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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18844/2021

ACPR/20/2025 du 08.01.2025 sur OMP/12246/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉLAI;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE)
Normes : CPP.396; CPP.263; CPP.197; CP.70.al2; CP.305bis; Cst.29.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18844/2021 ACPR/20/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 8 janvier 2025

 

Entre

A______, représentée par Me Homayoon ARFAZADEH, avocat, VALFOR AVOCATS Sàrl, rue Jacques-Balmat 5, case postale 1203, 1211 Genève 1,

recourante,

 

contre l'ordonnance de séquestre rendue le 10 juin 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 4 novembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 juin 2024, notifiée selon elle le 23 octobre 2024, par laquelle le Ministère public a séquestré ses avoirs de la relation bancaire n° 1______ auprès de la banque B______ (ci-après, B______) et ordonné le séquestre probatoire des messages SWIFTS et justificatifs relatifs à deux crédits intervenus sur le compte en mars 2021 (EUR 195'000.-) et avril 2021 (EUR 194'291.31).

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance précitée et à la levée immédiate du séquestre prononcé sur la relation bancaire susmentionnée, les frais devant être laissés à la charge de l'État et une indemnité équitable lui être allouée pour ses frais de défense dans la procédure de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 1er octobre 2021, le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (ci-après, MROS) a fait parvenir au Ministère public une dénonciation au sens de l'art. 23 al. 4 de la loi sur le blanchiment d'argent (LBA ; RS 955.0), qui faisait suite à des communications provenant de (i) [la banque] C______, concernant le compte 2______ ouvert au nom de [la banque] D______, (ii) [la banque] E______, concernant le compte 3______ ouvert au nom de F______ et (iii) [la banque] G______, concernant le compte 4______ ouvert au nom de H______.

Ces communications signalaient des soupçons de blanchiment d'argent en lien avec des faits de corruption et/ou détournement de fonds publics possiblement commis au X______ [pays], en particulier en marge du programme de distribution de nourriture subventionnée dit "programme Y______", dans lesquels F______, son frère I______ et H______ étaient susceptibles d'être impliqués.

Le nom de I______ avait été cité dans des articles de presse en lien avec des ventes d'or de la banque centrale [du pays] X______ potentiellement illégales à la société [du pays] Z______, J______.

Les frères F______/I______, A______, épouse de I______ et H______ apparaissaient, soit directement, soit indirectement, par le biais de sociétés auxquelles ils étaient liés, dans plusieurs transactions ayant été effectuées sur les comptes bancaires précités. A______ avait en particulier perçu des fonds ayant transité par ces comptes, à savoir EUR 1'000'000.- le 24 janvier 2019, EUR 994'356.- le 14 mai 2019 et EUR 750'000.- le 15 avril 2020.

b. A______, citoyenne française, mariée à I______, mais séparée de ce dernier depuis 2019, est l'ayant droit économique et l'associée gérante présidente avec signature individuelle de la société à responsabilité limitée K______ Sàrl.

Selon l'extrait du registre du commerce, cette société a pour but de "fournir tant pour les particuliers que pour les entreprises toutes prestations de services et conseils en matière d'organisation et planification de tâches dans le domaine administratif et plus généralement de gérer tous les domaines de la vie quotidienne et entrepreneuriale avec mise en place d'un service d'externalisation de certaines tâches dans le domaine du management et de la relation client (outsourcing) au moyen d'un service de conciergerie".

c. Le 6 octobre 2021, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour blanchiment d'argent (art. 305 bis CP), lui reprochant d'avoir, de concert avec I______, F______ et H______, établi des schémas financiers utilisés pour blanchir des capitaux issus de détournements de fonds publics [du pays] X______ possiblement commis en marge du programme Y______ et de la vente d'or de la banque [de] X______ à la société [du pays] Z______, J______, via des sociétés et des comptes bancaires notamment situés en Suisse.

d. Le 6 octobre 2021, le Ministère public a ordonné l'extension de l'instruction contre A______ et ses trois co-prévenus pour blanchiment d'argent aggravé (art. 305 bis ch. 1 et 2 CP).

Il leur était désormais également reproché d'avoir participé, en Suisse, à l'organisation de transferts de flux financiers importants, entre autres au travers de sociétés localisées dans plusieurs pays, notamment dirigées par des prête-noms, transferts bénéficiant pour certains à des individus de différentes nationalités (notamment sud-américaines), et destinés à investir des sommes très importantes dans diverses classes d'actifs, avec un grand souci de discrétion, dans des conditions qui laissent à penser que ces fonds pouvaient avoir une origine illicite; ainsi que d'avoir participé, en Suisse, à des opérations visant à entraver l'origine, la découverte et la confiscation de valeurs patrimoniales provenant d'opérations boursières particulièrement fructueuses susceptibles de relever de délits d'initiés commis à l'étranger.

e. Lors d'audiences ayant eu lieu par devant le Ministère public, les 22 novembre 2022, 2 mars et 3 mars 2023, A______, I______, F______ et H______ ont contesté l'ensemble des faits qui leur étaient reprochés.

A______ a notamment été entendue sur son parcours professionnel et son activité au sein de la société K______ Sàrl.

Invités à renseigner le Ministère public sur leurs liens avec L______, président du conseil d'administration de J______, lors de l'audience du 30 octobre 2024, H______ et A______ ont déclaré ne pas le connaître. Quant à I______, il a expliqué l'avoir connu lorsque lui-même travaillait pour M______ et avoir discuté d'opportunités d'affaires avec lui.

f. Dans le cadre de son instruction, le Ministère public a adressé plusieurs ordres de dépôts à divers établissements bancaires et ordonné le séquestre de plusieurs relations bancaires dont les prévenus étaient titulaires ou ayants droit économiques.

Un ordre de dépôt adressé le 6 octobre 2021 à N______ a notamment permis de déterminer que K______ Sàrl était titulaire de la relation bancaire 7______. Le compte y relatif a principalement été crédité par des transferts en provenance de comptes ouverts au nom des sociétés O______ LTD et P______ LTD, toutes deux liées à H______.

Un autre ordre de dépôt adressé le 5 avril 2024 à B______ a également permis de déterminer que A______ était titulaire de plusieurs relations bancaires auprès de cet établissement, les avoirs en compte étant, à teneur de la documentation bancaire, issus de son activité lucrative en tant que directrice de K______ Sàrl. Un des comptes (1______) a été ouvert le 1er mars 2021, puis alimenté à deux reprises, les 9 mars et 8 avril 2021, par deux versements de EUR 195'000.- et EUR 194'291.31 en provenance d'un compte ouvert au nom de Q______ LIMITED auprès de R______, aucun autre montant n'ayant ultérieurement été crédité sur ce compte à teneur de l'extrait bancaire du 12 avril 2024.

g. Plusieurs perquisitions ont eu lieu le 10 octobre 2024, notamment au domicile de H______, sis avenue 5______ no. ______, [code postal] S______ [GE], ainsi que dans les locaux des sociétés T______ SA, U______ SA, V______ SA, sis rue 6______ no. ______, [code postal] Genève.

Par courrier du 18 octobre 2024, A______ avait dans un premier temps sollicité la mise sous scellés de certaines des pièces saisies à cette occasion, avant de retirer sa demande dans un second temps.

h. Le 17 mai 2024, le Ministère public a adressé une demande d'entraide aux autorités françaises (Parquet National Financier). Pour les besoins de l'enquête, cette demande d'entraide, qui n'a que partiellement été exécutée à ce jour, ainsi que son retour partiel, n'ont pas encore été rendus accessibles aux parties.

Selon les explications fournies par le Ministère public dans le cadre de ses observations, il ressortait toutefois des premiers éléments communiqués par les autorités françaises que les prévenus seraient impliqués dans une activité de blanchiment d'argent à plus grande échelle, demeurée jusqu'alors inconnue aux yeux du Ministère public, renforçant drastiquement les soupçons portés à leur encontre et justifiant l'extension de la procédure d'instruction pour des faits de blanchiment d'argent aggravé.

Le Parquet National Financier avait ouvert une instruction pénale pour des faits de délits d'initiés et de blanchiment à la suite d'un signalement qu'il avait reçu le 18 décembre 2023 de l'Autorité des Marchés Financiers.

Selon le rapport de signalement de cette autorité, I______ et W______ avaient organisé des flux financiers importants, sans logique économique, entre des sociétés localisées à l'étranger dirigées par des prête-noms, bénéficiant pour certains à des individus sous sanctions internationales. Ils avaient par ailleurs procédé, au cours des dernières années, à des transactions particulièrement opportunes sur un certain nombre de titres français autour d'annonces importantes, leur permettant de réaliser des gains significatifs, ce qui suggérait qu'ils eussent pu avoir régulièrement accès à des informations privilégiées. I______ et W______ avaient agi dans le cadre d'un processus très organisé, recourant à un intermédiaire financier basé à l'Île Maurice afin de dissimuler leurs activités sur les marchés. En 2020, I______ et W______ avaient constitué une société, à l'Île Maurice, qui fournissait des services étendus de gestion de fortune et des services de transferts et de paiements, la clientèle de cette société apparaissant toutefois faible au vu de la taille critique nécessaire pour être rentable.

Les éléments recueillis lors d'une visite domiciliaire visant I______ avait permis d'identifier ou de confirmer les soupçons relatifs aux délits d'initiés présumés et au blanchiment présumé.

C. a. Dans l'ordonnance querellée, prise sur le fondement de l'art. 263 CPP et adressée à B______, le Ministère public informe cet établissement être chargé d'une procédure, ouverte notamment contre A______, et ordonne le séquestre des avoirs en compte de la relation bancaire et des documents mentionnés supra sous lettre A. Il était fait obligation, sous menace de la peine de l'art. 292 CP, pour une durée de trois mois renouvelables, à quiconque en avait eu connaissance, à garder le silence sur la procédure et les personnes impliquées.

b. Le 4 septembre 2024, le Ministère public a informé B______ du fait que l'interdiction de communiquer précitée était prolongée pour trois mois supplémentaires, soit jusqu'au 7 décembre 2024.

c. Par courrier du 22 octobre 2024, reçu le lendemain, le Ministère public a transmis à A______ une clef USB contenant les pièces consultables versées au dossier depuis le 1er janvier 2023, comprenant notamment l'ordonnance querellée.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé son droit d'être entendue, dans la mesure où l'ordonnance querellée ne précisait pas le type de séquestre ordonné à l'encontre de ses avoirs bancaires, ce d'autant que le Ministère public ne lui avait pas permis de s'exprimer sur les éventuelles charges ou faits qui lui étaient reprochés, aucune question ne lui ayant été posée à cet égard. Le séquestre était infondé. Aucun document attestant de son implication directe dans d'éventuelles transactions douteuses ne figurait au dossier et aucun lien de connexité ne pouvait être établi entre ses avoirs et l'infraction reprochée. Quand bien même elle aurait perçu des valeurs provenant d'une infraction en amont, elle l'aurait fait dans l'ignorance la plus totale. Le séquestre s'éternisait par ailleurs sans motif et était à ce titre disproportionné.

b. Dans ses observations, le Ministère public considère ne pas avoir violé le droit d'être entendue de la recourante. D'une part, l'ordonnance querellée indiquait clairement qu'elle se fondait sur l'art. 263 CPP. D'autre part, il n'avait pas d'obligation particulière de motiver sa décision à l'attention de la banque, mais tout au plus à l'égard de la recourante, laquelle n'avait toutefois pas cherché à obtenir des explications de sa part. Ce droit eût-il été violé, que cette violation aurait été réparée au vu des explications fournies dans ses observations.

Il existait des soupçons suffisants à l'encontre de la recourante. L'activité commerciale en lien avec K______ Sàrl et la gestion de biens immobiliers en France étaient sous investigation, au vu des liens entre ces biens immobiliers et les protagonistes de l'affaire, tout comme la question de l'appartenance "réelle" de cette société à la recourante et l'activité déployée par celle-là. Il ressortait par ailleurs d'un échange de courriels de septembre 2021 que I______ et la recourante s'étaient adressés à H______ aux fins qu'il prépare des explications écrites sur l'activité de K______ Sàrl à l'attention de [la banque] N______. Des documents en lien avec K______ Sàrl, saisis lors des perquisitions effectuées le 10 octobre 2024, puis placés sous scellés à la demande de la recourante, devaient désormais être examinés. Les prévenus devaient quant à eux être confrontés sur les éléments de preuve recueillis par les autorités françaises. Il convenait par ailleurs d'investiguer les liens de la recourante avec certaines personnes, notamment avec la société J______, certaines pièces communiquées par les autorités françaises laissant apparaitre qu'elle pourrait avoir été en relation avec L______, nonobstant ses dénégations contraires.

Le grief d'absence de connexité alléguée par la recourante devait être rejeté, celle-ci n'étant pas manifeste. L'intégralité des fonds devait demeurer séquestrée aussi longtemps qu'un doute subsistait sur la part pouvant provenir d'une activité criminelle. Une telle conclusion s'imposait même en l'absence de connexité, le séquestre prononcé visant également l'hypothèse de la garantie en couverture des frais.

Enfin, le principe de proportionnalité n'avait pas été violé au vu des éléments de preuve fournis par les autorisé françaises, sur lesquels les quatre prévenus devaient encore être entendus, et du peu de temps s'étant écoulé depuis le prononcé du séquestre, étant précisé que ce n'était pas parce que la recourante n'avait pas été systématiquement questionnée à chaque audience que l'instruction ne portait pas sur ses propres agissements.

c. Dans sa réplique, A______ persiste dans les termes de son recours. La violation de son droit d'être entendue n'avait pas été réparée dans la mesure où le Ministère public ne lui avait pas adressé de motivation séparée, se bornant à lui communiquer l'ordonnance non motivée destinée à la banque, et où il persistait par ailleurs, dans le cadre de ses observations, à ne pas vouloir dévoiler le motif du séquestre. On ne pouvait déduire de ses liens avec son époux et W______ une quelconque implication dans les faits reprochés à ces derniers. Elle n'avait jamais eu de relation personnelle ou professionnelle avec J______, ses dirigeants et/ou employés. Le séquestre prononcé à son encontre ne pouvait pas viser l'hypothèse de la variante en couverture des frais, le Ministère public ne possédant aucun élément permettant de douter du futur recouvrement des frais et n'ayant pas ailleurs pas chiffré les coûts prévisibles de la procédure.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne des décisions sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation des décisions querellées (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Reste à savoir si la recourante a agi dans les délais légaux.

1.2.2. Lorsqu'une ordonnance de séquestre est notifiée à la banque dépositaire, et non au titulaire du compte saisi, le départ du délai de recours, pour ce dernier, ne commence à courir que dès le moment où il a eu connaissance de la mesure de séquestre (ACPR/131/2020 du 18 février 2020 consid. 1.2).

1.2.3. En l'espèce, la recourante expose avoir eu connaissance de l'ordonnance de séquestre, notifiée à B______, le 23 octobre 2024.

Le délai de recours de dix jours (art. 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP) a ainsi été respecté.

Partant, le recours est recevable.

2.             À titre liminaire, la Chambre de céans constate que la recourante ne remet pas en cause l'ordonnance de séquestre en tant qu'elle vise le séquestre probatoire des messages SWIFTS et justificatifs relatifs à deux crédits intervenus sur le compte en mars 2021 (EUR 195'000.-) et avril 2021 (EUR 194'291.31). Ce point n'apparaissant plus litigieux, il ne sera pas examiné plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al.1 let. a CPP).

3.             La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue.

3.1.       La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3; 126 I 97 consid. 2b). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 I 232 consid. 5.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_146/2016 du 22 août 2016 consid. 1.1 et 1B_62/2014 du 4 avril 2014 consid. 2.2).

3.2.       Pour être licite, le séquestre doit respecter certaines règles de forme prescrites à l'art. 263 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, notamment, le prononcé du séquestre doit être ordonné par écrit et sommairement motivé. La motivation doit être suffisante pour respecter le droit d'être entendu des personnes touchées par la mesure, leur permettre de comprendre le lien entre les faits reprochés et les objets saisis et permettre à l'autorité de recours d'exercer son contrôle (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 34 ad art. 263). Lorsque l'ordonnance de séquestre est destinée à l'intermédiaire financier, et non au titulaire du compte, qui est censé être tenu dans l'ignorance de la mesure, le ministère public n'a cependant pas d'obligation particulière de motiver sa décision à l'attention de la banque. En revanche, il doit s'y plier – par exemple en accompagnant la communication de l'ordonnance d'une brève motivation ou, à tout le moins, d'une explication succincte sur les faits pertinents – envers le titulaire du compte qui l'interpelle sur les raisons du blocage de son compte. La Chambre de céans ne retient pas le grief de violation du droit d'être entendu lorsque le recourant a reçu postérieurement à l'ordonnance destinée à la banque une motivation séparée. En revanche, un défaut persistant de motivation sur les soupçons à l'origine d'un séquestre conduit à l'admission du recours et au renvoi de la cause au ministère public, tout comme la simple communication au titulaire du compte de l'ordonnance non motivée qui était destinée à la banque (ACPR/131/2020 du 18 février 2020 consid. 2.1 et les références citées).

3.3.       Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a expliqué que le séquestre – fondé sur l'art. 263 CPP – intervenait dans le cadre d'une procédure notamment ouverte à l'encontre de A______. Cette décision était en revanche muette sur la ou les infractions reprochées à cette dernière et ne contenait par ailleurs aucune motivation. Si les éléments portés à la connaissance de la recourante sont pour le moins sommaires et se situent à la limite de ce qui est admissible en termes de motivation pour une ordonnance de séquestre, il y a lieu de relever que la recourante n'a à aucun moment interpellé le Ministère public sur les raisons du blocage de son compte, ce qu'il lui eût pourtant été loisible de faire. Cela étant, l'argumentation développée par la recourante dans son écriture démontre qu'elle a pu comprendre le sens de l'ordonnance querellée. En tout état de cause, même à admettre une violation du droit d'être entendu, celle-ci aurait été réparée dans la procédure de recours. En effet, le Ministère public a fourni des indications supplémentaires – singulièrement quant à l'état de fait pertinent – dans ses observations, et on comprend de ses explications que la mesure de contrainte visait l'ensemble des hypothèses prévues à l'art. 263 CPP, y compris le séquestre en garantie du paiement des frais de procédure. La recourante a pu y faire valoir ses objections devant la Chambre de céans, qui dispose d'une pleine cognition, en fait en droit.

Le grief doit dès lors être rejeté.

4.             La recourante conteste le bien-fondé du séquestre.

4.1.       Le séquestre est une mesure de contrainte qui ne peut être ordonné, en vertu de l'art. 197 al. 1 CPP, que si elle est prévue par la loi (let. a), s'il existe des soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elle apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Lors de l'examen de cette mesure, l'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, examinant des prétentions encore incertaines. Le séquestre pénal est en effet une mesure provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs qui peuvent servir de moyens de preuve, que le juge du fond pourrait être amené à confisquer, à restituer au lésé ou qui pourraient servir à couvrir des créances compensatrices ou garantir le paiement des frais de procédure, peines pécuniaires, amendes ou indemnités (art. 263 al. 1 let. a, b, c, d et e CPP). Un séquestre est proportionné lorsqu'il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués en application du droit pénal. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation, de créance compensatrice ou d'une allocation au lésé, la mesure conservatoire doit être maintenue. L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2).

Au début de l'enquête, un soupçon crédible ou un début de preuve de l'existence de l'infraction reprochée suffit à permettre le séquestre, ce qui laisse une grande place à l'appréciation du juge. On exige toutefois que ce soupçon se renforce au cours de l'instruction pour justifier le maintien de la mesure (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 17/22 ad art. 263).

4.2.       Un séquestre ne peut être prononcé à l'égard d'un tiers si celui-ci a acquis les valeurs dans l'ignorance des faits qui auraient justifié la confiscation, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle d'une rigueur excessive (art. 70 al. 2 CP). Pour qu'un séquestre puisse être refusé à ce stade de la procédure en application de l'art. 70 al. 2 CP, il faut, d'une part, qu'une confiscation soit d'emblée et indubitablement exclue, respectivement que la bonne foi du tiers soit clairement et définitivement établie. S'agissant, d'autre part, de la contre-prestation, elle doit avoir été fournie avant que le tiers ne reçoive les valeurs d'origine illégale. C'est en tenant compte de toutes les circonstances du cas d'espèce qu'il faut décider si une contre-prestation adéquate existe (arrêt du Tribunal fédéral 1B_116/2021 du 5 mai 2021 consid. 5.2).

Jusqu'au 1er janvier 2024, le CPP ne comprenait pas de dispositions sur le séquestre de valeurs patrimoniales en vue de l’exécution d’une créance compensatrice, ce qui était toutefois réglé à l’art. 71 al. 3 CP, lequel permettait de séquestrer des valeurs patrimoniales sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale. Pour plus de clarté, cette disposition du CP a été abrogée et son contenu introduit à l’art. 263 al. 1 let. e CPP (Message du Conseil fédéral du 28 août 2019 [19.048] concernant la modification du code de procédure pénale (mise en œuvre de la motion 14.3383 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États « Adaptation du code de procédure pénale »; FF 2019 6351 p. 6406).

4.3.       À teneur de l'art. 305bis CP, se rend coupable de blanchiment d'argent quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il sait ou doit présumer qu'elles proviennent d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié.

En raison de son caractère accessoire, le blanchiment d'argent exige la preuve à la fois d'un acte d'entrave, d'un crime préalable, ainsi que d'un lien entre les valeurs patrimoniales et cette infraction préalable (ATF 145 IV 335 consid. 3.1). La condamnation pour blanchiment ne suppose pas la connaissance précise du crime préalable et de son auteur. Le lien entre le crime à l'origine des fonds et le blanchiment d'argent est donc volontairement ténu. L'exigence d'un crime préalable suppose cependant que les valeurs patrimoniales proviennent d'un crime
(ATF 138 IV 1 consid. 4.2.2). Le point de savoir si l'auteur du délit préalable a été poursuivi ou puni est sans pertinence. Il suffit que l'acte initial réalise les conditions objectives d'un comportement pénalement répréhensible (ATF 101 IV 402 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1124/2014 du 22 septembre 2015 consid. 2.1). Ce raisonnement vaut à plus forte raison dans le cadre d'une procédure de séquestre en lien avec la possible commission d'une telle infraction, puisque cette mesure est fondée sur la vraisemblance (cf. art. 263 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_390/2013 du 10 janvier 2014 consid. 2.3).

4.4.       En l'espèce, il ressort de la dénonciation du MROS - autorité étatique, dont la mission est d'analyser les informations reçues des intermédiaires financiers, puis de les transférer aux autorités pénales, lorsque des soupçons fondés permettent notamment de présumer qu'une infraction au sens de l'art. 305bis CP a été commise ou que des valeurs patrimoniales proviennent d'un crime - que les frères F______/I______ et H______ pourraient avoir été impliqués dans des faits de corruption et/ou détournement de fonds publics possiblement commis au X______, l'époux de la recourante ayant par ailleurs fait l'objet d'articles de presse en lien avec des ventes d'or potentiellement illégales de la banque centrale [du pays] X______ à la société [du pays] Z______, J______. Bien que la recourante ne semble pas être directement visée par cette dénonciation, il ressort des informations transmises par le MROS qu'elle a perçu des sommes importantes (EUR 1'000'000.-, EUR 994'356.- et EUR 750'000.-) ayant transité par l'un et/ou l'autre des comptes objets de la dénonciation. À cela s'ajoute que, selon les explications du Ministère public,
elles-mêmes fondées sur les pièces communiquées par les autorités françaises, la recourante pourrait être impliquée dans une activité de blanchiment à plus grande échelle et avoir par ailleurs été en relation avec L______, président du conseil d'administration de la société [de] Z______ impliquée dans les ventes d'or litigieuses précitées. De tels éléments sont à même de fonder des soupçons suffisants au prononcé d'un séquestre.

Contrairement à ce que semble penser la recourante, le fait qu'elle n'ait à ce stade que peu été entendue en lien avec les faits qui lui sont reprochés ne permet pas pour autant d'en déduire que les soupçons pesant à son encontre auraient disparu, ni même qu'ils se seraient amoindris, ceux-ci semblant au contraire s'être renforcés au vu des éléments transmis par les autorités françaises.

Au vu des nombreuses investigations en cours, destinées notamment à clarifier l'activité de la société K______ Sàrl ou encore les liens de la recourante avec les autres personnes impliquées dans cette affaire, il ne peut à ce stade être exclu que les avoirs séquestrés doivent être confisqués, ou à tout le moins utilisés pour couvrir d'éventuelles créances compensatrices ou garantir le paiement d'éventuels frais de procédure auquel la recourante pourrait être astreinte. Le séquestre des avoirs de cette dernière apparait ainsi pleinement justifié et devra être maintenu tant et aussi longtemps que de telles éventualités n'auront pas été écartées.

S'agissant de l'absence de connexité alléguée par la recourante, il ne peut à ce stade être exclu que le compte séquestré se soit vu créditer de montants en lien direct avec les infractions en cause. Cela étant, quand bien même ce lien de connexité ferait défaut, cela n'aurait pas pour conséquence de rendre le séquestre illicite pour autant, dès lors que tant le séquestre destiné à couvrir d'éventuelles créances compensatrices que celui visant à garantir le paiement des frais de procédure peuvent être prononcés indépendamment de l'existence d'un tel lien.

Enfin, bien que l'instruction de la cause n'en soit plus à ses prémices, on ne saurait considérer, au vu des actes d'enquête en cours ou de ceux devant encore être exécutés, que le maintien du séquestre des avoirs de la recourante violerait le principe de la proportionnalité, ce d'autant que d'autres soupçons sont récemment venus s'ajouter à ceux initialement retenus.

Partant, le séquestre, en tant qu'il pourrait permettre une éventuelle confiscation des fonds, de couvrir des créances compensatrices, voire de garantir le paiement des frais de procédure, apparaît justifié.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et, partant, le recours rejeté.

6.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à
CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Françoise SAILLEN AGAD et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18844/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00