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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11850/2024

ACPR/465/2025 du 23.06.2025 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);SCELLÉS;DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ
Normes : CPP.393.al1.leta; CPP.196; CPP.197; CPP.248.al1; CPP.264.al1; CPP.139

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11850/2024 ACPR/465/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 23 juin 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre "le séquestre et le versement à la procédure P/11850/2024 du contenu intégral des données extraites [de son] téléphone", par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 19 mai 2025, A______ recourt contre le séquestre et le versement à la procédure P/11850/2024 du contenu intégral des données extraites de son téléphone, par le Ministère public.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à ce qu'il soit constaté que les conditions du séquestre desdites données n'étaient pas remplies et qu'elles ne pouvaient pas être versées au dossier de la procédure, et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de retrancher du dossier et détruire les données extraites en tant qu'elles n'étaient pas visées par le mandat d'actes d'enquête du 29 janvier 2025 ainsi que de requérir à nouveau la police d'extraire les données précisément mentionnées dans ledit mandat.

b. Par ordonnance du 20 mai 2025 (OCPR/19/2025), la Direction de la procédure a fait droit à la demande de mesures provisionnelles, en ce sens que les données extraites autres que celles précisément visées par le mandat d'actes d'enquête du 29 janvier 2025 ne soient pas versées au dossier et soient inaccessibles à la consultation.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est soupçonné, dans le cadre de la présente procédure, ouverte le 15 mai 2024, de tentative de lésions corporelles graves (art. 22 al. 1 cum 122 CP), voire tentative de meurtre (art. 22 al. 1 cum 111 CP), lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP), contrainte (art. 181 CP), menaces (art. 180 CP), injures (art. 177 al. 1 CP), dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP), infraction à la loi sur les armes (art. 33 al. 1 LArm) pour avoir, en particulier, entre fin décembre 2023 et le 14 mai 2024, à plusieurs reprises, contrôlé les faits et gestes de sa compagne, C______, notamment en l'appelant régulièrement au téléphone et en lui envoyant des messages, la menaçant notamment de mort, l'injuriant et faisant pression sur elle pour qu'elle reste en couple avec lui, la terrorisant par sa manière de la harceler constamment; l'avoir, le 4 mai 2024, à son domicile à la D______ [GE], tenue par les poignets et secouée, avant de prendre de force son téléphone et refusé de le lui rendre; et l'avoir, le 11 mai 2024, emmenée sans son accord au P+ R de E______ (France) pour avoir une discussion avec elle et, à cette occasion, l'avoir menacée de mort si elle avait des relations intimes avec un autre homme, insultée et, alors qu'elle tentait de fuir, l'avoir jetée à terre et rouée de coups de pied et de poings sur la tête et sur le corps.

Il est également prévenu de conduite en état d'ébriété avec un taux d'alcool qualifié pour des faits survenus à Genève le 11 mai 2025.

b. Le 21 mai 2024, le Ministère public a ordonné la perquisition du téléphone portable de marque F______ appartenant au prévenu et la mise sous séquestre de toutes données et documents qu'il contenait.

c. Par mandat d'actes d'enquête du même jour, il a ordonné à la police de procéder à l'extraction et à l'analyse des données dudit téléphone ainsi que d'entendre le prévenu sur le résultat de cette analyse.

d. En exécution dudit mandat, A______, en présence de son conseil, a été entendu par la police le 12 septembre 2024, ensuite de l'analyse de son téléphone (cf. rapport de renseignements du 14 septembre 2024).

e. Par courrier du 9 octobre 2024 au Ministère public, A______ a sollicité la restitution de son téléphone. Il a également demandé à pouvoir consulter le dossier, en particulier le rapport d'analyse du téléphone par la police et le support contenant les données extraites de l'appareil (clé USB).

f. Le Ministère public a fait droit à la demande de consultation sollicitée mais refusé de lever le séquestre du téléphone (cf. ordonnance du 11 octobre 2024).

g. Par pli du 25 novembre 2024, A______ s'est plaint auprès du Ministère public que les données extraites de son téléphone et auxquelles il avait eu accès ne contenaient pas la totalité des messages échangés avec la plaignante, mais uniquement une sélection orientée à sa charge. Il sollicitait la transmission par la police de l'intégralité des données extraites couvrant l'entier de la période pénale litigieuse du 1er juin 2023 au 15 mai 2024, et son accès à celles-ci.

h. Par mandat d'actes d'enquête du 4 décembre 2024, le Ministère public a ordonné à la police de procéder à l'extraction complète, sur clé USB, des données se trouvant sur le téléphone portable du prévenu, soit précisément tous les messages WhatsApp et SMS échangés entre ce dernier et la plaignante entre le 1er juin 2023 et le 15 mai 2024.

i. Le 6 janvier 2025, la police a transmis au Ministère public la clé USB contenant ces échanges.

j. Par lettre du 23 janvier 2025, A______ s'est plaint auprès du Ministère public que, contrairement à ce qui avait été demandé dans le mandat d'actes d'enquête, les données WhatsApp extraites étaient toujours lacunaires, car ne couvrant pas toute la période concernée. Quant à l'extraction des données SMS, elle était manquante.

k. Le 29 janvier 2025, le Ministère public a adressé un nouveau mandat d'actes d'enquête à la police visant à l'extraction complète, sur clé USB, des données se trouvant sur le téléphone portable du prévenu, en particulier tous les messages WhatsApp, SMS, les enregistrements audios, le registre des appels et toutes les images échangés entre les protagonistes entre le 1er juin 2023 et le 15 mai 2024.

l. La clé USB contenant l'extraction complète du contenu du téléphone du prévenu a été transmise par la police au Ministère public, le 6 février 2025.

m. Par courrier du 9 mai 2025 adressé au Ministère public, A______ a indiqué avoir, à l'occasion de la consultation du dossier le 7 mai 2025, pris connaissance des données extraites de son téléphone portable à la suite du mandat d'actes d'enquête du 29 janvier 2025. Or, celles-ci comportaient des données éminemment personnelles sans rapport avec l'instruction et non mentionnées dans le mandat d'actes d'enquête en question, lesquelles avaient donc été versées au dossier et étaient consultables. Il sollicitait leur mise sous scellés.

n. Le 16 mai 2025, le Ministère public a sollicité du Tribunal des mesures de contrainte la levée des scellés.

La procédure est toujours en cours.

D. a. À l'appui de son recours, A______ expose que le 7 mai 2025, il avait découvert au dossier la clé USB transmise par la police le 6 février 2025, laquelle contenait l'intégralité des données de son téléphone, soit notamment les inscriptions à son calendrier, tous ses contacts, ses données liées à son activité physique, ses données de géolocalisation et les lieux les plus visités, l'intégralité de ses messages et appels avec des personnes sans lien avec la procédure, des données liées à ses finances ainsi que l'intégralité de sa photothèque comportant entre autres des photos intimes de lui-même. Ces données excédaient le mandat d'actes d'enquête du 29 janvier 2025, qui délimitait précisément les éléments pertinents à extraire. Dites données, relevant de sa sphère privée, ne pouvaient ainsi pas être séquestrées valablement, selon l'art. 264 al. 1 let. b CPP. Elles n'étaient pas non plus pertinentes, au sens de l'art. 139 CPP. Partant, elles devaient être retirées du dossier.

b. Par courrier du 4 juin 2025, il a sollicité la suspension de la procédure de recours jusqu'à droit connu sur la demande de levée de scellés.

c. Le Ministère public conclut à l'irrecevabilité du recours, pour cause de tardiveté, en tant que le téléphone du prévenu avait fait l'objet d'une ordonnance de séquestre du 21 mai 2024, notifiée le 23 suivant. Ensuite, de jurisprudence constante, le recours n'était pas ouvert dans le cas où des mesures de contrainte débouchaient sur une procédure d'apposition et de levée des scellés, laquelle permettait à l'ayant droit d'invoquer ses objections. La procédure de levée de scellés étant en cours, le prévenu pouvait faire valoir à l'occasion de celle-ci ses moyens, à savoir que des données éminemment personnelles et sans rapport avec l'instruction auraient été versées au dossier. Le recours était ainsi irrecevable sous cet angle également, subsidiairement devait être rejeté.

d. Dans sa réplique, le recourant réitère sa demande de suspension du présent recours – dans lequel il persistait – jusqu'à droit connu sur la procédure de scellés.

EN DROIT :

1. 1.1. Le recourant ne conteste pas la saisie de son téléphone portable, intervenue le 21 mai 2024. L'aurait-il fait que son recours, interjeté une année après ladite saisie, serait tardif (art. 396 al. 1 CPP).

Il dirige son recours contre le "séquestre" de données privées renfermées dans son téléphone, lequel se serait matérialisé par le versement au dossier de la clé USB contenant l'extraction complète du contenu de son téléphone, transmise par la police au Ministère public, le 6 février 2025, dont il dit n'avoir eu connaissance que le 7 mai 2025 à l'occasion de sa consultation du dossier. La question de la recevabilité du recours, sous l'angle du délai, peut cependant rester ouverte, vu ce qui suit.

1.2.1. À teneur de l'art. 248 al. 1 1ère phrase CPP, si le détenteur s'oppose au séquestre de certains documents, enregistrements ou autres objets en vertu de l'art. 264 CPP, l'autorité pénale les met sous scellés.  

Selon l'art. 264 al. 1 CPP, quels que soient l'endroit où ils se trouvent et le moment où ils ont été conçus, ne peuvent pas être séquestrés, notamment, les documents personnels et la correspondance du prévenu, si l'intérêt à la sauvegarde de la sphère intime du prévenu l'emporte sur l'intérêt public à l'établissement de la vérité (let. b). En font partie le journal intime, les agendas, etc. (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 6 ad art. 264).

1.2.2. Selon la jurisprudence rendue sous l'ancien droit – qui reste applicable –, la procédure de levée des scellés vise à garantir que les secrets éventuellement contenus dans les éléments saisis en vue d'être perquisitionnés soient protégés (cf. art. 246 à 248 CPP). 

1.2.3. À teneur de l'art. 393 al. 1 let. a CPP, le recours est ouvert contre les décisions et les actes de procédure de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions.

Cette disposition implique qu'une ordonnance de perquisition et de séquestre – qui constitue une mesure de contrainte au sens de l'art. 196 CPP – est, en principe, sujette à recours auprès de la Chambre de céans (cf. art. 198 al. 1 let. a CPP; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 33 ad art. 393).

Cela étant, le recours est irrecevable dans le cas où des mesures de contrainte débouchent sur une procédure d'apposition et de levée des scellés (cf. art. 248 CPP), celle-ci permettant à l'ayant droit d'invoquer ses objections, dont l'insuffisance de soupçons laissant présumer une infraction (art. 197 al. 1 let. b CPP), l'absence de pertinence des objets et/ou documents séquestrés pour la procédure pénale, la violation du principe de proportionnalité (art. 197 al. 1 let. c CPP) et/ou l'illicéité de l'ordre de perquisition, puisqu'il n'est en principe pas admissible de pouvoir présenter au cours d'une procédure pénale des preuves obtenues de manière illicite (art. 139 et 141 CPP). La voie du recours de l'art. 393 CPP n'entre dès lors en ligne de compte que si les griefs soulevés ne concernent aucun intérêt juridiquement protégé au maintien du secret protégé par les scellés. Ce moyen de droit doit ainsi notamment être ouvert lorsque la perquisition n'a abouti à aucune saisie, puisqu'alors l'intéressé ne peut défendre ses droits au cours d'une procédure de levée de scellés (ATF 143 IV 270 consid. 6-7; arrêts du Tribunal fédéral 1B_550/2021 du 13 janvier 2022 consid. 3.1.2; 1B_275/2020 du 22 septembre 2020 consid. 3.1.2; 1B_351/2016 du 16 novembre 2016 consid. 1.3; 1B_360/2013 du 24 mars 2014 consid. 2.2 et les arrêts cités).

Autrement dit, la procédure de levée des scellés a le pas sur un éventuel recours visant à contester la mesure de contrainte initiale (arrêt du Tribunal fédéral 7B_253/2023 du 31 août 2023 consid. 3.2.2.).

La Chambre de céans a d'ailleurs déclaré irrecevable le recours d'un prévenu contre une ordonnance de perquisition et de séquestre de son téléphone portable, au motif que les griefs invoqués, soit la violation du principe de la proportionnalité et l'absence de pertinence des données séquestrées, avaient pu être soulevés dans le cadre de la procédure de levée de scellés pendante (ACPR/575/2024 du 6 août 2024 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral a récemment confirmé cette motivation (7B_950/2024 - 7B_976/2024 du 15 novembre 2024 destiné à la publication, consid. 3.5).

Plus récemment encore, dans une affaire similaire où le prévenu avait demandé la mise sous scellés de son téléphone, la Chambre de céans a rappelé que l'intéressé pouvait faire valoir ses griefs tirés de la violation du principe de la proportionnalité et de l'absence de pertinence des données séquestrées dans la procédure de levée de scellés, laquelle était toujours en cours (ACPR/905/2024 du 4 décembre 2024).

1.3. En l'espèce, le recourant a demandé la mise sous scellés des données extraites de son téléphone portable à la suite du séquestre de l'appareil ordonné le 21 mai 2024, lesquelles contenaient selon lui des données privées qui sortaient du cadre du mandat d'actes d'enquête du 29 janvier 2025, ce qui a conduit à une procédure de levée de scellés. C'est dès lors par le biais de cette procédure qu'il pourra invoquer ses griefs en

lien avec l'intérêt juridiquement protégé au maintien des secrets au sens de l'art. 248 al. 1 CPP, en particulier la légalité de la mesure de contrainte au regard du caractère personnel des données en cause et l'absence ou non de pertinence desdites données pour la procédure en cours. Il pourra en outre soulever également ses éventuelles objections liées à la violation du principe de la proportionnalité.

La saisie de ces données et leur versement au dossier ne peuvent donc pas faire l'objet d'un recours.

Est également irrecevable la conclusion tendant au retranchement des données litigieuses du dossier et à leur destruction, faute de décision préalable du Ministère public (art. 393 al. 1 let. a CPP) (ACPR/306/2024 du 26 avril 2024 consid. 2.2.2.2; ACPR/536/2023 du 18 juillet 2023 consid. 6.2.1).

2. Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable, de sorte qu'il n'y a pas matière à suspendre l'instruction de celui-ci jusqu'à droit connu sur la procédure de levée de scellés.

3. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). L'autorité de recours est en effet tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

4. Il sera statué sur l'indemnité du défenseur d'office à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare le recours irrecevable.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/11850/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00