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C/7944/2023

ACJC/1178/2024 du 26.09.2024 sur JTPI/6979/2024 ( SML ) , CONFIRME

Normes : LP.80; LDIP.177; CNY.5
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7944/2023 ACJC/1178/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 26 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 26ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 3 juin 2024, représentée par Me Darya KOT, avocate, Sautter 29 Avocats, rue Sautter 29, case postale 244,
1211 Genève 12,

et

SOCIETE PAR ACTIONS "B______", sise ______, Ukraine, intimée, représentée par Me Nicolas ROUILLER, avocat, SwissLegal Rouiller, rue du Grand-Chêne 1, case postale 1501, 1002 Lausanne.

 


EN FAIT

A. Par jugement JPTI/6979/2024 du 3 juin 2024, reçu par A______ SA le 6 juin 2024, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire, a, préalablement, reconnu et déclaré exécutoire en Suisse la sentence arbitrale rendue le 17 mai 2018 par la Cour d'arbitrage commercial international de la Chambre de commerce et d'industrie ukrainienne dans l'affaire 1______/2017, SOCIETE PAR ACTIONS "B______" contre A______ SA (ch. 1 du dispositif), et, cela fait, prononcé la mainlevée définitive [de l'opposition] formée par A______ SA au commandement de payer, poursuite n° 2______ (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 3'500 fr., compensés avec l'avance fournie par SOCIETE PAR ACTIONS "B______" et mis à la charge de A______ SA, celle-ci étant condamnée à verser 3'500 fr. à celle-là (ch. 3), condamné A______ SA à verser 13'260 fr. à SOCIETE PAR ACTIONS "B______" au titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

Le Tribunal a retenu que la requête d'exequatur formée par SOCIETE PAR ACTIONS "B______" remplissait les conditions de forme de l'art. IV de la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (CNY). Le caractère arbitrable ou non du litige s'examinait selon le droit de l'Etat dans lequel l'exécution était demandée, en l'espèce selon le droit suisse, qui prévoyait que toute cause de nature patrimoniale pouvait faire l'objet d'un arbitrage. Il ressortait clairement des titres produits par les parties que la cause était de nature patrimoniale, de sorte qu'elle pouvait faire l'objet d'un arbitrage. Pour le surplus, la sentence arbitrale du 17 mai 2018 n'était pas contraire à l'ordre public. Il résultait en effet des pièces produites que la procédure d'arbitrage avait été menée contradictoirement, que A______ SA n'avait pas remis en question l'authenticité de la clause compromissoire et qu'elle avait pu faire valoir son argument selon lequel la Cour d'arbitrage commercial international n'était pas compétente pour examiner le litige qui lui était soumis, cette question ayant été tranchée dans le cadre de la procédure d'arbitrage. Aucun des motifs de l'art. V CNY n'étant rempli dans le cas d'espèce, la sentence arbitrale du 17 mai 2018 devait être reconnue et déclarée exécutoire en Suisse. La mainlevée définitive de l'opposition formée à la poursuite n° 2______ devait par ailleurs être prononcée.

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 17 juin 2024, A______ SA a formé recours contre ce jugement, concluant à son annulation et au déboutement de SOCIETE PAR ACTIONS "B______" de ses conclusions en mainlevée d'opposition, sous suite de frais et dépens. Subsidiairement, elle a conclu au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. Par arrêt du 27 juin 2024, la Cour a admis la requête préalable de A______ SA tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement entrepris.

c. Dans sa réponse du 1er juillet 2024, SOCIETE PAR ACTIONS "B______" a conclu au rejet de recours et au déboutement de A______ SA, sous suite de frais et dépens.

d. La cause a été gardée à juger le 6 août 2024, ce dont les parties ont été avisées le jour même.

C. Les éléments suivants résultent de la procédure :

a. SOCIETE PAR ACTIONS "B______" (ci-après : B______) est une société publique par actions de droit ukrainien, dont le siège se situe à C______ (Ukraine). Elle est active principalement dans le transport ______ de marchandises. L'Etat d'Ukraine, représenté par le cabinet des Ministres d'Ukraine, en est le fondateur.

b. A______ SA est une société anonyme de droit suisse dont le siège se situe à Genève. Elle a pour but social l'organisation de transports et de voyages, le commerce international de tous biens, ainsi que la fourniture de tous services y compris l'assistance technique, juridique et financière dans les domaines précités.

c. Le 23 décembre 2014, l'Administration d'Etat du transport ______ de l'Ukraine, à laquelle B______ a succédé, et A______ SA ont conclu un contrat n° 3______/2014 rédigé en russe. Ce contrat portait sur l'organisation de transports de marchandises en transit par les chemins de fer ukrainiens, dans le cadre du trafic ______ international de marchandises, la fourniture de services supplémentaires liés à ces transports et leur paiement par le client (i.e. A______ SA) selon les tarifs établis.

L'art. 4 du contrat avait la teneur suivante (selon la traduction produite par B______) :

" 4.1 Les litiges entre [les parties au contrat] sont résolus par les négociations.

4.2 Si les parties ne parviennent pas à résoudre les litiges par des négociations, le litige sera réglé par la Cour d'arbitrage commercial international (ICAC) auprès de la Chambre de commerce et d'industrie ukrainienne (CCI). Le droit matériel ukrainien et le règlement de l'ICAC seront appliqués. Le lieu de l'arbitrage : C______, No. 4______ boulevard 5______, la langue de l'arbitrage est le russe. Le tribunal arbitral est composé de trois arbitres. La décision du tribunal d'arbitrage est définitive et lie les deux parties."

d. Dans le cadre de l'exécution de ce contrat, B______ a réclamé sans succès à A______ SA le paiement de 1'734'700.33 USD pour la fourniture de services liés au transport de gaz liquéfié en transit sur sol ukrainien pendant l'année 2016.

e. Par requête du 8 septembre 2017, B______ a assigné A______ SA en paiement de ce montant devant la Cour d'arbitrage commercial international auprès de la Chambre de commerce et d'industrie ukrainienne (ci-après : la CACI), laquelle a enregistré la requête sous le numéro de cause 1______/2017 et constitué un tribunal arbitral composé de trois membres.

Le 17 mai 2018, la CACI a rendu une sentence arbitrale dans la cause susvisée, aux termes de laquelle A______ SA a été condamnée à payer à B______ 1'734'700.33 USD, à titre de "coût des services rendus", et 23'873.50 USD, à titre de remboursement des frais d'arbitrage, soit un montant total de 1'758'573.83 USD. Au considérant 5 de sa sentence, la CACI a rejeté la "déclaration d'incompétence" formée par A______ SA le 13 décembre 2017. Elle a admis sa compétence pour statuer sur le fond des prétentions émises par B______, au motif que - selon le droit ukrainien applicable aux rapports contractuels - le litige opposant les parties était de nature commerciale et non administrative.

La sentence arbitrale a été notifiée à A______ SA le 9 août 2018.

f.a Le 25 octobre 2018, A______ SA a saisi la Cour d'appel de C______ d'une demande en annulation de la sentence arbitrale du 17 mai 2018. Elle a fait valoir que, selon la législation ukrainienne, le litige l'opposant à B______ relevait de la compétence exclusive des juridictions administratives ordinaires et, partant, ne pouvait pas faire l'objet d'un arbitrage commercial international.

Par décision du 11 décembre 2018 rendue dans l'affaire n° 6______/2018, la Cour d'appel de C______ a rejeté cette demande et confirmé la sentence arbitrale du 17 mai 2018. Statuant sur l'appel formé par A______ SA, la Cour suprême d'Ukraine a confirmé la décision de la Cour d'appel de C______ par arrêt du 4 avril 2019.

f.b Le 20 novembre 2020, A______ SA, se prévalant de décisions rendues par les juridictions administratives ukrainiennes dans l'affaire n° 7______/2017 opposant les mêmes parties (cf. infra let. i), a saisi la Cour d'appel de C______ d'une demande en révision de sa décision du 11 décembre 2018. Cette demande a été rejetée par décision de la Cour d'appel de C______ du 2 février 2021.

Par arrêt du 1er juillet 2021, la Cour suprême d'Ukraine a partiellement admis l'appel formé par A______ SA contre cette décision et renvoyé la cause à la Cour d'appel de C______ pour nouvel examen dans le sens des considérants.

Par décision du 18 octobre 2021, la Cour d'appel de C______ a une nouvelle fois rejeté la demande en révision de A______ SA.

Par arrêt du 2 juin 2022, statuant sur l'appel formé par A______ SA, la Cour suprême d'Ukraine a confirmé la décision de la Cour d'appel de C______ du 18 octobre 2021 et dit que cette décision, entrée en force de chose jugée à la date de son prononcé, n'était pas susceptible d'appel. En substance, elle a retenu que tant la CACI que la Cour d'appel de C______ avaient valablement réfuté l'argument de A______ SA selon lequel le différend l'opposant à B______ serait de nature administrative. La CACI - qui avait considéré que le contrat du 23 décembre 2014 avait pour objet la fourniture de services de nature économique - était fondée à admettre sa compétence pour connaître du litige. Les décisions rendues dans l'affaire n° 7______/2017 ne changeaient rien à cette appréciation.

g. Le 11 octobre 2022, B______ a fait notifier à A______ SA un commandement de payer, poursuite n° 2______, portant sur les sommes de 1'699'485 fr. 91 (contrevaleur de 1'734'700.33 USD) avec intérêt à 3% dès le 18 février 2017, à titre de "coût des services rendus", et de 23'388 fr. 86 (contrevaleur de 23'873.50 USD) avec intérêt à 3% dès le 17 mai 2018, à titre de remboursement des frais d'arbitrage.

Ce commandement de payer a été frappé d'opposition totale.

h. Par requête reçue au greffe du Tribunal le 17 avril 2023, B______ a conclu à ce que la sentence arbitrale du 17 mai 2018 soit reconnue et déclarée exécutoire en Suisse et, cela fait, à ce que la mainlevée définitive de l'opposition formée à la poursuite n° 2______ soit prononcée.

Elle a produit, notamment, une copie et une traduction certifiées conformes et apostillées de la sentence arbitrale du 17 mai 2018, ainsi qu'une copie et une traduction certifiées conformes et apostillées du contrat du 23 décembre 2014. Elle a également produit une copie et une traduction certifiées conformes et apostillées d'une attestation de la CACI du 8 décembre 2021 certifiant que la sentence arbitrale du 17 mai 2018 était définitive et entrée en force à la date de son prononcé.

i. Par réponse du 8 septembre 2023, A______ SA a conclu au rejet de la requête. Elle s'est opposée à l'exequatur de la sentence arbitrale du 17 mai 2018, faisant valoir que l'objet du litige n'était pas susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage. A l'appui de son écriture, elle a produit notamment :

(i) une décision du Tribunal administratif du district de la ville de C______ du 18 janvier 2018, rendue dans l'affaire n° 7______/2017 opposant les parties au sujet des tarifs appliqués en 2016 pour le transport des marchandises en transit sur sol ukrainien;

(ii) l'arrêt de la Cour suprême d'Ukraine et la décision de la Sixième Cour d'appel administrative rendus dans la même affaire les 14 mai et 6 octobre 2020;

(iii) la "déclaration d'incompétence" adressée par A______ SA à la CACI le 13 décembre 2017 dans la cause n° 1______/2017.

j. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives, après quoi le Tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC).

Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, compte tenu de l'application de la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).

Interjeté en temps utile et selon la forme prescrite, le recours est recevable.

1.2 Le recours étant instruit en procédure sommaire (art. 251 let. a; 335 al. 3 et 339 al. 2 CPC), la preuve des faits allégués doit être apportée par titres (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 a contrario et art. 58 al. 1 CPC).

1.3 Le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir violé les art. 5 ch. 2 let. a CNY et 177 LDIP en prononçant l'exequatur de la sentence arbitrale du 17 mai 2018. Elle lui reproche également d'avoir violé les art. 80 LP et 148 LDIP, faisant valoir que la créance visée par cette sentence arbitrale serait prescrite.

2.1.1 Le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition (art. 80 al. 1 LP). Lorsque la poursuite est fondée sur un jugement exécutoire, le juge ordonne la mainlevée définitive de l'opposition, à moins que l'opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu'il ne se prévale de la prescription (art. 81 al. 1 LP). Si le jugement a été rendu dans un autre Etat, l'opposant peut en outre faire valoir les moyens prévus par une convention liant cet Etat ou, à défaut d'une telle convention, prévus par la LDIP, à moins qu'un juge suisse n'ait déjà rendu une décision concernant ces moyens (art 81 al. 3 LP).

Toute décision étrangère portant condamnation à payer une somme d'argent et exécutable en Suisse selon une convention internationale ou, à défaut, selon la LDIP, constitue un titre de mainlevée définitive (ATF 139 III 135 consid. 4.5.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_276/2020 du 19 août 2020 consid. 5.2.3).

Le juge de la mainlevée doit examiner d'office si le jugement remplit les conditions de l'art. 80 LP, en particulier s'il porte condamnation au paiement d'une somme d'argent déterminée, si la prestation était exigible lors de l'introduction de la poursuite et si les trois identités - l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et le titre qui lui est présenté - sont réunies. Dans la mesure où cet examen porte sur des questions de droit matériel, il doit s'effectuer selon le droit étranger appliqué dans le jugement à exécuter. De telles questions peuvent concerner l'exigibilité de la créance, les qualités de créancier ou de débiteur, la survenance de conditions suspensives ou résolutoires, les intérêts ainsi que les moyens de défense du poursuivi (arrêt du Tribunal fédéral 5A_276/2020 précité consid. 5.2.3 et les arrêts cités). Si le poursuivi soulève des exceptions ou des objections de droit matériel, il lui incombe d'établir le contenu du droit étranger, l'art. 16 al. 1 1ère phr. LDIP ne s'appliquant pas à la procédure de mainlevée (ABBET, La mainlevée de l'opposition, 2ème éd. 2022, n. 9 ad art. 81 LP et les références citées).

Selon l'art. 148 al. 1 LDIP, le droit applicable à la créance en régit la prescription et l'extinction.

2.1.2 Les sentences rendues par les tribunaux arbitraux sont assimilées à des décisions rendues par des tribunaux étatiques (ATF 130 III 125 consid. 2).

Les décisions de tribunaux arbitraux qui n'ont pas leur siège en Suisse sont des sentences arbitrales étrangères. Comme les jugements étrangers rendus par des tribunaux étatiques, elles nécessitent d'être reconnues pour produire leurs effets en Suisse. Dans une procédure de mainlevée définitive, cette décision d'exequatur est prise à titre incident sur la base de l'art. 81 al. 3 LP. A cet effet et pour juger des exceptions recevables selon cette disposition, le juge de la mainlevée doit, en vertu de l'art. 194 LDIP, appliquer la Convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangère du 10 juin 1958 (CNY, RS 0.277.12) (ATF 135 III 136 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_409/2014 du 15 septembre 2014 consid. 4).

L'art. IV CNY pose certaines exigences de forme à respecter par la partie qui demande la reconnaissance et l'exécution d'une sentence arbitrale étrangère afin de garantir l'authenticité de la convention arbitrale et de la sentence.

L'art. V CNY énumère exhaustivement les motifs qui font échec à la reconnaissance et à l'exécution de la sentence arbitrale. Ces motifs de refus doivent être interprétés restrictivement pour favoriser l'exequatur de la sentence arbitrale. La reconnaissance de la décision étrangère constitue la règle, dont il ne faut pas s'écarter sans de bonnes raison (ATF 143 III 404 consid. 5.2.3; 135 III 136 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_409/2014 précité consid. 5.2.1). Les motifs énumérés à l'art. V ch. 1 CNY doivent être invoqués et établis par la partie qui s'oppose à l'exequatur, y compris s'agissant du contenu du droit étranger invoqué (ABBET, op. cit., n. 71 ad art. 81 LP et les références citées).

Selon l'art. V ch. 2 CNY, la reconnaissance et l'exécution d'une sentence arbitrale peuvent être refusées si l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont requises constate que, d'après la loi de ce pays, l'objet du différend n'est pas susceptible d'être réglé par la voie de l'arbitrage (let. a) ou que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence serait contraire à l'ordre public de ce pays (let. b).

Le juge de la mainlevée examine d'office les deux motifs de refus prévus à l'art. V ch. 2 CNY, à savoir le caractère non arbitrable du litige selon le droit de l'Etat dans lequel l'exécution est demandée (let. a) et la contrariété à l'ordre public (let. b) (arrêt du Tribunal fédéral 5A_910/2019 du 1er mars 2021 consid. 3.4, in JdT 2021 II 216).

En droit suisse, la question de savoir si le différend est arbitrable est réglée à l'art. 177 al. 1 LDIP, selon lequel toute cause de nature patrimoniale peut faire l'objet d'un arbitrage. On entend par là toutes les prétentions qui ont une valeur pécuniaire pour les parties, à titre d'actif ou de passif, autrement dit les droits qui présentent, pour l'une au moins de celles-ci, un intérêt pouvant être apprécié en argent (arrêt du Tribunal fédéral 4A_200/2021 du 21 juillet 2021 consid. 4.2). Ne sont en revanche pas arbitrables, d'un point de vue suisse, les droits portant sur l'état civil, les relations personnelles entre les membres d'une famille ainsi que les obligations alimentaires envers l'enfant ou le conjoint, à tout le moins si ces derniers résident en Suisse (ABBET, op. cit., n. 77-78 ad art. 81 LP et les références citées).

Le critère utilisé à l'art. 177 al. 1 LDIP dispense en principe de tenir compte des restrictions et prohibitions du droit étranger quant à l'arbitrabilité de la cause. Le Tribunal fédéral a toutefois évoqué, dans plusieurs arrêts, la possibilité de nier l'arbitrabilité de prétentions dont le traitement aurait été réservé exclusivement à une juridiction étatique par des dispositions du droit étranger qu'il s'imposerait de prendre en considération sous l'angle de l'ordre public visé par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP. Sous l'angle du droit suisse de l'exécution forcée, le Tribunal fédéral a ainsi jugé que, le for du juge de la faillite pour une action en contestation de l'état de collocation au sens de l'art. 250 LP étant d'ordre public, il n'est pas possible d'y déroger au moyen d'une convention d'arbitrage. En conséquence, la partie qui, une fois la faillite de son débiteur ouverte en Suisse, introduit une procédure d'arbitrage à l'étranger au lieu de faire valoir sa créance dans le cadre d'un procès en collocation (non arbitrable) à ouvrir devant le juge suisse du for de la faillite, doit s'attendre à un refus de la reconnaissance et de l'exécution de la sentence arbitrale étrangère en vertu de l'art. V ch. 2 let. a CNY (arrêt du Tribunal fédéral 4A_200/2021 du 21 juillet 2021 consid. 4.2 et les arrêts cités).

Il y a violation de l'ordre public lorsque la reconnaissance ou l'exécution d'une décision étrangère heurte de manière intolérable les conceptions suisses de la justice. Une décision étrangère peut être incompatible avec l'ordre juridique suisse non seulement à cause de son contenu matériel, mais aussi en raison de la procédure dont elle est issue. A cet égard, l'ordre public suisse exige le respect des règles fondamentales de la procédure déduites de la Constitution, telles que le droit à un procès équitable et celui d'être entendu. En tant que clause d'exception, la réserve de l'ordre public s'interprète de manière restrictive, spécialement en matière de reconnaissance et d'exécution de jugements étrangers, où sa portée est plus étroite que pour l'application directe du droit étranger (effet atténué de l'ordre public : arrêt du Tribunal fédéral 5A_427/2011 du 10 octobre 2011 consid. 7.1 et les arrêts cités). Il ne suffit pas que la solution retenue dans la sentence étrangère s'écarte du droit suisse ou soit inconnue en Suisse. Le contrôle du respect de l'ordre public ne doit pas conduire à réexaminer le bien-fondé de cette sentence, mais à en apprécier le résultat par comparaison. Cette exception doit être appliquée avec d'autant plus de réserve que le lien du cas d'espèce avec la Suisse est ténu ou fortuit
(ATF 126 III 101 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 4A_8/2008 du 5 juin 2008 consid. 3.1).

2.2.1 Dans un premier moyen, la recourante soutient que le Tribunal aurait dû refuser de prononcer l'exequatur de la sentence arbitrable du 17 mai 2018 en vertu de l'art. V ch. 2 let. a CNY. Au fil d'une argumentation peu claire, elle fait valoir que la créance invoquée de 1'699'485 fr. 91 découlerait "non pas de l'inexécution du contrat conclu […] le 23 décembre 2014, mais de la décision subséquente prise par la Commission tarifaire de l'intimée [quant aux tarifs appliqués en 2016 pour le transport des marchandises en transit sur le territoire ukrainien] dans le cadre de l'accomplissement de ses pouvoirs publics et de son mandat étatique". Elle en infère que le litige serait de nature administrative et, partant, relèverait de la compétence exclusive des tribunaux ukrainiens.

Ce moyen est mal fondé. Ainsi que l'a retenu le Tribunal, il ressort des titres produits que le litige porte sur le paiement des services que l'intimée a rendus à la recourante en 2016 sur la base du contrat conclu par les parties le 23 décembre 2014. La nature patrimoniale du litige doit donc être admise. Il est vrai que le Tribunal fédéral a évoqué, dans plusieurs arrêts, la possibilité de nier l'arbitrabilité de prétentions dont le traitement aurait été réservé exclusivement à une juridiction étatique par des dispositions du droit étranger qu'il s'imposerait de prendre en considération sous l'angle de l'ordre public. Cependant, en l'espèce, la recourante ne fournit aucune démonstration susceptible d'étayer son allégation péremptoire selon laquelle le droit public ukrainien prévoirait - de façon impérative - la compétence exclusive des juridictions ukrainiennes pour statuer sur les prétentions litigieuses. Il ressort au contraire des titres produits que la CACI a admis le caractère arbitrable du litige à l'aune du droit ukrainien et que les juridictions ukrainiennes (à savoir la Cour d'appel de C______ dans ses décisions des 11 décembre 2018 et 18 octobre 2021, ainsi que la Cour suprême d'Ukraine dans ses arrêts des 4 avril 2019 et 2 juin 2022; cf. supra EN FAIT let. C.f.a et C.f.b) ont elles-mêmes confirmé que le litige était de nature commerciale, quand bien même l'intimée aurait par ailleurs exercé des prérogatives de nature administrative.

A juste titre, l'intimée ne conteste pas que les exigences de forme fixées à l'art. IV CNY ont été respectées en l'espèce. C'est également à juste titre qu'elle n'invoque aucun motif de refus au sens de l'art. V ch. 1 CNY ni ne soutient que l'exequatur de la sentence arbitrale du 17 mai 2018 serait contraire à l'ordre public suisse.

Partant, c'est à bon droit que le Tribunal a reconnu et déclaré cette sentence arbitrale exécutoire en Suisse.

2.2.2 Dans un second moyen, la recourante soutient que la créance invoquée par l'intimée serait prescrite et ne pourrait faire l'objet d'aucune poursuite en Suisse. Elle se prévaut à cet égard de l'art. 463 du Code de procédure civile ukrainien (CPC-Ukraine), lequel prévoit qu'"une décision rendue par un tribunal étranger doit être mise à exécution dans un délai de trois ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la décision", et de l'art. 257 ch. 1 du Code civil ukrainien, lequel prévoit un "délai de prescription général" de trois ans.

Ce moyen est également mal fondé. Ainsi que le relève l'intimée, l'art. 463 CPC-Ukraine fixe un délai d'ordre procédural (et non matériel) pour requérir l'exécution d'une décision étrangère sur territoire ukrainien. En tant que règle de procédure interne (lex fori), cette disposition s'adresse au juge ukrainien compétent pour connaître de l'exécution d'une décision étrangère en Ukraine. L'on voit mal à quel titre cette disposition serait susceptible de s'imposer au juge suisse et de s'appliquer à l'exécution d'une sentence arbitrale ukrainienne en Suisse - ce d'autant moins que l'art. 463 CPC-Ukraine vise uniquement les "décisions rendues par un tribunal étranger" et non les sentences arbitrales étrangères. C'est également en vain que l'intimée se prévaut de l'art. 257 ch. 1 du Code civil ukrainien, lequel se limite à mentionner un "délai général" de prescription, sans préciser le point de départ (dies a quo) de ce délai. De même, l'on ignore si le droit ukrainien prévoit des "délais spéciaux" de prescription et/ou s'il prévoit des actes interruptifs (ou suspensifs) de la prescription. La recourante - à qui il appartenait d'établir le contenu du droit étranger à l'appui de l'exception soulevée (cf. supra consid. 2.1.1) - échoue donc à démontrer que la créance déduite en poursuite serait prescrite selon le droit ukrainien.

En conséquence, c'est à bon droit que le Tribunal a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée à la poursuite n° 2______, la recourante n'ayant fait valoir aucun moyen libératoire au sens de l'art. 81 al. 1 LP.

Le recours sera dès lors intégralement rejeté.

3. Les frais judiciaires du recours, y compris sur effet suspensif, seront arrêtés à 5'200 fr. (art. 26 et 38 RTFMC; art. 48 et 61 OELP), mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), et compensés avec l'avance qu'elle a fournie, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Vu l'issue du litige, la recourante sera condamnée à verser à l'intimée 5'500 fr., débours compris, à titre de dépens de recours (art. 84, 85, 89 et 90 RTFMC; art. 23 LaCC), sans la TVA compte tenu du siège ukrainien de l'intimée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_623/2015 du 3 mars 2016).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 17 juin 2024 par A______ SA contre le jugement JTPI/6979/2024 rendu le 3 juin 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/7944/2023-26 SML.

Au fond :

Le rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 5'200 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser 5'500 fr. à SOCIETE PAR ACTIONS "B______", à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.