Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/898/2025 du 03.11.2025 sur OMP/22364/2025 ( MP ) , ADMIS
| république et | canton de Genève | |
| POUVOIR JUDICIAIRE P/20937/2025 ACPR/898/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 3 novembre 2025 | ||
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance d’établissement d’un profil d’ADN rendue le 16 septembre 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 29 septembre 2025, A______ recourt contre l'ordonnance rendue le 16 septembre 2025, notifiée le jour même, par laquelle le Ministère public a ordonné l’établissement de son profil d’ADN.
Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l’annulation de l’ordonnance querellée, à ce que soit ordonnée la destruction de l’échantillon prélevé et à ce que le Ministère public soit chargé de son exécution.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À la suite d’une plainte déposée le 27 août 2025 par C______, A______ est prévenu d’atteinte et contrainte sexuelles (art. 189 al. 1 CP) et d’actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), subsidiairement d’abus de la détresse ou de la dépendance (art. 193 CP), pour avoir, à Genève, dans le cadre de son activité de médecin psychiatre, pour son excitation et/ou sa jouissance sexuelles :
- le 30 juin 2025, lors d’une consultation, pris le pied de sa patiente C______, retiré la chaussure et la chaussette du pied de cette dernière, avoir massé son pied et l’avoir enfin placé, en le gardant appuyé dessus pendant un certain temps, sur ses organes génitaux (à lui), par-dessus son pantalon;
- le 7 juillet 2025, lors d’une consultation, enlevé les chaussures et les chaussettes de sa patiente C______, puis avoir placé les pieds de celle-ci sur ses organes génitaux (à lui), par-dessus son pantalon, avoir ensuite pris un de ses pieds, l’avoir massé et l’avoir embrassé plusieurs fois, tout en gardant l’autre pied appuyé contre son pénis, et ce pendant un certain temps.
b. A______ conteste les faits qui lui sont reprochés.
c. Il ressort de l'ordre de saisie des données signalétiques et de prélèvement d'un échantillon d'ADN rempli par la police le 15 septembre 2025 qu'un prélèvement de l'ADN de A______ avait été effectué au motif que l'infraction portait sur un crime ou un délit susceptible d'être élucidé au moyen de l'ADN. La case "La police a prélevé des traces susceptibles d'être comparées avec un profil d'ADN" n'a pas été cochée.
La rubrique "actes d'enquête sollicités" du rapport d'arrestation du 15 septembre 2025 est vide.
d. Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, dans sa teneur au 16 septembre 2025, A______ n’a aucun antécédent.
e. S'agissant, pour le surplus, de sa situation personnelle, le précité est, à teneur du dossier, né en 1967, de nationalité suisse, marié sans enfant, médecin psychiatre indépendant de profession.
C. Dans l’ordonnance querellée, le Ministère public, se fondant sur l'art. 255 al. 1 CPP, a retenu que la procédure portait sur un crime ou un délit susceptible d’être élucidé au moyen de l’ADN, se référant à la "liste des infractions mentionnées dans la directive A.5, art. 4".
D. a. Dans son recours contre l’ordonnance querellée, A______ invoque une violation des conditions relatives à l’établissement du profil d’ADN, en particulier une violation du principe de proportionnalité (art. 8 CEDH; art. 10, 13 al. 2 et 36 al. 1 à 3 Cst.; art. 197 al. 1 et 255 CPP et art. 1 loi sur les profils d'ADN).
Tout d’abord, la qualification juridique retenue par le Ministère public paraissait douteuse, la police l’ayant convoqué pour être entendu sur des faits initialement qualifiés d’infraction à l’art. 198 CP, soit une contravention. Il était donc incertain que les faits puissent être qualifiés de crime ou de délit et que la première condition posée par l’art. 255 CPP soit dès lors remplie.
En tout état, la mesure ne respectait pas le principe de proportionnalité en ce qu’il ne ressortait aucunement du dossier qu’un "échantillon" d’ADN aurait été prélevé de sorte que le Ministère public ne disposait pas de matériel susceptible d’être comparé à son profil d’ADN.
Enfin, aucun élément ne permettait d’envisager qu’il puisse être fait application de l’art. 255 al. 1bis CPP, sur lequel le Ministère public n’avait au demeurant pas fondé sa décision.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. A______ se voyait reprocher des faits pouvant être qualifiés d'infractions expressément visées par l'art. 4.2 de la Directive A.5 du Procureur général, de sorte que l'établissement de son profil d'ADN était justifié.
c. A______ réplique brièvement.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de l’ordonnance querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant conclut à l’annulation de l’ordonnance d’établissement de son profil d’ADN.
2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).
L'art. 197 al. 1 CPP rappelle ces principes en précisant que des mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), si des soupçons suffisants laissent présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).
2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2). Comme cela ressort clairement de l'art. 1 al. 2 let. a de la loi sur les profils d'ADN – applicable par renvoi de l'art. 259 CPP –, l'élaboration de tels profils doit également permettre d’identifier l'auteur d'infractions qui n'ont pas encore été portées à la connaissance des autorités de poursuite pénale et peut ainsi permettre d'éviter des erreurs d'identification et d'empêcher la mise en cause de personnes innocentes. Il peut également jouer un rôle préventif et participer à la protection de tiers (ATF 145 IV 263 consid. 3.3 et les références citées). La mesure ne saurait donc être ordonnée systématiquement en cas d’arrestation.
2.3. L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 précité consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).
2.4. À teneur des art. 4.1 et 4.2 de la Directive A.5 du Procureur général sur la gestion et la conservation des données signalétiques et des profils d'ADN, lorsque la police a procédé au prélèvement d'un échantillon d'ADN, le procureur en charge de la procédure pénale ordonne l'établissement d'un profil d'ADN (art. 4.1), en cas d'infraction(s) sur laquelle (lesquelles) porte la procédure (art. 255 al. 1 CPP), lorsque (i) ladite procédure porte sur une liste déterminée d'infractions, parmi lesquelles figurent les actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), (ii) la police a prélevé des traces biologiques susceptibles d'être comparées avec un profil d'ADN et (iii) l'établissement d'un profil d'ADN se justifie pour les besoins de l'enquête que la police a exposés dans son rapport (art. 4.2).
2.5. Selon l'art. 257 CPP, dans le jugement qu’il rend, le tribunal peut ordonner le prélèvement d’un échantillon et l’établissement d’un profil d’ADN sur une personne condamnée pour un crime ou un délit si des indices concrets laissent présumer qu’elle pourrait commettre d’autres crimes ou délits.
2.6. En l’espèce, l'établissement du profil d'ADN du recourant a été ordonné par le Ministère public afin d'élucider des infractions graves, à savoir des actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP) et un abus de la détresse ou de la dépendance (art. 193 CP). Ces infractions sont spécifiquement mentionnées dans la liste figurant à l'art. 4.2 de la Directive A.5 du Procureur général dont le libellé est "Infraction(s) sur laquelle (lesquelles) porte(nt) la procédure (art. 255 al. 1 CPP)" et qui, bien que n'ayant pas force de loi, est fondée sur l'art. 255 al. 1 CPP, lequel autorise l'établissement d'un profil d'ADN pour élucider des infractions en cours d'instruction.
Certes, le recourant conteste les faits.
Cela étant, on peine à comprendre dans quelle mesure l'établissement du profil d'ADN du recourant serait susceptible de faire avancer l'enquête. Il ne ressort en effet pas du dossier de la procédure que du matériel génétique aurait été prélevé sur le corps ou les habits de la victime.
Ainsi, la mesure ordonnée, dans le cas particulier, ne parait pas indispensable, ni nécessaire à l'élucidation des faits.
Au surplus, le Ministère public n'a pas fondé son ordonnance sur l'art. 255 al. 1bis CPP. En tout état, le recourant n'a pas d'antécédent judiciaire et le dossier ne comporte, en l'état, aucun élément laissant penser qu'il pourrait être, ou avoir été, impliqué dans d'autres infractions de ce type, lesquelles pourraient lui être attribuées si l'on était en mesure de comparer son profil d'ADN avec des traces prélevées sur les lieux de leur commission.
Ainsi, la mesure litigieuse, sans utilité pour l'instruction de la présente cause ou la recherche d'autres infractions, consacre une atteinte injustifiée aux droits fondamentaux du recourant.
Autre sera la question, en cas de condamnation, de l'ordre d'établissement d'un profil d'ADN par le juge du fond sur la base de l'art. 257 CPP, ce à quoi le Ministère public pourra toujours conclure dans son éventuel acte d'accusation.
3. Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et les échantillons d'ADN prélevés détruits, le Ministère public étant chargé de l'exécution de cette mesure.
4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).
5. Le recourant conclut à se voir allouer une indemnité de CHF 2'270.-, TVA à 8.1% incluse, à titre de dépens pour la procédure de recours.
5.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.
Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, cette indemnisation visant les frais de la défense de choix (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2011, n. 12 ad art. 429). En application de l'art. 429 al. 2 CPP, l'autorité pénale examine donc d'office celles-ci et peut enjoindre l'intéressé de les chiffrer et de les justifier.
Dans tous les cas, l'indemnité n'est due qu'à concurrence des dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1303, p. 1313 ; J. PITTELOUD, Code de procédure pénale suisse - Commentaire à l'usage des praticiens, Zurich/St-Gall 2012, n. 1349 p. 889). Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).
5.2. En l'occurrence, les prétentions du recourant portent sur six heures d'activité au tarif de CHF 350.-/heure, TVA de 8.1% comprise. Pour un recours de neuf pages (page de garde et conclusions comprises) comportant quatre pages de discussion juridique, la quotité des heures consacrées par le conseil à la rédaction du recours sera réduite à quatre heures, y compris la brève réplique. Une indemnité de CHF 1'513.40, TVA à 8.1% comprise, lui sera ainsi allouée.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Annule l’ordonnance querellée.
Ordonne la destruction de(s) échantillon(s) d’ADN prélevé(s) sur A______, ainsi que la suppression de son profil d’ADN, et charge le Ministère public de l’exécution de ce qui précède.
Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'513.40, TVA à 8.1% comprise.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
| La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).