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Décisions | Sommaires

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C/19847/2023

ACJC/748/2024 du 10.06.2024 sur OTPI/72/2024 ( SP ) , CONFIRME

Normes : CC.837
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19847/2023 ACJC/748/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU LUNDI 10 JUIN 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______, appelante contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 25 janvier 2024, représentée par
Me Julie HAUTDIDIER-LOCCA, avocate, FAIVRE & Associés, rue de la Rôtisserie 2, case postale 3809, 1211 Genève 3,

et

B______ SA, sise ______, intimée, représentée par Me Cédric LENOIR, avocat, Lenoir Delgado & Associés SA, rue des Battoirs 7, 1205 Genève.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/72/2024 du 25 janvier 2024, reçue le lendemain par A______ SA, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant sur mesures provisionnelles, a rejeté la requête en inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs formée par la précitée contre B______ SA (chiffre 1 du dispositif), révoqué en conséquence l'ordonnance superprovisionnelle rendue le 29 septembre 2023 dans la présente cause (ch. 2), dit que les chiffres 1 et 2 précités ne seraient exécutoires, en cas d'appel, que pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé (ch. 3), arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr., mis à la charge de A______ SA et compensés avec l'avance fournie par celle-ci (ch. 4), condamné A______ SA à payer à B______ SA la somme de 2'216 fr. TTC à titre de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

B. a. Par acte expédié le 5 février 2024 à la Cour de justice, A______ SA a formé appel contre cette ordonnance, requérant préalablement l'octroi de l'effet suspensif, lequel a été accordé par décision de la Cour du 12 février 2024.

Elle a conclu, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance attaquée et, cela fait, à ce que l'inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs soit ordonnée en sa faveur sur l'immeuble propriété de B______ SA sis chemin 1______ no. ______, parcelle de base 2______, feuillet 3______ (parcelle 2______-3______) de la commune de C______ [GE], pour un montant de 13'944 fr. 45 plus intérêts à 5% l'an dès le 12 juillet 2023, à ce qu'un délai de trois mois lui soit imparti pour ouvrir action au fond et à ce qu'il soit dit que l'inscription provisoire resterait valable jusqu'à l'expiration de ce délai, ou, en cas d'action au fond, jusqu'à l'échéance d'un délai de 60 jours après l'entrée en force du jugement au fond. Subsidiairement, elle a conclu au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants et, plus subsidiairement, en cas de rejet de son appel, à ce que l'inscription soit maintenue pendant 30 jours afin de lui permettre d'obtenir l'effet suspensif auprès du Tribunal fédéral.

Elle a produit une pièce nouvelle.

b. B______ SA a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation de l'ordonnance entreprise, sous suite de frais et dépens.

Elle a produit des pièces nouvelles.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. La cause a été gardée à juger le 28 mars 2024, ce dont les parties ont été avisées le même jour.


 

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______ SA, sise à D______ [GE], a pour but la collecte, le traitement et la valorisation de déchets de chantier, l'exploitation d'installations de valorisation de déchets de chantier, ainsi que l'exploitation d'une entreprise de transport de bennes de chantier, multi-benne et multi-lift.

b. Le bien-fonds n° 2______ de la commune de C______ - sur lequel est érigée une maison d'habitation à deux logements, sise chemin 1______ no. ______, [code postal] C______ - est soumis au régime de la propriété par étage (ci-après : PPE) et constitué des parts PPE n° 2______-3______, 2______-4______, 2______-5______ et 2______-6______.

B______ SA (anciennement E______ SA) est propriétaire de la part PPE n° 2______-3______, représentant 272/1000èmes du bien-fonds n° 2______.

F______ et G______ sont copropriétaires à tout le moins d'une des parts PPE susvisées.

c. Le 7 mars 2022, B______ SA a déposé auprès de l'Office de l'urbanisme une demande d'autorisation de construire n° DD 7______ portant sur l'aménagement du rez-de-chaussée, le remplacement d'une pergola et l'installation d'une pompe à chaleur sur la "parcelle 2______, feuille 3______, commune de C______".

L'autorisation requise a été octroyée à B______ SA le 4 novembre 2022.

Les travaux de maçonnerie et de gros œuvre visés par cette autorisation ont été confiés à H______ SA. Celle-ci a sous-traité une partie de ces travaux à I______ SARL.

A une date indéterminée, cette dernière a sous-traité à A______ SA les travaux d'évacuation des déchets de chantier sur la parcelle précitée.

d. Entre mars et juin 2023, A______ SA a adressé à I______ SARL les factures suivantes, pour un montant total de 13'944 fr. 45, TVA incluse :

- facture n° 8______ du 31 mars 2023 d'un montant de 7'166 fr. 35 - à laquelle étaient joints onze bulletins de livraison et onze bons de transport - en lien avec le "transport de bennes", la "décharge" de terre et de déchets de type B, ainsi que d'autres prestations non spécifiées concernant divers déchets (déblais terreux, terre, déchets encombrants à incinérer, déchets de type B); sur les bons de transport, les prestations fournies étaient décrites comme suit : "vider ramener", "changement de benne" et "enlèvement de benne".

- facture n° 9______ du 30 avril 2023 d'un montant de 1'510 fr. 50 - à laquelle étaient joints huit bulletins de livraison et un bon de transport - en lien avec le "transport de bennes", la "décharge" de déchets de type B, ainsi que d'autres prestations non spécifiées concernant des déchets de type B; sur le bon de transport, la prestation fournie était décrite comme suit : "enlèvement de benne".

- facture n° 10______ du 31 mai 2023 d'un montant de 2'790 fr. 50 - à laquelle étaient joints huit bulletins de livraison et quatre bons de transport - en lien avec le "transport de bennes", la "décharge" de terre et de déchets de type B, ainsi que d'autres prestations non spécifiées concernant divers déchets (bois de démolition, déchets mélangés à trier, déblais terreux, terre, déchets de type B); sur les bons de transport, les prestations fournies étaient décrites comme suit : "vider ramener" et "changement de benne".

- facture n° 11______ du 12 juin 2023 d'un montant de 2'477 fr. 10 - à laquelle étaient joints cinq bulletins de livraison et cinq bons de transport - en lien avec le "transport de bennes", la "décharge" de terre, ainsi que d'autres prestations non spécifiées concernant des déblais terreux et de la terre; sur les bons de transport, les prestations fournies étaient décrites comme suit : "vider ramener".

e. Par courriers des 19 juin et 5 juillet 2023, A______ SA a sommé I______ SARL de lui payer les quatre factures susvisées, sans succès.

Le 31 août 2023, la première a fait notifier à la seconde un commandement de payer, poursuite n° 12______, portant sur montant total de 15'372 fr. 80, incluant les montants réclamés dans les factures susvisées. Ce commandement de payer n'a pas été frappé d'opposition.

Le 7 novembre 2023, A______ SA a fait notifier à I______ SARL une commination de faillite dans la poursuite susvisée.

Le 22 janvier 2024, elle a requis la faillite de cette société devant le Tribunal.

f. Dans l'intervalle, par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 septembre 2023, A______ SA a requis, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, l'inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs sur l'immeuble propriété de B______ SA sis chemin 1______ no. ______, parcelle de base 2______, feuillet 3______ (parcelle 2______-3______) de la commune de C______, à concurrence de 13'944 fr. 45 plus intérêts à 5 % l'an dès le 12 juillet 2023.

Elle a allégué avoir été engagée par I______ SARL, en tant que sous-traitante, pour "évacuer, traiter et valoriser les déchets" issus du chantier. "Dite évacuation de déchets n'inclu[ait] pas seulement la mise à disposition de bennes ou le transport de bennes, mais également le traitement des déchets contenus dans lesdites bennes qui [avaient] été remplies sans aucune différentiation". Elle avait en particulier assuré le tri et la gestion des différents déchets à évacuer (déblais terreux, terre, déchets encombrants à incinérer, bois de démolition, etc.) en vue de leur destruction ou de leur recyclage/revalorisation, conformément aux normes de droit public applicables. Il s'agissait de travaux essentiels pour permettre au chantier d'avancer et, notamment, de procéder à l'aménagement du rez-de-chaussée de la maison, au remplacement de la pergola et à l'installation d'une pompe à chaleur. Les travaux avaient pris fin le 2 juin 2023, "lors de la livraison, [du] retrait et [du] traitement de la dernière benne qui concernait des déblais terreux et de la terre".

g. Par ordonnance du 29 septembre 2023, le Tribunal a fait droit à la requête de mesures superprovisionnelles.

Le même jour, l'hypothèque légale a été inscrite provisoirement au Registre foncier.

h. Dans sa réponse du 10 novembre 2023, B______ SA a conclu au rejet de la requête. Elle a allégué que les travaux de gros œuvre et de maçonnerie faisant l'objet de l'autorisation de construire n° DD 7______, en particulier les travaux d'excavation et d'évacuation des terres, avaient été réalisés sur une partie commune de la parcelle n° 2______, feuillet n° 3______. H______ SA avait conclu deux contrats d'entreprise, l'un avec B______ SA, à concurrence de sa quote-part de PPE, et l'autre avec F______ et G______, à concurrence de leur quote-part de PPE. Les travaux d'excavation et d'évacuation des terres avaient été sous-traités à I______ SARL. Celle-ci avait fait appel aux services de A______ SA pour la livraison de bennes vides sur le chantier, ainsi que le retrait de celles-ci, hors du chantier, une fois remplies de déchets. Entre mars et juin 2023, A______ SA avait livré et retiré un certain nombre de bennes de chantier. Ces bennes étaient directement remplies de déchets terreux par I______ SARL, A______ SA ne s'occupant que du transport desdites bennes, vides à l'aller et remplies au retour.

Vu que les travaux avaient été effectués au bénéfice d'une partie commune de la PPE, B______ SA ne disposait pas de la légitimation passive. A______ SA aurait dû diriger sa requête contre l'ensemble des propriétaires concernés, qui étaient des consorts nécessaires. Par ailleurs, dans la mesure où elle n'avait procédé qu'au simple transport de matériaux, A______ SA n'avait pas effectué de travaux pouvant faire l'objet d'une hypothèque légale au sens de l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC. Enfin, l'inscription avait été obtenue plus de quatre mois après l'achèvement des travaux pour deux des quatre factures litigieuses.

i. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

A______ SA a fait valoir que l'ensemble des prestations fournies formait une unité qui avait pris fin le 2 juin 2023. Son activité - qui avait été réalisée sur la seule parcelle de B______ SA - ne s'était pas limitée à l'évacuation des déchets du chantier, mais également à leur gestion (tri, traitement, valorisation), ce qui relevait d'une tâche manuelle et spécifique au chantier litigieux.

B______ SA a produit deux courriels adressés par son administrateur à F______ les 3 et 29 mars 2023, avec leurs annexes (tableau de répartition des coûts, échéancier de paiement), concernant le coût de différents "travaux à charge de la PPE"; l'un de ces courriels fait notamment référence aux travaux de maçonnerie et de terrassement effectués par H______ SA, lesquels sont désignés comme étant des "travaux communs à charge de la PPE".

j. Le Tribunal a gardé la cause à juger le 7 décembre 2023.

k. Dans la décision attaquée, le Tribunal a retenu qu'aucune des pièces produites ne permettait de déterminer avec exactitude, sans investigations complémentaires, les parties de l'immeuble ayant effectivement bénéficié des prestations de A______ SA. Les titres produits par B______ SA, en particulier le courriel du 3 mars 2023 à l'attention de F______, rendaient toutefois vraisemblable l'hypothèse selon laquelle les prestations effectuées par A______ SA avaient, à tout le moins en partie, bénéficié aux parties communes de la PPE. La question de savoir si B______ SA avait été assignée valablement pouvait néanmoins rester indécise, la requête devant quoi qu'il en soit être rejetée pour un autre motif. En effet, à teneur des factures, bulletins de livraison et bons de transport produits, les prestations de A______ SA s'étaient limitées au transport des bennes ainsi qu'à l'évacuation et au traitement des déblais et déchets présents sur le chantier. La requérante n'alléguait pas ni ne rendait vraisemblable qu'elle aurait déployé une activité d'une autre nature sur la parcelle litigieuse. Or, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le traitement et la valorisation des déchets issus du chantier auxquels A______ SA avait procédé, en sus de l'évacuation et du transport des bennes, ne donnaient pas droit à l'inscription d'une hypothèque légale.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC), lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, l'appel a été interjeté en temps utile, selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1 et 311 al. 1 CPC) et porte sur des conclusions supérieures à 10'000 fr.

Il est donc recevable.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). La requête en inscription provisoire d'une hypothèque légale étant soumise à la procédure sommaire (art. 248 let. d et 249 let. d ch. 5 CPC), elle peut s'en tenir à la vraisemblance des faits allégués et à un examen sommaire du droit (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb, JdT 2002 I 352; arrêt du Tribunal fédéral 5A_297/2016 du 2 mai 2017 consid. 2.2).

Le procès est soumis à la maxime des débats (art. 55 cum 255 CPC a contrario) et au principe de disposition (art. 58 al. 1 CPC).

1.3 Les parties ont produit des pièces nouvelles devant la Cour.

1.3.1 Aux termes de l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

Ces conditions sont cumulatives. S'agissant des vrais nova ("echte Novem"), la condition de nouveauté posée par la lettre b est sans autre réalisée et seule celle d'allégation immédiate doit être examinée. En ce qui concerne les pseudo nova ("unechte Noven"), à savoir les faits et moyens de preuves qui étaient déjà survenus à la fin de l'audience des débats principaux de première instance, il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d'appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1).

Si les moyens de preuve nouvellement offerts se rapportent à des faits survenus avant la clôture de la procédure probatoire de première instance, il ne suffit pas, pour considérer que la condition de l'art. 317 al. 1 CPC est remplie, que la partie intéressée les ait obtenus ensuite, ni qu'elle affirme, sans le démontrer, qu'elle n'y a pas eu accès auparavant, ou qu'elle ne pouvait pas se rendre compte de la nécessité de les produire antérieurement (arrêt du Tribunal fédéral 5A_86/2016 du 5 septembre 2016 consid. 2.2). La recevabilité de nova dont la survenance dépend de la volonté des parties s'apprécie selon qu'ils auraient pu ou non être présentés auparavant en faisant preuve de la diligence requise (ATF 146 III 416 consid. 5.3).

1.3.2 En l'espèce, la pièce nouvelle produite par l'appelante est recevable, dès lors qu'elle porte sur un fait survenu postérieurement au 7 décembre 2023, date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger.

Les pièces produites par l'intimée sont irrecevables, dès lors qu'elles portent sur des faits survenus avant le mois de décembre 2023, sans que l'intimée n'explicite en quoi elle aurait été empêchée de s'en prévaloir dans le cadre de la procédure de première instance.

2. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir rejeté sa requête au motif que les travaux réalisés par ses soins ne donnaient pas droit à l'inscription d'une hypothèque légale. Elle fait valoir que son activité ne s'est pas résumée à évacuer et transporter les déchets du chantier, mais également à en assurer la gestion (tri, traitement et valorisation) conformément aux exigences cantonales et fédérales en la matière.

2.1 A teneur de l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC, peuvent requérir l'inscription d'une hypothèque légale, les artisans et entrepreneurs employés à la construction ou à la destruction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages, au montage d'échafaudages, à la sécurisation d'une excavation ou à d'autres travaux semblables, sur l'immeuble pour lequel ils ont fourni des matériaux et du travail ou du travail seulement, que leur débiteur soit le propriétaire foncier, un artisan ou un entrepreneur, un locataire, un fermier ou une autre personne ayant un droit sur l'immeuble.

La précision selon laquelle l'hypothèque légale s'étend aux travaux de destruction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages et au montage d'échafaudages, à la sécurisation d'une excavation ou à d'autres travaux semblables a été introduite par la révision du Code civil relative aux droits réels immobiliers et au registre foncier (FF 2007 5015, FF 2009 7943), entrée en vigueur le 1er janvier 2012.

La jurisprudence antérieure à cette révision a rappelé, à plusieurs reprises, que l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC reposait sur l'idée que la plus-value d'un bien-fonds résultant de la construction devait garantir les créances des artisans et entrepreneurs qui avaient contribué à l'augmentation de la valeur par leurs prestations. Du moment que le résultat de leur travail sur le bâtiment ou un autre ouvrage sur un immeuble devenait partie intégrante de celui-ci en vertu des règles des droits réels, la créance en rémunération de ce travail ne pouvait pas être garantie autrement que par un droit de gage sur cet immeuble. En revanche, celui qui fournissait des choses fongibles qu'il avait fabriquées lui-même ne profitait pas de l'hypothèque légale; il pouvait se prémunir contre l'insolvabilité de son partenaire contractuel en refusant de livrer et conservait la possibilité de disposer autrement de la marchandise. Deux exceptions avaient été apportées à ces règles issues des droits réels en étendant la garantie, d'une part, à l'artisan-entrepreneur qui fournissait des choses fabriquées spécialement pour l'immeuble et qui étaient ainsi difficilement utilisables, voire inutilisables, ailleurs et, d'autre part, à l'artisan-entrepreneur qui effectuait des prestations mixtes, à savoir à la fois des prestations non typiques et typiques protégées par l'hypothèque, en lui permettant d'inscrire l'hypothèque pour la totalité des travaux découlant d'un "seul travail spécifique" formant une unité (ATF
149 III 451 consid. 5.2.1 et les arrêts cités).

En mentionnant les travaux de destruction et de sécurisation, ainsi que le montage d'échafaudages, la teneur actuelle de l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC élargit le champ d'application de l'hypothèque légale par rapport aux principes jurisprudentiels précités, en permettant son inscription à des travaux qui sont dépourvus de rattachement physique définitif à l'immeuble et qui, s'agissant plus particulièrement du montage d'échafaudages, ont pour objet une chose mobilière qui n'est pas définitivement intégrée au sol et dont les éléments peuvent être réutilisés. La nécessité que les travaux fournis entraînent une plus-value ou que leur résultat se rattache durablement à l'immeuble en vertu du principe de l'accession s'en trouve ainsi relativisée (ATF 149 III 451 consid. 5.2.2 et les références citées).

Dans l'arrêt prononcé le 6 avril 2023, publié aux ATF 149 III 451, le Tribunal fédéral a retenu ce qui suit : "Au regard des travaux parlementaire […] il n'apparaît […] pas que le législateur ait voulu modifier le fondement de l'hypothèque légale en élargissant sans limites les travaux couverts, mais a souhaité étendre ponctuellement cette couverture, par rapport à la jurisprudence restrictive du Tribunal fédéral, à certains types de travaux de construction, qui sans être intégrés à l'ouvrage en tant que tel, participent au processus global de construction et sont indispensables à celui-ci. Il ressort de la doctrine que les travaux doivent revêtir les trois caractéristiques suivantes: (1) il doit s'agir de prestations de construction ou de destruction typiques, (2) qui doivent rester des prestations physiques manuelles et/ou mécaniques, à l'exclusion de prestations intellectuelles ou immatérielles, et (3) qui, si elles n'ont pas à être intégrées ou rattachées durablement à l'ouvrage en tant que tel, doivent être spécifiques à celui-ci, en ce sens qu'elles doivent présenter un lien fonctionnel direct et immédiat avec la réalisation individuelle de l'ouvrage et doivent, à ce titre, être difficilement ou pas réutilisables. […]

Ainsi, comme sous l'ancien droit, la fourniture de matériaux de construction ne bénéficie de l'hypothèque légale que pour autant que ces matériaux aient été fabriqués spécialement pour l'immeuble en cause et spécialement déterminés […]. Tel est en particulier le cas de la fabrication et livraison du béton frais pour la construction d'un immeuble […] ou de fers à béton spécialement façonnés […]. En revanche, le (simple) transport de matériaux - y compris les travaux de chargement et de déchargement pour le transport […] - ou encore la livraison de matériaux de construction non spécialement confectionnés pour un ouvrage déterminé ne donnent pas lieu à cette sûreté réelle […]. L'entrepreneur ayant livré des matériaux qui, pris isolément, ne peuvent pas donner lieu à l'hypothèque légale, peut néanmoins bénéficier de celle-ci si ces matériaux forment une unité avec d'autres qui, eux, donnent lieu à l'hypothèque […]. Il en découle que les prestations d'évacuation et d'élimination de déblais ou de gravats de chantier ne donnent en principe pas droit à l'inscription d'une hypothèque légale, à moins de former une unité fonctionnelle avec les travaux effectués par la même entreprise pour la construction d'un ouvrage […]. Tel sera assurément le cas si les gravats sont débarrassés par l'entreprise qui a elle-même procédé aux travaux de démolition" (consid. 5.2.5 et 5.2.6 et les références citées).

2.2 En l'espèce, il ressort des pièces versées au dossier, en particulier des factures, des bulletins de livraison et des bons de transport émis par l'appelante de mars à juin 2023, que l'activité de cette dernière sur la parcelle litigieuse a consisté à évacuer les différents déchets issus du chantier, ou, plus exactement, (ii) à mettre des bennes à disposition de I______ SARL, celle-ci se chargeant de les remplir au fur et à mesure de l'avancée des travaux d'excavation, et (ii) à transporter les bennes pleines hors du chantier, à les vider, puis à les ramener vides sur le chantier. Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, il ne résulte pas desdites pièces que l'appelante aurait assuré - en sus - un travail spécifique de gestion (tri, traitement, valorisation) des déchets. Ainsi que le relève l'intimée, les factures et les bons de transport mentionnent uniquement des prestations de "transport de bennes" et de "décharge" de certains déblais ou gravats (terre, déchets de type B), tandis que les bulletins de livraison se limitent à décrire la nature des déchets à évacuer (bois de démolition, déblais terreux, terre, déchets de type B, etc.). Ces activités constituent tout au plus des prestations de transport, d'évacuation et d'élimination de déblais ou de gravats de chantier.

Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, de telles prestations ne donnent pas droit à l'inscription d'une hypothèque légale, à moins de former une unité fonctionnelle avec les travaux effectués par la même entreprise pour la construction de l'ouvrage.

Tel n'est pas le cas en l'espèce. Il n'est en effet pas contesté que l'appelante n'a pas elle-même procédé à des travaux de démolition sur la parcelle litigieuse, l'ensemble des travaux de terrassement et d'excavation ayant été réalisés par des sociétés tierces (H______ SA et I______ SARL).

Il suit de là que les prestations fournies par l'appelante ne réalisent pas les conditions de l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC et ne donnent pas droit à l'inscription d'une hypothèque légale. En conséquence, c'est à bon droit que le Tribunal a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée par l'appelante.

Au vu de ce qui précède, l'ordonnance attaquée sera confirmée.

3. Conformément à la conclusion subsidiaire de l'appelante, qui risque de subir un préjudice difficilement réparable en ce sens que l'hypothèque légale, dont le délai d'inscription est de nature péremptoire, risque d'être radiée sans qu'elle ne puisse par la suite requérir sa réinscription (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5P.344/2005 du 23 décembre 2005 consid. 3.1), le présent arrêt ne sera exécutoire qu'après l'expiration du délai de recours auprès du Tribunal fédéral et, en cas de recours, pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé (art. 315 al. 5 CPC).

4. Les frais judiciaires d'appel, comprenant l'émolument de décision sur effet suspensif, seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 26 et 37 RTFMC), mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), et compensés avec l'avance fournie par celle-ci, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelante sera, en outre, condamnée aux dépens d'appel de sa partie adverse, fixés à 1'500 fr., débours et TVA compris (art. 85, 88 et 90 RTFMC).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 5 février 2024 par A______ SA contre l'ordonnance OTPI/72/2024 rendue le 25 janvier 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19847/2023.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Dit que le présent arrêt ne sera exécutoire qu'après l'expiration du délai de recours auprès du Tribunal fédéral et, en cas de recours, pour autant que l'effet suspensif n'ait pas été accordé.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance fournie par celle-ci, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser 1'500 fr. à B______ SA à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.