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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/602/2001

ATA/826/2001 du 11.12.2001 ( TPE ) , ADMIS

Descripteurs : AMENAGEMENT DU TERRITOIRE; AUTORISATION DE VENDRE; VENTE; BESOIN PREPONDERANT DE LA POPULATION; PENURIE; TPE
Normes : LDTR.39 al.3; LDTR.39 al.4
Résumé : Rappel de la jurisprudence du TA (ATA U. du 26 juin 2001) quant au but de la LDTR s'agissant de la vente d'un appartement entrant dans une catégorie de logements où sévit la pénurie. Pesée entre les intérêts privés du versement et l'intérêt public à maintenir le parc locatif genevois. En l'espèce, l'intérêt privé du versement à ce que son plan de désendettement soit réalisé a été admis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 11 décembre 2001

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur Serge L.

représenté par Me Alain Maunoir, avocat

 

 

 

contre

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS

 

et

 

DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 

et

 

ASLOCA ASSOCIATION GENEVOISE DE DEFENSE DES LOCATAIRES

représentée par Me Carlo Sommaruga, avocat



EN FAIT

 

1. Monsieur Serge L., domicilié à Genève, est propriétaire de six appartements, dont l'un destiné à son propre usage, dans l'immeuble situé 8, rue du Beulet à Genève.

 

2. Le 12 août 2000, M. L. a sollicité du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après : le département), par l'intermédiaire de son notaire, Me Denis Keller, l'autorisation de vendre à Madame Barbara B. les droits de copropriété, pour 83 millièmes, de l'appartement n° 7.05 sis au 5ème étage de l'immeuble en question, au prix de CHF 355'000.-. Il fallait ajouter à ce prix la commission de courtage et une participation aux frais de liquidation de la S.I. "Le Beulet B" (ci-après la S.I.) en liquidation, soit CHF 45'000.-.

 

S'agissant précisément de cette S.I., M. L. avait acquis un certain nombre d'actions en 1984 et, dans le cadre général du désendettement de l'intéressé, le département avait autorisé par le passé la vente de l'appartement n° 6.01, qui était libre.

 

3. Par arrêté du 3 octobre 2000, le département a accordé l'autorisation sollicitée au motif que le processus de vente des appartements de l'immeuble en cause était déjà largement entamé. De plus, le requérant était dans l'obligation de vendre le logement en question pour honorer ses engagements vis-à-vis du créancier-gagiste et pour assumer les frais de liquidation de la S.I.

 

4. Le 6 novembre 2000, l'association genevoise de défense des locataires (ci-après : l'Asloca) a recouru auprès de la commission de recours en matière de construction d'un recours (ci-après : la commission).

 

Aucune des conditions de vente prévues à l'article 39 alinéa 4 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) n'était remplie et M. L. n'avait pas démontré qu'il était dans une situation financière obérée. Le prix d'achat du logement et les prêts hypothécaire conclus sur le bâtiment n'étaient pas connus. Or seuls ces renseignements auraient permis d'établir si le bâtiment avait été acquis à titre spéculatif ou non. Seuls deux appartements sur dix avaient fait l'objet de ventes, autorisées par le département en violation de la LDTR.

 

5. Le 29 novembre 2000, M. L., ainsi que l'acquéreure de l'appartement en question, Mme B., se sont opposés au recours. L'immeuble comportait seize logements. Trois appartements avaient été vendus les 15 et 20 mars 1985, soit avant l'entrée en vigueur des dispositions de la LDTR relatives à ce type d'opérations. Par la suite, la vente individualisée de sept autres logements avait été autorisée par le département entre les mois de novembre 1991 et de mai 2000. Un appartement de deux pièces, soit d'une catégorie où ne sévissait pas la pénurie, avait été vendu en novembre 1998. M. L. restait propriétaire de cinq logements, dont l'un était utilisé par lui-même. Il avait dès lors intérêt à achever l'opération de vente individualisée, ce d'autant qu'il faisait face à des difficultés financières qui avaient amené l'office des poursuites à organiser la vente aux enchères d'un bien immobilier lui appartenant au 48 de la rue de Saint-Jean.

 

L'appartement en question était inoccupé et aucun autre habitant de l'immeuble n'avait été placé devant l'alternative d'acheter son logement ou de le quitter. Quant au prix demandé, il n'était pas abusif. L'appartement en question avait été aménagé dans les combles, selon une autorisation de construire du 1er mars 1989, arrêtant le loyer maximum à CHF 6'000.- par pièce et par an, ce qui donnait une valeur de CHF 443'077.- en capitalisant le loyer à 6,5% et en y ajoutant un taux d'effort de 20%. De plus, sept appartements avaient été vendus au bénéfice d'autorisations au cours des neuf années précédentes. En conséquence, il serait incompréhensible d'interrompre le processus de vente individualisée des logements.

 

6. La commission a entendu les parties en comparution personnelle le 16 mars 2001.

 

a. Le département a indiqué qu'il avait autorisé l'opération en question en se fondant sur le processus de vente et sans avoir vérifié la question de la nécessité de désendettement.

 

b. Mme B. a indiqué qu'elle occupait le logement litigieux depuis le 19 décembre 2000, car elle avait vendu l'appartement où elle vivait auparavant. Elle ne payait pas de loyer, mais s'acquittait des charges.

 

c. M. L. a exposé qu'il avait eu à supporter les frais de liquidation de la S.I. à la fin de l'année 1999 et au début de l'année 2000. Il était propriétaire de l'immeuble sis 48, rue de Saint-Jean, qui était squatté et n'avait ainsi pas de rendement. Cet immeuble avait fait l'objet d'un processus de vente aux enchères qui n'avait finalement pas eu lieu, car la banque avait pu être remboursée. De plus, il attendait l'issue d'un recours concernant la construction, à Grange-Canal, de bâtiments d'habitation dont il possédait les terrains avec l'architecte.

 

d. L'Asloca a demandé à M. L. de verser au dossier les documents justifiant le prix d'acquisition de l'immeuble sis 8, rue du Beulet (état locatif, montant des investissements réalisés lors de la transformation de l'immeuble en 1989, états locatifs postérieurs ainsi que situation hypothécaire des immeubles).

 

7. Le 21 mars 2001, M. L. a transmis à la commission divers documents, soit des courriers, signés par les deux derniers locataires de l'immeuble, donnant leur accord à la vente litigieuse.

 

De plus, la régie Gérard Baezner a indiqué qu'elle s'occupait de l'administration de l'immeuble depuis de nombreuses années. Plus de CHF 1 mio avaient été investis pour la rénovation de l'immeuble et la création des deux appartements dans les combles. M. L. était à l'origine copropriétaire de l'immeuble pour 50% et, après la vente de onze lots sur seize, il restait sur ses parts de copropriété une hypothèque de CHF 950'000.-. Les encaissements des loyers de l'ensemble des biens immobiliers de l'intéressé ne couvraient pas les charges courantes avant le paiement des intérêts hypothécaires de l'ensemble des engagements. Le compte courant de M. L. présentait un solde négatif de CHF 365'000.-.

 

8. L'Asloca a souligné, le 30 avril 2001, que la vente litigieuse n'était pas liée au plan de désendettement ou à une opération financière en relation avec l'immeuble en question. Les difficultés financières de M. L. provenaient d'investissements effectués dans d'autres immeubles et un tel plan de désendettement ne pouvait se concevoir qu'en se débarrassant des biens ne rapportant rien, plutôt que du seul procurant en rendement correct. De plus, Mme B. pouvait parfaitement rester dans l'appartement à titre de locataire. Le fait d'avoir vendu son précédent logement ne permettait pas de faire prévaloir son intérêt privé sur l'intérêt public.

 

9. Par décision du 11 mai 2001, la commission a admis le recours. Lorsqu'aucun motif d'autorisation prévu par la loi n'était réalisé, il était nécessaire de mettre en balance l'intérêt public et celui, privé de la personne désirant vendre ou acquérir un appartement. L'intérêt privé à la vente d'un appartement - qui ne représentait qu'un pur intérêt économique - devait céder le pas à l'intérêt public. Tel était bien le cas en l'espèce.

 

De plus, il ne s'agissait pas de mettre un terme à une opération de vente individualisée, les ventes antérieures apparaissant contraires à l'article 39 alinéa 2 LDTR.

 

Les besoins de désendettement n'étaient pas liés à l'immeuble en question, mais à d'autres opérations, où M. L. avait agi en qualité d'architecte. Au surplus, Mme B. avait vendu son appartement en pleine connaissance de cause et était locataire de l'appartement litigieux, ce qui interdisait toute application de l'article 39 alinéa 3 LDTR.

 

10. M. L. a saisi le Tribunal administratif d'un recours, le 15 juin 2001. Il a repris et développé l'argumentation qu'il avait soutenue devant la commission.

 

Au recours étaient joints différents documents :

 


a. Une attestation de la Société fiduciaire d'expertise et de révision S.A. indiquant qu'en raison de la situation patrimoniale de M. L. et des très lourds engagements hypothécaires et personnels dans les affaires 48, Saint-Jean et Grange-Canal, le recourant n'avait pas été imposable les trois années précédentes.

 

b. Un courrier de Generali Assurances dont il ressortait qu'un crédit hypothécaire de CHF 900'000.- grevait la parcelle 8, rue Beulet, crédit que M. L. s'était engagé à rembourser dans les meilleurs délais. Deux polices d'assurance-vie étaient nanties afin de garantir ce prêt.

 

c. Le résumé des comptes annuels des appartements de M. L. au 8, de la rue du Beulet, dont il ressortait que l'état locatif s'élevait à CHF 82'440.- au 31 décembre 1998 et au 31 décembre 1999, et à CHF 67'620.- au 31 décembre 2000.

 

d. Un courrier de la régie Gérard Baezner, du 16 décembre 1998, demandant au recourant de verser, avant le 15 janvier 1999, sa quote-part des frais de liquidation de la S.I., en CHF 110'898,30.

 

e. Divers documents, faisant état des problèmes rencontrés par le recourant pour concrétiser les projets de construction sur le terrain de Grange-Canal.


 

11. Le département a déclaré s'en rapporter à justice.

 

12. L'Asloca s'est opposée au recours, reprenant, elle aussi, ses arguments antérieurs.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Selon l'article 39 alinéa 3 LDTR, le désir d'un locataire d'acquérir le logement qu'il occupe effectivement depuis trois ans au moins, ne l'emporte sur l'intérêt public que si 60% des locataires en place acceptent formellement cette acquisition. De plus, les locataires restants devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d'acheter leur appartement ou de partir.

 

L'article 39 alinéa 4 LDTR précise qu'une vente d'appartement doit être autorisée lorsque l'immeuble a été soumis, dès sa construction, au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue, lorsque l'appartement était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu'il avait déjà été cédé de manière individualisée, lorsqu'il n'a jamais été loué ou lorsqu'il a fait au moins l'objet d'une autorisation d'aliéner en vertu de la LDTR.

 

3. a. Comme le Tribunal administratif l'a rappelé récemment, le but de la LDTR est de préserver l'habitation et les conditions de vie existantes en restreignant notamment l'aliénation des appartements destinés à la location. La violation répétée de la LDTR est susceptible d'entraîner à terme une détérioration du marché locatif et de réveiller des tensions sociales, particulièrement dans un canton où la population locataire est extrêmement importante et dans une période où le marché locatif est tendu (ATA U. du 26 juin 2001).

 

b. La vente d'un appartement est soumise à autorisation pour autant que ce dernier - ce qui n'est pas contesté en l'espèce - entre, du fait de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie.

 

Dans le cadre de l'examen de la requête en autorisation d'aliéner, il appartient à l'autorité d'effectuer une pesée entre les intérêts publics et privés en présence. Le second est toutefois présumé l'emporter sur le premier, notamment lorsque le propriétaire doit faire face aux exigences d'un plan de désendettement (art. 13 al. 3 let. b du règlement d'application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation, du 29 avril 1996 (RLDTR - L 5 20.01).

 

4. a. En l'espèce, les parties admettent qu'aucun des motifs d'autorisation prévus à l'article 39 alinéa 4 LDTR est rempli. De plus, Mme B. n'habite pas depuis trois ans son appartement, ce qui interdit de faire application de l'exception prévue à l'article 39 alinéa 3 LDTR.

 

b. Il appartient dès lors au Tribunal administratif d'effectuer une pesée entre les intérêts privés de M. L. et l'intérêt public à maintenir le parc locatif genevois.

 


aa. En ce qui concerne l'intérêt privé de M. L., force est d'admettre que ce dernier se trouve dans une situation financière très difficile. Il a acquis divers biens immobiliers afin d'y réaliser des projets, qui, à ce jour, n'ont pu se concrétiser. Il n'appartient pas au Tribunal administratif de déterminer si le plan de désendettement mis sur pied, qui tend à vendre des objets immobiliers permettant la réalisation d'un revenu plutôt que ceux entraînant des pertes, est le plus adéquat.

 

bb. Quant à l'intérêt public, celui-ci apparaît extrêmement lourd dans la situation que connaît le marché du logement locatif.

 

cc. Au vu de ce qui précède, il apparaît que l'intérêt privé de M. L. à ce que le plan de désendettement soit concrétisé doit prendre le pas, en l'espèce, sur l'intérêt public à la conservation et à la protection du marché des logements locatifs. Dès lors, le recours sera admis.

 


5. Au vu de l'issue du litige, une indemnité de procédure, en CHF 1'000.-, sera allouée à M. L., à la charge de l'Asloca.

 

Aucun émolument de procédure ne sera perçu.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 15 juin 2001 par Monsieur Serge L. contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 11 mai 2001;

 

au fond :

 

l'admet;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

alloue une indemnité de procédure en CHF 1'000.- à M. L., à la charge de l'Asloca;

 

communique le présent arrêt à Me Alain Maunoir, avocat du recourant, à la commission cantonale de recours en matière de constructions ainsi qu'au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, et à Me Carlo Sommaruga, avocat de l'Asloca.

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj.: le président :

 

M. Tonossi Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci