de subordination. Ce qui importe alors réside dans la faculté d'instruction et de contrôle de l'employeur (lien hiérarchique) et dans l'incorporation du voyageur dans la structure organisationnelle de l'employeur (Gabriel AUBERT, In Commentaire romand, Code des Obligations I, 3ème éd., 2021, n. 6 s. ad art. 347 CO).

5.8 Le contrat d'agence est le contrat par lequel une personne, l'agent, est chargée, à titre permanent, par un ou plusieurs mandants, de négocier la conclusion d'affaires ou d'en conclure en leur nom et pour leur compte, sans être liée à eux par un contrat de travail (art. 418a al. 1 CO).

Le critère essentiel de distinction entre le contrat d'engagement des voyageurs de commerce et le contrat d'agence réside dans le fait que l'agent exerce sa profession à titre indépendant, tandis que le voyageur de commerce se trouve dans un rapport juridique de subordination à l'égard de son employeur (ATF 137 III 32 consid. 2.4.2 ; 129 III 664 consid. 3.2). L'agent, contrairement au voyageur de commerce, peut organiser son travail comme il l'entend, disposer de son temps à sa guise et n'est pas lié par les instructions et directives de son cocontractant. Le fait de devoir visiter un certain nombre de clients, d'avoir à justifier un chiffre d'affaires minimum, l'obligation d'adresser des rapports périodiques à la maison représentée sont des indices permettant d'inférer l'existence d'un contrat d'engagement des voyageurs de commerce (ATF 129 III 664 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_533/2012 du 6 février 2013 consid. 2.4). Il en va de même de la fourniture par le cocontractant du matériel nécessaire à l'exécution du travail, de la prise en charge par celui-ci des cotisations sociales et des frais liés à l'exercice de l'activité ainsi que du versement d'une rémunération fixe (ATF 104 II 108 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.359/2005 du 3 février 2006 consid. 2.1 ; Gabriel AUBERT, Le contrat de travail des voyageurs de commerce, 2010, p. 52 et ss).

5.9 En l'espèce, l'activité déployée par les cinq personnes précitées pour la recourante, soit la négociation de contrats avec des tiers pour le compte de celle-ci, est susceptible de faire l'objet tant d'un contrat de travail, en particulier d'un contrat de voyageur de commerce, que d'un contrat d'agence, au sens des dispositions et principes rappelés ci-dessus.

Il n'est pas contesté que, pour distinguer entre ces qualifications, la dénomination des contrats conclus par D______ et A______, soit « contrat de travail », n'est en tant que telle pas déterminante. Conformément aux principes rappelés-ci-dessus, c'est avant tout l'existence et l'intensité d'un lien de subordination entre les parties qui doit permettre de retenir un type de contrat plutôt que l'autre.

À cet égard, la situation de chacun des cinq employés sera examinée séparément.

5.9.1 F______ et G______ ont signé le même « contrat de travail » avec la recourante respectivement le 28 septembre 2022 et le 7 octobre 2023. Ce contrat indique que les « relations de travail » commencent par une période d’essai de trois mois et, en cas de suite positive, deviendra ensuite un « contrat de travail à durée déterminée » (art. 1, 12). Une fois le contrat devenu de durée indéterminée, le délai de résiliation est « fixé selon les normes du code des obligations ». En cas de non-respect du délai de congé par le conseiller, la société mettra la totalité des « affaires en cours dans le compte caution afin de garantir les ristournes éventuelles. Une indemnité sera demandée proportionnellement à la perte engendrée par le manque de production d’un conseiller (art. 12). Les tâches principales étaient « collaboration active au développement de la société », « engagement total en vue d’atteindre les objectifs fixés », « prise de RDV », « suivi du portefeuille d’assurances », « développement et entretien de relations de confiance avec la clientèle », « réalisation de nouveaux contrats » (art. 2). La recourante s’engageait à former les employés dans le domaine du système social, de la protection juridique et des produits « VIE », puis dans les produits assurance-maladie et assurances‑choses. En cas de démission ou licenciement, un forfait de CHF 2'000.- pourrait être facturé pour amortir les coûts de la formation (art. 4). Une place de travail était mise à disposition dans les locaux de la recourante. Si la conseillère n’était pas en rendez-vous, elle devait être présente à sa place de travail « pendant les heures appropriées », dans l’optique d’assurer les tâches administratives, le suivi de sa propre clientèle et la prospection de nouveaux clients. L’employeur veillerait à ce que le conseiller ne travaille pas plus de 42 heures par semaine. Les absences de plus d’une journée pour cause de maladie devaient être justifiées par certificat médical. Tout abus pouvait entraîner la résiliation immédiate du contrat de travail pour juste motif selon l’art. 337 CO (art. 5). La rémunération était constituée de deux parties : un salaire fixe de CHF 1'000.- brut, qui était « débloqué » si la « valeur de production VIE de 100'000 » était atteinte. Le collaborateur est ensuite rémunéré « en fonction de son grade au sein de la société ». Les commissions sont versées au plus tard le 30 de chaque mois (art. 6). Les commissions perçues incluent les frais professionnels à hauteur de 10% ; à cela s’ajoute une indemnité pour les déplacements de CHF 500.-, à condition que le conseiller fournisse des quittances de carburant pour ce montant au minimum (art. 8). La société finance les charges sociales à hauteur de 50%. Pour la LPP, le conseiller est assuré sur la base de son salaire coordonné. En cas d’accident, il est couvert selon la LAA à 80%. Le salaire assuré est calculé « trimestriellement selon la production nette réalisée ». Le conseiller n’est qu’un négociateur (art. 11). La société peut mettre à disposition des conseillers des rendez-vous issus de « télémarketing » (art. 14). Le conseiller avait droit à quatre semaines de vacances par année civile (art. 15). Deux clauses prévoient une interdiction de concurrence pendant trois mois, respectivement trois ans après la fin du contrat (art. 17 et 20), l’employé devant s’abstenir d’approcher des clients d’A______.

Selon les fiches de paie produites par F______, elle a perçu en octobre 2022 un salaire brut de CHF 1'000.- auquel était ajoutée une indemnité pour frais de déplacement de CHF 500.-. Selon les fiches de paie produites par G______, elle a perçu en août et octobre 2022 un salaire brut de CHF 1'000.- auquel était ajoutée une indemnité pour frais de déplacement de CHF 500.-, en septembre 2023 un revenu brut de CHF 5'000.-, auquel était ajoutée une indemnité pour frais de déplacement de CHF 500.-.

F______ a déclaré à l’OCIRT le 10 février 2023 qu’elle avait été engagée début septembre 2022 et avait démissionné le 6 novembre 2022. Elle devait faire du démarchage téléphonique sur la base de fiches qui lui étaient remises. Elle devait vendre des assurances, puis se rendre aux rendez-vous qui avaient été fixés. B______ lui remettait des fiches de rendez-vous, qui avaient lieu dans toute la Suisse romande. La recourante a confirmé, dans sa réplique, que des rendez-vous étaient fixés à F______, qui devait les honorer, puis en faire un « feedback ». Sa formation initiale avait duré dix jours. Elle travaillait plus de dix heures par jour, quittant son domicile à 08h00 et terminant son dernier rendez-vous en Valais à 22h30. Il n’y avait pas de système de saisie des heures supplémentaires et elle ne les récupérait pas. Elle avait obtenu deux gros contrats pour des assurances troisième pilier le premier mois de son activité. Elle n’avait reçu qu’un salaire, le 4 novembre 2022. Elle avait démissionné avec effet immédiat, car elle n’avait pas reçu le salaire promis, travaillait énormément et avait des frais de déplacement importants. B______ n’avait pas réagi autrement à sa démission qu’en supprimant son agenda et ses rendez-vous. Cette suppression, non contestée, explique que F______ n’a pas pu fournir à l’OCIRT les fiches de rendez-vous.

G______ a déclaré, le 13 décembre 2022, à l’OCIRT qu’elle avait travaillé du 1er août au 31 octobre 2022 pour la recourante. Celle-ci lui avait remis une liste de personnes qu’elle devait appeler pour fixer un rendez-vous en vue de leur faire contracter un contrat d’assurance. Elle arrivait au bureau entre 0900h et 10h00, avait une pause de 30 minutes à midi et repartait entre 18h00 et 19h00. A partir du moment où elle avait commencé à avoir des rendez-vous, elle pouvait en avoir à 08h00 et terminer ses journées à 23h00, étant mobile sur toute la Suisse romande. Elle recevait sa liste de rendez-vous sur son agenda, qui avait été supprimé après sa démission. Certains rendez-vous était fixés sur WhatsApp ; ils avaient été pris par un centre d’appel qui se trouvait au Maroc ou à Madagascar. Elle accomplissait souvent des heures supplémentaires. Il n’y avait pas de système de saisie des heures travaillées ni de système de compensation des heures supplémentaires. Elle n’avait reçu que son salaire de septembre 2022. Elle avait démissionné le 31 octobre 2022, car son salaire était systématiquement versé tardivement, après relance de sa part. B______ lui avait indiqué qu’il procèderait au paiement du salaire le 27 octobre 2022 ; le 31 octobre 2022, elle ne l’avait pas reçu et l’attendait encore. En outre, elle avait appris qu’elle n’était pas autorisée à vendre des assurance-maladie, ne disposant pas du brevet AFA, et selon B______, la liste des contacts qu’elle recevait avait été obtenue illégalement.

Selon les fiches de paie produites par G______, imprimées sur papier à entête de D______, son salaire d’août 2022 était de CHF 1'000.- brut auquel était ajoutée une indemnité pour frais de déplacement de CHF 500.-, un revenu brut de CHF 5'000.- en septembre 2023.-, auquel était ajoutée une indemnité pour frais de déplacement de CHF 500.-, et de CHF 3'306.37 brut, avec une indemnité de déplacement de CHF 500.- pour octobre 2022. Dans un courriel adressé le 3 novembre 2022 à G______, B______ a exposé que malgré la « production rémunérée » de CHF 328'221.03, il importait de « corriger » les fiches de salaire, de conserver une « compte caution » à hauteur de 75% et de procéder au remboursement des frais de formation de CHF 2'000.-, de sorte qu’il lui réclamait un montant de CHF 1'313.85. Était annexée une nouvelle fiche de paie du mois d’octobre 2022, prévoyant un salaire brut de CHF 0.-, un montant de CHF 415.08 au titre de frais de déplacement et le remboursement d’une « avance de commission » de CHF 2'394.09. Elle n’a perçu au total que CHF 6'000.- brut pour la période d’août à octobre 2022.

G______ a produit des exemples de fiches « LEED confirmé », indiquant la date, l’heure et le nom du client avec lequel un rendez-vous était fixé. Ces rendez-vous avaient lieu à 13h00, 18h00, 20h00, 20h30, 21h00. L’employée a également joint le fil de conversations WhatsApp entre elle et B______, lui exposant quelles personnes elle avait jointes, si un rendez-vous avait pu être fixé, et leur réponse.

Il ressort des éléments qui précèdent que tant F______ que G______ se trouvaient dans une relation de travail avec A______. En effet, leur contrat prévoyait un délai de congé, une clause de prohibition de concurrence, le droit de jouir de vacances, l'existence d'un temps d'essai, la présence d'un élément de durée ainsi que l’obligation, lorsqu’elles n’étaient pas en rendez-vous, à être présente à leur place de travail pendant « les heures appropriées » pour assurer des tâches administratives, le suivi de leur clientèle et la prospection de nouveaux clients. Le temps de travail était réglé (pas plus de 42 heures par semaine), le salaire assuré en LPP et LAA et une disposition réglait le remboursement des frais professionnels. Les deux employées recevaient, en sus, des instructions quant aux potentiels clients à appeler ou rencontrer et devaient rapporter le résultat de leurs appels. Il ne fait ainsi aucun doute que F______ et G______ étaient liées à la recourante par un contrat de travail.

Il est encore relevé qu’au vu du nombre de rendez-vous fixés et honorés par G______ ainsi que de la « production rémunérée » de CHF 328'221.03, reconnue par l’associé-gérant de la recourante, l’allégation de cette dernière selon laquelle l’employée aurait consacré une partie de son temps de travail à son activité immobilière en France n’est pas rendue vraisemblable. En outre, quand bien même l’intéressée aurait exercé une telle activité, celle-ci serait venue s’ajouter à celle qu’elle déployait pour la recourante.

5.10 I______ a signé un « contrat de travail » avec D______ le 13 avril 2022 également. Ce contrat comporte les mêmes dispositions que les contrats de travail conclus avec la recourante avec F______ et G______ en ce qui concerne la fonction, la présence, la couverture en LPP et LAA, les congés et vacances, la durée contractuelle et les termes de résiliation, l’interdiction de faire concurrence. La rémunération était déterminée selon une tabelle reprennat le taux de commissions et les conditions d’évolution ». Son salaire a été versé par E______. Il a produit bon nombre de fiches « LEED confirmé », lui indiquant le nom, le lieu et l’heure des rendez-vous qui lui étaient fixés.

Selon sa déposition à l’OCIRT du 12 janvier 2023, il avait travaillé pour la recourante d’avril à fin août 2022. Il avait des rendez-vous dans toute la Suisse romande pour vendre des produits d’A______. Ses rendez-vous étaient pris par une centrale d’appel et transmis par son supérieur B______. Lorsqu’il n’avait pas de rendez-vous, il devait se présenter au bureau et faire du démarchage téléphonique d’après une liste de contacts. D______ était composée de deux filiales, l’une dédiée à la Suisse romande, l’autre à la France. Fin juin/début juillet 2022, les filiales s’étaient séparées et A______ avait repris la « filiale » Suisse romande. Il avait continué à travailler pour B______ et était parti de l’idée qu’il travaillait pour A______. B______ lui avait annoncé que son salaire serait désormais de CHF 1'500.- net par mois, à condition de produire un minimum de de production de CHF 100'000.-. Un remboursement des frais d’essence de CHF 500.- était inclus dans le montant précité. En moyenne, il travaillait entre neuf heures et dix heures par jour. Il lui était arrivé de travailler douze heures par jour et de travailler aussi le samedi ou le dimanche. Il ne récupérait pas ses heures supplémentaires. Il avait reçu, après trois mois, son premier salaire en juillet 2023, de CHF 4'500.- net. En août/fin juillet 2022, il avait encore reçu CHF 2'500.- net. Il n’avait pas reçu d’autres salaires. Il avait démissionné, car les revenus étaient largement inférieurs par rapport au temps de travail. Il n’avait jamais eu de permis de travail. Ni lui ni ses collègues n’avaient reçu de carte AVS, et l’impôt à la source n’avait pas été prélevé.

À teneur des extraits bancaires fournis par I______, il a reçu deux versements, l’un de CHF 4'018.12 de E______ le 15 août 2022 et l’autre de CHF 2'727.- le 30 août 2022. Comme pour H______, une carte de visite comportant son nom, l’indication « Conseiller Finance », son numéro de téléphone portable et le logo et nom d’A______ lui avait été remise.

Il ressort de l’ensemble des éléments qui précèdent qu’I______ était également dans un statut d’employé. Son contrat prévoyait un délai de congé, une clause de prohibition de concurrence, le droit de jouir de vacances, l'existence d'un temps d'essai, la présence d'un élément de durée ainsi que l’obligation, lorsqu’il n’était pas en rendez-vous, à être présent à sa place de travail pendant « les heures appropriées » pour assurer des tâches administratives, le suivi de sa clientèle et la prospection de nouveaux clients. Le temps de travail était réglé (pas plus de 42 heures par semaine), le salaire assuré en LPP et LAA et une disposition réglait le remboursement des frais professionnels. Il recevait, en sus, des instructions quant aux potentiels clients à appeler ou rencontrer et devait rapporter le résultat de ses appels.

Si, certes, il a été engagé par D______ – à qui il a d’ailleurs réclamé des salaires impayés –, il ressort des indications que lui a données B______ en juillet 2022 que le contrat était alors repris par A______. Le précité a, en effet, continué à lui fournir des listes de futurs clients à appeler ou rencontrer et lui a fait faire une carte de visite au nom d’A______. B______ n’était, en outre, plus habilité à représenter D______. Ce dernier, dans un courriel adressé à l’OCIRT le 6 février 2023, a d’ailleurs indiqué qu’au départ, il travaillait en « en association » avec la direction de D______. Au fil du temps, ils avaient décidé de se séparer. Il avait créé A______ et D______ « faisait le relais pour que A______ ne perde pas de temps. […] Les agents [avaie]nt eu un contrat de travail via A______, des conventions avec les partenaires sous l’enseigne D______ et vu que la compagnie n’avait pas de comptes bancaires les commissions transitaient chez E______ et les agents percevaient leurs commissions via cette dernière ».

Au vu de ces éléments, reposant tant sur les déclarations de la recourante que sur l’impression qu’elle a créée et qu’elle doit, selon le principe de la bonne foi, se laisser opposer, il y a lieu de retenir que le contrat de travail d’I______ a été repris en juillet 2022 par A______.

5.11 J______, entendu le 26 janvier 2023 par l’OCIRT, a déclaré qu’il avait été engagé par D______ le 23 août 2021 comme conseiller financier. Il avait suivi une formation d’un mois. Il devait démarcher des prospects, obtenir des rendez-vous avec ceux-ci pour leur vendre des assurances. Certains rendez-vous lui étaient fixés par des call centers. Courant juin 2022, on lui avait annoncé que B______ allait créer sa propre société et se séparer de D______. Il était sensé continuer à faire le même travail pour A______. Il commençait au bureau à 10h00 et se rendait à ses différents rendez-vous. Il finissait rarement avant 20h00. Il travaillait régulièrement neuf heures par jour. Il n’y avait pas de saisie des heures de travail et il ne récupérait pas les heures supplémentaires. Il avait reçu trois versements, un de CHF 5'353.80 en décembre 2021, un de CHF 2'022.- en avril 2022 et le dernier de CHF 1'347.69 en août 2022. Il avait démissionné car il ne pouvait pas continuer à travailler sans être rémunéré. Aucune déduction pour l’impôt à la source n’avait été effectuée. Il n’avait pas reçu de carte AVS. Il avait aussi une carte de visite, à l’enseigne d’A______, avec son nom, son numéro de téléphone et l’indication « Conseille Financier ». Selon le relevé bancaire qu’il a produit, E______ lui a versé CHF 847.69 le 15 août 2022, CHF 500.- le 17 août 2022 et CHF 1'347.69 le 19 août 2022 ; les deux premiers montants portent l’indication « salaire juillet ».

Le contrat liant J______ à D______ prévoyait un délai de congé, une clause de prohibition de concurrence, le droit de jouir de vacances, l'existence d'un temps d'essai, la présence d'un élément de durée ainsi que l’obligation, lorsqu’il n’était pas en rendez-vous, à être présent à sa place de travail pendant « les heures appropriées » pour assurer des tâches administratives, le suivi de sa clientèle et la prospection de nouveaux clients. Le temps de travail était réglé (pas plus de 42 heures par semaine), le salaire assuré en LPP et LAA et une disposition réglait le remboursement des frais professionnels. Il recevait, en sus, des instructions quant aux potentiels clients à appeler ou rencontrer et devait rapporter le résultat de ses appels. Ces éléments ressortissent du contrat de travail.

J______ a, certes, été engagé par D______. Comme cela a été exposé plus haut, à partir de juillet 2022, B______ ne représentait plus D______, mais uniquement A______ et cette société a repris les contrats de plusieurs employés, dont celui d’J______. B______ a, d’ailleurs, continué à lui fournir des listes de futurs clients à appeler ou rencontrer, lui a fait faire une carte de visite au nom d’A______. Il y a ainsi lieu de retenir, pour les mêmes motifs que ceux évoqués ci-dessus (consid. 5.12) que le contrat de travail d’J______ a été repris en juillet 2022 par A______.

5.12 Le contrat de travail, signé par H______, le 13 avril 2022, avec D______ est identique à ceux précités conclus avec A______ en ce qui concerne la fonction et la présence dans les locaux. Entendu le 17 janvier 2023 par l’OCIRT, il a déclaré qu’il avait démissionné fin juillet 2022. Il recevait de B______ des rendez-vous en vue de vendre des assurances et devait également, en suivant une liste qui lui était remise, démarcher des clients. En juin 2022, B______ et son associé lui avaient annoncé qu’il serait désormais employé d’A______. Il aurait un salaire de CHF 1'000.- brut par mois, à condition d’atteindre un objectif mensuel de production de 100'000 et, sous présentation de justificatifs, percevrait une indemnité de déplacement de CHF 500.-.

Les transactions bancaires mentionnant « alaire [sic] juillet » (2x) et « salaire septembre » ont été établies par E______, ayant pour adresse celle de la recourante. À teneur du dossier, il a perçu pour le mois de juillet 2022 la somme de CHF 1'635.-. Le 7 octobre 2022, H______ a signé un « contrat d’apporteur d’affaires » avec A______. Il prévoit l’obligation pour celui-ci de présenter des clients potentiels et exclut expressément l’existence d’un contrat de travail. H______ a résilié ce contrat avec effet immédiat le 23 janvier 2023.

Les éléments qui précèdent permettent également de retenir l’existence d’un contrat de travail entre H______ et A______ au mois de juillet 2022. Celui-ci, comme les autres employés, recevait de B______ des instructions quant aux personnes à contacter, au lieu de son travail lorsqu’il n’avait pas de rendez-vous à l’extérieur, le contrat prévoyant, en outre, un délai de congé, une clause de prohibition de concurrence, le droit de jouir de vacances et l'existence d'un temps d'essai. Contrairement à ce que laisse entendre la recourante, le fait qu’H______ ait, en 2022, également déployé une activité pour L______, comme cela ressort de son extrait de cotisations AVS, ne contredit pas les éléments qui précèdent. En effet, le revenu brut annuel de CHF 24'528.- réalisé par l’intéressé auprès de cet employeur témoigne d’une activité très modeste, compatible avec un contrat de travail, en juillet 2022, avec A______, tel que décrit plus haut.

5.13 Au vu de ce qui précède, la décision de l’OCIRT retenant la qualité d’employés de F______, G______, I______, J______ et H______ est conforme au droit et exempte d’arbitraire.

6.             Se pose encore la question de savoir si la recourante a commis une sous-enchère salariale.

6.1 Aux termes de l’art. 23 loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05), l’OCIRT est l'autorité compétente chargée d'établir les documents qui reflètent les conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève, sur la base des directives émises par le conseil de surveillance (al. 1). Les usages ne peuvent en aucun cas prévoir un salaire minimum inférieur à celui fixé à l'art. 39K (al. 2bis). Selon l’art. 26A LIRT, les entreprises en infraction aux usages font l’objet des sanctions prévues à l’art. 45 LIRT (al. 1).

6.2 Depuis le 31 octobre 2020, à la suite de l’adoption le 27 septembre 2020 de l’initiative populaire législative cantonale n° 173 « 23 frs, c'est un minimum! », la LIRT institue un salaire minimum afin de combattre la pauvreté, de favoriser l’intégration sociale et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine et définit les rôles et les compétences pour la mise en œuvre de ce salaire minimal (art. 1 al. 4 LIRT). Le salaire minimum est réglé au chapitre IVB de la LIRT. Les relations de travail des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton y sont soumises (art. 39I LIRT).

6.3 Le salaire minimum est de CHF 23.- par heure (art. 39 K al. 1 LIRT), et il est indexé chaque année sur la base de l’indice des prix à la consommation, mais uniquement en cas de hausse (art. 39K al. 3 LIRT). L’OCIRT est chargé de l’application des dispositions sur le salaire minimum (art. 2 al. 1 LIRT).

6.4 Par arrêté relatif au salaire minimum légal pour 2020 et 2021 du 28 octobre 2020 (ArSML – J 1 05.03), le Conseil d’État a arrêté le salaire horaire minimum à CHF 23.- dès le 1er novembre 2020, à CHF 23.14 dès le 1er janvier 2021 (art. 1 al. 1 ArSML) et à CHF 23.27 dès le 1er janvier 2022 (ArSML du 3 novembre 2021).

6.5 En l’espèce, le revenu mensuel minimum, calculé selon le salaire horaire minimum applicable à Genève, était pour un emploi à plein temps de CHF 4'235.14, montant que la recourante ne conteste à juste titre pas.

Ayant versé à F______ pour la période du 1er octobre au 6 novembre 2022 la somme brute de CHF 1'000.- au titre de salaire, au lieu de CHF 5'017.01 (CHF 4'235.14 [octobre] + CHF 781.87 [1er au 6 novembre]), la sous-enchère salariale s’élève pour cette employée à CHF 4'017.01.

I______ a perçu, pour ses trois premiers mois de travail, soit d’avril à fin juin 2022, la somme de CHF 4'500.- brut environ. N’ayant été employé d’A______ qu’à compter de juillet 2022, seule doit être prise en compte la période du 1er juillet au 31 août 2022. Pour celle-ci, il a reçu la somme nette de CHF 2'727.-, au lieu de la somme brute de CHF 8'470.28 (2 x CHF 4'235.14). La sous-enchère salariale s’élève ainsi à CHF 5'743.28 (CHF 8'470.28 - CHF 2'727).

G______ n’a perçu que CHF 6'000.- brut pour la période de travail d’août à fin octobre 2022, au lieu de CHF 12'705.42 (3 x CHF 4'235.14), de sorte que la sous-enchère salariale s’élève pour elle à CHF 6'705.42 (CHF 12'705.42 - CHF 6'000.-).

J______ a reçu, pour la période du 1er juillet au 31 août 2022, les sommes nettes CHF 847.69, CHF 500.- et CHF 1'347.69, alors qu’il aurait dû percevoir au total CHF 8'470.28 brut (2 x CHF 4'235.14), de sorte que la sous-enchère salariale est à tout le moins de CHF 5'774.90 (CHF 8'470.28 - CHF 847.69 - CHF 500.- - CHF 1'347.69) et non de CHF 7'122,60 comme indiqué par l’OCIRT.

H______ a perçu CHF 1'635.- pour le mois de juillet 2022 au lieu de CHF 4'235.14, de sorte que la sous-enchère salariale se monte en ce qui le concerne à CHF 2'599.64 (CHF 4'235.14 - CHF 1'635.-).

Compte tenu du fait que certains montants perçus par les employés ont été pris en compte en salaire net, aucune fiche de paie n’ayant été établie, la sous-enchère salariale se monte à environ CHF 20'000.- (CHF 4'017.01 + CHF 5'743.28 + CHF 6'705.42 + CHF 5'774.90 + CHF 2'599.64 = CHF 24'840.-).

7.             Se pose encore la question de savoir si la sanction sous forme d’une amende de CHF 5'900.- est conforme au droit.

7.1 Selon l’art. 39N LIRT, l'office peut prononcer une amende administrative de CHF 30'000.- au plus lorsqu'un employeur ne respecte pas le salaire minimum prévu à l'art. 39K. Ce montant de l'amende administrative peut être doublé en cas de récidive (al. 1). L'office peut également mettre les frais de contrôle à la charge de l'employeur (al. 2).

7.2 Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende. La chambre administrative ne la censure qu’en cas d’excès ou d'abus (ATA/131/2023 du 7 février 2023 consid. 5d ; ATA/1253/2022 du 13 décembre 2022 consid. 3b).

7.3 L'autorité prend en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises, dans le respect du principe de proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/894/2022 du 6 septembre 2022 consid. 8g ; ATA/668/2022 du 28 juin 2022 consid. 7e).

7.4 L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/131/2023 du 7 février 2023 consid. 5d ; ATA/1253/2022 du 13 décembre 2022 consid. 3b).

7.5 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé une amende de CHF 1'300.- pour une sous-enchère salariale de CHF 24'051.-, commise pendant dix mois, par un employeur dont la collaboration à l’instruction avait été excellente, qui avait procédé au rattrapage salarial et n’avait pas d’antécédents (ATA/1071/2023 du 28 septembre 2023 consid. 3.2). Elle a confirmé une amende de CHF 8'000.- portant sur une sous-enchère salariale de CHF 42'668, ayant duré plus d'un an et demi, dans le contexte d’une mauvaise collaboration de l’employeuse et de l’absence de rattrapage salarial (ATA/521/2023 du 22 mai 2023 consid. 4.2.

Dans une affaire dans laquelle la sous-enchère salariale avait duré quatre ans, été commise au préjudice de cinq employées, constituait la première infraction commise par l’intéressée et consacrait une faute moyenne de cette dernière relativisée par les circonstances, la chambre administrative a réduit l'amende de CHF 28'000.- à 14'000.- (ATA/894/2022 du 6 septembre 2022 consid. 9).

7.6 En l’espèce, l’amende ne sanctionne que le non-respect du salaire minimum tel que prévu par le droit cantonal. Ce manquement concerne cinq employés et a eu lieu pendant une durée allant de juillet à début novembre 2022. Elle a pris fin parc que les employés en question ont tous démissionné. La sous-enchère salariale s’élève à environ CHF 20'000.-. La collaboration de la recourante a été faible, celle‑ci ayant, dans un premier temps, exposé n’avoir eu aucun employé et n’ayant donné des indications sur les cinq employés qu’après que l’OCIRT eût fourni leur nom. Par ailleurs, l’intéressée n’a pas procédé à une mise en conformité, aucun rattrapage salarial n’ayant eu lieu, malgré les invites de l’OCIRT à cet effet.

Au vu de ces éléments, l’amende de CHF 5'900.-, qui se trouve au demeurant dans le bas de la fourchette prévue par l’art. 45 al. 1 LIRT, ne consacre pas un abus ou un excès du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée ni une violation de la loi. Le fait que la sous-enchère salariale soit d’environ CHF 1'350.- de moins que celle retenue par l’OCIRT ne justifie pas à lui seul de s’écarter du montant de l’amende infligée.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 octobre 2023 par A______ contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 1er septembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge d’A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Arnaud PARREAUX, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. DESCHAMPS

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :