Décisions | Chambre civile
ACJC/374/2025 du 11.03.2025 sur DTPI/11682/2024 ( OO ) , JUGE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/30181/2017 ACJC/374/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 11 MARS 2025 |
Madame A______, domiciliée c/o M. B______, ______, recourante contre une décision rendue par la 22ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 5 novembre 2024, représentée par Me Jean-Daniel BORGEAUD, avocat, Borgeaud Avocats, quai des Bergues 25, 1201 Genève.
A. a. Par acte expédié le 18 mars 2019 au greffe du Tribunal de première instance, C______ a déposé à l'encontre de A______ (la dernière épouse de son frère, F______, décédé en 2015), D______ et E______ (enfants de la première épouse de F______, qui ont été reconnus par le précité) une action en partage des successions de feu ses parents, G______ et H______, décédés en ______ 2002, respectivement ______ 2014 (cause C/30181/2017, initialement attribuée à la 16ème chambre du Tribunal).
C______ a notamment pris les conclusions suivantes :
- déterminer le contenu et la valeur de la succession de feus G______ et H______;
- dire et constater que la valeur vénale de l'appartement situé dans l'immeuble n° 1______ sis no. ______, rue 2______ à Genève, qui a fait l'objet d'un legs de feu G______ en faveur de C______, s'élève à 780'000 fr. conformément à une expertise datée du 7 novembre 2018;
- dire et constater que la valeur vénale de l'immeuble appartenant à la société I______ SA sur la commune de J______ [GE] s'élève à 1'745'000 fr., conformément à l'expertise du 7 novembre 2018;
- dire que lui-même a droit à 5/8ème de la succession de feu G______ et à ½ de celle de feue H______, sous déduction de la valeur vénale de l'appartement susmentionné situé à la rue 2______ à Genève;
- dire que A______, D______ et E______ ont droit à 3/8ème de la succession de feu G______ et à ½ de celle de feue H______, à répartir entre eux en fonction de leurs parts successorales respectives;
- ordonner sur cette base le partage des successions de G______ et H______.
A______ a acquiescé à l'ensemble de ces conclusions, hormis en ce qui concerne la valeur vénale de l'immeuble appartenant à la société I______ SA sur la commune de J______.
C______ a par ailleurs conclu à ce que le Tribunal :
- lui attribue 9/16ème des 80 actions de I______ SA ainsi que 5/8ème des autres biens de la succession de son père et la moitié de ceux issus de la succession de sa mère;
- dise que la contre-valeur de la part de l'appartement situé à la rue 2______ à Genève revenant à ses co-héritiers serait retenue sur les liquidités lui revenant dans les successions de ses parents et attribuée A______, D______ et E______ selon la clé de répartition de leurs parts respectives.
a.a A l'appui de son action, C______ a exposé que les actifs successoraux totalisaient 2'612'446 fr. (soit 1'211'659 fr. dans la succession de son père et 1'400'787 fr. dans celle de sa mère), tandis que les passifs ascendaient à 14'201 fr.
La valeur litigieuse de son action s'élevait cependant, selon lui, à 670'579 fr., correspondant au montant de la part successorale qui devait lui être attribuée (soit 5/8ème de la succession de son père et ½ de celle de sa mère).
a.b Le Tribunal a requis de la part de C______ une avance de frais de 36'000 fr. (sur la base des art. 2, 13 et 17 RTFMC).
b. Dans sa réponse du 4 décembre 2019, A______ a notamment acquiescé au principe du partage. Elle a également pris des conclusions tendant au rapport, respectivement à la réduction de libéralités reçues par C______, et sollicité que divers témoins soient auditionnés et que des expertises soient ordonnées en vue de déterminer la valeur de certains biens.
A l'appui de ses écritures, elle a notamment fait valoir que C______ avait omis de mentionner certains actifs successoraux à soumettre au partage, dont certains figuraient dans le projet de convention de partage établi le 28 juillet 2005 par Me K______, notaire. Il convenait dès lors de prendre en compte les actifs suivants dans les successions à partager:
- la donation par G______ en faveur de C______ de la parcelle n° 3______ située no. ______, chemin 4______ à L______ [GE] (d'une surface de 1'507 m2 et d'une valeur estimée à 1'500'000 fr.), dont le premier nommé était seul propriétaire mais qui avait à l'époque été acquise au moyen d'acquêts des époux. Selon A______, cette avance d'hoirie était sujette à rapport et à réduction, pour moitié dans la succession de chacun des défunts;
- un prêt de 150'000 fr. dont C______ avait bénéficié de la part de son père afin de pouvoir ériger une maison sur le terrain de L______. Ce prêt ayant été financé par les acquêts des époux G______/H______, il était sujet à rapport et à réduction, pour moitié dans la succession de chacun des défunts;
- un prêt de 50'000 fr. dont C______ a bénéficié de la part de sa mère en lien avec sa propriété à L______, sujet à rapport et à réduction dans la succession de H______;
- la renonciation de H______ à percevoir la rente viagère de 800 fr. par mois qui lui était due par C______, ce qui constituait une donation rapportable, dont le montant capitalisé revenait à 52'800 fr.;
- une donation de 113'000 fr. reçue par C______ de la part de sa mère le 3 décembre 2003 à titre d'avance d'hoirie, telle qu'indiqué dans la déclaration de succession de H______.
Selon A______, les actifs successoraux à partager (hors actions I______ SA, dont la valeur était contestée) totalisaient ainsi 4'075'464 fr.
Dans sa duplique du 27 mai 2021, A______ a en dernier lieu conclu à ce que le Tribunal, entre autres, ordonne le rapport des libéralités (listées ci-dessus, auxquelles s'ajoutait le montant de 780'000 fr. correspondant à la contre-valeur de l'appartement situé à la rue 2______ no. ______ à Genève) accordées à C______ aux successions respectives de G______ et H______, respectivement leur réduction et leur réunion aux successions précitées à concurrence des réserves héréditaires des co-héritiers de C______, puis, cela fait, prononce que les parts respectives de chacun des héritiers s'élèvent à 24.05% pour elle-même, 56.25% pour C______, 9.85% pour D______ et 9.85% pour E______, partage les successions de G______ et H______, lui attribue le lot de 80 actions de la société I______ SA et compose les autres lots par héritier en tenant compte des avances d'hoiries déjà intervenues.
c. Par ordonnance de preuve ORTPI/1024/2021 du 22 septembre 2021, le Tribunal a notamment imparti à C______ et A______ un délai au 15 octobre 2021 pour verser les sommes de 800 fr., respectivement de 400 fr., à titre d'avance de frais.
d. Par décision DTPI/5495/2023 du 25 mai 2023, le Tribunal a imparti à A______ un délai au 24 juin 2023 pour fournir une avance de frais de 30'000 fr.
e. Le recours formé par A______ contre cette décision a été déclaré sans objet, par arrêt ACJC/1494/2023 du 7 novembre 2023, au motif que la recourante avait, dans l'intervalle, été mise au bénéfice de l'assistance juridique, de sorte qu'elle était dispensée de verser l'avance de frais fixée dans la décision querellée.
Il a cependant été retenu que les critiques formulées par la recourante contre le principe même d'une avance de frais mise à sa charge étaient infondées. L'intéressée, en sa qualité de cohéritière défenderesse, ne s'était pas limitée à prendre des conclusions sur la base des actifs successoraux listés dans la demande, mais avait fait valoir son propre droit au partage, dans le cadre duquel elle avait émis des prétentions en rapport et en réduction sur des actifs supplémentaires, ce qui avait pour effet d'augmenter de manière importante la masse de calcul. Les conclusions au fond de la recourante excédaient dès lors le cadre de l'actio duplex. Il en résultait que le principe même d'une avance de frais requise de la recourante en raison de l'augmentation de la valeur litigieuse découlant des conclusions reconventionnelles qu'elle a prises dans ses écritures responsives devait être admis.
f. Par décision du 18 juillet 2024, la vice-présidence du Tribunal civil a retiré le bénéfice de l'assistance juridique à A______, avec effet au 27 juillet 2023.
Il a été retenu que A______ ne remplissait plus la condition d'indigence, puisqu'elle s'était dérobée à son devoir de fournir les renseignements nécessaires afin de déterminer si les conditions d'octroi de l'assistance juridique étaient toujours remplies ou si elles l'avaient jamais été.
Cette autorité avait en effet eu connaissance du fait que A______ avait reçu la somme de 683'878 fr. en 2014 de la part de feu son époux, de sorte que la précitée a été invitée à expliquer, avec justificatifs à l'appui, ce qu'il était advenu de cette somme. A______ a alors exposé que cette somme lui avait servi à vivre, qu'elle n'avait pas la mémoire des chiffres, qu'elle n'avait pas conservé ses relevés bancaires, qu'il lui était difficile - en étant en Suisse et souffrant de dépression - d'obtenir aujourd'hui des relevés bancaires datant d'une dizaine d'années, tout en précisant que les montants figurant sur les relevés récents qu'elle avait communiqués au greffe de l'assistance juridique représentaient l'intégralité de ses faibles avoirs bancaires au Maroc. A la suite de cette réponse, le greffe précité a imparti un délai à A______ pour lui faire parvenir les relevés détaillés de tous ses comptes basés au Maroc, depuis le versement des 683'878 fr. jusqu'en février 2024, afin de pouvoir déterminer de quelle manière cet argent avait été utilisé. A______ a répondu qu'elle n'était pas en mesure d'obtenir les documents supplémentaires réclamés.
g. Par ordonnance du 26 août 2024, le Tribunal a imparti à la précitée un délai afin qu'elle se détermine sur le montant de l'augmentation de la valeur litigieuse découlant des conclusions reconventionnelles figurant dans ses écritures responsives.
h. Dans ses déterminations du 4 octobre 2024, A______ a réduit à 432'500 fr. la valeur de la libéralité liée au terrain de L______, en tenant compte d'un rapport d'expertise communiqué par le Tribunal le 22 août 2024. Les créances envers C______ pour les libéralités soumises à rapport et réduction totalisaient dès lors, selon elle, 798'300 fr., incluant 432'500 fr. de donation du terrain de L______, 150'000 fr. et 50'000 fr. de remboursements de prêts en lien avec cette propriété, 52'800 fr. de donation rapportable pour la renonciation au versement de la rente viagère et 113'000 fr. d'avancement d'hoirie rapportable. Dans la mesure où la part successorale de A______ était de 24%, elle a chiffré ses prétentions reconventionnelles à cette proportion de la valeur des libéralités soumis à rapport et réduction, ce qui revenait à 191'592 fr.
Elle a par ailleurs fait valoir qu'une avance de frais ne se justifiait pas, puisqu'elle n'avait pas été ordonnée durant les cinq premières années de la procédure et qu'il convenait en tout état de cause de renoncer à percevoir une avance de frais en application de l'art. 19 al. 5 LaCC, ou de la réduire en application de l'art. 7 al. 1 RTFMC.
B. Par décision DTPI/11682/2024 du 5 novembre 2024, notifiée le lendemain, le Tribunal a imparti à A______ un délai au 30 novembre 2024 pour fournir une avance de frais complémentaire de 30'000 fr.
C. a. Par acte expédié le 18 novembre 2024 au greffe de la Cour de justice, A______ interjette recours contre cette décision, dont elle sollicite l'annulation. Cela fait, elle conclut à ce qu'il soit dit qu'elle ne doit aucune avance de frais complémentaire, avec suite de frais et dépens à la charge de C______, D______ et E______. Subsidiairement, elle demande que l'avance de frais requise de sa part soit fixée à 5'000 fr. au maximum. Plus subsidiairement, elle requiert qu'il soit dit que ladite avance doit être basée sur une valeur litigieuse de 191'592 fr., qu'il soit dit que l'équité commande la perception d'un émolument minimal réduit et que la cause soit renvoyée en première instance pour fixation d'une avance de frais appropriée.
Par décision du 20 novembre 2024, la Cour a admis la requête de A______ tendant à suspendre l'effet exécutoire attaché à la décision entreprise.
b. Dans ses déterminations du 13 décembre 2024, le Tribunal a conclu au rejet du recours, relevant notamment que la recourante avait déjà fait valoir la plupart de ses griefs dans le cadre du recours dirigé contre l'avance de frais fixée par décision du 25 mai 2023.
c. Faisant usage de son droit de réplique, A______ a persisté dans ses conclusions. Elle a notamment invoqué l'application de l'art. 98 CPC dans sa nouvelle teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2025, afin que l'émolument n'entrave pas son accès à la justice.
d. Par avis du greffe de la Cour du 30 janvier 2025, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.
1. La décision entreprise ayant été communiquée aux parties avant le 1er janvier 2025, la présente procédure de recours demeure régie par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 et 405 al. 1 CPC), sous réserve des dispositions d'application immédiate énumérées à l'art. 407f CPC.
1.2 Selon l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.
La décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC (Tappy, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2011, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC).
Interjeté dans ce délai (art. 142 al. 1 et 3 CPC) et selon la forme prévue par la loi, le recours est recevable (art. 321 al. 1 CPC).
1.3 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).
2. La recourante invoque une violation de son droit d'être entendue, sous l'angle du droit à obtenir une décision motivée.
2.1 Garanti aux art. 29 al. 2 Cst. et 53 CPC, le droit d'être entendu comprend en particulier le droit pour le justiciable de se déterminer avant qu'une décision ne soit prise qui touche sa situation juridique, d'offrir des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 136 I 265 consid. 3.2; 135 II 286 consid. 5.1; 132 II 485 consid. 3.2; 127 I 54 consid. 2b).
Pour respecter son obligation de motivation, le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2; 142 II 154 consid. 4.2; 141 IV 249 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_17/2020 du 20 mai 2020 consid. 3.2.1 et les références citées).
La jurisprudence admet qu'un manquement au droit d'être entendu puisse être considéré comme réparé si la partie concernée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de seconde instance disposant d'un pouvoir de cognition complet en fait et en droit (ATF 145 I 167 consid. 4.4) et, lorsqu'il s'agit d'un vice grave, si le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; 137 I 195 consid. 2.3.2; 136 V 117 consid. 4.2.2.2 et les arrêts cités).
2.2 En l'espèce, la recourante reproche au premier juge d'avoir omis de préciser la manière dont il avait calculé l'avance de frais présentement litigieuse. Le Tribunal avait en particulier fait abstraction de ses déterminations du 4 octobre 2024, dans le cadre desquelles elle s'était positionnée sur la valeur de ses prétentions.
La critique de la recourante apparaît infondée. La lecture de l'ordonnance entreprise permet de comprendre que le Tribunal a fixé l'avance de frais sur la base d'une valeur litigieuse de 1'477'219 fr., en considérant qu'il s'agissait de la valeur des conclusions reconventionnelles de la recourante. Ce montant correspond à la différence entre la valeur à laquelle A______ a estimé les actifs successoraux dans ses écritures (4'075'464 fr.) et celle estimée par C______ (2'612'446 fr.), la valeur des passifs de la succession (14'201 fr.) ayant ensuite (curieusement) été ajoutée.
Ainsi, la décision entreprise doit être considérée comme suffisamment motivée, même si elle ne se prononce pas sur l'ensemble de l'argumentation développée par la recourante en première instance.
En tout état, même s'il fallait admettre une violation du droit d'être entendue de la recourante, il ne se justifierait pas pour autant d'annuler l'ordonnance attaquée et de renvoyer la cause en première instance. En effet, la Cour dispose d'un plein pouvoir d'examen en droit. Dans la mesure où la recourante a répété ses griefs devant la Cour, ceux-ci pourront valablement être examinés, en tant que de besoin, dans le cadre de la présente procédure de recours.
3. La recourante conteste la quotité de l'avance de frais requise de sa part.
3.1 L'amplification d'une demande, une demande additionnelle ou une demande reconventionnelle donne lieu à un émolument au même titre qu'une demande principale (art. 14 RTFMC).
La reconvention est une contre-attaque, par laquelle le défendeur fait valoir une prétention qui est indépendante de celle de la demande principale (ATF 124 III 207 consid. 3a, JdT 1999 I 55; 123 III 35 consid. 3c, JdT 1997 I 322). Si la demande principale est liquidée, pour quelque raison que ce soit, par exemple ensuite d'un retrait ou d'un désistement, le tribunal demeure saisi de la demande reconventionnelle et doit la trancher (art. 14 al. 2 CPC; Hohl, Procédure civile, T. II, 2010, n° 191). Le sort de la demande reconventionnelle est indépendant de celui de la demande principale (Bohnet, Procédure civile, 2011, p. 138).
Ne sont pas des conclusions reconventionnelles les conclusions propres que le défendeur peut prendre en cas d'action dont l'admission pourrait impliquer aussi des droits en sa faveur (Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 17 ad art. 222 CPC et n. 4 ad art. 224 CPC). Dans certaines procédures particulières, le défendeur peut en effet prendre des conclusions indépendantes sans agir reconventionnellement. L'action est alors dite "réciproque" (actio duplex; "doppelseitige Klage"). En raison de la nature du rapport juridique litigieux, son admission conduit à la liquidation de certains droits du défendeur. C'est par exemple le cas lorsque, dans le procès en divorce, le conjoint défendeur conclut à l'attribution de sa part à la liquidation du régime matrimonial ou lorsque, dans une action en partage (art. 604 CC), l'héritier défendeur conclut à l'attribution de sa part successorale. Le défendeur y fait alors valoir ses propres prétentions, en formulant ses propres conclusions, sans former de demande reconventionnelle (RVJ 2010 p. 244 et les références citées). De telles conclusions ne peuvent pas donner lieu à une avance de frais (cf. ACJC/1058/2014 du 9 septembre 2014 consid. 2.2.1).
Lorsque le rapport est invoqué dans le cadre d'une demande en partage (action formatrice; art. 87 CPC), la valeur litigieuse (du rapport) correspond à la valeur de la libéralité assujettie au rapport (Bohnet, Actions civiles, vol. I: CC et LP, 2ème éd. 2019, § 38 n. 9).
Tout héritier réservataire peut agir en réduction individuellement à l’encontre d’un bénéficiaire d’une libéralité réductible. L’objet du litige correspond toujours aux conclusions du ou des demandeurs, mais chacun d’eux ne sera légitimé à agir que pour sa propre part. La valeur litigieuse correspond au montant réductible, respectivement à la valeur de la libéralité octroyée au défendeur par la disposition dont on réclame l’annulation multiplié par la part successorale du demandeur (part supplémentaire qui reviendrait au demandeur en cas de succès; Bridel, Les effets et la détermination de la valeur litigieuse en procédure civile suisse, 2019, p. 221 et les références citées).
3.2
3.2.1 Le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés (art. 98 CPC et 2 al. 1 RTFMC).
L'art. 98 CPC est une "Kann-Vorschrift", le Tribunal jouissant en la matière d'un important pouvoir d'appréciation, puisque s'il doit en principe réclamer une avance de frais correspondant à l'entier des frais judiciaires présumables, il peut également réclamer un montant inférieur, voire renoncer à toute avance de frais, étant cependant relevé que le prélèvement d'une avance de frais pleine et entière est la règle et que celle d'une avance moindre, ou la renonciation à percevoir une avance, sont l'exception (ATF 140 III 159 consid. 4.2).
L'avance a un double but: éviter que le demandeur puisse s'avérer insolvable ou doive être poursuivi si c'est finalement lui qui doit supporter les frais judiciaires en tout ou en partie, dans le cadre de leur répartition finale, d'une part, et assurer que l'Etat n'aura pas de peine à recouvrer les montants mis à la charge du défendeur dans cette même répartition finale, l'avance en question servant au fond dans ce cas de garantie de paiement, d'autre part (Tappy, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 3 ad. art. 98 CPC).
La perception de frais doit d’une part compenser les frais de l’Etat, d’autre part empêcher le plus possible des procédures injustifiées et dépourvues de chances de succès. Elle ne doit toutefois pas être fixée de telle sorte que l’on doive renoncer à la voie judiciaire pour des motifs de coût (arrêt du Tribunal fédéral 2C_56/2011 du 3 mai 2011 consid. 2.2.1).
En cours de procédure, le tribunal peut exiger un complément d'avance de frais lorsque celle-ci paraît insuffisante (art. 2 al. 2 RTFMC).
Les décisions en matière d'avance de frais peuvent être modifiées, notamment (mais, selon la doctrine dominante, pas exclusivement) en cas de changement des circonstances (Stoudmann, Petit commentaire, Code de procédure civile, 2020, n. 11 ad art. 98 CPC et les réf. citées).
3.2.2 L'art. 98 CPC n'autorise pas la partie demanderesse à exiger une réduction de l'avance alors que les conditions dont dépend l'assistance judiciaire, relatives aux ressources insuffisantes de cette partie (art. 118 let. a CPC) et aux chances de succès de la demande (art. 118 let. b CPC) ne sont pas satisfaites. En particulier, l'équité ne justifie pas qu'un plaideur - même peu fortuné - obtienne une réduction de l'avance alors que sa demande en justice n'offre peut-être aucune chance de succès. Or, il n'incombe pas au juge de l'avance de frais d'évaluer les chances de succès de la demande. Même au regard des principes de la célérité et de l'économie de la procédure, il est raisonnablement exigible de la partie demanderesse qu'elle introduise une requête d'assistance judiciaire, avec les justificatifs à produire selon l'art. 119 al. 2 CPC, lorsqu'elle revendique une dispense ou une réduction de l'avance de frais (arrêt du Tribunal fédéral 4A_186/2012 du 19 juin 2012 consid. 5-7; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 4A_660/2015 du 9 juin 2016 consid. 4.1).
Lorsqu'il n'y a pas de droit à l'assistance judiciaire, il relève du pouvoir d'appréciation du Tribunal, dans la fixation du montant de l'avance de frais, de prendre en considération la capacité financière d'une partie. A défaut, celle-ci se verrait, de fait, refuser l'accès aux tribunaux. Dans un tel cas, il est conforme à la volonté du législateur de faire un usage généreux de la possibilité de dispense (partielle) du versement de l'avance de frais (arrêt du Tribunal fédéral 4A_356/2014 du 5 janvier 2015 consid. 1.2.2).
Le tribunal peut aussi accorder, selon son appréciation, à la partie tenue de l'avance, la possibilité de payer par acomptes, lorsqu'elle se débat dans des difficultés financières sans que les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire soient réunies (arrêt du Tribunal fédéral 5A_603/2021 du 24 février 2022 consid. 2.1).
3.2.3 Pour déterminer le montant des frais, il y a lieu de se référer au tarif des frais prévu par le droit cantonal (art. 96 CPC).
Selon l'art. 19 al. 3 LaCC, les émoluments forfaitaires sont calculés en fonction de la valeur litigieuse, s'il y a lieu, de l'ampleur et de la difficulté de la procédure et sont fixés dans un tarif établi par le Conseil d'Etat (art. 19 al. 6 LaCC), soit le RTFMC (RS GE E 1 05. 10).
La fixation de l'avance de frais doit correspondre en principe à l'entier des frais judiciaires présumables (art. 2 RTFMC), compte tenu notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause, de l'ampleur de la procédure et de l'importance du travail qu'elle impliquera, par anticipation sur la décision fixant l'émolument forfaitaire arrêté en fin de procédure (art. 5 RTFMC).
L'art. 17 RTFMC prévoit un émolument forfaitaire de décision de 5'000 fr. à 30'000 fr. pour une cause pécuniaire dont la valeur litigieuse se situe entre 100'001 fr. à 1'000'000 fr., respectivement un émolument de décision de 20'000 fr. à 100'000 fr. lorsque la valeur litigieuse se situe entre 1'000'001 fr. et 10'000'000 fr.
L'art. 7 RTFMC dispose que lorsqu'une cause est retirée, transigée, déclarée irrecevable, jointe à une autre cause ou lorsque l'équité le justifie, l'émolument minimal peut être réduit, au maximum à concurrence des ¾, mais, en principe, pas en deçà d'un solde de 1'000 fr. (al. 1) et que lorsque des circonstances particulières le justifient, il peut être entièrement renoncé à la fixation d'un émolument (al. 2).
3.2.4 Les émoluments de justice obéissent au principe de l'équivalence (ATF 133 V 402 consid. 3.1). Ainsi, leur montant doit être en rapport avec la valeur objective de la prestation fournie et rester dans des limites raisonnables. Pour que le principe de l'équivalence soit respecté, il faut que l'émolument soit raisonnablement proportionné à la prestation de l'administration, ce qui n'exclut cependant pas un certain schématisme (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4).
Les émoluments doivent toutefois être établis selon des critères objectifs et s'abstenir de créer des différences qui ne seraient pas justifiées par des motifs pertinents (ATF 139 III 334 consid. 3.2.4). Le taux de l'émolument ne doit pas, en particulier, empêcher ou rendre difficile à l'excès l'accès à la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_513/2012 du 11 décembre 2012 consid. 3.1).
3.2.5 L'avance de frais ne préjuge pas de la décision à rendre plus tard quant au montant des frais judiciaires (arrêt du Tribunal fédéral 4A_226/2014 du 6 août 2014 consid. 2.1).
Dès lors, la Cour examine la cause avec une certaine réserve. Ainsi, seul un abus du pouvoir d'appréciation du juge constitue une violation de la loi (ACJC/1547/2018 du 8 novembre 2018; ACJC/278/2014 du 25 février 2014; ACJC/208/2014 du 13 février 2014; Tappy, op. cit., n. 8 ad. art. 98 CPC).
3.3 En l'espèce, la Cour a déjà admis, par arrêt rendu le 7 novembre 2023 dans la présente cause, qu'une avance de frais pouvait être requise de la part de la recourante en raison de l'augmentation de la valeur litigieuse découlant des conclusions reconventionnelles qu'elle a formulées.
La décision de percevoir une avance de frais appartient à la direction de la procédure. La recourante ne démontre pas en quoi le fait que l'avance de frais liée à ses prétentions reconventionnelles n'ait été requise que plusieurs années après le dépôt des conclusions à cet égard serait contraire à la loi. Ni l'art. 98 CPC, ni l'art. 2 RFTMF n'imposent de demander une avance de frais dans un certain délai depuis le dépôt de prétentions financières en justice. L'argumentation de la recourante sera donc rejetée sur ce point.
En ce qui concerne la quotité de l'avance de frais, le Tribunal a arrêté celle-ci en considérant que les prétentions reconventionnelles de la recourante totalisaient 1'477'219 fr. Or, comme cette dernière l'a souligné à juste titre, la valeur litigieuse de ses prétentions correspond à la part successorale qu'elle estime devoir recevoir des libéralités qui sont, selon elle, soumises à rapport et réduction.
Dans ses déterminations du 4 octobre 2024, la recourante a revu à la baisse ses prétentions en ce qui concerne l'une des libéralités dont le rapport et la réduction sont demandés. Elle a ainsi chiffré au montant total de 798'300 fr. les libéralités soumises à rapport et réduction. Etant donné que la part successorale de la recourante s'élève - selon ses écritures - à 24%, ses prétentions reconventionnelles correspondent à cette proportion de la valeur des libéralités soumises à rapport et réduction, soit 191'592 fr. Il est vrai que l'estimation d'une prétention se fait en principe en fonction de sa valeur au moment de l'ouverture de l'action. Cela étant, dans la mesure où l'avance de frais litigieuse a été requise plusieurs années après le dépôt des conclusions reconventionnelles et dès lors que celles-ci ont été actualisées à la baisse dans l'intervalle, il se justifie de tenir compte de cette dernière valeur, afin de ne pas fixer une avance disproportionnée par rapport à l'enjeu réel.
L'art. 17 RTFMC prévoit un émolument forfaitaire de décision de 5'000 fr. à 30'000 fr. pour les causes pécuniaires dont la valeur litigieuse se situe entre 100'001 fr. à 1'000'000 fr. L'avance de frais fixée par le Tribunal apparaît excessive, car elle correspond à la limite maximale prévue par le règlement, alors que la valeur litigieuse des prétentions de la recourante se situe plutôt en bas de la fourchette de la tranche allant de 100'001 fr. à 1'000'000 fr. Au vu des éléments susmentionnés, il semble plus approprié de fixer l'avance de frais à 10'000 fr.
Aucun motif ne commande de retenir un montant inférieur ou de renoncer à la perception d'une avance de frais. En particulier, rien ne permet de considérer que la demande d'une avance de frais ou son montant rendraient l'accès à la justice plus difficile pour la recourante. En raison du manque de collaboration et de transparence de la précitée envers les autorités, le bénéfice de l'assistance juridique lui a été retiré avec effet rétroactif. Cela a fait suite à une information selon laquelle un montant d'environ 680'000 fr. a été versé en faveur de la recourante en 2014, sans que l'utilisation de cette somme n'ait été démontrée. Comme l'indigence de la recourante n'est pas établie, sa capacité financière n'est pas déterminante dans la fixation de la quotité de l'avance de frais requise de sa part.
Bien qu'il n'y ait a priori pas lieu de craindre que la recourante s'avère insolvable à l'issue de la procédure au fond, au vu de ses expectatives successorales, cette circonstance ne justifie pas qu'il soit dérogé au principe selon lequel une avance de frais pleine et entière doit en général être prélevée. Au surplus, dans la mesure où l’entrée en vigueur de la modification du code de procédure civile a été fixée au 1er janvier 2025, il n’y a pas lieu de tenir compte de la nouvelle teneur de l’art. 98 CPC, la présente procédure ayant débuté bien avant cette date.
Compte tenu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision querellée sera annulée, et l'avance de frais sera arrêtée à 10'000 fr.
Le Tribunal de première instance sera invité à impartir à la recourante un nouveau délai pour le paiement de cette avance.
4. Compte tenu de l'issue de la procédure, la recourante, qui succombe partiellement, sera condamnée à verser aux Services financiers du Pouvoir judiciaire un montant de 300 fr. à titre de frais judiciaires réduits du recours (art. 106 CPC et 23 et 41 RTFMC), y compris la décision sur effet suspensif. Ces frais seront compensés à due concurrence avec l'avance qu'elle a fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève dans cette mesure (art. 111 al. 1 CPC). Le solde de son avance lui sera restitué.
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté par A______ le 18 novembre 2024 contre la décision DTPI/11682/2024 rendue le 5 novembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/30181/2017.
Au fond :
Annule la décision querellée et cela fait, statuant à nouveau :
Fixe l'avance de frais due par A______ à 10'000 fr.
Invite le Tribunal de première instance à impartir à A______ un nouveau délai pour le paiement de cette avance.
Déboute la recourante de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires du recours à 300 fr., les met à la charge de A______, et dit qu'ils sont compensés à concurrence de ce montant avec l'avance de frais versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève dans cette mesure.
Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer 300 fr. à A______.
Siégeant :
Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Camille LESTEVEN, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.