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C/4034/2022

ACJC/1229/2022 du 15.09.2022 sur OTPI/301/2022 ( SP ) , JUGE

Normes : CPC.261; CC.28
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/4034/2022 ACJC/1229/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du JEUDI 15 SEPTEMBRE 2022

Entre

A______ SA, sise ______[GE], appelante contre une ordonnance rendue par la 24ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 6 mai 2022, comparant par Me Matteo INAUDI, avocat, Ming Halpérin Burger Inaudi, avenue Léon-Gaud 5, case postale, 1211 Genève 12, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______[GE], intimé, comparant par Me Giorgio CAMPA, avocat, avenue Pictet-de-Rochemont 7, 1207 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/301/2022 du 6 mai 2022, reçue le 11 mai 2022 par les parties, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a déclaré irrecevables les déterminations et les pièces adressées par A______ SA (anciennement C______ SA et ci-après: la société) au Tribunal le 25 avril 2022 (chiffre 1 du dispositif), ordonné à celle-ci de permettre à B______ d'accéder à la messagerie ______@C______.ch, sans possibilité d'envoyer des courriels, dans le seul but d'accéder aux contacts attachés à cette messagerie et de les copier (ch. 2), imparti à B______ un délai de trente jours dès notification de l'ordonnance pour faire valoir son droit en justice (ch. 3) et dit que celle-ci déployait ses effets jusqu'à droit jugé ou accord entre les parties (ch. 4).

Le Tribunal a arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr., mis à la charge de la société (ch. 5 et 6) et compensés avec l'avance versée par B______ (ch. 7), condamné la société à rembourser ce montant à ce dernier (ch. 8), ainsi qu'à lui verser 1'000 fr. à titre de dépens (ch. 9) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 10).

B. a. Par acte expédié le 23 mai 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ SA a formé appel contre cette ordonnance. Elle a conclu à l'annulation de celle-ci et, cela fait, au déboutement de B______ de toutes ses conclusions, sous suite de frais judiciaires et dépens de première et seconde instance.

Elle a produit des pièces nouvelles, soit un extrait du Registre du commerce (pièce n° 108), un échange de courriers les 19 et 22 avril 2022 entre son conseil et la société qui gère le nom de domaine C______.ch, attestant du fait qu'elle est titulaire de celui-ci (n° 110 et 111), ses déterminations du 25 avril 2022, déclarées irrecevables, informant le Tribunal de l'échange précité (n° 112), ainsi qu'une ordonnance du Tribunal rendue le 20 avril 2022 dans la cause n° C/1______/2022 opposant les mêmes parties (n° 113).

Préalablement, elle a requis l'octroi de l'effet suspensif à son appel, ce qui a été refusé par décision de la Cour du 31 mai 2022. Cette décision a fait l'objet d'un recours auprès du Tribunal fédéral, qui a accordé l'effet suspensif à celui-ci par décision du 18 juillet 2022.

b. Dans sa réponse, B______ a conclu au déboutement de la société de toutes ses conclusions, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Il a produit des pièces nouvelles, soit un courriel du 23 février 2022 adressé à un tiers concernant la titularité du nom de domaine C______.ch (pièce n° 28), ainsi que des échanges de courriers entre les conseils des parties les 11 et 12 mai et 1er juin 2022 (n° 29 à 31).

c. Dans leurs réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

La société a produit des pièces nouvelles, soit un courrier adressé à une société tierce le 17 juin 2022 concernant la possibilité pour B______ d'accéder à la liste de ses anciens contacts, par le bais de l'application Outlook, sur l'ordinateur de la société qu'il possédait encore (pièce n° 114), ainsi que des échanges de courriers les 13 avril 2022 au 16 juin 2022 entre elle, son conseil et deux sociétés tierces concernant la titularité du nom de domaine C______.ch (n° 115 à 119).

B______ a contesté la recevabilité des pièces susvisées.

d. Les parties ont été informées le 18 juillet 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments pertinents suivants résultent du dossier:

a. La société anonyme genevoise A______ SA (anciennement C______ SA) est active dans tous conseils, services et expertises en matière comptable, fiscale et de gestion d'entreprise.

Depuis sa fondation en 1987, B______ en était l'unique administrateur et actionnaire, par le biais de la société E______ SA. Il utilisait l'adresse électronique ______@C______.ch pour sa correspondance professionnelle et privée.

b. Par convention de vente d'actions du 2 juillet 2020, E______ SA a vendu l'intégralité du capital-actions de la société, avec transfert immédiat de propriété, à D______, dont F______ était l'administrateur vice-président et délégué, avec signature collective à deux. Ce dernier est devenu administrateur président de la société, avec signature collective à deux.

Les parties ont convenu que B______ conserverait son poste d'administrateur de la société pour les exercices 2021 à 2023 et pourrait disposer d'un bureau dans les locaux de la société, ainsi que de l'infrastructure de celle-ci, notamment informatique.

c. Des différends ont émaillé les relations entre les parties.

d. Le 15 novembre 2021, B______ a démissionné, avec effet immédiat, du conseil d'administration de la société.

Il est admis qu'il a continué à mener à terme les mandats dont il avait la responsabilité.

e. Le 26 novembre 2021, la société a requis le prononcé de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de B______ visant à ce qu'il lui soit fait interdiction de se prévaloir du titre d'administrateur ou d'actionnaire de la société dans toutes ses communications avec des tiers, notamment électronique. Cette cause a été enregistrée sous n° C/2______/2021.

f. Le 30 novembre 2021, B______ a correspondu avec des tiers par le biais de sa nouvelle adresse électronique ______@H______.ch.

Par courriels du 2 décembre 2021, il a demandé aux employés de la société d'utiliser dorénavant l'adresse susvisée pour le contacter.

g. Le 24 décembre 2021, la société a supprimé l'accès de B______ à la messagerie électronique ______@C______.ch.

Une réponse automatique a été mise en place indiquant que l'adresse susvisée n'était plus valable, mais que les messages étaient redirigés, lus et traités par la société.

h. Par courriel du 24 décembre 2021, B______ a informé son conseil de de la suppression de son accès à la messagerie électronique, en s'étonnant du fait que la société n'y ait pas procédé avant "comme elle [était] sous leur contrôle".

i. Par courriel du 28 décembre 2021, B______ a prié F______ de lui permettre de disposer de la messagerie litigeuse pour communiquer son changement d'adresse électronique, ce que ce dernier a refusé.

j. Par ordonnance du 24 janvier 2022, rendue dans la cause C/2______/2021, le Tribunal a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée par la société, celle-ci étant devenue sans objet compte tenu de la suppression de l'accès de B______ à la messagerie ______@C______.ch.

k. Par courriels des 15 et 17 février, F______ a transféré à B______ des courriels publicitaires adressés à la messagerie susvisée au contenu érotique ou concernant une carte G______.

l. Par acte du 3 mars 2022, B______ a requis le prononcé de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de la société tendant à ce qu'il lui soit fait interdiction, avec effet immédiat et sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, d'accéder à l'adresse électronique _______@C______.ch et de consulter, de quelque manière que ce soit, les données s'y trouvant, notamment les courriels entrants et sortants, ainsi que le carnet d'adresses, à ce qu'il soit ordonné à la société de supprimer la déviation vers une messagerie tierce des courriels entrants sur l'adresse électronique précitée, ainsi que la réponse automatique adressée aux expéditeurs de ceux-ci, et à ce que le Tribunal lui permette d'accéder à la messagerie ______@C______.ch, sans possibilité d'envoyer des courriels.

Il a allégué que la société portait atteinte à sa personnalité et violait les normes de la loi fédérale sur la protection des données (LPD; RS 235.1), en conservant, redirigeant et en prenant connaissance du contenu de sa correspondance. Elle l'avait privé de tout accès à ses données personnelles, de sorte qu'il était dans l'impossibilité de répondre aux courriels de ses interlocuteurs, ce qui lui causait un préjudice social, puisqu'il n'avait plus les moyens de contacter certaines de ses connaissances résidant à l'étranger, et économique, dès lors que "des opportunités professionnelles n'avaient pas pu être suivies d'effets". A l'appui de cet allégué, il a produit le courriel d'une connaissance adressé le 31 janvier 2022 à l'adresse ______@C______.ch, à teneur duquel ses coordonnées avaient été transmises à une société d'audit en vue d'un mandat, ainsi que sa réponse du 14 février 2022, via sa nouvelle adresse électronique, par laquelle il sollicitait l'envoi du courriel du 31 janvier 2022 et la réponse automatique de la société, sans autre précision.

m. Par ordonnance du 3 mars 2022, le Tribunal a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles, au motif que B______ ne rendait pas vraisemblable qu'il s'exposait à un préjudice difficilement réparable.

n. Dans sa réponse, A______ SA a conclu au rejet de la requête, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Elle a allégué qu'après sa démission, B______ avait continué d'utiliser l'adresse électronique ______@C______.ch, soit un outil professionnel appartenant à la société, en mentionnant être encore administrateur ou actionnaire de celle-ci. Ce dernier n'avait pas de droit préférentiel à faire valoir sur cette adresse, qui était actuellement presque inactive. Elle a confirmé que les courriels reçus sur ladite adresse étaient lus par F______, précisant ne pas faire usage de ceux à caractère privé, ni divulguer leur contenu. B______ ne subissait pas d'atteinte ni de préjudice difficilement réparable.

o. Lors de l'audience du Tribunal du 11 avril 2022, B______ a déposé des déterminations spontanées et produit des pièces nouvelles, soit un courrier d'une société tierce du 25 février 2022 indiquant qu'il était propriétaire du nom de domaine C______.ch, ainsi que deux courriels personnels adressés sur l'adresse ______@C______.ch les 20 et 30 mars 2022, qui ne lui avaient pas été transférés par la société.

La société a déclaré être étonnée de ce que B______ était propriétaire du nom de domaine susvisé, dès lors qu'elle l'avait toujours géré et avait eu accès à celui-ci.

Les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

p. Par déterminations du 25 avril 2022, la société a contesté le fait que B______ était propriétaire du nom de domaine C______.ch et a produit des pièces à cet égard.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est dirigé contre une décision de première instance rendue sur mesures provisionnelles dans le cadre d'un litige concernant des prétentions tendant à la protection de la personnalité, droits de nature non pécuniaire (art. 308 al. 1 let. b CPC; ATF 142 III 145 consid. 6, 127 III 481 consid. 1).

Il a été formé en temps utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 142 al. 3, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC), de sorte qu'il est recevable.

Le présent appel n'est pas devenu sans objet, comme soutenu par l'intimé, au motif que l'effet suspensif n'a pas été accordé par la Cour, l'appelante ayant formé recours contre ce refus auprès du Tribunal fédéral, qui a accordé l'effet suspensif audit recours.

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 lit. d CPC), avec administration restreinte des moyens de preuve, la cognition du juge est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5.1).

2. Les parties ont produit des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

Les pièces ne sont pas recevables en appel pour la seule raison qu'elles ont été émises postérieurement à l'audience de première instance. La question à laquelle il faut répondre pour déterminer si la condition de l'art. 317 al. 1 CPC est remplie est celle de savoir si le moyen de preuve n'aurait pas pu être obtenu avant la clôture des débats principaux de première instance (arrêts du Tribunal fédéral 5A_86/2016 du 5 septembre 2016 consid. 2.2 et 5A_266/2015 du 24 juin 2015 consid. 3.2.3).

A teneur de l'art. 151 CPC, les faits notoires ou notoirement connus du tribunal ne doivent pas être prouvés. Sont notamment assimilés à des faits notoires les indications figurant au Registre du commerce, accessibles par Internet (ATF 138 II 557 consid. 6.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_510/2018 du 7 mai 2019 consid. 5.3), ainsi que ceux ressortant d'une autre procédure entre les mêmes parties (arrêt du Tribunal fédéral 5A_610/2016 du 3 mai 2017 consid. 3.1).

2.2 En l'occurrence, l'appelante a produit les pièces nouvelles, ou déclarées irrecevables par le premier juge, n° 110 à 112 et 115 à 119, qui sont postérieures au 11 avril 2022, date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger, et qui concernent la titularité du nom de domaine C______.ch. Sur ce point, l'intimé a également produit la pièce nouvelle n° 28. L'appelante fait valoir que ces pièces n'ont pas pu être produites avant le 11 avril 2022, car elles faisaient suite aux nouvelles déclarations de l'intimé à l'audience du même jour, que le premier juge aurait dû déclarer irrecevables. Au vu de l'issue du litige et du fait que la question de la titularité du nom domaine est sans importance (cf. consid. 3.2 infra), la recevabilité desdites pièces et des faits s'y rapportant n'a pas à être résolue.

Les pièces nouvelles n° 108 et 109 produites par l'appelante constituent des faits notoires, de sorte qu'elles sont recevables, ainsi que les faits s'y rapportant. En revanche, la pièce nouvelle n° 114 produite à l'appui de sa réplique est irrecevable, bien que postérieure au 11 avril 2022. En effet, l'appelante n'expose pas de manière convaincante les raisons pour lesquelles les faits y afférents, à savoir la possibilité actuelle pour l'intimé d'accéder à la liste de ses contacts, ne pouvaient pas être allégués devant le premier juge ou dans son acte d'appel. Le fait que cette possibilité aurait été découverte récemment, comme soutenu par l'appelante, n'est pas suffisant à cet égard.

Enfin, les pièces nouvelles n° 29 à 31 produites par l'intimé sont postérieures au 11 avril 2022 et concernent l'exécution de l'ordonnance entreprise, de sorte qu'elles sont recevables, de même que les faits s'y rapportant.

3. Le Tribunal a retenu que la messagerie litigieuse contenait des données personnelles de l'intimé, notamment des messages et contacts privés, et que ce dernier était titulaire du nom de domaine afférent, de sorte que sa prétention au fond était vraisemblable. L'intimé n'avait pas pu transférer ses données avant la suppression de son accès, intervenue sans préavis. L'appelante n'avait pas transmis à l'intimé les messages privés qui lui étaient adressés, ce qui était susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable. En outre, le comportement de l'appelante était purement chicanier, dès lors qu'elle refusait sans raison de laisser l'intimé récupérer ses données privées et de lui transférer ses messages personnels. Il se justifiait donc de permettre à l'intimé de récupérer les coordonnées de ses contacts, afin qu'il les informe de sa nouvelle adresse électronique.

L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir constaté de manière inexacte que l'intimé était titulaire du nom de domaine litigieux. Elle n'avait pas abruptement supprimé l'accès de l'intimé à la messagerie professionnelle litigieuse, qui lui appartenait, ni refusé de lui transférer ses courriels privés. L'intimé n'avait pas rendu vraisemblable le risque d'atteinte illicite à sa personnalité, ni l'existence d'une urgence justifiant le prononcé de mesures provisionnelles.

3.1.1 Aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable. Il s'agit là de conditions cumulatives (Bohnet, Commentaire romand CPC, 2019, n° 3 ad art. 261 CPC).

L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil du 28 juin 2006 relatif au CPC, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; Bohnet, op. cit., n° 3 ad art. 261 CPC).

La condition de vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable vise à protéger le requérant du dommage qu'il pourrait subir s'il devait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au fond (ATF 139 III 86 consid. 5; 116 Ia 446 consid. 2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_901/2011 du 4 avril 2012 consid. 5 et 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4). Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets. Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement. Entre notamment dans ce cas de figure la perte de clientèle (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 précité consid. 4.1).

Le dommage difficilement réparable est principalement de nature factuelle; il concerne tout préjudice, patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès. Le dommage est constitué, pour celui qui requiert les mesures provisionnelles, par le fait que, sans celles-ci, il serait lésé dans sa position juridique de fond et, pour celui qui recourt contre le prononcé de telles mesures, par les conséquences matérielles qu'elles engendrent (ATF 138 III 378 consid. 6.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_303/2020 du 4 août 2020 consid. 3.1.1).

Le préjudice difficilement réparable suppose l'urgence (Bohnet, op. cit., n° 12 ad art. 261 CPC). Cette notion d'urgence comporte des degrés et s'apprécie moins selon des critères objectifs qu'au regard des circonstances; ainsi, l'urgence apparaît comme une notion juridique indéterminée, dont le contenu ne peut être fixé une fois pour toutes. Il appartient au juge d'examiner de cas en cas si cette condition est réalisée. Alors même que les mesures provisionnelles sont subordonnées à l'urgence, le droit de les requérir ne se périme pas, mais la temporisation du requérant durant plusieurs mois à dater de la connaissance du dommage ou du risque peut signifier qu'une protection n'est pas nécessaire, voire constituer un abus de droit (arrêts du Tribunal fédéral 4P.263/2004 du 1er février 2005 consid. 2.1 et 4P.224/1990 du 28 novembre 1990 consid. 4c, in SJ 1991, p. 113).

3.1.2 Rendre vraisemblable signifie qu'il n'est pas nécessaire que le juge soit convaincu de l'exactitude de l'allégué présenté, mais qu'il suffit que, sur la base d'éléments objectifs, le fait en cause soit rendu probable, sans qu'il doive pour autant exclure la possibilité que les faits aient aussi pu se dérouler autrement (ATF 130 III 321 consid. 3.3, in SJ 2005 I 514; 120 II 393 consid. 4c; 104 Ia 408).

La vraisemblance requiert plus que de simples allégués: ceux-ci doivent être étayés par des éléments concrets ou des indices et être accompagnés de pièces (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2 et 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_893/2013 du 18 février 2014 consid. 3).

3.1.3 Aux termes de l'art. 28 CC, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe (al. 1). Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public ou par la loi (al. 2).

Dans les relations entre particuliers, l'art. 28 CC garantit le droit au respect de la sphère privée, qui comprend les événements que chacun veut partager avec un nombre restreint d'autres personnes (ATF 97 II 97 consid. 3). En font partie les informations de nature personnelle transmises au moyen de la messagerie électronique. L'irruption d'un tiers dans cette sphère, notamment pour rassembler des informations, constitue une atteinte à la personnalité (ATF 130 III 28 consid. 4.2).

La protection garantie par la LPD concrétise et complète l'art. 28 CC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_22/2013 du 30 juin 2014 consid. 2.4.2). L'art. 4 al. 1 LPD prévoit que tout traitement de données doit être licite. Leur traitement doit être effectué conformément aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité (al. 2).

Selon l'art. 12 LPD, quiconque traite des données personnelles ne doit pas porter une atteinte illicite à la personnalité des personnes concernées (al. 1). Personne n'est en droit notamment de traiter des données personnelles en violation des principes définis aux art. 4, 5 al. 1, et 7 al. 1 LPD (al. 2 let. a), de traiter des données contre la volonté expresse de la personne concernée sans motifs justificatifs (al. 2 let. b) ou de communiquer à des tiers des données sensibles ou des profils de la personnalité sans motifs justificatifs (al. 2 let. c).

Les motifs justificatifs permettant d'outrepasser l'opposition expresse de la personne concernée sont énumérés à l'art. 13 al. 1 LPD; en l'absence d'une norme légale permettant de faire abstraction de la volonté de la personne concernée, seuls un intérêt prépondérant privé et/ou un intérêt prépondérant public entrent en considération.

3.2 En l'espèce, il ne se justifie pas de prononcer des mesures provisionnelles, même limitées à l'autorisation faite à l'intimé d'accéder à la messagerie litigeuse afin de copier les contacts y afférents.

En effet, l'intimé n'a pas rendu vraisemblable qu'il risquerait de subir un préjudice difficilement réparable en l'absence du prononcé des mesures sollicitées. A cet égard, il s'est limité à soutenir qu'en raison de la suppression de son accès à la messagerie litigieuse il n'était plus en mesure de contacter certaines de ses connaissances résidant à l'étranger. Cette seule allégation, trop imprécise et qui n'est étayée par aucun élément de preuve, ne saurait suffire pour retenir la vraisemblance d'un risque de préjudice difficilement réparable.

L'appelante a d'ailleurs mis en place un système de réponse automatique informant les tiers de ce que la messagerie litigieuse n'est plus active, de sorte que ces derniers savent vraisemblablement qu'il leur revient d'utiliser un autre biais pour contacter intimé.

L'intimé a en outre fait valoir que l'absence d'accès à sa messagerie l'aurait empêché de concrétiser des opportunités professionnelles, ce qui lui causerait un préjudice économique.

Or, la pièce produite à l'appui de cet allégué, soit l'échange de courriels entre l'intimé et un tiers les 31 janvier et 14 février 2022, concernant un mandat pour une société d'audit, n'est pas convaincante. En effet, il ne ressort pas de celle-ci que l'intimé aurait perdu la possibilité de conclure le mandat en question en raison du fait qu'il n'a pas répondu en temps utile au message. L'intimé ne l'allègue d'ailleurs pas expressément. Cette pièce ne permet donc pas de retenir, même sous l'angle de la vraisemblance, le risque de préjudice dont l'intimé se prévaut.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'intimé, aucun élément concret du dossier ne permet de retenir l'existence d'un risque que l'appelante usurpe son identité ou utilise la messagerie litigieuse dans le but de lui causer un préjudice difficilement réparable. L'intimé ne précise d'ailleurs pas la nature du préjudice en question.

Le fait que les parties entretiennent une relation conflictuelle ne saurait suffire. Il en va de même du fait que l'appelante a transféré à l'intimé des courriels publicitaires à caractère érotique reçus sur la messagerie litigieuse. Même si le transfert de messages de ce type à l'intimé n'apparaissait pas opportun, l'on ne voit pas quel préjudice en découlerait.

L'intimé se limite ainsi à alléguer que l'appelante risquerait de lui nuire en utilisant ladite messagerie, sans fournir d'élément concret rendant cette allégation vraisemblable.

L'intimé n'a pas non plus rendu vraisemblable que la condition de l'urgence serait réalisée. En effet, l'appelante a supprimé son accès à la messagerie litigieuse le 24 décembre 2021, ce qu'il a contesté en vain le 28 décembre 2021. Or, l'intimé n'a déposé sa requête de mesures provisionnelle qu'en date du 3 mars 2022, soit plus de deux mois après les événements justifiant, selon lui, le prononcé urgent de mesures. L'inaction de l'intimé pendant une durée aussi longue permet de retenir qu'une protection immédiate de ses droits n'est pas nécessaire.

A cela s'ajoute que l'intimé a démissionné du conseil d'administration de l'appelante le 15 novembre 2021, de sorte que, entre mi-novembre 2021 et le 24 décembre 2021, il a bénéficié du temps suffisant pour sauvegarder ou transférer ses données privées contenues dans sa messagerie professionnelle.

L'intimé n'a d'ailleurs pas été étonné du fait que l'appelante lui ait supprimé son accès à sa boîte mail, puisque, le 24 décembre 2021, il a indiqué à son conseil qu'il se demandait pourquoi cet accès n'avait pas été supprimé plus tôt. Il avait d'ailleurs déjà créé une nouvelle messagerie électronique, à tous le moins dès le 30 novembre 2021, et avait averti certains tiers de ce changement.

En outre, selon toute vraisemblance, il savait que l'utilisation qu'il faisait de la messagerie litigeuse après sa démission était contestée par l'appelante, compte tenu de la procédure n° C/2______/2021 initiée à son encontre, dans le cadre de laquelle sa partie adverse requérait qu'il lui soit fait interdiction de se prévaloir du titre d'administrateur ou d'actionnaire de la société, notamment dans ses communications électroniques. Dans ces circonstances, le premier juge ne pouvait pas retenir que l'accès à la messagerie avait été supprimé de manière soudaine, afin de justifier le prononcé de la mesure litigieuse.

Compte tenu de ce qui précède, à savoir faute d'urgence et de préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 261 CPC, le prononcé de la mesure provisionnelle litigieuse n'est pas justifié.

L'ordonnance entreprise sera dès lors annulée et il sera statué à nouveau en ce sens que l'intimé sera débouté des fins de sa requête en mesures provisionnelles.

Il n'est ainsi pas nécessaire d'analyser les conditions de l'art. 28 CC ou de la LPD, soit de se prononcer sur l'existence d'une atteinte illicite à la personnalité de l'intimé ou d'une violation de la LPD. Il n'est pas non plus nécessaire d'examiner si le Tribunal a, comme le soutient l'appelante, constaté les faits de manière inexacte en retenant que l'intimé était titulaire du nom de domaine C______.ch.

4. 4.1 Lorsque la Cour réforme en tout ou en partie le jugement entrepris, elle se prononce aussi sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Les frais (frais judiciaires et dépens) sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 95 et 106 al. 1 1ère phrase CPC).

La quotité des frais judiciaires de première instance, arrêtée à 1'000 fr. conformément aux dispositions applicables (art. 26 RTFMC), n'est pas remise en cause par les parties, de sorte qu'elle sera confirmée. Compte tenu de l'issue du litige, lesdits frais seront entièrement mis à la charge de l'intimé, qui succombe, et compensés par l'avance de même montant fournie par celui-ci, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimé sera également condamné à verser 1'000 fr. à l'appelante à titre de dépens de première instance, la quotité de ceux-ci n'étant pas critiquée et étant conforme aux dispositions applicables (art. 85 et 88 RTFMC).

4.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 1'400 fr. (art. 26 et 37 RTFMC). Ils seront mis à la charge de l'intimé, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC), et entièrement compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par l'appelante, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève. L'intimé sera donc condamné à rembourser 1'400 fr. à l'appelante (art. 111 al. 2 CPC).

L'intimé sera également condamné à verser à l'appelante 2'000 fr., débours et TVA inclus, à titre de dépens d'appel (art. 84, 86, 88 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 23 mai 2022 par A______ SA contre l'ordonnance OTPI/301/2022 rendue le 6 mai 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/4034/2022-24 SP.

Au fond :

Annule l'ordonnance querellée et, statuant à nouveau:

Déboute B______ des fins de sa requête en mesures provisionnelles formée le 3 mars 2022 à l'encontre de A______ SA.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Arrête les frais judiciaires de première instance à 1'000 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec l'avance de frais versée par lui, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser 1'000 fr. à A______ SA à titre de dépens de première instance.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'400 fr., les met à la charge de B______ et les compense entièrement avec l'avance de frais fournie par A______ SA, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser 1'400 fr. à A______ SA à titre de remboursement des frais judiciaires d'appel.

Condamne B______ à verser 2'000 fr. à A______ SA à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.