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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1672/2023

ATA/8/2024 du 08.01.2024 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1672/2023-EXPLOI ATA/8/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 janvier 2024

en section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Mes Bénédict BOISSONNAS et Antoine KOHLER, avocats

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE, DE LA RECHERCHE ET DE L'INNOVATION intimée
représentée par Me Stephan FRATINI, avocat



EN FAIT

A. a. A______ SA (ci-après : A______) est inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 2 janvier 2007. Elle a pour but les activités liées à la détention, l'organisation de salons, d’expositions, de congrès, de manifestations et d’événements culturels, industriels ou autres, professionnels et grand public, sur les plans nationaux et internationaux, ainsi que d’en assumer le financement, la gestion, l'administration et le développement, les prestations de services ou d’activités subsidiaires qui pourraient en découler.

b. B______ SA (ci-après : B______) est inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 25 octobre 2013. Elle a pour but l’acquisition, la détention, l’administration, l’aliénation ainsi que la gestion de participations dans des sociétés ayant pour but l'organisation de salons, expositions, congrès, manifestations et événements culturels, industriels ou autres, ainsi que toute activité connexe, l’octroi de financements et de garanties à des entreprises et des personnes physiques actives dans ces domaines.

c. Le 10 février 2021, A______ a adressé au département de l’économie et de l’emploi (ci-après : DEE) une demande d’aide pour cas de rigueur dans le cadre de l’épidémie de COVID-19. Elle avait été fermée en novembre 2020, dès le 24 décembre 2020 et dès le 18 janvier 2021. Son capital n’était pas détenu à plus de 10% par la Confédération, des cantons ou des communes comptant plus de 12'000 habitants. Après fusion avec C______ SA (ci-après : C______) le 1er janvier 2020, elle était propriétaire du salon D______ qui avait lieu chaque année à E______ en juin. Le salon 2020 avait dû être annulé à cause du Covid. Ses chiffres d’affaires étaient de CHF 6'784'735.- pour 2018, CHF 7'256'495.- pour 2019 et CHF 4'950.- pour 2020. En 2020, elle avait fait face à des coûts totaux de CHF 1'190'901.-, constitués de frais administratifs divers.

d. Le 1er mars 2021, elle s’est vu octroyer par le DEE une aide financière, pour la période de fermeture du 1er janvier au 10 février 2021, de CHF 133'772.-.

e. Le 19 mai 2021, elle s’est vu octroyer par le DEE une aide financière complémentaire, en raison de la baisse de son chiffre d’affaires 2020, de CHF 616'228.-. Des contrôles ultérieurs étaient réservés.

f. Par décision du 20 septembre 2022, le DEE a réclamé à A______ le remboursement de CHF 750'000.-.

A______ était détenue à 12.5% par F______ SA (ci-après : F______), qui était quant à elle détenue à 72.69% par le canton de Genève et à 8.50% par le canton de Vaud. Elle était ainsi indirectement détenue à 10.15% par des collectivités publiques et ne pouvait prétendre à une aide financière pour cas de rigueur.

g. Le 14 octobre 2022, A______ a formé une réclamation contre cette décision.

Celle-ci reposait sur une constatation inexacte des faits et violait l’art. 1 al. 2 let. a de l’ordonnance du 25 novembre 2020 concernant les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises en lien avec l’épidémie de Covid-19 (ordonnance Covid-19 cas de rigueur ou OMCR 20 – RS 951.262). La loi ne prévoyait pas de rétrocession. Exiger le remboursement était contraire au principe de la bonne foi, voire arbitraire. Faute d’enrichissement illégitime, le remboursement n’était pas exigible.

h. Par décision du 6 avril 2023, le DEE a rejeté la réclamation.

La participation de l’État pouvait être indirecte. Elle pouvait se faire par le capital‑participations. Les aides de différentes collectivités étaient cumulées pour calculer si le seuil de 10% était atteint.

La demande avait été instruite sur la base du formulaire renseigné en ligne. C’était dans la cadre des contrôles que l’actionnariat de B______, détentrice de 100% des actions d’A______, avait été déterminé.

La restitution prévue par la loi était une règle spéciale excluant l’application de la condition de l’enrichissement illégitime.

B. a. Par acte remis à la poste le 16 mai 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’il soit dit qu’elle n’était pas tenue de rembourser CHF 750'000.-.

Les faits avaient été constatés de manière inexacte. La loi et les principes de la non‑rétroactivité, de la légalité et de la bonne foi en relation avec l’autorité de la chose jugée ainsi que l’art. 62 de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) avaient été violés.

Les actions d’A______ et d’C______ avaient été rachetées par B______ en octobre 2013. A______ avait absorbé C______ le 31 décembre 2019. Les salons organisés par ces sociétés ayant lieu à E______, F______ avait pris une participation de CHF 100'000.- (soit 12.5%) dans le capital-actions de B______ de CHF 800'000.-. Les statuts de B______ prévoyant un capital conditionnel de CHF 200'000.-, la participation de F______ était de 10% du capital-actions sur une base entièrement diluée du capital-action. F______ ne disposait que d’un membre aux conseils d’administration de B______ et A______, sur un total de huit jusqu’en 2018 puis de sept depuis lors. Elle n’était donc pas en mesure d’influer sur la politique et les décisions de B______. En 2018, la participation de F______ dans B______ était passée à 20⅔%.

Elle avait dû faire face notamment aux honoraires forfaitaires d’organisation de F______, de CHF 450’000.- dus au titre du mandat d’organisation qu’elle avait confié à celle-ci et qu’elle avait intégralement maintenus.

Elle avait coché la case indiquant que les collectivités publiques ne participaient pas à plus de 10% au capital car l’intégralité de son capital était détenue par une entreprise privée, B______.

Les actionnaires de F______ étaient toujours l’État de Genève pour 79.45% du capital-actions, la Fondation G______ pour 10.77%, le H______ pour 7.21% et l’I______ pour 2.57%. Le canton de Vaud possédait des bons de participation, mais ne participait pas au capital-actions.

L’aide financière versée avait atténué sa perte opérationnelle, de CHF 1'185'951.-, et l’exercice 2020 s’était soldé par une perte de CHF 469'569.-. Au 31 décembre 2020, elle présentait un surendettement de CHF 162'262.- après comptabilisation des aides pour cas de rigueur. Le prochain salon se tiendrait en juin 2023.

Le 29 juin 2022, le DEE avait exigé la production du registre des actionnaires d’A______. Puis il avait notifié la décision querellée.

E______ avait exigé ses honoraires forfaitaires et n’avait nullement soutenu A______.

Le commentaire de l’OMCR 20 sur lequel s’appuyait le DEE avait été publié le 11 mars 2022, soit un an après les décisions d’octroi, et ne pouvait lui être opposé, alors qu’elle s’était fiée au texte clair de l’OMCR 20.

Les bons de participation de l’État de Vaud dans F______ ne devaient pas être pris en compte, si bien qu’en toute hypothèse, la participation étatique indirecte n’était que de 9.086% (soit 72.69% ‧ 12.5%).

Elle s’était fiée aux décisions d’octroi d’aides, entrées en force, et avait consommé les fonds octroyés. Le versement en deux fois indiquait qu’un examen attentif avait été effectué.

Le DEE savait ou devait savoir que F______ participait au capital de B______ et n’avait jamais demandé à connaître l’actionnariat de cette dernière. Le versement des aides n’avait donc pas été effectué par erreur, ce qui excluait la répétition selon l’art. 63 CO.

b. Le 6 juillet 2023, le DEE a conclu au rejet du recours.

Il s’était fondé sur les déclarations reportées dans le formulaire en ligne.

Le canton de Vaud détenait 1'000 bons de participation de CHF 10'000.-, soit l’entier du capital participation de F______, de CHF 10'000'000.-. L’État de Genève détenait 8'548 actions de CHF 10'000.-, soit 79.45% du capital-actions de CHF 107'590'000.- de F______. Du capital social de F______, composé du capital-actions et du capital-participations pour un total de CHF 117'590'000.-, l’État de Genève détenait 72.69% et l’État de Vaud 8.50%, soit un total de 81.19%. La participation indirecte de ces deux cantons dans le capital d’A______ était donc de 16.78% (81.19% ‧ 20⅔%). Même sans tenir compte de la participation vaudoise, la participation indirecte de l’État de Genève dans A______ serait encore de 16.42% (du capital-actions), étant rappelé que la participation de E______ au capital de B______ était de 20⅔% au moment de l’octroi des aides et non de 12.50%.

Le président du conseil d’administration d’A______ était par ailleurs le directeur général de F______. Les comptes d’A______ montraient que F______ avait accepté de postposer en 2020 sa créance de CHF 450'000.- comme « dette à court terme envers un actionnaire ». Le 29 janvier 2021, le Grand Conseil avait adopté le projet de loi PL 12857 du 13 janvier 2021 autorisant le Conseil d’État à consentir à F______ un prêt de CHF 30'000'000.- afin de lui fournir les liquidités nécessaires au maintien de ses activités dans le cadre de la crise sanitaire.

La recourante n’avait pas produit ses comptes 2021, elle ne soutenait pas être en difficulté et avait pu organiser son salon en 2021, 2022 et 2023.

Le commentaire de l’OMCR-20 avait été publié le 25 novembre 2020 lors de l’adoption de l’OMCR. Il ne comportait alors pas la phrase précisant que la règle des 10% valait aussi pour les participations indirectes.

c. Le 11 septembre 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions.

La créance de F______ n’avait pas été postposée. Elle n’avait simplement pas été payée durant l’exercice 2020. Elle avait été payée en 2021. Elle produisait les comptes 2021, qui montraient une perte de CHF 8'915.- après imputation des pertes reportées de l’exercice 2020.

d. Le 13 septembre 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Bien que la recourante n’y conclue pas expressément, elle propose dans ses offres de preuves la comparution personnelle des parties et l’audition de B______.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

2.2 En l’espèce, la recourante s’est vu offrir l’occasion de développer son argumentation et de produire toute pièce utile devant le DEE et la chambre de céans. La répartition de l’actionnariat d’A______, de B______ et de F______, la question de savoir si le DEE la connaissait, la comptabilisation par A______ des honoraires de F______ et l’existence d’une aide de l’État (autre que les aides Covid) en faveur de la recourante sont soit documentées soit sans pertinence pour l’issue du litige ainsi qu’il sera vu plus loin. Le dossier est complet et la cause en état d’être jugée.

Il ne sera pas donné suite aux offres de preuves.

3.             Est litigieuse la question de savoir si l’intimée pouvait tenir compte de la participation indirecte de collectivités publiques dans la recourante pour lui réclamer la restitution des aides perçues.

3.1.1 Le 25 septembre 2020, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de Covid-19 (loi Covid-19 - RS 818.102).

3.1.2 Le 25 novembre 2020, le Conseil fédéral a adopté l'ordonnance Covid-19 cas de rigueur. Dans sa version du 14 janvier 2021, applicable en l’occurrence, elle prévoit que la Confédération ne participe pas aux coûts ou aux pertes que les mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises qu’il a prises occasionnent à un canton si le capital de l’entreprise est détenu à plus de 10% par la Confédération, les cantons ou les communes comptant plus de 12'000 habitants (art. 1 al. 2 let. a OMCR-20).

3.1.3 Le 29 janvier 2021, le Grand Conseil genevois a adopté la loi 12'863 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 (ci‑après : aLAFE‑2021).

La loi a pour but de limiter les conséquences économiques de la lutte contre l'épidémie de coronavirus (Covid-19) pour les entreprises sises dans le canton de Genève conformément à la loi Covid-19 et à l’ordonnance Covid-19 (art. 1 al. 1), en atténuant les pertes subies par les entreprises dont les activités avaient été interdites ou réduites en raison même de leur nature entre le 1er janvier 2021 et le 31 décembre 2021 (art. 1 al. 2), et en soutenant par des aides cantonales certaines entreprises ne remplissant pas les critères de l’ordonnance Covid-19 en raison d’une perte de chiffre d’affaire insuffisante et qui ne couvrent pas leurs coûts fixes dans les limites prévues à l’art. 12 (art. 1 al. 3).

L'aide financière extraordinaire consiste en une participation à fonds perdu de l'État de Genève destinée à couvrir les coûts fixes de l'entreprise (art. 5 al. 1). Sont considérés comme coûts fixes les charges fixes incompressibles liées à l'activité, indispensables au maintien de cette dernière, notamment le loyer, les fluides, les assurances et les contrats de location liés à l'activité commerciale (art. 5 al. 2). La liste des coûts fixes pris en compte et le calcul du montant de la participation sont établie par le règlement (art. 5 al. 3).

Aux termes de l'art. 14 al. 1 aLAFE-2021, l’aide financière est accordée sur demande du bénéficiaire potentiel ou de son mandataire ; la demande est adressée au DEE sur la base d’un formulaire spécifique, accompagné notamment de toutes les pièces utiles attestant des coûts fixes du bénéficiaire.

Selon l'art. 15 aLAFE-2021, intitulé « obligation de renseigner », le bénéficiaire de l’aide et/ou son mandataire collaborent à l’instruction du dossier et renseignent régulièrement le DEE afin de lui présenter une image fidèle et transparente de l'évolution des charges du bénéficiaire (al. 1) ; le demandeur autorise en tout temps le contrôle du respect des conventions collectives ou usages applicables ainsi que le paiement effectif des charges sociales (al. 2) ; le DEE peut en tout temps effectuer des contrôles dans les locaux du bénéficiaire et y consulter les livres, ou tout document utile, et être renseigné sur l'état de comptes bancaires ou postaux (al. 3).

3.1.4 Le 3 février 2021, le Conseil d’État a adopté le règlement d'application de la loi 12'863 relative aux aides financières extraordinaires de l'État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l'épidémie de coronavirus, pour l'année 2021 (aRAFE‑2021).

Selon l'art. 17 aRAFE-2021, l'entreprise demanderesse et le DEE signent une convention qui permet notamment au DEE d'obtenir des données sur l'entreprise nécessaires à l'étude des dossiers et à la gestion des aides auprès d'autres services fédéraux, cantonaux ou communaux. L'entreprise demanderesse collabore à l’instruction du dossier et renseigne régulièrement le DEE, afin de lui présenter une image fidèle et transparente de la marche de ses affaires (art. 20 aRAFE-2021). Les entreprises ayant bénéficié de l'octroi d'une aide s'engagent à faire parvenir au DEE, sur sa demande, durant les trois années qui suivent le versement de l'aide, la documentation permettant de vérifier que les conditions d'octroi ont été respectées (art. 23 aRAFE-2021).

3.1.5 La participation financière indûment perçue doit être restituée sur décision du DEE (16 al. 1 aLAFE-2021 ; art. 17 al. 1 de la loi 12'938 du 30 avril 2021 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 - LAFE-2021).

3.1.6 Selon un principe général de droit intertemporel, rappelé dans l’arrêt 2C_339/2021 du Tribunal fédéral du 4 mai 2022 (consid. 4.1), les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 140 V 41 consid. 6.3.1). Liée aux principes de sécurité du droit et de prévisibilité, l'interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l'égalité de traitement (art. 8 Cst.), de l'interdiction de l'arbitraire et de la protection de la bonne foi (art. 5 et 9 Cst.). L'interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1), car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause. Une exception à cette règle n'est possible qu'à des conditions strictes, soit en présence d'une base légale suffisamment claire, d'un intérêt public prépondérant et moyennant le respect de l'égalité de traitement et des droits acquis (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; 138 I 189 consid. 3.4). La rétroactivité doit en outre être raisonnablement limitée dans le temps (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_366/2016 du 13 février 2017 consid. 2.1).

3.1.7 Les directives sont des ordonnances administratives dont les destinataires sont ceux qui sont chargés de l'exécution d'une tâche publique, et non les administrés (ATA/665/2023 du 20 juin 2023 consid. 9.3). Elles ne constituent pas des règles de droit et ne lient pas le juge (ATF 138 V 50 consid. 4.1 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_190/2017 du 15 septembre 2017 consid. 3.3.3 ; ATA/486/2023 du 9 mai 2023 consid. 6.2.3 et les références citées).

3.1.8 Selon le commentaire de l’OMCR-20 dans sa version au 4 novembre 2020 (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/63629.pdf), selon l’art. 1 al. 2, les entreprises détenues par les pouvoirs publics n’ont pas droit aux mesures cantonales pour les cas de rigueur. Par conséquent, celles-ci ne s’appliquent pas lorsque la participation de l’État dans l’entreprise demandeuse dépasse 10%. En effet, une participation publique plus élevée traduit un intérêt stratégique, de sorte qu’il est raisonnable pour l’échelon de l’État compétent de soutenir l’entreprise avec ses propres fonds (let. a).

Dans sa version au 18 juin 2021 (https:// www.newsd.admin.ch/newsd/message/ attachments/67163.pdf), il indique que selon l’art. 1 al. 2 OMCR, les entreprises détenues par les pouvoirs publics n’ont pas droit aux mesures cantonales pour les cas de rigueur. Par conséquent, celles-ci ne s’appliquent pas lorsque la participation de l’État dans l’entreprise demandeuse dépasse 10 %. En effet, une participation publique plus élevée traduit un intérêt stratégique, de sorte qu’il est raisonnable pour l’échelon de l’État compétent de soutenir l’entreprise avec ses propres fonds. Cet argument vaut aussi pour les entreprises dans lesquelles une autre entreprise de l’État détient des participations (participation indirecte de l’État). Cependant, les petites communes pourraient avoir du mal à soutenir financièrement leurs entreprises. L’ordonnance prévoit par conséquent une dérogation permettant d’éviter par exemple que des entreprises touristiques situées dans des cantons de montagne soient exclues d’emblée de la réglementation pour les cas de rigueur à cause de la participation de leur commune (let. a). Dans ce cas, le nombre de petites communes au sens de la let. a qui participent à une telle entreprise ne joue aucun rôle.

3.1.9 Un canton est tenu, lorsqu'il octroie des subventions, de se conformer aux principes généraux régissant toute activité administrative, soit notamment le respect de la légalité, de l'égalité de traitement, de la proportionnalité et de la bonne foi ainsi que l'interdiction de l'arbitraire (ATF 138 II 91 consid. 4.2.5 ; 136 II 43 consid. 3.2 ; 131 II 306 consid. 3.1.2).

3.1.10 Le principe de la bonne foi entre administration et administré exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale (arrêts du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 ; 1C_173/2017 du 31 mars 2017 consid. 2.3). En particulier, l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_227/2015 du 31 mai 2016 consid. 7).

3.1.11 Selon l’art. 62 CO, celui qui, sans cause légitime, s’est enrichi aux dépens d’autrui, est tenu à restitution (al. 1). La restitution est due, en particulier, de ce qui a été reçu sans cause valable, en vertu d’une cause qui ne s’est pas réalisée, ou d’une cause qui a cessé d’exister (al. 2).

Selon l’art. 63 al. 1 CO, celui qui a payé volontairement ce qu’il ne devait pas ne peut le répéter s’il ne prouve qu’il a payé en croyant, par erreur, qu’il devait ce qu’il a payé.

3.2 En l’espèce, dans un premier grief, la recourante se plaint d’une constatation inexacte des faits et de la violation de la loi. Elle serait détenue par une entreprise privée et non par des collectivités publiques et l’exception de la participation d’entités publiques au capital ne lui serait pas applicable.

Elle ne peut être suivie. Elle est certes détenue à 100% par B______, qui est une entreprise privée. Cependant, celle-ci est à son tour détenue (depuis 2018) à 20⅔% par F______. Or, 79.45% du capital-actions de F______ sont détenus par l’État de Genève et 100% de son capital-participation par l’État de Vaud, de sorte que ces deux entités publiques détiennent ensemble 81.19% de son capital social. B______ est ainsi détenue indirectement à 16.78% par des entités publiques, ou à 16.42% si on ne prend en compte que l’État de Genève – étant observé que le raisonnement du DEE consistant à ne prendre en compte dans cette dernière hypothèse que le rapport au capital-actions de F______ est correct.

La recourante fait valoir que cette participation n’est qu’indirecte et que la loi ne permet pas de prendre en compte une telle hypothèse.

Elle perd de vue que le législateur a considéré qu’une participation supérieure à 10% traduit un investissement stratégique de la collectivité publique, dont il peut dès lors être attendu qu’elle soutienne sa société en cas de difficultés. Or, B______ n’est qu’une holding, à teneur de son but social et de sa raison sociale, et elle détient la recourante à 100%, de sorte que les actionnaires de la recourante sont en pratique ceux de B______. Ce serait ainsi F______ qui déciderait par exemple d’une augmentation de capital ou d’un prêt actionnaire de B______ en faveur d’A______. La répartition et l’influence de l’actionnariat de B______ s’étend ainsi à sa société fille A______, si bien que celle-ci compte économiquement parmi ses actionnaires 16.78% d’entités publiques.

S’il fallait suivre la recourante, il suffirait d’interposer une holding pour rendre inopérante la volonté du législateur d’exclure des aides Covid les sociétés pouvant compter sur une aide de l’État actionnaire. Or le législateur n’a pu vouloir un tel résultat, de sorte que l’art. 1 al. 2 let. a OMCR-20 doit s’interpréter comme comprenant les participations indirectes. C’est le sens du commentaire de l’OMCR‑20 dans sa version au 18 juin 2021. Le fait que la précision sur les participations indirectes n’y ait été introduite qu’après que la recourante eut complété le formulaire et a perçu les aides ne lui est d’aucun secours, le commentaire ayant pour objet d’aider les administrations cantonales à appliquer la loi et précisant une portée que celle-ci avait d’emblée, ne constituant par ailleurs pas des règles de droit et ne liant pas le juge (ATF 138 V 50 précité), de sorte que le principe de non-rétroactivité des lois ne trouve pas application dans le cas d’espèce.

La recourante fait encore valoir que l’État ne l’a pas aidée en l’espèce. C’est toutefois uniquement la possibilité pour l’État d’aider une entreprise dans laquelle sa participation dépasse 10% qui a été retenue par le législateur pour motiver l’exception de l’art. 1 al. 2 let. a OMCR-20, et non pas l’apport effectif d’une aide étatique, lequel ressortit aux choix de l’actionnaire. Il est donc sans influence sur l’issue du litige que l’État de Genève ait pu octroyer à F______ un prêt de CHF 30'000'000.- le 13 janvier 2021, ou que F______ ait pu accepter de postposer sa créance de CHF 450'000.- envers A______ en 2020 (ce que la recourante conteste).

Le grief sera écarté.

3.3 La recourante se plaint ensuite de la violation des principes de la légalité et de la bonne foi en lien avec le principe de l’autorité de la chose jugée. Le DEE aurait connu d’emblée son actionnariat et ne pourrait révoquer les décisions d’octroi auxquelles elle se serait fiée de bonne foi.

Elle ne peut être suivie. La procédure mise en place pour l’octroi d’aides financières en lien avec le Covid est rapide, schématique, sommaire et basée sur la confiance. Pour pouvoir octroyer l’aide sans délai, le DEE se fie aux indications portées par les candidats aux aides sur le formulaire disponible en ligne ainsi qu’aux pièces fournies. En contrepartie, il se réserve la possibilité de réexaminer la situation et la loi lui permet de réclamer le remboursement des aides indûment versées.

Le DEE a traité des milliers de demandes dans des délais très brefs, et a réclamé dans un certain nombre de cas le remboursement total ou partiel des aides versées après avoir procédé à des vérifications approfondies. Il soutient en espèce s’être fié à l’indication dans le formulaire que des entités publiques ne détenaient pas plus de 10% des actions de la recourante, et n’avoir découvert l’actionnariat d’A______, B______ et F______ pertinent pour l’application de l’art. 1 al. 2 let. a OMCR-20 qu’à l’occasion de vérifications ultérieures. La recourante se borne à affirmer que le DEE ne pouvait ignorer la participation indirecte de l’État dans son capital, mais ne rend pas vraisemblable que tel aurait effectivement été le cas et que les explications du DEE seraient contraires à la réalité. La chambre de céans retiendra que le système mis en place ne permettait pas d’exiger du DEE qu’il vérifie immédiatement l’existence d’un actionnariat étatique indirect et lequel n’était nullement évident.

La convention d’octroi de contributions à fonds perdus rappelait les principes, notamment « les questions de restitution » et renvoyait à la législation. Les deux décisions d’octroi des aides, des 1er et 19 mars 2021 rappelaient expressément que si une aide s’avérait avoir été perçue indûment, elle devrait être restituée. La recourante ne pouvait donc ignorer que des vérifications pourraient être accomplies et que le remboursement de l’aide indûment versée pourrait être exigé. Elle ne saurait dans ces circonstances se prévaloir de l’autorité de la chose décidée ni de ce qu’elle aurait cru de bonne foi que les décisions d’octroi ne pourraient être revues.

Le grief sera écarté.

3.4 La recourante se plaint enfin de la violation des art. 62 et 63 CO sur l’enrichissement illégitime. Le DEE aurait connu la participation indirecte de l’État et n’aurait pu commettre d’erreur en allouant les aides financières, de sorte qu’il serait privé du droit d’en réclamer le remboursement.

Il a été vu plus haut que le DEE ne connaissait pas l’actionnariat qui faisait de l’État de Genève et de l’État de Vaud des actionnaires indirects pour plus de 10% du capital de la recourante.

En outre, la loi et les décisions lui réservaient la possibilité de réclamer le remboursement.

Il s’ensuit que les art. 62 et 63 CO – pour autant qu’ils soient applicables par analogie, ce qui souffrira de demeurer indécis – ne sauraient faire obstacle à la demande de remboursement de l’intimée.

Le grief sera écarté.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 mai 2023 par A______ SA contre la décision de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation du 6 avril 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge d’A______ SA un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Bénédict BOISSONNAS et Antoine KOHLER, avocats de la recourante, ainsi qu'à Me Stephan FRATINI, avocat de l'intimée.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :