Décisions | Sommaires
ACJC/166/2025 du 04.02.2025 sur JTPI/10528/2024 ( SML ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/8296/2024 ACJC/166/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 4 FEVRIER 2025 |
Entre
A______ SA, sise ______, recourante contre un jugement rendu par la 22ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 11 septembre 2024, représentée par Me David BITTON, avocat, Monfrini Bitton Klein, Place du Molard 3, 1204 Genève,
et
Madame B______, domiciliée ______, intimée, représentée par Me Paul HANNA, avocat, Borel & Barbey, Rue de Jargonnant 2, 1211 Genève 6.
A. Par jugement du 11 septembre 2024, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______ à concurrence de 159'995 fr. 65 (ch. 1 du dispositif), mis les frais judicaires, arrêtés à 1'000 fr., à la charge de A______ SA à concurrence de 667 fr. et à la charge de B______ à concurrence de 333 fr, cette dernière étant condamnée à verser ce montant à A______ SA qui en avait fait l'avance (ch. 2 et 3) et condamné A______ SA à verser à B______ 1'500 fr. TTC à titre de dépens (ch. 4).
B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 7 octobre 2024, A______ SA a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation des chiffres 1 à 3 de son dispositif et cela fait, à ce que la mainlevée de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, soit prononcée à concurrence de 534'532 fr. 45 avec intérêts à 5% dès le 1er décembre 2023, avec suite de frais de poursuite, frais judicaires et dépens.
b. B______ a conclu au rejet du recours, avec suite de frais. Elle a produit une pièce nouvelle.
c. En l'absence de réplique, les parties ont été informées par la Cour le 18 novembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du jugement attaqué.
a. Le 7 février 2022, les parties ont conclu un mandat portant sur une étude pour un projet de rénovation et d'aménagement d'intérieur de l'appartement situé au 5ème étage de l'immeuble sis no. ______, avenue 2______ dont B______ est propriétaire, les honoraires étant arrêtés à 21'540 fr. TTC.
B______ s'est acquittée de ces honoraires le 9 février 2022.
b. Le 27 septembre 2022, les parties ont conclu un contrat d'entreprise portant sur les travaux de rénovation, modifications et décoration d'intérieure dudit appartement.
Le contrat stipule qu'il est conclu selon un devis n° DV22-1259 du 6 septembre 2022 sur la base d'un avant-projet et qu'il devra être complété par un descriptif détaillé qui fera partie intégrante du contrat (article 2). Le prix prévu en l'état s'élevait à 380'000 fr. TTC et était sujet à des modifications (article 7).
c. Par avenant du 23 mars 2023, des travaux complémentaires ont été confiés à A______ SA sur la base de six confirmations de commande, pour un prix total arrêté en l'état à 201'420 fr. 65 TTC.
d. Par la suite, A______ SA a remis d'autres devis à B______ pour validation.
A______ SA allègue que certains de ces devis ont été acceptés oralement ou par message WhatsApp; aucun de ces devis n'a toutefois été signé par B______.
Certains devis – ceux dont il est allégué qu'ils ont été acceptés – ont été suivis de confirmations de commande adressées à B______.
Ces confirmations de commande ne portent aucune signature manuscrite.
e. Des travaux ont été réalisés par A______ SA dans l'appartement de B______ entre le 10 octobre 2022 et le 20 novembre 2023.
Au cours du chantier et jusqu'au 11 septembre 2023, B______ s'est acquittée des cinq factures d'acompte que A______ SA lui a adressées pour un montant total de 421'425 fr., sans compter les honoraires liés au premier contrat de mandat du 7 février 2022.
f. Le 7 novembre 2023, A______ SA a adressé une facture n° 3______ de 200'000 fr. TTC, au titre de "6ème acompte selon l'avenant n° 1 au contrat initial du 27.09.2022, signé le 23.03.2023".
g. Le 27 novembre 2023, B______ a demandé à A______ SA de lui restituer les clés de l'appartement et de ne plus y intervenir.
h. Le même jour, A______ SA a adressé une facture n° 4______ de 334'532 fr. 45 TTC, au titre de "solde restant dû selon confirmations de commande reçues et après règlement de vos acomptes versés se rapportant à ces confirmations de commande".
A cette date, il restait à installer des spots de cuisine, un interrupteur dans la chambre 3, des bandeaux led dans la salle de bains Master, le cylindre et des plaques en laiton de la porte principale, des butées de porte, des prises de tiroirs dans des salles de bains. En outre, les pièces suivantes étaient en attente de livraison: la robinetterie des WC invités, un miroir grossissant, des vasques, une porte de douche et la porte WC dans la salle de bains Master, un pare-baignoire dans la salle de bains 2 et un pare-douche dans la salle de bains 3. Le contrôle électrique obligatoire devait encore être effectué.
i. Les factures des 7 et 27 novembre 2023 restent impayées à ce jour.
j. Le 12 mars 2024, l'Office des poursuites, sur requête de A______ SA, a notifié à B______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, pour les montants de 200'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 1er décembre 2023, à titre de "Facture N° 3______ du 7.11.2023", et de 334'532 fr. 45, avec intérêts à 5% dès le 1er décembre 2023, à titre de "Facture N° 4______ du 27.11.2023".
B______ y a formé opposition.
k. Le 8 avril 2024, A______ SA a déposé devant le Tribunal une requête en mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite nº 1______.
l. A l'audience du 26 août 2024, A______ SA a persisté dans sa requête.
B______ a conclu au rejet de la requête, faisant valoir que le montant total réclamé présentait des incohérences avec les montants devisés et ceux qui figuraient dans le contrat, que les travaux n'avaient pas été intégralement accomplis et que les factures litigieuses ne permettaient pas de déterminer si les montants litigieux se rapportaient aux travaux devisés ou à d'autres travaux, respectivement si ces factures se rapportaient à des travaux achevés ou non, précisant que les confirmations de commande ne portaient aucune signature.
m. Dans son jugement du 11 septembre 2024, le Tribunal a relevé que le prix des travaux convenus dans le contrat d'entreprise du 27 septembre 2022 et son avenant du 23 mars 2023 s'élevait à 581'420 fr. 65 au total et que B______ s'était acquittée de cinq demandes d'acompte totalisant 421'425 fr. A______ SA réclamait le paiement de deux factures supplémentaires de 200'000 fr., respectivement 334'532 fr. 45, portant le montant des travaux facturés à 955'957 fr. 45 au total. Le Tribunal a par ailleurs retenu que B______ faisait valoir que les travaux n'étaient pas terminés, mais n'invoquait pas d'éventuels défauts de l'ouvrage, que A______ SA avait réalisé un seul ouvrage et non plusieurs ouvrages différents payables séparément et que, B______ ayant résilié le contrat avant la fin des travaux, A______ SA pouvait prétendre au paiement du prix des travaux réalisés et d'une indemnité, sauf moyens libératoires qui n'étaient pas invoqués dans le cadre de la présente procédure.
A______ SA était donc au bénéfice d'une reconnaissance de dette à concurrence de 581'420 fr. 65, dont B______ s'était acquittée partiellement à concurrence de 421'425 fr. En revanche, faute de porter la signature de B______, ni les devis, ni les confirmations de commande ne constituaient une reconnaissance de dette. Partant, la mainlevée provisoire serait accordée sur le solde impayé du montant figurant dans le contrat et son avenant, soit 159'995 fr. 65.
1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).
1.2 Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée.
Interjeté en temps utile et selon les formes prescrites, le recours est recevable.
1.3 Selon l'art. 326 al. 1 CPC, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables. La pièce nouvelle produite par l'intimée devant la Cour est donc irrecevable.
1.4 Le recours est recevable pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par la partie recourante (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2307).
1.5 La procédure sommaire étant applicable, la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 al. 1 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).
2. La recourante soutient que le Tribunal a omis de tenir compte du fait que selon les conditions générales, qui faisaient partie intégrante du contrat et s'appliquaient à toutes les commandes passées dans le cadre de la relation entre les parties, les commandes supplémentaires passées valaient reconnaissance de dette.
2.1
2.1.1 Selon l'art. 82 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (al. 1); le juge la prononce si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (al. 2).
Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP, en particulier, l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi - ou son représentant -, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1; 139 III 297 consid. 2.3.1 et les références). Une reconnaissance de dette peut résulter du rapprochement de plusieurs pièces, dans la mesure où les éléments nécessaires en résultent (ATF 139 III 297 consid. 2.3.1; 136 III 627 consid. 2 et la référence).
Un contrat écrit justifie en principe la mainlevée provisoire de l'opposition pour la somme d'argent incombant au poursuivi lorsque les conditions d'exigibilité de la dette sont établies (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1).
Pour valoir titre de mainlevée provisoire, une reconnaissance de dette doit chiffrer de manière précise le montant de la prétention déduite en poursuite ou renvoyer à un document écrit qui permet au juge de la mainlevée de déterminer avec exactitude le montant dû. La créance doit être déterminée ou déterminable au moment de la signature de la reconnaissance de dette (Abbet/Veuillet, La mainlevée de l'opposition, 2022, n. 47 et 48 ad art. 82 LP).
Selon la jurisprudence, celui qui signe un texte comportant une référence expresse à des conditions générales est lié au même titre que celui qui appose sa signature sur le texte même de celles-ci, quand bien même il ne les aurait pas lues (ATF 119 II 443 consid. 1a; arrêt du Tribunal fédéral 5P.96/1996 du 29 mai 1996, in SJ 1996 p. 623). Les conditions générales font alors partie intégrante du contrat (ATF 133 III 675 consid. 3.3).
Des factures ne valent pas reconnaissance de dette et ce, même si elles ne sont pas contestées (arrêt du Tribunal fédéral 5P.290/2006 du 12 octobre 2006 consid. 3.2).
2.1.2 La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire. Le juge de la mainlevée provisoire examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle - et non la validité de la créance - et lui attribue force exécutoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblables ses moyens libératoires (ATF 145 III 160 consid. 5.1 et la référence). Il doit notamment vérifier d'office l'existence d'une reconnaissance de dette, l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et la dette reconnue (ATF
142 III 720 consid. 4.1 et la référence).
2.2 La recourante invoque à l'appui de son recours les conditions générales, annexées aux commandes supplémentaires qui auraient été passées par l'intimée, qui prévoient que lesdites conditions générales s'appliquent à toutes les transactions conclues entre les parties et que le contrat conclu vaut reconnaissance de dette.
2.2.1 La recourante ne soulève aucun grief d'arbitraire dans l'établissement des faits, se limitant à relever que des faits qu'elle avait invoqués en première instance ont été mal compris ou occultés et qu'elle précisait dès lors certains éléments. Une telle explication ne permet pas de considérer que le Tribunal aurait arbitrairement retenus ou omis certains faits, de sorte que l'état de fait du jugement entrepris ne peut être corrigé ou complété et que la Cour se fondera sur celui-ci.
Le jugement attaqué ne faisant pas mention des conditions générales invoquées par la recourante, il ne peut être entré en matière sur l'argumentation fondée sur celles-ci.
2.2.2 En tout état de cause, il ne ressort pas des explications de la recourante que le contrat de base conclu entre les parties comporterait un renvoi à ces conditions générales, qui ne lient donc pas l'intimée. Les pièces 3 (contrat du 27 septembre 2022) et 4 (avenant du 23 mars 2023) produites par la recourante avec sa requête de mainlevée ne comportent en outre pas lesdites conditions générales. La recourante ne conteste par ailleurs pas que les commandes supplémentaires passées ne portent pas la signature de l'intimée, de sorte que, même mises en relation avec le contrat, elles ne valent pas reconnaissance de dette pour les montants concernés. En outre, au moment de la signature du contrat, le montant supplémentaire réclamé n'était pas déterminé, ni déterminable.
Le contrat conclu entre les parties ne peut donc pas valoir reconnaissance de dette indistinctement pour tous les montants facturés par la recourante dans le cadre général de la réfection de l'appartement faisant l'objet dudit contrat, même si ce dernier s'applique à l'ensemble de l'activité de la recourante pour le compte de l'intimée et qu'il était prévu que des modifications pouvaient intervenir en raison de choix et spécifications non connus au moment de la conclusion du contrat.
Pour le surplus, la question de savoir si l'intimée a effectivement validé les commandes supplémentaires quand bien même elles ne portent pas sa signature et si elle peut être tenue de s'acquitter du prix des travaux ainsi réalisés ne relève pas de la compétence du juge de la mainlevée, qui doit uniquement examiner si la recourante dispose d'un titre de mainlevée, et non la validité de la créance.
Enfin, la recourante relève que le jugement attaqué n'a pas prononcé la mainlevée de l'opposition avec les intérêts qu'elle a requis. Or, selon elle, la mainlevée de l'opposition devait "dans tous les cas" être prononcée avec intérêts à 5% dès le 1er décembre 2023. Par cette seule affirmation, elle n'explique cependant pas de manière motivée en quoi le jugement attaqué ne serait pas conforme au droit, ni à quel titre ces intérêts sont réclamés et à quoi se rapporte la date du 1er décembre 2023.
Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.
3. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais du recours (art. 106 al. 1 CPC).
Les frais judiciaires seront arrêtés à 1'125 fr. (art. 48 et 61 al. 1 OELP) et compensés avec l'avance versée par la recourante, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 aCPC, en relation avec l'art. 407f CPC).
Les dépens dus à l'intimée seront fixés à 1'500 fr., TVA et débours compris (art. 25 et 26 al. 1 LaCC; art. 85, 89 et 90 RTFMC).
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 7 octobre 2024 par A______ SA contre le jugement JTPI/10528/2024 rendu le 11 septembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8296/2024–22 SML.
Au fond :
Rejette ce recours.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Met à la charge de A______ SA les frais judiciaires de recours, arrêtés à 1'125 fr. et compensés avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.
Condamne A______ SA à verser 1'500 fr. à B______ à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Barbara NEVEUX, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.