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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/16739/2020

ACPR/590/2025 du 31.07.2025 sur OCL/254/2025 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : DÉPENS;TORT MORAL;DOMMAGE PUREMENT ÉCONOMIQUE;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.429

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16739/2020 ACPR/590/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 31 juillet 2025

 

Entre

A______, représentée par Me B______, avocat,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 14 février 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 28 février 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 précédent, notifiée le 18 suivant, par laquelle le Ministère public, après avoir classé la procédure dirigée contre elle, a ordonné la restitution de son matériel informatique figurant à l'inventaire (chiffre 4 du dispositif), lui a alloué une indemnité de CHF 12'719.- pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (ch. 5) et rejeté pour le surplus ses prétentions (ch. 6).

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, au versement d'une indemnité totale de CHF 114'988.80.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. C______ est l'administrateur, respectivement l'associé gérant, de D______ SA (ci-après: D______ SA) et de E______ SÀRL, sociétés d'investigations secrètes basées à Genève.

b. Le 14 septembre 2020, C______ et les sociétés précitées ont déposé plainte contre A______, leur ancienne employée, pour violation du secret professionnel de l'avocat en tant qu'auxiliaire (art. 321 CP), violation du secret commercial (art. 162 CP), soustraction de données (art. 143 CP) et détérioration de données (art. 144bis CP).

En substance, C______ exposait que A______ avait été congédiée à la fin 2019. Durant leurs échanges subséquents, il avait eu des "doutes" quant au respect, par cette dernière, de ses obligations de confidentialité. Plus particulièrement, A______, formée au traitement de données informatiques, était soupçonnée d'avoir pris contact avec une personne visée par un mandat confié à D______ SA et E______ SÀRL et d'avoir révélé à cette personne l'existence dudit mandat et des renseignements collectés sur son compte. A______ semblait même avoir pu accéder au système informatique de D______ par le moyen d'une porte dérobée ("back door"). À ces fins, elle pourrait avoir mis sous sa coupe l'ancien responsable des services informatiques de D______, également licencié et visé par une plainte pénale séparée.

c. Le 12 janvier 2021, le domicile de A______ a été perquisitionné.

Sur place, ont été saisis, portés à l'inventaire et séquestrés: deux [smartphones de marque] F______, deux ordinateurs portables (un [de marque] G______ et un [de marque] H______), deux clés USB et deux disques durs. Une tablette numérique a été immédiatement rendue à A______ et l'un des F______ (un ancien modèle) lui a été restitué le 28 suivant.

d. Le jour de la perquisition, A______ a été entendue par la police.

Elle a contesté les faits.

e.a. Les 4 mai, 9 août, 21 septembre et 15 novembre 2021, ainsi que le 13 janvier 2022, A______, sous la plume de son conseil, a requis du Ministère public la restitution du matériel informatique saisi chez elle. En particulier, le H______ [ordinateur portable] lui était nécessaire pour faire valoir ses droits dans le procès prud'homal (C/1______/2020) qu'elle avait intenté à ses anciens employeurs et dans le cadre duquel elle faisait notamment valoir, à teneur de ses conclusions, CHF 27'500.- "à titre d'indemnité pour atteinte à sa personnalité et tort moral".

e.b. Le Ministère public a répondu (les 5 mai, 10 août, 22 septembre et 19 novembre 2021) que l'exploitation des appareils électroniques était toujours en cours.

Le 11 février 2022, il a levé le séquestre sur le H______ et ordonné sa restitution à A______.

f.a. À la suite d'un avis de prochaine clôture de l'instruction, A______ a sollicité, par courrier du 21 mars 2022, une indemnité, au sens de l'art. 429 al. 1 CPP, s'élevant à CHF 29'956.85 au total.

Ce montant se décompose comme suit:

- CHF 1'535.-, pour l'achat, le 6 novembre 2021, d'un nouvel ordinateur;

- CHF 2'418.50 de frais à sa charge pour des séances de psychothérapie liées "à sa relation avec son ancien employeur" et CHF 288.- en coûts de médicaments antidépresseurs, soit CHF 2'706.50 en tout;

- CHF 23'069.34 d'honoraires de son avocat, dont le décompte pour la période entre le 12 janvier 2021 et le 17 mars 2022 totalisait 55h48 d'activité, repartie sur plus d'une centaine d'entrées, auxquels s'ajoutaient CHF 646.- de frais de copies;

- CHF 2'000.- de tort moral.

f.b. Selon un certificat médical du 20 avril 2021, A______ présentait des symptômes dépressifs marqués, "conséquence directe de l'existence depuis environ 6 mois d'un facteur de stress majeur, […] à savoir la relation problématique avec son ex-employeur". Son traitement comprenait des séances de psychothérapies et des antidépresseurs.

g. Par arrêt du 2 août 2022 (ACPR/515/2022), la Chambre de céans a rejeté le recours de A______ contre l'ordonnance du 28 avril précédent, par laquelle le Ministère public avait autorisé les plaignants à consulter le dossier de la procédure.

L'arrêt retient que la précitée n'avait pas agi, après le séquestre de ses appareils électroniques, pour demander leur mise sous scellées et que "la décision querellée ne conférera pas aux intimés un accès libre et indistinct à tous les fichiers contenus dans les divers supports séquestrés et perquisitionnés".

h. Par mandat d'actes d'enquête du 21 octobre 2022, le Ministère public a enjoint à la police d'effectuer une recherche de vingt-neuf mots-clés dans les données brutes extraites du matériel informatique saisi chez A______.

i. À la suite d'un nouvel avis de prochaine clôture de l'instruction, A______ a sollicité, le 31 mars 2023, des dépens supplémentaires de CHF 25'883.- (soit CHF 55'839.85 au total), pour l'activité de son conseil entre le 18 mars 2022 et le 31 mars 2023.

Le décompte d'honoraires produit en annexe totalise 69h23 d'activité [22h57 + 42h48 + 3h38] et comporte notamment des libellés afférents au "recours". Les vacations sont facturées à la durée, selon un tarif horaire de CHF 200.-.

j.a. Les 11 mai et 2 août 2023, les parties plaignantes ont consulté l'intégralité des données brutes extraites des appareils informatiques saisis chez A______, la police ayant omis d'effectuer un tri de celles-ci après l'analyse effectuée selon le mandat d'actes d'enquête du 21 octobre 2022.

À ces occasions, elles ont demandé copie de documents spécifiquement désignés, ce à quoi le Ministère public s'est partiellement opposé, certaines pièces étant couvertes par le secret de l'avocat.

j.b. Après avoir été instruit de ce problème par A______, le Ministère public a, par ordonnance du 16 octobre 2023, refusé aux parties plaignantes les pièces sollicitées, constatant que la totalité des données informatiques étaient, par erreur, consultables.

k. Par courriers des 13, 25 octobre 2023 et 19 mars 2024, A______ s'est plainte auprès du Ministère public de la gestion de l'instruction, en particulier du fait que des courriers couverts par le secret de l'avocat figuraient encore parmi les fichiers consultables par les parties plaignantes.

l. Le 15 avril 2024, A______ a sollicité du Ministère public, en sus de ses précédentes prétentions, CHF 23'184.-, correspondant aux honoraires supplémentaires de son conseil entre le 13 mars 2023 et le 9 avril 2024; CHF 1'179.- pour l'achat d'un nouveau téléphone portable; CHF 926.95 de frais médicaux facturés depuis le 1er avril 2023. Enfin, compte tenu de la "grave atteinte à sa personnalité" en raison de la divulgation de l'intégralité des données brutes aux parties plaignantes, de l'attitude de ces dernières et du Ministère public dans le cadre de la procédure, une indemnité de CHF 25'000.- pour tort moral devait lui être allouée. Au total, ses prétentions se chiffraient à CHF 106'129.80.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère que le montant sollicité par A______ à titre de frais de défense – soit CHF 72'136.34, correspondant à 191h45 d'activité – était excessif. Les décomptes produits à cet égard avaient été établis en faisant fi des "critères établis par la jurisprudence en la matière". En particulier, ne devaient pas être indemnisés: les conférences internes entre le conseil constitué et ses collaborateurs, la vacation à la poste, les frais liés à la procédure de recours dans le cadre de laquelle A______ avait succombé, la formation du stagiaire et de l'avocat breveté. En outre, les vacations devaient être indemnisées à un tarif forfaitaire et la note d'honoraires comportait un nombre "démesuré" de "courriers/courriels/téléphones" avec la cliente. Seules 20h d'activité, au tarif horaire de CHF 400.- et 5h d'activité, au tarif horaire de CHF 300.- étaient retenues. Les correspondances étaient indemnisées de manière forfaitaire, à hauteur de 10% des honoraires admis. S'ajoutaient encore CHF 750.- pour les déplacements et CHF 646.- de débours, TVA en sus, pour un total de CHF 12'719.-.

Pour le tort moral, A______ avait été entendue à une reprise par la police et subi la perquisition de son domicile ainsi que la saisie du matériel informatique s'y trouvant. Aucun élément exceptionnel excédant les désagréments inhérents à toute poursuite pénale ne pouvait être retenu. Le harcèlement psychologique dont se plaignait la précitée sur son ancien lieu de travail faisait l'objet d'une procédure prud'homale et ne pouvait être rattaché à la procédure pénale. L'absence de tort moral excluait l'indemnisation des frais médicaux. Enfin, A______ s'était vu restituer son [ordinateur portable] H______ le 11 février 2022 et allait récupérer son téléphone portable à l'entrée en force de cette ordonnance. Elle n'avait donc subi aucun dommage économique.

D. a. Dans son recours, A______ allègue d'abord que les frais et honoraires de son conseil depuis le 10 avril 2024 s'élevaient à CHF 8'859.-, portant ainsi le total de ses prétentions à CHF 114'988.80 [CHF 106'129.79 + CHF 8'859].

Elle reproche ensuite au Ministère public d'avoir réduit son indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, via une appréciation et une motivation contraire au droit. En particulier, le montant alloué dans l'ordonnance querellée ne représentait que 18% de celui sollicité, sans raison effective pour une telle réduction.

S'agissant du dommage économique, l'ampleur du séquestre de ses outils informatiques (et de ceux appartenant à son mari), ainsi que la prolongation injustifiée de cette mesure, l'avait contrainte à acquérir un nouvel ordinateur, de même qu'un nouveau téléphone portable.

Pour le tort moral, la procédure la visant concernait des infractions graves, susceptibles de remettre en cause sa probité professionnelle et avait duré plus de quatre ans. Elle avait subi des atteintes: psychique, en raison de la charge psychologique découlant de l'instruction et des mesures de contrainte; à son honneur "interne" et "externe"; à sa sphère privée, notamment par la confiscation de son matériel informatique et celui de son époux; à sa liberté économique, la confiscation l'ayant entravée dans ses démarches pour trouver un emploi. "Subjectivement", le certificat médical du 20 avril 2021 attestait de ses troubles psychologiques, nécessitant un suivi et un traitement. Enfin, elle avait subi une grave atteinte à sa personnalité, en raison de la divulgation, aux parties plaignantes, de l'intégralité des données extraites de ses appareils électroniques, en violation de l'arrêt de la Chambre de céans.

b. Dans ses observations, le Ministère public affirme avoir détaillé les raisons motivant la réduction de l'indemnité allouée à A______ pour l'activité de son conseil. La précitée n'avait été entendue qu'à une unique reprise et son matériel informatique avait été saisi. Ces seuls actes ne justifiaient pas une note d'honoraires de plus de CHF 70'000.-. A______ n'avait pas non plus subi un élément exceptionnel excédant les désagréments inhérents à une procédure pénale et, s'étant vu restituer son ordinateur et son téléphone, elle n'avait subi aucun dommage.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner un point d'une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 7B_654/2024 du 1er octobre 2024, destiné à publication).

2.             La recourante fait grief au Ministère public d'avoir réduit l'indemnité due pour l'exercice raisonnable de ses droits de procédure et refusé, pour le surplus, toutes les autres sollicitées, à titre de dommage économique et tort moral.

2.1. L'art. 429 al. 1 let. a, 1ère phr., CPP prévoit que si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité fixée conformément au tarif des avocats, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'indemnité concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix
(ATF 139 IV 241 consid. 1; 138 IV 205 consid. 1). Elle couvre en particulier les honoraires d'avocat, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure (ATF 146 IV 332 consid. 1.3; 144 IV 207 consid. 1.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_250/2024 du 13 août 2024 consid. 1.2; 6B_559/2023 du 8 novembre 2023 consid. 1.1).

2.2. Aux termes de l'art. 429 al. 1 let. b CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la procédure pénale.  

Cette disposition instaure une responsabilité causale de l'État, qui est tenu de réparer l'intégralité du dommage en rapport de causalité adéquate avec la procédure pénale (ATF 142 IV 237 consid. 1.3.1). Elle vise essentiellement des pertes de salaires et de gains liées à l'impossibilité de réaliser une activité lucrative en raison du temps consacré à la participation aux audiences ou d'une mise en détention avant jugement. Elle concerne également l'éventuelle atteinte à l'avenir économique consécutif à la procédure, de même que les autres frais liés à la procédure, comme les frais de déplacement ou de logement (arrêts du Tribunal fédéral 7B_29/2022 du 9 octobre 2023 consid. 2.1.1; 6B_853/2021 du 16 novembre 2022 consid. 5.1.1).

L'évaluation du dommage économique se fait en application des règles générales en matière de responsabilité civile (art. 41 ss CO). Le droit à des dommages-intérêts fondés sur l'art. 429 al. 1 let. b CPP suppose en outre l'existence d'un lien de causalité adéquate entre le dommage subi et la procédure pénale (ATF 142 IV 237 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_29/2022 du 9 octobre 2023 consid. 2.1.1).

2.3. Lorsque, du fait de la procédure, le prévenu – acquitté – a subi une atteinte particulièrement grave à ses intérêts personnels au sens des art. 28 al. 2 CC ou 49 CO, il a droit à la réparation de son tort moral (art. 429 al. 1 let. c CPP).

L'intensité de l'atteinte à la personnalité doit être analogue à celle requise dans le contexte de l'art. 49 CO (ATF 143 IV 339 consid. 3.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_740/2016 du 2 juin 2017 consid. 3.2; 6B_928/2014 du 10 mars 2016 consid. 5.1, non publié aux ATF 142 IV 163).

Outre la détention, peut constituer une grave atteinte à la personnalité, par exemple, une arrestation ou une perquisition menée en public ou avec un fort retentissement médiatique, une durée très longue de la procédure ou une importante exposition dans les médias, ainsi que les conséquences familiales, professionnelles ou politiques d'une procédure pénale, de même que les assertions attentatoires aux droits de la personnalité qui pourraient être diffusées par les autorités pénales en cours d'enquête. En revanche, il n'y a pas lieu de prendre en compte les désagréments inhérents à toute poursuite pénale comme la charge psychique que celle-ci est censée entraîner normalement chez une personne mise en cause (ATF 143 IV 339 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1374/2021 du 18 janvier 2023 consid. 3.1). 

La gravité objective de l'atteinte doit être ressentie par le prévenu comme une souffrance morale. Pour apprécier cette souffrance, le juge se fondera sur la réaction de l'homme moyen dans un cas pareil, présentant les mêmes circonstances
(ATF 128 IV 53 consid. 7a). Il incombe au prévenu de faire état des circonstances qui font qu'il a ressenti l'atteinte comme étant subjectivement grave. La fixation du tort moral procède d'une appréciation des circonstances et l'autorité compétente bénéficie d'un large pouvoir d'appréciation en la matière (ATF 120 II 97 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 6B_928/2014 du 10.03.2016 consid. 5.1, non publié aux
ATF 142 IV 163).

2.4. En l'espèce, il y a lieu de distinguer les trois volets de l'art. 429 al. 1 CPP contestés par la recourante.

Réduction de l'indemnité pour les dépenses occasionnées par la procédure (let. a)

Pour les 191h45 d'activité annoncées par le conseil de la recourante, le Ministère public n'en a retenu que 25h [20h au tarif horaire de CHF 400.- et 5h au tarif horaire de CHF 300.-], fixant ainsi l'indemnité allouée à CHF 12'719.- (comprenant 10% de frais forfaitaires pour les correspondances, CHF 750.- pour les déplacements et CHF 646.- de débours), sur les CHF 72'136.34 sollicités.

À titre de motivation, l'autorité inférieure s'est bornée à lister des règles jurisprudentielles – certes applicables – sans plus de détails et à pointer le nombre "démesuré" de correspondances avec la recourante. Cette méthode, contraire au droit d'être entendu (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_939/2023 du 18 janvier 2024 consid. 2.2 et 2.4), rend impossible, tant pour cette dernière que pour la Chambre de céans, d'identifier facilement et clairement les éléments qui ont été considérés comme infondés ou excessifs, d'autant qu'il est question d'un retranchement de presque 80% de l'activité alléguée.

La Chambre de céans n'est ainsi pas en mesure de statuer sur le bien-fondé des retranchements opérés par le Ministère public dans les notes d'honoraires du conseil de la recourante et il ne lui appartient pas de rechercher a posteriori des justifications pour des décisions prises par l'instance précédente (ACPR/1000/2023 du 22 décembre 2023 consid. 4.4).

Le Ministère public n'ayant pas saisi l'occasion de se déterminer sur le recours pour étayer son raisonnement, il y a lieu d'annuler le chiffre 5 de l'ordonnance querellée et de renvoyer la cause à cette autorité, en l'invitant à rendre une nouvelle décision soigneusement motivée (ACPR/561/2023 du 21 juillet 2023 consid. 3.5).

Refus d'indemnisation du dommage économique

Pour les besoins de l'enquête, du matériel informatique appartenant à la recourante a été saisi et conservé à partir du 12 janvier 2021, afin d'en extraire les données brutes pour analyse. Il était ainsi question de deux ordinateurs portables, deux téléphones et, pour le surplus, de périphériques de stockage (clés USB et disques durs externes).

La recourante a récupéré un [smartphone] F______ – ancien modèle – le 28 suivant, puis l'un de ses ordinateurs en février 2022, sachant qu'elle a, dès le début, conservé une tablette numérique. Enfin, l'ordonnance querellée consacre la restitution du reste dudit matériel.

Malgré la durée de la mesure et son ampleur – rendus nécessaires par la nature des infractions en cause, impliquant des soupçons de piratage informatique – la recourante n'est pas restée sans le moindre outil bureautique à sa disposition durant cet intervalle de quatre ans et elle a, in fine, pu récupérer l'ensemble de ses appareils.

Partant, elle ne démontre aucun dommage concret et causal. La mesure de séquestre – justifiée – a certes pu lui causer des inconvénients pratiques; cela ne saurait toutefois suffire pour lui permettre de réclamer de l'État le remboursement d'un nouvel ordinateur et d'un nouveau téléphone, sans même démontrer que ceux-ci lui étaient essentiels d'une quelconque manière.

L'ordonnance querellée peut donc être confirmée sur ce point.

Refus d'indemnisation du tort moral

La recourante allègue avoir subi plusieurs atteintes de natures différentes (psychique, à son honneur, à sa liberté économique) en raison de l'instruction menée contre elle. La plupart sont toutefois inhérentes à la procédure pénale, comme le fait de subir des mesures de contrainte ou de se voir reprocher des agissements contraires au droit pénal, étant précisé que les infractions en cause, bien que graves, ne sont pas socialement répugnantes (cf. Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 47a ad art. 429).

Pour étayer sa prétention en tort moral, elle produit un certificat médical du 20 avril 2021, faisant état de troubles dépressifs, "conséquence directe de l'existence depuis environ 6 mois d'un facteur de stress majeur, […] à savoir la relation problématique avec son ex-employeur". Ce document atteste moins que la recourante serait touchée par la procédure pénale que par le contexte conflictuel avec les plaignants, avec qui elle est également en litige par-devant les juridictions prud'homales. Dans ce cadre, elle fait d'ailleurs valoir des prétentions pour atteinte à sa personnalité.

Partant, la recourante ne démontre pas avoir subi une atteinte particulière du fait de la procédure pénale.

En revanche, il est établi que, par suite d'une erreur des autorités de poursuite pénale, les plaignants ont pu accéder à l'intégralité des données brutes extraites des appareils informatiques saisis chez la recourante. De ce fait, ils ont pu consulter des fichiers privés, sans aucun lien avec la procédure, voire même des documents couverts par le secret professionnel, dont ils ont d'ailleurs sollicité copie.

Compte tenu du contexte particulièrement litigieux entre la recourante et les plaignants, cette erreur et ses conséquences sont susceptibles d'avoir causé un préjudice moral à l'intéressée.

Ce point précis ouvre à la recourante la voie à une indemnisation au sens de l'art. 429 al. 1 let. c CPP. Compte tenu du renvoi de la cause au Ministère public et pour garantir un double degré de juridiction, ce dernier se verra également invité à fixer l'indemnité due à ce titre.

3.             En définitive, le recours doit être partiellement admis.

Les chiffres 5 et 6 du dispositif de l'ordonnance querellée seront annulés. La cause sera renvoyée au Ministère public pour qu'il motive les retranchements effectués sur les notes d'honoraires du conseil de la recourante et pour qu'il statue sur l'indemnité pour tort moral due à celle-ci relative à l'accès, par les plaignants, à l'intégralité des données brutes extraites du matériel informatique saisi.

Pour le surplus, l'ordonnance querellée sera confirmée.

4.             La recourante succombe sur la moitié de ses griefs.

Elle sera, en conséquence, condamnée à la moitié des frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 1'300.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit au paiement de CHF 650.-.

5.             Corrélativement, la recourante, prévenue, peut prétendre à l'octroi de dépens (art. 436 al. 1 cum 429 al. 1 let. a CPP).

Elle conclut à une juste indemnité.

Compte tenu de l'ampleur du recours (vingt-sept pages, pages de garde et conclusions comprises), dont seule la moitié est consacrée aux développements juridiques utiles, et de l'admission partielle de celui-ci, l'indemnité sera fixée à CHF 1'500.- TTC.

Conformément à l'art. 429 al. 3 CPP, lorsque le prévenu a chargé un défenseur privé de sa défense, ce dernier a un droit exclusif à l’indemnité prévue à l’al. 1 let. a, sous réserve de règlement de compte avec son client. La somme précitée sera donc allouée à Me Christian DE PREUX, par l'État.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours.

Annule les chiffres 5 et 6 du dispositif de l'ordonnance de classement du 14 février 2025 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Confirme ladite ordonnance pour le surplus.

Fixe les frais de la procédure de recours à CHF 1'300.-.

Condamne A______ à la moitié de ces frais, soit CHF 650.-.

Laisse le solde, soit CHF 650.-, à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'500.- TTC, pour l'activité déployée dans le cadre de la procédure de recours (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Catherine GAVIN, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/16739/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

00.00

- délivrance de copies (let. b)

CHF

00.00

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'215.00

Total

CHF

1'300.00