Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/455/2025 du 13.06.2025 sur OMP/10487/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/12003/2022 ACPR/455/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 13 juin 2025 |
Entre
A______, actuellement détenu à la prison de La Croisée, chemin des Prés-Neufs 1,
1350 Orbe, agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance de refus de remplacement du défenseur rendue le 30 avril 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 14 mai 2025, reçu à la Chambre de céans le lendemain, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 avril 2025, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de relever son défenseur d'office, Me B______, de sa mission.
Le recourant conclut, sous suite de frais et "dépens", à l'annulation de cette ordonnance et à ce qu'un autre avocat d'office soit nommé pour la défense de ses intérêts.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ est notamment prévenu d'abus de confiance (art. 138 CP) et de faux dans les titres (art. 251 CP), en lien avec un prêt COVID-19 contracté par C______.
b. Une défense d'office en sa faveur, en la personne de Me B______, a été ordonnée par le Ministère public le 30 août 2023.
c. Le 21 décembre 2023, cette autorité a révoqué le mandat de nomination d'office de Me B______, ensuite de la reprise de la procédure dirigée contre A______ par les autorités vaudoises, lesquelles avaient, dans l'intervalle, ouvert une instruction contre le prénommé pour des soupçons de viol, respectivement de contrainte sexuelle.
d. A______ s'est opposé à la reprise de for par les autorités vaudoises. La cause a donc été portée devant le Tribunal pénal fédéral, qui a jugé, le 6 mai 2024, que les autorités de poursuite pénale genevoises étaient seules compétentes pour poursuivre et juger l'ensemble de la procédure P/12003/2022.
e. Le 29 mai 2024, le Ministère public a ordonné, une nouvelle fois, une défense d'office en faveur de A______, en la personne de Me B______.
f. Depuis la reprise de la procédure par le Ministère public genevois, le défenseur d'office a, à plusieurs occasions, consulté le dossier. Il a également demandé des prolongations de délai afin de pouvoir s'entretenir avec son client, en vue de la formulation d'éventuelles réquisitions de preuve, à la suite de l'avis de prochaine clôture de l'instruction rendu par le Ministère public l'informant du prochain renvoi en jugement du prévenu.
g. Par pli du 10 avril 2025, A______ a sollicité du Ministère public un changement de défenseur d'office en la personne de Me D______ en lieu et place de Me B______. Il invoquait "une rupture de confiance et de confidentialité" avec ce dernier, sans donner plus de détails.
h. Invité à se déterminer, Me B______ s'en est rapporté, tout en contestant tout manquement, notamment en lien avec la question du secret professionnel que semblait soulever son client.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient qu'il n'existe aucun élément objectif permettant de considérer que la relation de confiance entre le prévenu et son défenseur d'office serait gravement perturbée. En effet, le premier nommé n'expliquait ni la cause ni ne rendait vraisemblable la rupture de confiance invoquée. Il semblait plutôt que celui-ci eût "soudainement" eu envie de changer d'avocat pour des motifs qui lui appartenaient, ce qui ne constituait pas un motif de remplacement. Une défense d'office efficace restait, pour le surplus, assurée.
D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que les conditions de l'art. 134 al. 2 CPP étaient réunies. À bien le comprendre, son défenseur – avec lequel il n'avait signé aucune nouvelle procuration ensuite de la révocation de son mandat d'avocat d'office du 21 décembre 2023 – n'avait jamais donné de réponse à ses questions quant "au fond de la procédure". Son avocat avait, en outre, consulté le dossier sans son autorisation et avait "envoyé une demande de prolongation" sans lui en faire part. Lors d'un entretien en prison, le collaborateur de son conseil, Me E______, lui avait "manqué de respect" en lui disant "Si vous continuez, je vais péter les plombs et je vais partir" alors qu'il cherchait à comprendre pourquoi son conseil n'avait pas de nouvelles sur l'avancée de "son affaire". Enfin, dans le cadre d'une affaire civile qui le concernait également, son avocat avait mentionné 3 heures en lien avec ses visites à la prison alors qu'il n'était resté que 17 minutes, ce qui était "absolument inacceptable". Ainsi, bien que cette Étude soit professionnelle, il ne souhaitait plus qu'elle le représente dans le cadre de cette procédure et demandait qu'un nouveau défenseur d'office soit nommé à la place de Me B______.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. Selon l'art. 133 CPP, le défenseur d'office est désigné par la direction de la procédure au stade considéré (al. 1); lorsqu'elle nomme le défenseur d'office, la direction de la procédure prend en considération les souhaits du prévenu dans la mesure du possible (al. 2). Cette disposition concrétise la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la CourEDH relative aux art. 29 al. 3 Cst. et 6 § 3 let. c CEDH (arrêt du Tribunal fédéral 1B_387/2012 du 24 janvier 2013 consid. 4.3).
3.2. Une demande de remplacement du défenseur d'office ne peut être admise que si, pour des motifs objectifs, une défense compétente et efficace des intérêts du prévenu n'est plus garantie (ATF 116 Ia 102 consid. 4b/aa). Que la personne bénéficiaire n'apprécie pas son avocat ou doute de ses capacités ne suffit pas (B. CORBOZ, Le droit constitutionnel à l'assistance judiciaire, in SJ 2003 II p. 84).
L'art 134 al. 2 CPP précise à ce propos qu'une défense compétente et efficace ne peut plus être assurée non seulement en cas de violation objective du devoir d'assistance, mais déjà en cas de perturbation grave de la relation de confiance entre le prévenu et le défenseur.
Le simple fait que la partie assistée n'a pas confiance dans son conseil d'office ne lui donne pas le droit d'en demander le remplacement lorsque cette perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs et qu'il n'apparaît pas de manière patente que l'attitude de l'avocat d'office est gravement préjudiciable aux intérêts de la partie (ATF 138 IV 161 consid. 2.4; 114 Ia 101 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 1B_375/2012 du 15 août 2012 consid. 1.1).
De simples divergences d'opinion quant à la manière d'assurer la défense des intérêts du prévenu dans le cadre de la procédure ne constituent à cet égard pas un motif justifiant un changement d'avocat. Il appartient en effet à l'avocat de décider de la conduite du procès; sa mission ne consiste donc pas simplement à endosser le rôle de porte-parole sans esprit critique de l'accusé, qui se limiterait à se faire l'interprète des sentiments et des arguments de son client (ATF 116 Ia 102 consid. 4b/bb; 105 Ia 296 consid. 1e). Sont en revanche dignes d'être pris en considération des griefs précis touchant à la personne du défenseur ou à un comportement de ce dernier qui montre à l'évidence que toute relation de confiance avec ce dernier est exclue (arrêt du Tribunal fédéral 1B_187/2013 du 4 juillet 2013 consid. 2.2 et 2.3; A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 17 ad art. 134).
3.3. En l'espèce, le recourant semble tout d'abord contester avoir chargé Me B______ de sa défense, lors de la reprise de la procédure par les autorités genevoises, en mai 2024. Or, il ressort du dossier qu'une défense d'office en sa faveur, en la personne du conseil précité, a été valablement ordonnée par le Ministère public le 29 mai 2024. Cette décision n'ayant pas fait l'objet d'un recours, elle est entrée en force et ne peut, partant, plus être remise en cause aujourd'hui.
On comprend ensuite des griefs du recourant qu'il reproche à son avocat de ne pas assurer sa défense de manière efficace.
Cependant, son défenseur d'office – qui n'a pas demandé à être relevé de son mandat – l'assiste dans le cadre de la procédure depuis plus d'un an [à compter de la reprise de la cause par le Ministère public genevois] sans qu'il n'apparaisse que le recourant se soit plaint de ne pas être défendu efficacement. On ne discerne, en outre, pas de manquements particuliers de l'avocat, qui auraient trait à des initiatives préjudiciables aux intérêts du recourant. Au contraire, le conseil du recourant a consulté le dossier de la procédure à plusieurs reprises et a sollicité une prolongation de délai afin d'être en mesure de formuler d'éventuelles réquisitions de preuve, après consultation de son client, afin de garantir au mieux ses droits.
Au vu de ce qui précède, le grief du recourant selon lequel son défenseur ne l'avait pas tenu informé de l'avancement de la procédure, laquelle se prolongeait ensuite des demandes de prolongation de délai de son conseil, ne saurait, sans autre précision, justifier un changement d'avocat. L'avancement de l'instruction dépend au demeurant du Ministère public et non du défenseur, de sorte que le prolongement de la procédure ne saurait être imputable à ce dernier. Le recourant reconnait d'ailleurs lui-même que son avocat est "professionnel", mais qu'il en préférerait un autre.
Partant, aucun élément, à ce stade, ne permet de retenir qu'une défense efficace des intérêts du recourant ne serait pas assurée par son défenseur.
Le recourant allègue encore "une rupture de confiance et de confidentialité" avec son défenseur d'office, mais on peine à voir dans les exemples qu'il donne un motif objectif de rupture de ce lien.
En effet, comme relevé supra au consid. 3.2, de simples divergences d'opinions dans la manière d'assurer la défense du prévenu ne constituent pas un motif justifiant un changement d'avocat. La mission de ce dernier ne se limite pas à se faire l'interprète des sentiments et des arguments de son client. Ainsi, que la stratégie de défense de l'avocat d'office ne plaise pas au prévenu, comme cela semble être le cas ici, n'est pas de nature à gravement perturber la relation de confiance entre eux.
Il s'ensuit que même si les propos possiblement moralisateurs de l'avocat, alors excusé par son collaborateur ["Si vous continuez, je vais péter les plombs et je vais partir"], ont déplu au recourant, cela ne signifie pas encore que la relation de confiance entre eux serait rompue. Il en va de même du fait qu'il juge "absolument inacceptable" que l'avocat aurait déclaré un temps de visite en prison plus long que celui réellement effectué dans le cadre d'une procédure civile parallèle, dires qu'il n'établit, en tout état, nullement par pièces. Il n'explique, en outre, pas en quoi cette attitude serait gravement préjudiciable à ses propres intérêts.
Il n'existe ainsi, en l'état, aucun motif objectif laissant entrevoir que Me B______ n'assurerait pas une défense efficace du recourant ou que la relation de confiance entre eux serait gravement perturbée.
Au regard des conditions strictes posées par l'art. 134 al. 2 CPP, le changement du défenseur d'office désigné ne se justifie donc pas. Enfin, le recourant, qui bénéfice d'une défense d'office prise en charge par l'État, ne dispose pas d'un droit à la désignation de l'avocat de son choix, contrairement aux personnes qui rémunèrent leur avocat privé par leurs propres moyens.
4. Le recours sera dès lors rejeté.
5. Le recourant, bien qu'au bénéfice de l'assistance juridique, supportera les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4 et 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6), qui seront fixés en totalité à CHF 500.- (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.‑.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.
Le communique, pour information, à Me B______.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière :
Séverine CONSTANS |
| La présidente :
Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/12003/2022 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |