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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2074/2020

ATA/201/2021 du 23.02.2021 ( LAVI ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.04.2021, rendu le 23.09.2021, ADMIS, 1C_184/2021, 1C_189/2021
Recours TF déposé le 15.04.2021, rendu le 23.09.2021, REJETE, 1C_189/2021, 1C_184/2021
Descripteurs : LOI FÉDÉRALE SUR L'AIDE AUX VICTIMES D'INFRACTIONS;AIDE AUX VICTIMES;VICTIME;PERSONNE PROCHE;MEMBRE DE LA FAMILLE;FRÈRES ET SOEURS;MÈRE;ASSASSINAT;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);MAXIMUM;TORT MORAL;AFFECTION PSYCHIQUE
Normes : LPA.61; LAVI.22.al1; LAVI.23; LAVI.45.al1; Cst.190
Résumé : En cas d'atteinte portée à des proches de la victime, le juge ne peut dépasser le plafond de CHF 35'000.- fixé par la LAVI, même si, en raison des circonstances exceptionnelles du cas d'espèce, la situation de la recourante se rapproche davantage de celle d'une victime. Compte tenu de l'impossibilité de procéder à une reformatio in pejus, le montant accordé à titre d'indemnisation du tort moral par l'instance d'indemnisation LAVI sera confirmé. Rejet du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2074/2020-LAVI ATA/201/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 février 2021

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Robert Assael, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI

 



EN FAIT

1) Le 24 août 2012, le corps sans vie de B______, née le ______ 2000, a été retrouvé à son domicile, sous le lit de la chambre parentale, dans l'appartement occupé par sa mère, Madame A______, sa soeur, C______ , née le ______ 1998, et son frère, D______, né le ______ 2011.

La veille, B______ avait été violée et tuée par strangulation. L'auteur des faits était Monsieur E______, alors en couple avec Mme A______.

2) Au cours de la procédure d'instruction, Mme A______ et C______ ont été entendues à deux reprises chacune, respectivement par le Ministère public et la police.

3) a. Par jugement du 22 juin 2018 (P/1______), le Tribunal criminel a reconnu M. E______ coupable notamment d'assassinat, de contrainte sexuelle et d'actes d'ordre sexuel avec des enfants à l'encontre de B______, et l'a condamné à une peine privative de liberté de vingt ans, ainsi qu'à payer à Mme A______ une somme de CHF 100'000.- avec intérêts à 5 % l'an dès le 24 août 2012 à titre de réparation du tort moral.

Sur les conclusions civiles, le Tribunal criminel a notamment retenu concernant Mme A______ qu'« il est établi que [cette dernière] a été extrêmement affectée par la perte de sa fille, qui n'était âgée que de 12 ans et avec qui elle entretenait une relation très étroite, la côtoyant tous les jours. L'atrocité du crime dont a été victime B______ et le fait que [Mme A______] entretenait une relation amoureuse avec l'auteur des faits multiplie la souffrance vécue par cette dernière. Il ressort de son témoignage, de celui de C______ et de celui de sa psychiatre que sa vie s'est arrêtée avec la mort de B______ et qu'elle est désormais comme "amputée". Elle souffre depuis six ans de graves séquelles psychiques qui vont perdurer pendant des années, voire à jamais. Elle est constamment sur le qui-vive, ne fait plus confiance à personne, se demande depuis 6 ans si sa fille a souffert et se sent responsable de ce qui lui est arrivé, dans la mesure où elle-même a introduit l'auteur des faits dans sa vie. Enfin, la négation des faits par le prévenu durant toute la procédure n'a fait qu'ajouter à sa souffrance ».

Dans le cadre de cette procédure, Mme A______ a notamment déclaré « j'ai déménagé car c'était très difficile de vivre dans l'appartement où ma fille a été assassinée. Depuis que je suis dans notre nouvel appartement, je peux regarder B______ depuis la fenêtre de ma cuisine où je vois le cimetière. Je le fais tous les jours ».

Également entendue, la Doctoresse F______, psychiatre, a conclu au sujet de Mme A______ qu'elle n'avait plus de vie personnelle et restait vivante car ses deux enfants étaient là.

b. Par arrêt du 3 avril 2019 (AARP/2______), la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (ci-après : CPAR) a réduit de cent quatre-vingts jours la peine de M. E______ à titre d'indemnisation de la violation du principe de célérité, ainsi que de cent quatre-vingt-un jours à titre d'indemnisation de la détention subie dans des conditions contraires à l'art. 3 CEDH. Elle a confirmé le jugement précédent pour le surplus.

Sur la culpabilité, la CPAR a retenu que « l'appelant a agi dans le but particulièrement odieux, tuant B______ de crainte qu'elle ne le dénonce ; autrement dit, la jeune fille a payé de sa vie le fait d'avoir été la victime des pulsions sexuelles du prévenu, lequel a ainsi fait preuve d'un égoïsme absolu. Outre le mobile, le mode de tuer a aussi exigé une absence particulière de scrupules, le prévenu ayant durant plusieurs longues minutes tenu entre ses mains le cou de l'enfant, qu'il a regardé et sentie mourir sous la pression de ses doigts, alors qu'il aurait pu à tout moment la relâcher ».

Lors de l'audience du 28 janvier 2019, Mme A______ a notamment déclaré « ma vie a pris fin lorsque ma fille est partie. Je n'arrive pas à m'endormir. C______ ne va pas bien. Elle sait que si elle sort, je l'attends sans pouvoir dormir. Je me dis que c'est de ma faute, car c'est moi qui l'ai introduit chez moi. Je n'arrive même pas à regarder les photos de B______, parce que je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Je veux dire par là que je ne sais pas ce qu'elle a ressenti. Je lui parle par la fenêtre qui donne sur le cimetière tous les soirs et tous les matins. J'ai fait ajouter une barre de sécurité à la porte de notre logement. C______ a été très malade à la suite de l'audience de première instance et elle était très en colère à l'idée de comparaître aujourd'hui. Je suis toujours suivie par un psychiatre. À la veille de l'audience de première instance, j'ai dû expliquer à D______ ce qui était arrivé à sa soeur, de crainte qu'il en entende parler à l'école. Il a ensuite eu plusieurs séances avec un psychologue. Nous lui parlons tous les jours de B______, mais uniquement de façon positive ».

c. Par arrêt du 25 octobre 2019 (6B_974/2019), le Tribunal fédéral a rejeté le recours de M. E______.

4) Le 22 août 2017, Mme A______ a déposé une requête en indemnisation auprès de l'instance d'indemnisation instituée par la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5 ; ci-après : instance LAVI) en concluant à l'octroi d'une somme de CHF 80'000.- à titre d'indemnité pour tort moral.

5) Selon deux certificats médicaux des 24 janvier et 5 décembre 2019, Mme A______ a consulté la Dresse F______ à raison d'une fois par semaine. Elle restait très affectée par le décès tragique de sa fille et présentait un état de stress post-traumatique et un état anxieux. Elle aurait besoin de temps sans être confrontée à la justice et aux tribunaux, pour pouvoir aller de l'avant et reconstruire une vie familiale et professionnelle. Chaque nouvelle convocation au tribunal réactivait ses angoisses, son sentiment de culpabilité et la replongeait dans la tragédie qu'elle avait vécue.

6) Le 20 février 2020, Mme A______ a été entendue par l'instance LAVI.

Elle consultait encore sa psychiatre toutes les semaines et pouvait y aller plus souvent si elle ne se sentait pas bien. Elle prenait du Temesta depuis 2012. Elle était entourée d'amis et de sa cousine à Genève. Elle avait perdu beaucoup de poids et avait parfois de la peine à s'endormir. Elle était prise d'angoisses dans la journée lorsqu'elle pensait à sa fille, n'arrivait pas à regarder des photos d'elle et allait toutes les semaines au cimetière. Elle devait rester là pour elle et ne pourrait pas quitter Genève. À l'époque des faits, elle travaillait dans une cafétéria à la Migros. Elle n'avait pu reprendre le travail que depuis deux mois, dans les cuisines scolaires. Ses revenus n'avaient pas tellement augmenté mais cela lui faisait du bien de travailler.

7) Par décision du 3 juin 2020, notifiée le 8 juin 2020, l'instance LAVI a alloué à Mme A______ la somme de CHF 40'000.- à titre de réparation morale.

Compte tenu du choc vécu par Mme A______ en raison de l'assassinat et du viol de sa fille, de l'état de stress post-traumatique et de l'état anxieux l'affectant depuis lors, nécessitant un suivi psychiatrique hebdomadaire, ainsi que médicamenteux, du fait qu'elle n'avait pas pu reprendre le travail pendant sept ans et que la vie de famille avait été, depuis lors, totalement altérée en raison de l'absence de B______, et qu'elle avait ainsi dû apprendre une nouvelle vie en compagnie de ses deux autres enfants, la somme de CHF 40'000.- était de nature à tenir compte de manière équitable et proportionnée du traumatisme subi par la requérante, vu la pratique en la matière et la détention de l'auteur de l'agression.

8) Par acte du 9 juillet 2020, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, en concluant, principalement, à son annulation, à la fixation à CHF 80'000.- du tort moral qui lui était dû, à charge de l'État de Genève, et à l'allocation d'une équitable indemnité. Préalablement, elle sollicitait un délai pour compléter son recours.

Elle avait perdu sa fille dans d'atroces conditions. Elle avait espéré toute une journée que sa fille était en vie et s'était mise à sa recherche, alors que le corps de celle-ci était caché sous son lit et qu'elle avait entretenu des contacts avec son assassin. Elle était traumatisée à vie par le décès tragique de sa fille. Sa vie et sa famille avaient été irrémédiablement bouleversées. Elle présentait un état de stress post-traumatique et un état anxieux. Elle souffrait d'angoisse et peinait à s'endormir. Elle éprouvait un terrible sentiment de culpabilité, se reprochant d'avoir introduit M. E______ chez elle. Depuis les faits, elle devait consulter une psychiatre chaque semaine et suivre un traitement médicamenteux. Son quotidien était insupportable et elle s'inquiétait constamment pour ses autres enfants. Il lui était impossible de faire son deuil ; chaque jour, elle ressentait le besoin de parler à B______ et de regarder par la fenêtre de son appartement qui donnait sur le cimetière où sa fille était enterrée. Elle avait été incapable de reprendre une activité professionnelle depuis 2012, jusqu'il y a peu. Le plafond de CHF 35'000.- de l'art. 23 al. 2 let. b LAVI était arbitraire car il ne pouvait tenir compte des circonstances concrètes en cas d'atteinte extrême et au regard de celui fixé pour la victime elle-même. Cette somme n'avait pas été renchérie depuis son introduction (art. 45 al. 1 LAVI). Elle ressentait le montant alloué comme une non-reconnaissance de ses souffrances, même si elle savait que rien ne ramènerait B______.

9) Le 22 juillet 2020, l'instance LAVI a transmis son dossier, en se référant aux considérants de sa décision.

10) Par courrier du 4 septembre 2020, Mme A______ a persisté dans ses conclusions et précédents développements, en précisant la nécessité, soulevée par la doctrine, de revoir à la hausse le plafond de CHF 35'000.- dans des situations particulièrement graves pour les victimes et leurs proches.

11) Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la conformité au droit de l'ordonnance de l'instance LAVI accordant à la recourante une indemnité pour tort moral réduite à CHF 40'000.- à la suite du décès de sa fille le 23 août 2012.

En lieu et place, la recourante réclame l'allocation d'une indemnité de CHF 80'000.-.

3) Selon l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b) ; les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

4) a. Entrée en vigueur le 1er janvier 1993, l'ancienne loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions du 4 octobre 1991 (aLAVI) a été adoptée pour assurer aux victimes une réparation effective et suffisante dans un délai raisonnable (message du Conseil fédéral concernant l'aLAVI du 25 avril 1990, FF 1990, vol. II pp. 909 ss, not. 923 ss). La LAVI, qui l'a abrogée (art. 46 LAVI), entrée en vigueur le 1er janvier 2009, poursuit toujours le même objectif (ATF 134 II 308 consid. 55) ; elle maintient notamment les trois « piliers » de l'aide aux victimes (conseils, droits dans la procédure pénale et indemnisation, y compris la réparation morale), la refonte visant pour l'essentiel à résoudre les problèmes d'application qui se posaient dans le premier et le dernier de ces trois domaines selon le message du Conseil fédéral du 9 novembre 2005, FF 2005 6683 (ci-après : FF 2005 6683). L'instance LAVI statue sur les demandes d'indemnisation au sens des art. 19 à 29 LAVI (art. 14 al. 1 LaLAVI).

b. Il n'est pas contesté que la recourante a la qualité de proche de la victime (art. 1 al. 2 LAVI), que les délais de l'art. 25 LAVI ont été respectés et que M. E______ est insolvable (art. 4 al. 1 LAVI).

Ainsi, seule est litigieuse la quotité de la préparation morale allouée à la recourante en application des art. 22 ss LAVI.

5) a. Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime a droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 de loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) s'appliquent par analogie.

b. Dès lors, un proche ne peut faire valoir de droit à l'octroi d'une réparation morale que s'il pourrait faire valoir des prétentions civiles contre l'auteur de l'infraction en vertu des art. 47 ou 49 CO (arrêt du Tribunal fédéral 1A_208/2002 du 12 juin 2003 consid. 3.1).

La réparation morale constitue désormais un droit (FF 2005 6683 p. 6742).

6) a. En vertu de l'art. 23 LAVI, le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l'atteinte. Il ne peut excéder CHF 35'000.-, lorsque l'ayant droit est un proche (art. 23 al. 2 let. b LAVI).

b. Le système d'indemnisation du tort moral prévu par la LAVI - ainsi que par ailleurs pour celui du dommage - financé par la collectivité publique, n'en demeure pas moins subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation dont la victime dispose déjà (art. 4 LAVI ; ATF 131 II 121 consid. 2 ; FF 2005 6683 p. 6724). Il répond à l'idée d'une prestation d'assistance et non pas à celle d'une responsabilité de l'État. La jurisprudence a ainsi rappelé que l'utilisation des critères du droit privé est en principe justifiée, mais que l'instance LAVI peut au besoin s'en écarter (arrêt du Tribunal fédéral 1C_244/2015 du 7 août 2015 consid. 4.1), ou même refuser le versement d'une réparation morale. Une réduction du montant de l'indemnité LAVI par rapport à celle octroyée selon le droit privé peut en particulier résulter du fait que la première ne peut pas tenir compte des circonstances propres à l'auteur de l'infraction (ATF 132 II 117 consid. 2.2.4 et 2.4.3). L'indemnité due par la LAVI et celle du CO se distinguant aussi bien quant à leur débiteur que par leur nature juridique, il peut en résulter des différences sur le principe et l'ampleur de l'indemnité (arrêt du Tribunal fédéral 1A.299/2000 du 30 mai 2011 consid. 2b et 3b.).

c. Le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l'atteinte ; il ne peut excéder CHF 70'000.- lorsque l'ayant droit est la victime (art. 23 al. 1 et al. 2 let. a LAVI), respectivement CHF 35'000.- pour ses proches (art. 23 al. 2 let. b LAVI). Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 ; 129 II 312 consid. 2.3 ; 125 II 169 consid. 2b/aa). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3).

d. L'ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l'atteinte - ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n'avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances - et de la possibilité d'adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d'une somme d'argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2).

e. En raison de sa nature, l'indemnisation pour tort moral échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 129 IV 22 consid. 7.2). L'indemnité est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, peut difficilement être réduit à une somme d'argent. C'est pourquoi son montant ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l'indemnité allouée doit être équitable. Le juge en fixera le montant proportionnellement à la gravité de l'atteinte et évitera que la somme accordée n'apparaisse dérisoire compte tenu de la possibilité d'adoucir la douleur morale de manière sensible par le versement d'une somme d'argent. S'il s'inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 130 III 699 consid. 5.1 ; 118 II 410).

7) a. La LAVI prévoit un plafonnement des indemnisations pour tort moral, laissant une large liberté d'appréciation au juge pour déterminer une somme équitable dans les limites de ce cadre (ATF 117 II 60 ; 116 II 299 consid. 5.a). Il implique que les montants alloués en vertu de la LAVI sont clairement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé. Sans avoir voulu instaurer une réduction systématique et proportionnelle des montants alloués en vertu du droit privé, le législateur a fixé les plafonds environ aux deux tiers des montants de base généralement attribués en droit de la responsabilité civile (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3 et les références citées).

b. Selon le Conseil fédéral (FF 2005 6683 pp. 6745, 6746), pour les infractions commises dès le 1er janvier 2009, les montants alloués sont calculés selon une échelle dégressive indépendante des montants accordés habituellement en droit civil, même si ceux-ci peuvent servir à déterminer quels types d'atteintes donnent lieu à l'octroi des montants les plus élevés. La fourchette des montants à disposition est plus étroite qu'en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves. Les proches d'une personne gravement invalide ont droit, en règle générale, à une réparation morale plus élevée que celle allouée aux proches d'une victime décédée des suites de l'infraction ; la gravité de la souffrance des premiers est considérée comme plus grande (ATF 117 II 50). Outre la gravité de la souffrance éprouvée par les proches, le Tribunal fédéral prend en considération notamment les circonstances du décès (arrêt du Tribunal fédéral 1A_169/2001 du 7 février 2002 consid. 5.2).

Le Conseil fédéral a proposé un ordre de grandeur qui, pour les proches d'une victime, prévoit les montants suivants : CHF 25'000.- à CHF 35'000.- pour un proche qui a très considérablement réaménagé sa vie pour s'occuper de la victime ou qui a la charge de soins ou d'un accompagnement très important envers la victime ; CHF 20'000.- à CHF 30'000.- pour la perte du conjoint ou partenaire ; CHF 10'000.- à CHF 20'000.- pour la perte d'un enfant ; CHF 8'000.- à CHF 18'000.- pour la perte du père ou de la mère ; CHF 0.- à CHF 8'000.- pour la perte d'un frère ou d'une soeur ; en tenant compte de critères tels que l'existence d'un ménage commun, l'intensité des liens, l'âge de la victime et de l'enfant.

Le Conseil fédéral peut adapter périodiquement ces montants maximaux au renchérissement (art. 45 al. 1 LAVI). Cette adaptation est d'autant plus importante que, contrairement au droit civil, le montant de la réparation morale est plafonné (FF 2005 6756). Selon les tableaux de l'office fédéral de la statistique, l'indice total a baissé depuis 2010 (https://www.bfs.admin.ch/asset/fr/cc-f-05.02.08).

c. Ces montants ont été repris dans les directives de l'office fédéral de la justice (ci-après : OFJ), à savoir le Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d'aide aux victimes d'infractions à l'intention des autorités cantonales en charge de l'octroi de la réparation morale à titre de LAVI, rédigé en octobre 2008 (ci-après : le guide). Ce guide a été entièrement remanié et s'intitule désormais « Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale selon la LAVI » du 3 octobre 2019.

Il en ressort désormais les montants suivants : CHF 25'000.- à CHF 35'000.- pour une altération considérable du mode de vie pour s'occuper d'une victime gravement atteinte, lui prodiguer des soins intensifs ou la prendre en charge, autres conséquences dramatiques ou souffrance exceptionnelle ; CHF 10'000.- à CHF 35'000.- pour le décès d'un parent, d'un enfant, d'un conjoint, d'un partenaire enregistré ou d'un concubin ; jusqu'à CHF 10'000.- pour le décès d'un frère ou d'une soeur lorsque sa relation avec le demandeur était particulièrement étroite ou en cas de ménage commun (guide p. 17).

Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d'application. Toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles correspondent en principe à la volonté du législateur et constituent une référence permettant d'assurer une certaine égalité de traitement, tant que le Conseil fédéral n'impose pas de tarif en application de l'art. 45 al. 3 LAVI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 précité consid. 4.3). Dans un souci d'application uniforme et équitable de la loi, il peut être tenu compte des recommandations qui y sont mentionnées (ATA/595/2020 du 16 juin 2020 consid. 8b).

8) a. La chambre administrative se fonde sur la jurisprudence rendue en la matière, et, vu le renvoi opéré par l'art. 22 al. 1 LAVI, sur la jurisprudence rendue en matière d'indemnisation du tort moral sur la base de l'art. 49 CO (SJ 2003 II p. 7) ou, le cas échéant, l'art. 47 CO.

En matière de réparation du tort moral, une comparaison avec d'autres causes ne doit toutefois intervenir qu'avec circonspection, puisque le tort moral ressenti dépend de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Cela étant, une comparaison peut se révéler, suivant les occurrences, un élément utile d'orientation (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 ; 130 III 699 consid. 5.1).

b. D'après la doctrine récente, certains tribunaux cantonaux ont, parfois, alloué des sommes suivantes en cas de décès : CHF 6'000.- à des enfants âgés de 14 et 6 ans dont le frère de 16 ans est décédé dans un accident de voiture (réduction de 50 % à CHF 3'000.- en raison de la faute propre), CHF 8'000.- dans le cas d'une soeur tuée par son conjoint avec un couteau de cuisine ; CHF 12'000.- et CHF 13'000.- au père et à la mère d'un enfant tué avec un couteau lors d'une dispute ; CHF 17'000.- au père d'un enfant de 16 ans décédé dans un accident de voiture (réduction de 50 % à CHF 8'500.- en raison de la propre faute) ; CHF 20'000.- dans le cas d'une fille tuée par son conjoint avec un couteau de cuisine, puis suicide ; CHF 20'000.- dans le cas d'un fils unique adulte tué sur sa place de travail ; CHF 20'000.- dans le cas d'un fils majeur tué, traumatisme induit par une mort atroce (Meret BAUMANN/Blanca ANABITARTE/ Sandra MÜLLER GMÜNDER, La pratique en matière de réparation morale à titre d'aide aux victimes - Fixation des montants de la réparation morale selon la LAVI révisée, in Jusletter 8 juin 2015, p. 6 et 7).

La doctrine relève également qu'en matière d'homicide, on constate que la marge de manoeuvre jusqu'à CHF 35'000.- laissée par le législateur est intégralement utilisée. On observe des écarts importants par rapport au guide dans les montants de réparation élevés, notamment en cas de décès de la mère ou du père. La fourchette allant de CHF 8'000.- à CHF 18'000.- prévue par le message relatif à la LAVI et reprise par l'OFJ paraît inadaptée lorsque des enfants mineurs perdent la personne qui leur est la plus proche et lorsqu'un évènement bouleverse la vie du demandeur. Dans ces cas, une réparation morale plus élevée doit être accordée. Compte tenu du fait que l'homicide induit de manière notoire chez la personne la plus proche un tort moral important et lui occasionne en règle générale une atteinte psychique - qui peut s'avérer parfois d'une ampleur considérable -, on peut se demander si le plafond de CHF 35'000.- ne devrait pas être revu à la hausse. Les autorités cantonales LAVI verraient ainsi leur marge de manoeuvre accrue et pourraient allouer, dans des situations particulièrement tragiques, une réparation morale plus élevée à ceux dont la vie a profondément été modifiée par l'infraction (Meret BAUMANN/Blanca ANABITARTE/ Sandra MÜLLER GMÜNDER, op. cit., p. 9).

Dans un arrêt du 8 novembre 2016 (ATA/949/2016), la chambre administrative a confirmé la décision de l'instance LAVI qui avait octroyé aux quatre enfants du défunt, ce dernier ayant fait l'objet d'un meurtre, une indemnité pour tort moral de CHF 20'000.-, le montant fixé dans le prononcé civil rendu par le Tribunal criminel s'élevant à CHF 30'000.- par enfant. Le montant des indemnités octroyé par l'instance LAVI correspondait au maximum prévu par le message du Conseil fédéral et par le guide, majoré de CHF 2'000.- et était partant conforme au droit. Le Tribunal fédéral, confirmant l'arrêt précité, a considéré que les instances précédentes avaient fixé le montant de l'indemnisation morale de manière autonome et appliqué le facteur de réduction (qui peut être de l'ordre d'un tiers et aller jusqu'à 40 % ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_542/2015 du 28 janvier 2016 consid. 4.2) qui est désormais imposé par le droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 1C_586/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.4).

9) a. L'autorité LAVI, en principe liée par les faits établis au pénal mais non par les considérations de droit ayant conduit au prononcé civil, peut, en se fondant sur l'état de fait arrêté au pénal, déterminer le montant de l'indemnité allouée à la victime sur la base de considérations juridiques propres. Elle peut, au besoin, s'écarter du prononcé civil s'il apparaît que celui-ci repose sur une application erronée du droit. Cela peut certes conduire à une réduction du montant alloué par le juge pénal, mais aussi, dans d'autres cas, permettre à l'autorité LAVI de s'écarter d'une indemnité manifestement insuffisante (ATF 129 II 312 consid. 2.8).

b. S'agissant en particulier de l'établissement des faits, la jurisprudence se réfère à la pratique relative au retrait du permis de conduire : afin d'éviter des décisions contradictoires, l'autorité administrative ne doit pas s'écarter sans raison des faits établis au pénal, en particulier lorsque l'enquête pénale a donné lieu à des investigations approfondies (auxquelles l'instance LAVI ne peut normalement pas se livrer en raison du caractère simple et rapide de la procédure) et lorsque le juge a entendu directement les parties et les témoins (ATF 124 II 8 consid. 3d/aa ; 115 Ib 163 consid. 2a ; 103 Ib 101 consid. 2b).

10) L'art. 190 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) prévoit que le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international. En cas de contradiction entre une loi fédérale et la Cst., l'autorité qui statue peut relever celle-là, mais n'en doit pas moins appliquer la disposition de la loi fédérale en cause (ATF 135 II 384 consid. 3.1 et les arrêts cités). En revanche, en cas de contradiction entre une loi fédérale et le droit international, ce dernier prévaut en principe (ATF 133 V 367 consid. 11.1.1 ; 125 II 417 consid. 4c et les arrêts cités).

11) La recourante estime que l'autorité intimée n'a pas pris en considération la gravité des souffrances psychiques qu'elle a endurées et endure encore à ce jour. Le plafond de l'art. 23 al. 2 let. b LAVI serait arbitraire, ne permettant pas de tenir compte des circonstances concrètes en cas d'atteinte extrême et vu celui fixé pour la victime elle-même. Cette somme n'aurait pas non plus été renchérie depuis son introduction (art. 45 al. 1 LAVI).

En tenant compte des particularités du cas d'espèce, l'intimée a alloué à la recourante une indemnité de CHF 40'000.-, dépassant le seuil maximal fixé par le législateur fédéral en cas d'indemnisation du tort moral vécu par les proches de la victime. Ainsi, se pose à ce stade la question de savoir si ce montant peut être encore augmenté.

Statuant sur les conclusions civiles de la recourante, le Tribunal criminel a relevé l'intensité de la souffrance engendrée par la perte de sa fille, accentuée par les circonstances ayant entouré l'assassinat de celle-ci. Le juge pénal a ainsi constaté que la recourante souffrait depuis six ans de graves séquelles psychiques qui allaient perdurer pendant des années, voire à jamais. Elle était constamment sur le qui-vive, ne faisait plus confiance à personne, se demandait depuis six ans si sa fille avait souffert et se sentait responsable de ce qui lui était arrivé, dans la mesure où elle-même avait introduit l'auteur des faits dans sa vie. La négation des faits par ce dernier durant toute la procédure n'avait fait qu'ajouter à sa souffrance. La psychiatre de la recourante a en effet confirmé que sa patiente n'avait plus de vie personnelle et restait vivante pour ses deux autres enfants.

Devant la CPAR, la recourante a maintenu ses déclarations. Statuant sur appel du prévenu, ladite instance a relevé l'atrocité du crime, visant à faire payer une petite fille de 12 ans de sa vie d'avoir été la victime des pulsions sexuelles de celui-ci. En plus d'un égoïsme absolu, il avait fait preuve d'une absence particulière de scrupules.

Dans le cadre de la présente procédure, les certificats médicaux produits attestent que la recourante reste très affectée par le décès tragique de sa fille et présente encore un état de stress post-traumatique et un état anxieux. Depuis 2012, elle bénéficie d'un suivi psychiatrique hebdomadaire et d'un traitement médicamenteux. Ne pouvant pas supporter de vivre dans l'appartement où sa fille a été assassinée, elle a été contrainte de déménager, pour s'installer près du cimetière, de sorte qu'elle peut désormais s'adresser à son enfant tous les jours. Si la recourante a pu reprendre une activité professionnelle depuis début 2020 après sept ans d'incapacité de travail, sa vie personnelle, mais aussi celle de ses deux enfants demeurent très marquées par la disparition de B______. La recourante craint sans cesse pour leur vie, ne faisant plus confiance en l'humain.

S'agissant de la fixation du tort moral résultant de la perte d'un enfant, le guide préconise depuis 2019 une fourchette comprise entre CHF 10'000.- et CHF 35'000.-. Toutefois, la doctrine soulève en certaines hypothèses l'inadéquation de ce seuil maximal, au vu de la souffrance endurée par les proches, se confondant avec celle d'une victime.

En l'occurrence, la vie de la recourante a été bouleversée à jamais par la disparition de sa fille et les conditions atroces de celle-ci. Bien qu'elle ait changé de logement, ses sentiments d'insécurité et de culpabilité persistent, influençant son quotidien et celui de ses enfants. Près de neuf ans après les faits, elle doit poursuivre son suivi psychiatrique et son traitement médicamenteux.

Au regard de la jurisprudence en matière de fixation de l'indemnité pour tort moral, le montant élevé (CHF 100'000.-) accordé à ce titre par le Tribunal criminel souligne la gravité du préjudice subi par la recourante. Le contexte particulièrement dramatique imposerait de considérer que la situation de l'intéressée s'apparente davantage à celle d'une victime, justifiant exceptionnellement de lui accorder un montant plus élevé comme indemnisation de son tort moral, sous peine que celle-ci paraisse dérisoire.

Nonobstant ces éléments, les autorités cantonales restent tenues d'appliquer les lois fédérales, de sorte que, face à un texte clair comme en l'espèce, il n'est pas possible d'aller au-delà du plafond maximum de CHF 35'000.- prévu par l'art. 23 al. 2 let. b LAVI (ATA/851/2018 du 21 août 2018 consid. 10). Aussi insatisfaisant et inadéquat que ce résultat puisse paraître, notamment s'agissant de cas d'une telle gravité, seul le législateur fédéral dispose de la compétence d'augmenter le plafond d'indemnisation prévu par la LAVI. Cela étant, bien que le montant accordé in casu par l'autorité intimée soit supérieur à ladite limite, l'impossibilité de procéder à une reformatio in pejus ne permet pas de revenir sur celui-ci.

En conséquence, le recours sera rejeté et la décision attaquée confirmée.

Au surplus, en raison de l'absence d'une substantielle évolution du coût de la vie depuis 2009, date de l'entrée en vigueur de la nouvelle LAVI, l'argument de la recourante relatif à une éventuelle nécessité d'augmenter les seuils fixés par le législateur sur la base de l'art. 45 al. 1 LAVI n'apparaît pas pertinent. Ce point ne saurait au demeurant avoir d'incidence en l'espèce compte tenu des considérations qui précèdent.

12) La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera prélevé (art. 30 al. 1 LAVI et 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 juillet 2020 par Madame A______ contre la décision de l'instance d'indemnisation LAVI du 3 juin 2020 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assael, avocat de la recourante, à l'instance d'indemnisation LAVI, ainsi qu'à l'office fédéral de la justice.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :