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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15066/2022

ACPR/908/2025 du 05.11.2025 sur OMP/12377/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PARTIE À LA PROCÉDURE;PLAIGNANT;LÉSÉ;DOMMAGE CAUSÉ À UN TIERS;ESCROQUERIE;ABUS DE CONFIANCE
Normes : CPP.115; CPP.118; CP.146; CP.138

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15066/2022 ACPR/908/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 5 novembre 2025

 

Entre

A______ SA, représentée par Mes Guglielmo PALUMBO et Matthias BOURQUI, avocats, rue du Général-Dufour 20, case postale 556, 1211 Genève 4,

recourante,

contre l'ordonnance de refus de statut de partie plaignante rendue le 22 mai 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 2 juin 2025, A______ SA recourt contre l'ordonnance du 22 mai précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public lui a dénié la qualité de partie plaignante.

Elle conclut à l'annulation de cette décision, dite qualité devant lui être reconnue.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. La société A______ SA, incorporée à Genève, est détenue et administrée par les époux B______ et C______.

b. En 2021, les conjoints précités ont été approchés par l'une de leurs connaissances, D______, homme d'affaires qui leur a proposé d'investir dans divers projets à G______ [Emirats Arabes Unis], ville dans laquelle il venait de s'installer, ce que les intéressés ont accepté.

c.a. Parmi ces projets figurait la création d'une entité, A______/E______ MIDDLE EAST (ci-après : A______/E______).

Les époux B______/C______ et D______ ont convenu de ce qui suit en lien avec cette société :

·        les premiers cités en seraient actionnaires à raison de 50%, l'autre moitié des titres revenant au second nommé et à sa femme;

·        l'activité de l'entité consisterait à accompagner/conseiller les particuliers et sociétés qui souhaitaient se "délocaliser" à G______;

·        A______ SA adresserait à cette entité sa clientèle suisse, intéressée par une telle délocalisation;

·        les frais de A_______/E______ seraient assumés, en attendant qu'elle soit fonctionnelle, par D______ et C______, à concurrence de 50% chacun.

c.b.a. Entre août 2021 et février 2022, C______ a reçu cinq factures – établies à son nom – listant les diverses charges payées par D______ pour A______/E______, à charge pour lui d'en rembourser la moitié.

c.b.b. Les sommes réclamées à C______, qui totalisaient CHF 79'739.43, ont été acquittées par A______ SA.

Cette entité a libellé comme suit les cinq ordres de virement, donnés à sa banque, y relatifs : (1) "F______ [suit le numéro de la facture]"; (2) "participation A______ SA pour ouverture A______/E______, dép[ô]t de garantie, loyers, website, achat mobilier, matériel informatique"; (3) "frais de bureau A______ suivant décompte (…)"; (4) "FACTURE BUREAU"; (5) "FACTURE BUREAU A______/E______".

c.b.c. À une date que les éléments du dossier ne permettent pas de situer, la somme de CHF 79'739.43 a été inscrite, dans la comptabilité de A______ SA, au débit du compte actionnaire de B______.

d.a. En juillet 2022, les époux B______/C______ et A______ SA ont déposé plainte pénale, à Genève, contre D______ des chefs d'escroquerie (art. 146 CP) et abus de confiance (art. 138 CP), en lien avec deux des projets [de] G______ menés par ce dernier.

S'agissant de A______/E______, les conjoints ont exposé avoir découvert, lors de récentes vérifications, que cette société avait été inscrite, à G______, "sous une forme juridique qui ne permet[tait] pas d'actionnariat multiple", de sorte que D______ en était le seul propriétaire. La somme de CHF 79'739.43, payée par A______ SA, avait donc été investie dans une structure au sein de laquelle eux-mêmes ne jouissaient d'aucun droit, contrairement à ce que le mis en cause leur avait astucieusement fait croire.

Par ailleurs, il était concevable que ladite somme ait été affectée à d'autres fins que celles convenues.

d.b. Les époux B______/C______ et A______ SA se sont constitués demandeurs au pénal et au civil.

e. Le 14 juin 2023, le Ministère public a ouvert une procédure contre D______ pour les faits et infractions visés dans la plainte.

f. Le 2 décembre 2024, cette autorité a tenu une audience.

f.a. Le prévenu y a contesté tout acte pénalement répréhensible.

f.b. Les époux B______/C______ et A______ SA, représentée par C______, ont été entendus en qualité de parties plaignantes.

Ce dernier a expliqué que les factures se rapportant à A______/E______ avaient été réglées par A______ SA, au motif que le projet concerné impliquait un partenariat entre ces deux sociétés. Sa femme et lui-même avaient créé, dans les livres de A______ SA, un compte intitulé "projet à G______"; les CHF 79'739.43 versés avaient été, initialement, portés au débit de ce compte. Ils "mett[aient] dans le motif de paiement [indiqué sur les ordres de virement adressés à la banque de A______ SA] ce qui figurait sur les[dites] factures". Lorsqu'ils avaient réalisé que le montant précité avait été versé "à fonds perdus", ils avaient décidé de l'inscrire au débit du compte actionnaire de B______, afin d'éviter le surendettement de A______ SA.

g. Invités par le Procureur, au mois de mars 2025, à se déterminer sur leur statut de lésé :

·         B______ a exposé avoir été directement touchée dans son patrimoine par l'un des deux projets [de] G______ [autre que celui afférent à A______/E______] menés par D______;

·         C______ a relevé ne pas avoir investi de fonds personnels dans lesdits projets, de sorte qu'il retirait sa constitution de partie plaignante;

·         A______ SA a rappelé que les CHF 79'739.43 litigieux avaient été débités de son compte bancaire; les infractions reprochées au prévenu lui avaient donc occasionné un dommage direct.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a :

·         considéré que B______ était personnellement lésée par les faits dont elle se prévalait;

·         pris acte du retrait, irrévocable, de constitution de partie plaignante de C______;

·         dénié à A______ SA la qualité de lésée, au motif que seuls les époux B______/C______ étaient débiteurs de la somme de CHF 79'739.43, due en exécution de l'accord passé avec D______. Le fait que les conjoints avaient décidé d'utiliser les avoirs de A______ SA pour financer leur investissement privé ne conférait nullement à cette dernière le statut de partie plaignante. La société n'avait du reste subi aucun dommage, puisqu'elle disposait d'une créance de CHF 79'739.43 envers B______ , inscrite dans sa comptabilité.

D. a. À l'appui de ses recours et réplique, A______ SA invoque une violation des
art. 115 et 118 CPP.

Les critères retenus par le Procureur pour lui dénier le statut de partie plaignante étaient dénués de pertinence. En effet, seul importait le paiement, par ses soins, des factures litigieuses. Le fait qu'elle avait acquis, ultérieurement aux agissements du prévenu, une créance à l'égard de B______ n'avait aucune incidence sur le caractère direct et immédiat de son préjudice.

À cela s'ajoutait qu'elle ne s'était pas limitée à régler lesdites factures, mais qu'elle avait été impliquée, "en tant que véritable acteur", dans le projet de création de A______/E______ – société qui était censée constituer "une extension stratégique de A______ SA à l'étranger" –; pour cette raison, deux des virements bancaires effectués étaient libellés "participation A______ SA pour ouverture A______/E______ (…)" et "frais de bureau A______ suivant décompte (…)".

À cette aune, le statut de lésée devait lui être reconnu.

b. Invité à se déterminer, le Procureur conclut au rejet du recours, persistant dans les termes de sa décision.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de refus de qualité de partie plaignante, sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner de la société qui s'est vu refuser un tel statut, laquelle a qualité pour agir (art. 382 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 7B_852/2023 du 1er juillet 2024 consid. 1.3.2 et 3.1.1).

2. 2.1. On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP).

Le lésé est la personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). Cette personne doit, pour revêtir une telle qualité, d'une part, être titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte et, d'autre part, subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêt du Tribunal fédéral 7B_385/2024 du 13 août 2025 consid. 2.2.1).

2.2.1. L'art. 146 CP protège le patrimoine de l'individu aux dépens duquel l'escroquerie a été commise (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1050/2019 du 20 novembre 2019 consid. 1.4).

2.2.2. L'art. 138 CP garantit le droit de la personne qui a confié les valeurs à l'auteur à ce que celles-ci soient utilisées conformément au but assigné, respectivement aux instructions données (arrêt du Tribunal fédéral 6B_694/2019 du 11 juillet 2019 consid. 2.2).

2.3. En l'espèce, les époux B______/C______ et D______ ont conclu, en 2021, un accord tendant à la création et au financement initial de la société [de] G______ A______/E______, dont tous trois – ainsi que la femme du prévenu – devaient être les actionnaires.

A______ SA n'était pas partie à cet accord qui représentait, pour elle, une res inter alios acta.

Le fait que le projet sus-évoqué impliquait une forme de collaboration entre ces deux entités – A______ SA étant supposée diriger sa clientèle suisse, désireuse de s'installer à G______, vers A______/E______ (une fois celle-ci en activité) – n'y change rien.

2.4. L'escroquerie reprochée à D______ consiste à avoir déterminé les conjoints B______/C______ à lui verser cinq montants totalisant CHF 79'739.43, en leur faisant croire que ces sommes serviraient à régler la moitié des frais de lancement de A______/E______, société dont ils pensaient être les actionnaires, alors que D______ en était, en réalité, l'unique détenteur.

Le patrimoine visé par cette (potentielle) escroquerie était celui des époux, et non de A______ SA.

Pour cette raison, les factures afférentes à ces cinq montants ont été libellées au nom de, et adressées à, C______.

Au moment où lesdites factures ont été réglées (par A______ SA), leurs débiteurs étaient donc les conjoints B______/C______.

Que A______ SA ait indiqué, comme motifs de paiement, sur les ordres destinés à sa banque, "participation A______ SA pour ouverture A______/E______ (…)" et "frais de bureau A______ suivant décompte (…)", est impropre à modifier ce constat.

Dans la mesure où les dettes qui grevaient le patrimoine des époux B______/C______ ont été acquittées par un tiers (A______ SA), ce tiers est devenu, concomitamment à chacun des cinq paiements, créancier des montants concernés envers les précités.

Le fait que ces créances n'ont pas été (immédiatement) inscrites dans la comptabilité de A______ SA n'a aucune incidence sur leur existence.

Il s'ensuit que le patrimoine de la recourante n'a pas été lésé par l'(éventuelle) escroquerie commise aux dépens des époux B______/C______.

2.5. S'agissant de l'infraction alléguée à l'art. 138 CP, A______ SA n'est pas titulaire du bien juridique protégé par cette norme.

En effet, cette société, on l'a vu, n'était pas partie à l'accord conclu en 2021 (cf. consid. 2.3 supra). Elle n'avait donc point convenu, avec D______, d'une affectation particulière aux sommes qu'elle lui a versées.

À cela s'ajoute qu'elle n'a pas subi de dommage du chef des paiements litigieux, pour les mêmes raisons que celles exposées au considérant 2.4 ci-dessus.

2.6. À cette aune, le refus de reconnaître à A______ SA le statut de partie plaignante est exempt de critique.

Infondé, l'acte de cette dernière doit donc être rejeté.

3. L'issue du recours étant favorable à D______, la Chambre de céans pouvait se dispenser de recueillir ses déterminations (cf. en ce sens ACPR/354/2025 du 9 mai 2025, consid. 5).

4. A______ SA succombe (art. 428 al. 1 CPP).

Elle supportera, en conséquence, les frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle ses conseils, et au Ministère public.

Le communique, pour information, à D______, soit pour lui son avocat.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/15066/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00