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C/9/2023

ACJC/656/2024 du 22.05.2024 sur OTPI/146/2023 ( SP ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/9/2023 ACJC/656/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 22 MAI 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, Espagne et B______ S.L. sise ______, Espagne, appelants d'une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 28 février 2023, représentés par Me Elvira GOBET-CORONEL, avocate, rue de Lausanne 91, case postale 267, 1701 Fribourg,

et

Madame C______, domiciliée ______, Italie, intimée, représenté par
Me Shelby DU PASQUIER et Me Miguel OURAL, avocats, Lenz & Staehelin, route de Chêne 30, 1211 Genève 6.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/146/2023 du 28 février 2023, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a fait interdiction à E______ SA [ventes aux enchères], succursale de Genève, de se dessaisir de la croix taillée d'une D______ [pierre précieuse] de 45.02 carats, de 4 cm de long, en mains de A______ ou B______ S.L. (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 3'000 fr., mis à la charge de A______ et B______ S.L., conjointement et solidairement, compensés avec l'avance de frais fournie par C______ (ch. 2), condamné A______ et B______ S.L à verser à C______ la somme de 3'000 fr. (ch. 3), condamné A______ et B______ S.L à verser à C______ la somme de 1'500 fr. TTC à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions.

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 22 mars 2023, A______ et B______ S.L. (ci-après: les appelants) forment appel contre cette ordonnance, qu'ils ont reçue le 13 mars 2023, concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.

b. Par réponse du 15 janvier 2024, C______ (ci-après: C______ ou l'intimée) a conclu au rejet de l'appel, sous suite de frais et dépens.

Elle a produit des pièces nouvelles, soit des actes des procédures pendantes entre les parties (demande d'attribution de la propriété [C/1______/2021] et action en revendication [C/2______/2022]).

c. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 26 février 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits suivants ressortent de la procédure.

a. C______, de nationalité italienne, est la ______ des souverains d’Espagne F______ et G______. Longtemps domiciliée en Suisse, elle vit à H______ [Italie] depuis 2015.

Elle allègue être propriétaire d'une croix taillée dans une seule D______ de 45.02 carats de 4 centimètres de long (ci-après : la croix), anciennement détenue par la couronne d'Espagne. Elle l'aurait reçue de son beau-père, I______, en 1984 ou 1985, à l'occasion de la naissance d'une de ses filles (nées en 1984 et 1985). La croix, qui se trouvait dans son bagage en soute, lui aurait été dérobée le 22 novembre 1989 lors d'un trajet en avion entre Genève et J______ [France]. La croix figure depuis 1993 dans la base de données The Art Loss Register diffusée par Interpol.

b. A______, de nationalité espagnole, est un bijoutier domicilié en Espagne. Il allègue avoir hérité la croix de son père, également bijoutier.

c. Selon reçu du 27 novembre 2015, A______ a remis la croix, estimée entre 450'000 et 650'000 €, à E______, L______ (Espagne).

d. Dans un courrier du 2 février 2017 à E______ SA, succursale de Genève, soit pour elle M______, l’avocat de C______, a fait référence à une conversation que le précité aurait eu avec sa mandante, à propos de la croix qui devait faire l'objet d'une vente aux enchères en mai 2017. Il a confirmé que C______ était propriétaire de la croix et demandait que celle-ci soit retirée de la vente et conservée par E______ SA.

e. Le 16 février 2017, C______ a déposé plainte pénale à Genève à l'encontre de A______ pour recel et blanchiment d'argent.

Le 23 février 2017, le Ministère public a ordonné le séquestre de la croix en mains de E______ SA.

f. Le 15 novembre 2019, le Ministère public a rendu une ordonnance pénale à l'encontre de A______, le reconnaissant coupable de tentative de recel, pour avoir, entre fin 2015 et le courant du mois de janvier 2017, cherché à faire vendre par E______ SA, la croix taillée d'une seule D______ de 40,02 carats, provenant à l'origine des joyaux de la couronne d'Espagne, dont il savait ou devait présumer qu'un tiers l'avait obtenue au moyen d'une infraction contre le patrimoine. Il a considéré que malgré sa qualité de commerçant professionnel, A______ ne disposait d'aucun document permettant d'attester qu'il était le légitime propriétaire de la croix. Ses explications n'étaient absolument pas crédibles au vu de la très grande valeur historique et pécuniaire du bijou concerné, et compte tenu du fait que celui-ci figurait dans The Art Loss Register, ce qu'il ne pouvait ignorer au vu de sa profession.

A______ a formé opposition à cette ordonnance de sorte que la cause a été transmise au Tribunal de police.

Lors de l'audience devant le Tribunal de police du 15 juin 2021, A______ a exposé avoir conclu un contrat de vente avec son père, portant sur la croix, daté du 10 décembre 1994, sans prix, puisqu'il était prévu qu'il donne celle-ci à son épouse. Il a notamment déclaré que son père détenait cette croix depuis bien avant 1994, sans qu'il puisse donner de date. Il ignorait dans quelles circonstances celui-ci l'avait acquise. Il avait expliqué précédemment avoir hérité de la croix de son père, pour ne pas avoir à partager avec ses frères et sœurs. C'est par son travail à la bijouterie de son père qu'il avait payé la croix.

Par ordonnance du 28 septembre 2021, le Tribunal de police a classé la procédure dirigée contre A______ pour défaut de compétence des autorités pénales suisses et pour cause de prescription, ordonné la levée du séquestre portant sur la croix et sa restitution à C______, pour autant qu'aucune action civile n'ait été ouverte dans le délai imparti aux autres réclamants. Il a notamment retenu que C______ "était la propriétaire légitime de l'D______ en forme de croix au moment du vol de celle-ci en novembre 1989" et que A______ avait "tenté de cacher les réelles circonstances de l'acquisition de cette croix".

Par arrêt ACPR/302/2022 du 2 mai 2022, la Chambre pénale de recours a confirmé la levée du séquestre pénal mais a ordonné la restitution de la croix à A______, retenant qu'il était plus légitime à obtenir la restitution du bijou dès lors qu'il en avait eu la possession plus longtemps que C______. La Cour a retenu que la prémisse selon laquelle l'acquisition originelle de la croix était entachée de mauvaise foi ne pouvait être suivie. Seul demeurait établi que le prévenu avait possédé la pierre durant plus de vingt ans avant son séquestre, en son nom ou par le biais de B______, société dont il était admis qu'il était l'unique administrateur. Il avait ainsi détenu la pierre plus longtemps que la plaignante, qui avait déclaré l'avoir reçue de son beau-père entre 1983 ou 1984 et qui l'aurait perdue en 1989. Cette possession du prévenu, nonobstant l'historique du bijou et ses rattachements à la famille de la plaignante, ne pouvait pas être niée et devait, au contraire, conduire l'autorité intimée, par le jeu de la présomption instituée par l'art. 930 CC, à considérer – prima facie et sans trancher la question sur le fond – le prévenu comme le plus légitime à se voir restituer le bijou.

Statuant sur la question de savoir si les frais devaient être mis à la charge de A______, la Cour a notamment relevé que tant le prévenu que sa sœur avaient soutenu que leur père avait acheté le bijou à un marchand. L'absence de document à cet égard ne pouvait suffire à jeter des soupçons sur le bien-fondé de cette transaction et établir la mauvaise foi du fils. Les explications de celui-ci avaient certes été décousues au fil de la procédure. Cela ne permettait pas encore d'en tirer la conclusion qu'il couvrirait de la sorte un comportement illégal. Le temps écoulé depuis certains faits – remontant à presque trente ans – pouvait expliquer une mémoire chancelante sur certains points, tout comme des considérations familiales, notamment successorales, pouvaient expliquer certaines réticences ou contradictions du prévenu au moment de faire état des circonstances dans lesquelles il avait obtenu la croix. Il apparaissait, par ailleurs, délicat d'imputer au prévenu, bijoutier professionnel, une intention délictuelle du simple fait que, eu égard aux particularités de la croix, présentant manifestement une grande valeur, il n'aurait pas été en mesure d'établir une traçabilité de son origine. De telles démarches n'avaient pas été requises par les entités intervenues pour estimer (N______), ou modifier (O______) la croix. Surtout, ni E______ au moment de la recevoir, ni P______ au moment de l'authentifier, n'avaient envisagé l'éventualité que cette D______ pouvait avoir été volée (alors même que sa disparition était inscrite dans le "Art Loss Register"). On peinait à comprendre quel reproche subsistait à l'encontre du prévenu et permettrait de remettre en cause sa bonne foi. En conséquence, il n'y avait donc pas lieu de condamner le prévenu aux frais de la procédure, lesquels devaient donc être mis à la charge de l'État.

Le recours formé par C______ a été déclaré irrecevable par arrêt du Tribunal fédéral 6B_738/2022 du 6 décembre 2022, de sorte que l'arrêt de la Chambre pénale de recours est entré en force.

g. Entre temps, le 3 novembre 2021, A______ a formé une requête de conciliation à l'encontre de C______ tendant à ce que le Tribunal constate qu'il est le légitime propriétaire de la croix et à ce qu'il soit dit que C______ doit la lui restituer (C/1______/2021).

Le 2 juin 2022, C______ a formé une requête de conciliation, à l'encontre de A______ et B______ S.L., concluant à ce que le Tribunal constate qu'elle était la propriétaire de la croix et ordonne à ces derniers de la lui restituer (C/2______/2022).

Ces deux procédures ont été suspendues, dans l'attente de l'issue de la procédure pénale, puis reprises; des autorisations de procéder ont été délivrées.

Le 11 août 2023, le Tribunal a été saisi d'une action en revendication et d'une action mobilière contre l'acquéreur de bonne foi par C______ (C/2______/2022).

Le 14 août 2023, A______ a saisi le Tribunal d'une demande d'attribution de la propriété, concluant à ce que celui-ci constate qu'il était le légitime propriétaire de la croix (C/1______/2021).

Ces deux procédures sont en cours au Tribunal.

h. Par acte du 3 janvier 2023, C______ a formé une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles tendant à ce que le Tribunal fasse interdiction à E______ SA, succursale de Genève, sous la menace de la peine prévue à l'article 292 CP, de se dessaisir de la croix en mains de A______, B______ S.L. ou en mains de quiconque prétendrait avoir un droit de propriété sur la croix (C/9/2023).

Elle a produit, à l'appui de sa requête, les pièces suivantes :

-       une note, non datée, signée de la reine G______, retraçant l'histoire de la croix, dont il ressort que celle-ci (appartenant aux bijoux de la famille royale espagnole) aurait été donnée par Q______ reine d'Espagne à l'impératrice R______ (épouse de S______, empereur des Français), qui l'aurait à son tour offerte à G______, laquelle l'aurait léguée par testament à sa fille, la princesse T______, sa propre mère, qui la lui aurait donnée. Elle l’avait ensuite vendue à un tiers;

-       un reçu, daté du 5 mars 1981, portant une signature inconnue, "en règlement de la croix une D______ faisant l'objet de la lettre de la Reine G______, la somme de $ 800'000 dollars". C______ soutient qu'il s'agirait de la preuve d'achat, par son beau-père, de la croix à son propriétaire de l'époque;

-       des photographies, non datées, d'elle-même portant ladite croix, ainsi qu'une photo de celle-ci;

-       une "circulaire de recherche n°3______", du 29 décembre 1989, émise par l'Office central pour la répression du vol d'œuvres et objets d'art, rattaché au Ministère de l'intérieur français, faisant état du vol de la croix le 22 novembre 1989 entre Genève et J______.

-       un certificat, daté du 22 février 1990 de dépôt de plainte par C______ le 24 novembre 1989 pour le vol d'une croix en D______ de 45,02 carats (…).

i. Par ordonnance du 3 janvier 2023, le Tribunal, statuant sur mesures superprovisionnelles, a fait interdiction à E______ SA, succursale de Genève, de se dessaisir de la croix en mains de A______, de B______ S.L. ou de quiconque prétendrait avoir un droit de propriété sur ladite croix.

Dans leurs déterminations du 2 février 2023, A______ et B______ S.L. ont conclu au rejet de la requête. En substance, ils ont affirmé que A______ était le possesseur de la croix depuis 1994, qu'il avait reçue de son père.

Ils ont produit les pièces suivantes :

-       Un contrat de vente de la croix entre A______ et U______ (père du précité), du 10 décembre 1994, sans mention d'aucun prix.

-       deux estimations de la valeur de la croix par N______, du 3 octobre 2008 (98'500 €) et du 5 juin 2014 (100'750 €), adressées à A______;

-       une attestation de dépôt de la croix auprès de la société O______ SL du 15 décembre 2009, adressée à B______ S.L. et A______;

-       un récépissé de la croix par E______ L______, du 29 janvier 2015, au nom de A______.

A l'audience du 6 février 2023, C______ a persisté dans ses conclusions et a conclu à l'irrecevabilité des déterminations de A______ et B______ S.L. du 3 février 2023.

Ces derniers ont conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

D. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal, après avoir jugé qu'il n'y avait pas lieu de déclarer irrecevables les déterminations des intimés [du 2 février 2023], a retenu que l'acquisition de la propriété de la croix par chacune des parties, laquelle aurait fait l'objet de maintes donations, apparaissait opaque. A ce stade de la procédure, les faits allégués par C______ étaient toutefois rendus suffisamment vraisemblables pour admettre qu'elle était propriétaire de ce bijou avant sa disparation en novembre 1989 et qu'elle disposait d'une prétention en revendication à l'encontre de A______ et B______ S.L. Par ailleurs, compte tenu de la levée du séquestre pénal, l'urgence à prononcer les mesures requises était rendue vraisemblable. Le risque d'un préjudice difficilement réparable devait également être admis dès lors qu'il serait extrêmement difficile pour C______ de retrouver la croix si celle-ci devait être restituée à A______ et B______ S.L., lesquels souhaitaient la vendre. Enfin, la mesure requise était proportionnée en tant qu'elle visait A______ et B______ S.L. Il n'y avait toutefois pas lieu de prononcer cette mesure à l'encontre de "quiconque prétendrait avoir un droit de propriété sur ladite croix".

EN DROIT

1. 1.1 L'ordonnance querellée constitue une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC) susceptible de faire l'objet d'un appel pour autant que la valeur litigieuse au dernier état des conclusions prises devant l'autorité de première instance atteigne 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CO).

En l'espèce, la valeur litigieuse correspond à la valeur de la croix taillée visée, supérieure à 10'000 fr. de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 L'appel a été formé dans le délai utile de 10 jours (art. 142 al. 1, 248 let. d et 314 al. 1 CPC) et respecte les exigences de forme prescrites par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC). Il est par conséquent recevable.

1.3 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, un moyen de preuve nouveau n'est pris en compte au stade de l'appel que s'il est produit sans retard (let. a) et qu'il ne pouvait l'être devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

Cependant, à teneur de l'art. 151 CPC, les faits notoires ou notoirement connus du tribunal ne doivent pas être allégués ou prouvés. Sont notamment assimilés à des faits notoires, ceux qui ressortent d'une autre procédure entre les mêmes parties (arrêt du Tribunal fédéral 5A_610/2016 du 3 mai 2017 consid. 3.1).

Les pièces nouvelles produites par l'intimée, concernant des procédures pendantes entre les mêmes parties, sont recevables.

1.4 La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC) et applique le droit d'office (art. 57 CPC).

Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, elle le fait cependant uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante – et, partant, recevable –, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC).

En outre, dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), la cognition du juge est circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n° 1556).

2. Les appelants reprochent au Tribunal une constatation erronée ou incomplète des faits, en particulier d'avoir écarté à tort leurs déterminations du 2 février 2023.

Ce grief est infondé, le premier juge ayant considéré "qu'il n'y avait pas lieu de déclarer irrecevables les déterminations des intimés [du 2 février 2023]".

Pour le surplus, l'état de faits ci-dessus a été complété dans la mesure utile.

3. Les appelants font grief au Tribunal d'avoir considéré que l'intimée avait rendu vraisemblable qu'elle était propriétaire de la croix et qu'elle risquait de subir une atteinte. De plus, l'examen juridique opéré par le premier juge serait lacunaire, celui-ci n'ayant pas envisagé l'application des art. 930 et ss CC. Les conditions de l'art. 261 CPC ne seraient pas réalisées.

L'intimée soutient qu'elle aurait suffisamment rendu vraisemblable son droit de propriété sur la croix, par la production de différentes pièces. L'opposition des appelants aux mesures provisionnelles sollicitées indiquerait que ceux-ci n'excluraient pas de reprendre possession de l'objet litigieux avant qu'il soit statué sur le fond. Les conditions de l'art. 261 CPC seraient ainsi données. Le Tribunal n'avait pas à procéder à un examen approfondi de la situation juridique, mais pouvait se contenter de la vraisemblance du droit.

3.1.1 Le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (art. 261 al. 1 CPC).

Le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice et notamment prononcer une interdiction (art. 262 let. a CPC).

Le requérant doit rendre vraisemblable tant l'existence de sa prétention matérielle de nature civile que sa mise en danger ou atteinte par un préjudice difficilement réparable, ainsi que l'urgence (Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 23 ad art. 261 CPC). Ainsi, le requérant doit rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès, la mesure provisionnelle ne pouvant être accordée que dans la perspective de l'action au fond qui doit la valider (cf. art. 263 et 268 al. 2 CPC; ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1016/2015 du 15 septembre 2016 consid. 5.3; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 7 ad art. 261 CPC). Il doit en outre rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence, sur la base d'éléments objectifs (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).

Doit également être rendue vraisemblable l'existence d'un préjudice difficilement réparable, qui peut être de nature patrimoniale ou immatérielle (Message relatif au CPC, FF 2006 p. 6961; Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC; Huber, op. cit., n. 20 ad art. 261 CPC). Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

Le risque de préjudice difficilement réparable implique l'urgence (Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC). L'urgence est une notion relative qui comporte des degrés et s'apprécie moins selon des critères objectifs qu'au regard des circonstances. Elle est en principe admise lorsque le demandeur pourrait subir un dommage économique ou immatériel s'il devait attendre qu'une décision au fond soit rendue dans une procédure ordinaire (ATF 116 Ia 446 consid. 2 = JdT 1992 I p. 122; Bohnet, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC).

3.1.2 Rendre vraisemblable signifie qu'il n'est pas nécessaire que le juge soit convaincu de l'exactitude de l'allégué présenté, mais qu'il suffit que, sur la base d'éléments objectifs, le fait en cause soit rendu probable, sans qu'il doive pour autant exclure la possibilité que les faits aient aussi pu se dérouler autrement (ATF 130 III 321 consid. 3.3, JdT 2005 I 618, SJ 2005 I 514; ATF 120 II 393 consid. 4c; ATF 104 Ia 408).

La vraisemblance requiert plus que de simples allégués: ceux-ci doivent être étayés par des éléments concrets ou des indices et être accompagnés de pièces (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2 et 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_893/2013 du 18 février 2014 consid. 3).

3.1.3 L’action en revendication permet au propriétaire de réclamer la restitution du bien qui fait l’objet de son droit (Foëx, Commentaire romand, Code civil II, 2016, n. 28 ad art. 641 CC). L’action est subordonnée à la réalisation de deux conditions matérielles, à savoir que le demandeur est propriétaire de la chose et le défendeur la détient sans droit (Foëx, op. cit., n. 31 ad art. 641 CC).

Lorsque ces conditions sont réunies, le demandeur peut obtenir que le défendeur soit condamné à lui restituer la chose (Foëx, op. cit., n. 35 ad art. 641 CC).

3.1.4 Le possesseur d’une chose mobilière en est présumé propriétaire (art. 930 al. 1 CC).

Le possesseur d’une chose mobilière peut opposer à toute action dirigée contre lui la présomption qu’il est au bénéfice d’un droit préférable; demeurent réservées les dispositions concernant les actes d’usurpation ou de trouble (art. 932 CC).

L’acquéreur de bonne foi auquel une chose mobilière est transférée à titre de propriété ou d’autre droit réel par celui auquel elle avait été confiée, doit être maintenu dans son acquisition, même si l’auteur du transfert n’avait pas l’autorisation de l’opérer (art. 933 CC).

Le possesseur auquel une chose mobilière a été volée ou qui l’a perdue, ou qui s’en trouve dessaisi de quelque autre manière sans sa volonté, peut la revendiquer pendant cinq ans. L’art. 722 CC [chose trouvée, acquisition] est réservé. L’action en revendication portant sur des biens culturels au sens de l’art. 2, al. 1 de la loi du 20 juin 2003 sur le transfert des biens culturels dont le propriétaire s’est trouvé dessaisi sans sa volonté se prescrit par un an à compter du moment où le propriétaire a eu connaissance du lieu où se trouve l’objet et de l’identité du possesseur, mais au plus tard par 30 ans après qu’il en a été dessaisi. Lorsque la chose a été acquise dans des enchères publiques, dans un marché ou d’un marchand d’objets de même espèce, elle ne peut plus être revendiquée ni contre le premier acquéreur, ni contre un autre acquéreur de bonne foi, si ce n’est à la condition de lui rembourser le prix qu’il a payé. La restitution est soumise d’ailleurs aux règles concernant les droits du possesseur de bonne foi (art. 934 CC).

3.2 En l'espèce, l'appelant A______ a allégué être possesseur de la croix qu'il aurait reçue en 1994 de feu son père, en contrepartie du travail qu'il effectuait dans la joaillerie de celui-ci, ce dernier étant marchand d'objets de même nature que la croix. Si ces explications sont vraisemblables, il n'en reste pas moins que les circonstances dans lesquelles la croix a été acquise par son père, et ensuite reçue par le précité, devront encore être éclaircies, dans le cadre des procédures au fond intentées par ce dernier et par l'intimée. En effet, les explications de l'appelant A______ ont varié, ce qui affaiblit leur crédibilité. Deux instances judiciaires (le Ministère public et le Tribunal de police) ont d'ailleurs retenu que sa bonne foi lors de l'acquisition de la croix n'était pas donnée. Les motifs, repris par les appelants devant la Cour, de l'arrêt de la Chambre pénale de recours qui statue dans le sens opposé, mais dans un considérant ayant trait à la répartition des frais judiciaires, ne suffit pas, à ce stade, à rendre la version de l'appelant A______ plus vraisemblable que celle de l'intimée. En tout état, la Cour n'est pas liée par les décisions pénales.

A l'inverse, et quoiqu'en disent les appelants, les différentes pièces produites par l'intimée permettent de retenir qu'il est vraisemblable qu'elle était propriétaire de la croix, que celle-ci lui a été dérobée en 1989, et qu'elle est ainsi fondée à la revendiquer. Il est établi que l'intimée est la petite-fille de la reine G______ d'Espagne. Cette circonstance, au vu de la note rédigée par la précitée au sujet de la provenance royale espagnole de l’objet (qui détaille exactement les dons et legs par lesquels celui-ci était parvenu en ses mains), rend crédible que l’intimée ait reçu la croix, fût-ce de son beau-père, qui l’aurait acquise sur le marché (s’il n’est pas contesté qu’elle s’y trouvait), et non en héritage familial. Quand bien même les photographies qui la montrent portant la croix ne sont pas datées, elles représentent un indice sérieux qu'elle a été en possession de cette croix. Par ailleurs, la plainte pénale déposée en novembre 1989 et la mention de la croix au Art Loss Register, corroborent de manière convaincante les explications de l'intimée.

Les questions liées à une éventuelle prescription d'une action en revendication seront examinées par le juge du fond et ne sauraient faire échec au prononcé des mesures provisionnelles, étant rappelé que, dans ce cadre, le juge se contente de la vraisemblance du droit invoqué.

Avec le Tribunal, la Cour retient pour le surplus que la condition de l'urgence est réalisée, vu la levée du séquestre pénal, et indépendamment du fait que E______ ne procèdera vraisemblablement pas à la vente ni à la remise de la croix aux appelants avant qu'une décision judiciaire ne soit entrée en force, désignant le légitime propriétaire du bijou.

Il en va de même de la réalisation d'un dommage difficilement réparable, si la mesure n'était pas ordonnée, puisqu'alors il serait très vraisemblablement extrêmement difficile pour l'intimée de retrouver la croix si celle-ci devait être restituée aux appelants, qui souhaitent la vendre.

Au vu des considérations qui précèdent, l'appel se révèle infondé. L’ordonnance attaquée sera confirmée.

4. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'400 fr., seront mis à la charge des appelants, qui succombent (art. 106 al. 1 CPC), mais provisoirement laissés à la charge de l'Etat, ceux-ci plaidant au bénéfice de l'assistance judiciaire.

Les appelants seront en outre condamnés à verser à l'intimée la somme de 2'500 fr. (art. 84 et ss RTFMC, art. 23 LaCC), à titre de dépens d'appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 22 mars 2023 par A______ et B______ S.L., contre l'ordonnance OTPI/146/2023 rendue le 28 février 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/9/2023-SP.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de l'appel à 2'400 fr., les met à la charge de A______ et B______ S.L. et dit qu'ils sont provisoirement supportés par l'Etat de Genève.

Condamne A______ et B______ S.L., solidairement, à verser à C______ la somme de 2'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

 

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.