Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/582/2025 du 31.07.2025 sur OMP/9108/2025 ( MP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/5154/2025 ACPR/582/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 31 juillet 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre l'ordonnance sur défaut après opposition rendue le 11 avril 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 24 avril 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 11 précédent, notifiée le 14 suivant, par laquelle le Ministère public a constaté le retrait de son opposition à l'ordonnance pénale du 20 janvier 2025.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à ce qu'il soit dit que la procédure suit son cours.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 19 janvier 2025, la police a perquisitionné le domicile d'un tiers suspecté de trafic de stupéfiants. Sur place, elle a été mise en contact de A______, qui a été arrêté.
b. Lors de son audition par la police, A______, de nationalité guinéenne, a reconnu être en situation irrégulière en Suisse.
c. Par ordonnance pénale du 20 janvier 2025, le Ministère public a déclaré A______ coupable d'infraction à l'art. 115 al. 1 let. b LEI (séjour illégal).
d. Sous la plume de son conseil, A______ y a formé opposition le 29 suivant.
e. Dûment convoqué, A______ ne s'est pas présenté à l'audience du 10 avril 2025 par-devant le Ministère public.
À teneur du procès-verbal, son conseil a expliqué que son client avait été informé de l'audience mais qu'elle n'arrivait pas à le joindre sur son téléphone portable.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que l'opposition de A______ était réputée retirée, celui-ci ayant fait défaut, sans excuse, à l'audience du 10 avril 2025 à laquelle il avait été dûment convoqué.
D. a. Dans son recours, A______ expose que la veille de l'audience en question, il avait fait une "grave crise de schizophrénie", pour laquelle il s'était rendu au Centre hospitalier de C______ [France], le laissant dans un "état de grande faiblesse" l'ayant empêché de rejoindre la Suisse à temps. Il n'avait, en outre, plus de crédit sur son téléphone portable pour prévenir son conseil et personne ne lui en avait prêté un pour le faire. Il ne s'était ainsi pas désintéressé de la procédure et présentait ses excuses les plus sincères.
Il produit une ordonnance du 9 avril 2025 établie par une psychiatre dudit Centre hospitalier, pour des médicaments, selon lui, "notoirement connus pour traiter de la schizophrénie".
b. Par ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. L'ordonnance médicale ne démontrait ni que A______ avait dû se rendre à l'hôpital, ni qu'il était dans l'incapacité de comparaître.
c. A______ n'a pas répliqué.
EN DROIT :
1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP). Il concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; ACPR/619/2024 du 22 août 2024 consid. 1) et émane du prévenu qui, partie à la procédure, (art. 104 al. 1 let. a CPP), dispose a priori d'un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), compte tenu de ce qui suit.
Partant, le recours est recevable.
2. À teneur des motifs invoqués, l'acte du recourant s'avère être, avant tout, une demande de restitution au sens de l'art. 94 CP, en l'occurrence de terme (al. 5) puisqu'il est question d'un défaut à une audience.
3. 3.1. Une telle demande devant être, de par la loi, adressée à l'autorité auprès de laquelle l'acte de procédure aurait dû être accompli (art. 94 al. 2 CPP), la Chambre de céans avait pour pratique de simplement transmettre la cause, soit au Ministère public (art. 355 al. 2 CPP), soit au Tribunal de police (art. 356 al. 4 CPP; art. 96 al. 1 LOJ cum art. 352 al. 1 CPP), selon qui avait constaté le défaut à l'audience sur opposition (cf. ACPR/75/2025 du 17 janvier 2025; ACPR/11/2025 du 7 janvier 2025; ACPR/550/2024 du 29 juillet 2024; ACPR/219/2024 du 22 mars 2024).
3.2. Cette pratique doit toutefois être nuancée, au regard des spécificités de la procédure de l'ordonnance pénale (cf. ATF 146 IV 30 consid. 1.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_667/2021 du 4 juillet 2022 consid. 2.1).
Ainsi, la fiction légale du retrait de l'opposition ne peut s'appliquer que si l'on peut déduire de bonne foi (art. 3 al. 2 let. a CPP) du défaut non excusé un désintérêt pour la suite de la procédure (cf. ATF 146 IV 30 consid. 1.1.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2a ad art. 355).
3.3. Il s'ensuit qu'une ordonnance constatant un défaut à une audience sur opposition suppose intrinsèquement que l'autorité inférieure tient pour acquis que l'opposant s'est désintéressé de la procédure, condition sine qua non pour un tel constat. Corrélativement, un recours contre ce genre d'ordonnance, même s'il s'avère être une demande de restitution de terme, peut aussi contester, sur le fond, la réalisation de dite condition; tel est d'ailleurs le cas du recourant, qui plaide ne pas s'être désintéressé de la procédure.
Dans cette mesure, la Chambre de céans ne saurait faire l'économie de l'examen de ce grief (cf. ACPR/847/2020 du 24 novembre 2020).
4. 4.1. En cas d'opposition, le ministère public administre les autres preuves nécessaires au jugement d'opposition (art. 355 al. 1 CPP).
Si l'opposant, sans excuse, fait défaut à une audition malgré une citation, son opposition est réputée retirée (art. 355 al. 2 CPP).
4.2. L'art. 355 al. 2 CPP (à l'instar de l'art. 356 al. 4 CPP) consacre une fiction légale de retrait de l'opposition en cas de défaut injustifié (ATF 142 7IV 158 consid. 3.1). Comme mentionné plus haut, cette disposition doit être interprété à la lumière de la garantie constitutionnelle (art. 29a Cst.) et conventionnelle (art. 6 par. 1 CEDH) de l'accès au juge, dont l'opposition (art. 354 CPP) vise à assurer le respect en conférant à la personne concernée la faculté de soumettre sa cause à l'examen d'un tribunal. La fiction légale du retrait ne peut s'appliquer que si l'on peut déduire de bonne foi (art. 3 al. 2 let. a CPP) du défaut non excusé un désintérêt pour la suite de la procédure –désintérêt qui doit résulter de l'ensemble du comportement de l'intéressé –, lorsque l'opposant a conscience des conséquences de son omission et renonce à ses droits en connaissance de cause (ATF 146 IV 30 consid. 1.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_667/2021 du 4 juillet 2022 consid. 2.1).
4.3. En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant savait sa présence à l'audience du 10 avril 2025 attendue et obligatoire et qu'il y a, nonobstant, fait défaut.
Cela étant, il s'agit de la première audience à laquelle le recourant a été convoqué, celle tenue par la police ayant succédé à son arrestation. Son conseil s'est rendue sur les lieux de l'audition, partant vraisemblablement de l'idée que son client y serait également. À ce titre, elle a essayé, en vain, de le joindre sur son téléphone pour éclaircir la situation, confirmant si besoin qu'elle ne s'attendait pas à cette absence.
De plus, le prévenu a fourni, dans son recours, des explications sur son absence à l'audience – sans qu'il ne soit question ici de savoir si elles suffisent à justifier son défaut – et a présenté ses excuses, affirmant ne pas s'être désintéressé de la procédure.
Face à ces circonstances, le Ministère public ne pouvait pas, de bonne foi, retenir l'inverse pour faire application de l'art. 355 al. 2 CPP.
Le recours est ainsi fondé.
5. Après avoir fait défaut à l'audience du 10 avril 2025, le recourant a expliqué à la Chambre de céans (et non au Ministère public, comme il aurait dû le faire) que son absence était due au fait qu'il avait dû, la veille, se rendre dans un hôpital en France, en raison d'une "grave crise de schizophrénie". Il produit à cet égard une ordonnance médicale du 9 avril 2025.
Ce faisant, le recourant a formé une demande de restitution d'un terme, au sens de l'art. 91 al. 1 et 5 CPP (ACPR/847/2020 du 24 novembre 2020 consid. 3), qu'il appartient à l'instance précédente d'examiner (art. 94 al. 2 CPP).
La cause sera dès lors transmise au Ministère public pour qu'il traite la demande de restitution.
6. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).
7. 7.1. Le recourant, prévenu, qui obtient gain de cause, peut prétendre à l'octroi d'une juste indemnité pour ses dépens (art. 429 al. 1 CPP via art. 436 al. 1 CPP).
Conformément à l'art. 429 al. 3 CPP, lorsque le prévenu a chargé un défenseur privé de sa défense, ce dernier a un droit exclusif à l’indemnité prévue à l’al. 1 let. a, sous réserve de règlement de compte avec son client.
7.2. Le conseil du recourant n'ayant pas chiffré, ni justifié, de prétentions en ce sens, elle se verra allouer, ex aequo et bono, une somme de CHF 300.- TTC, eu égard au recours de sept pages (pages de garde et conclusions incluses) et au motif d'admission de celui-ci.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours.
Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il traite la demande de restitution.
Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 300.- TTC pour l'activité déployée dans le cadre de la procédure de recours.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Valérie LAUBER, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Valérie LAUBER |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).