Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/815/2024 du 05.11.2024 ( RECUSE ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE PS/79/2024 ACPR/815/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 5 novembre 2024 |
Entre
A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me Cédric KURTH, avocat, boulevard James-Fazy 3, case postale 187, 1233 Bernex,
requérant,
et
C______, Procureure, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
citée.
Vu :
- les procédures pénales P/21013/2022, P/19966/2023, P/24022/2023, P/28080/2023, P/12867/2024 et P/22323/2024 – jointes à la P/5031/2023 – dans lesquelles A______ est prévenu de vols, dommages à la propriété, menace ou violence contre les autorités et les fonctionnaires, infraction à l'art. 11c LPG, exhibitionnisme, injure, menaces, lésions corporelles simples et séjour illégal;
- l'ordonnance pénale du 28 octobre 2022 – frappée d'opposition – signée par la procureure C______;
- le placement en détention provisoire de A______ ordonné le 6 mars 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) et sa mise en liberté, sans mesures de substitution, le 31 mai 2023, à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_243/2023 du 26 mai 2023;
- son nouveau placement en détention provisoire ordonné le 29 septembre 2024 par le TMC, les déterminations de C______ du 11 octobre 2024 dans le cadre de son recours, rejeté par la Chambre de céans dans son arrêt du 23 octobre 2024 (ACPR/769/2024);
- l'ordonnance ordonnant la jonction de la procédure P/22323/2024 à la P/5031/2023, rendue le 1er octobre 2024 par C______ et l'arrêt de la Chambre de céans du 23 octobre 2024 (ACPR/770/2024) rejetant le recours de A______ contre cette décision;
- la transmission, le 4 octobre 2024, par le Ministère public, du dossier complet de la procédure P/22323/2024 [jointe à la P/5031/2023];
- les procès-verbaux des audiences au Ministère public tenues les 5 mars 2023 [par D______, procureur], 25 mai 2024 [par E______, greffière-juriste], 18 juin, 9 juillet et 12 septembre 2024 [par F______, greffière-juriste], 27 septembre 2024 [par G______, procureure] et 15 octobre 2024 [F______, greffière-juriste];
- la demande de mise en liberté formée par A______ le 15 octobre 2024 et la prise de position de C______ du 17 suivant;
- la requête en récusation de la précitée, expédiée le 17 octobre 2024, complétée par courrier daté du 22 suivant en raison de "faits nouveaux".
Attendu que :
- il est reproché à A______ d'avoir endommagé du mobilier dans un restaurant lors d'une bagarre [le 2 octobre 2022]; dérobé une veste [le 27 octobre 2022]; endommagé le rétroviseur d'un motocycle et s'être fortement opposé à son interpellation, notamment en se débattant et en tentant d'asséner des coups de pieds aux policiers [le 5 mars 2023]; volé un porte-monnaie [le 14 septembre 2023]; souillé les toilettes du restaurant-bar H______, montré son sexe en érection à I______, serveuse dans ledit établissement, traitée celle-ci de "grosse pute", avoir craché sur elle et dit qu'il "allai[t] la tuer" [faits du 30 octobre 2023]; blessé son voisin de chambre, au foyer J______, en le frappant au visage et en le mordant à l'oreille [faits du 22 décembre 2023]; volé une sacoche [le 22 septembre 2024] et séjourné illégalement en Suisse;
- il conteste l'essentiel des faits qui lui sont reprochés;
- à l'audience du 15 octobre 2024, A______ a déclaré ne plus avoir confiance dans le Ministère public et a sollicité sa mise en liberté immédiate. Il a, par le biais de son conseil, indiqué avoir de "sérieux et concrets doutes de prévention du Procureur à son égard. Il ne répond[rait] plus à aucune question du Ministère public et réserv[erait] ses déclarations à un Tribunal garantissant l'équité et l'impartialité". Sur question de la greffière-juriste tenant l'audience, il a précisé qu'une demande de récusation était "à l'étude";
- à teneur de sa demande de récusation du 17 octobre 2024, il allègue agir "deux jours" après la réception du dossier complet de la procédure P/22323/2024 [jointe à la P/5031/2023] et la découverte de nouveaux éléments. Il invoque l’art. 56 let. f CPP. Il estime en substance que C______ avait fait preuve d’une attitude partiale et déloyale après qu'il eut formé opposition à l'ordonnance pénale du 28 octobre 2022, en instruisant exclusivement à charge, en demandant "abusivement" et avec des termes "démesurés" un premier placement en détention provisoire – dont "l'illégalité" avait été constatée par le Tribunal fédéral – puis un second alors qu'il ne présentait aucun risque de fuite ni de récidive et qu'il s'agissait d'une "simple affaire de vol d'une sacoche abandonnée dans l'espace public [qu'il contestait] et constitutive d'une infraction d'importance mineure (art. 172ter CP)", étant souligné que la police avait exclu qu'il soit l'auteur des achats frauduleux effectués avec la carte bancaire se trouvant dans la sacoche volée. La procureure aurait, en outre, ignoré ses arguments, notamment ses graves problèmes médicaux, tardé à le remettre en liberté après l'arrêt du Tribunal fédéral du 26 mai 2023, refusé de reporter l'audience du 3 [recte 12] septembre 2024 alors que son conseil était en arrêt de travail et ordonné une jonction de procédure – qu'il contestait –. Par ailleurs, il devait "parfois" déposer des requêtes à réitérées reprises pour pouvoir enfin disposer du dossier complet de la procédure. Il s'agissait d'une accumulation d'erreurs et de violations du droit qui n'étaient toutefois pas encore suffisantes pour solliciter la récusation de la procureure, dont la prévention s'était "révélée" dans ses observations à la Chambre de céans du 11 octobre 2024, dans lesquelles elle prétendait "tout et son contraire, en violation évidente de toute logique, du droit, de l'équité et de l'impartialité, pour parvenir à une seule finalité, que cette deuxième mise en détention provisoire, soit la bonne et la plus longue possible";
- dans son complément à la demande de récusation daté du 22 octobre 2024, A______ fait valoir des "faits nouveaux", invitant la Chambre de céans à les traiter "par économie de procédure" dans le cadre de la présente procédure de récusation. Il se réfère à sa demande de mise en liberté du 15 octobre 2024 et produit la prise de position de la procureure du 17 suivant, par laquelle elle transmet ladite demande au TMC en concluant à son rejet.
Considérant, en droit, que :
- la Chambre de céans, autorité de recours au sens de l'art. 20 al. 1 CPP, est compétente pour statuer sur une requête de récusation visant un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP);
- prévenu à la procédure pendante contre lui (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP);
- la demande de récusation doit être présentée sans délai par les parties dès qu'elles ont connaissance d'un motif de récusation (art. 58 al. 1 CPP);
- même si la loi ne prévoit aucun délai particulier, il y a lieu d'admettre que la récusation doit être formée aussitôt, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275) ; la jurisprudence admet le dépôt d'une demande de récusation six à sept jours après la connaissance des motifs (arrêt du Tribunal fédéral 1B_630/2020 du 23 mars 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités), mais considère qu'une demande déposée deux à trois semaines après est tardive (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du code de procédure pénale, 2e éd., Bâle 2016, n. 3 ad art. 58 CPP ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_14/2016 du 2 février 2016 consid. 2 et 1B_60/2014 du 1er mai 2014 consid. 2.2);
- lorsque seule l'accumulation de plusieurs incidents fonde l'apparence d'une prévention, il doit être tenu compte, dans l'examen de l'éventuel caractère tardif d'une requête de récusation, du fait que le recourant ne puisse réagir à la hâte et doive, le cas échéant, attendre afin d'éviter le risque que sa requête soit rejetée. Il doit ainsi être possible, en lien avec des circonstances nouvellement découvertes, de faire valoir des faits déjà connus, si seule une appréciation globale permet d'admettre un motif de récusation, bien qu'en considération de chaque incident pris individuellement, la requête n'aurait pas été justifiée. Si plusieurs occurrences fondent seulement ensemble un motif de récusation, celle-ci peut être demandée lorsque, de l'avis de l'intéressé, la dernière de ces occurrences constitue la "goutte d'eau qui fait déborder le vase". Dans un tel cas toutefois, l'examen des événements passés, dans le cadre d'une appréciation globale, n'est admis que pour autant que la dernière occurrence constitue en elle-même un motif de récusation ou à tout le moins un indice en faveur d'une apparence de prévention (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2);
- en l'espèce, dans sa requête du 17 octobre 2024, A______ reproche à la citée une série de comportements – essentiellement antérieurs à ses déterminations du 11 octobre 2024, lesquelles seraient l'occurrence ultime – lui faisant douter de son impartialité;
- la recevabilité de la requête paraît ainsi douteuse, tout comme celle de son complément daté du 22 octobre 2024. Ces questions souffrent toutefois de rester indécises, compte tenu de ce qui suit;
- selon l'art. 56 CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux énoncés aux let. a à e, notamment lorsqu'un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention (let. f);
- la procédure de récusation a pour but d'écarter un magistrat partial, respectivement d'apparence partiale, afin d'assurer un procès équitable à chaque partie (ATF
126 I 68 consid. 3a p. 73; arrêt du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.3.2);
- l'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011; ATF 136 III 605 consid. 3.2.1, p. 609; arrêt de la CourEDH Lindon, § 76);
- la récusation n'a pas pour finalité de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure. En effet, il appartient aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre (ATF 143 IV 69 consid. 3.2);
- des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention. En revanche, des actes de procédure menés en violation des droits d'une partie peuvent manifester une prévention à l'égard de cette partie (arrêt du Tribunal fédéral 1B_375/2017 du 7 février 2018 consid. 5.3 et 5.4). Il n'y a prévention en raison d'erreurs de procédure que lorsqu'un examen objectif révèle des manquements particulièrement grossiers ou inhabituellement fréquents qui, appréciés dans leur ensemble, constituent une violation grave des devoirs de fonction et se répercutent unilatéralement au détriment de l'une des parties à la procédure (ATF 141 IV 178 consid. 3.3 et 3.5; 138 IV 142);
- en l’occurrence, le requérant reproche à la citée de vouloir obtenir – quand bien même les conditions ne seraient pas réunies selon lui – son placement en détention provisoire, lequel serait incompatible avec son état de santé. Or, cet argument ne constitue pas un motif de récusation, la partie insatisfaite devant agir par la voie du recours, ce qu'a au demeurant fait le requérant. Que le Tribunal fédéral ait ordonné la remise en liberté du requérant en mai 2023 ne constitue pas un signe de prévention de la citée, sous peine de quoi chaque magistrat désavoué serait récusable, et ne rend pas pour autant une nouvelle mise en détention impossible en cas de faits nouveaux. Par ailleurs, on ne voit pas en quoi les observations de la citée du 11 octobre 2024 dans le cadre du recours du requérant fonderaient une quelconque apparence de prévention, la procureure étant autorisée à conclure au rejet dudit recours et à exposer ses arguments à l'appui, sans être liée par ceux du TMC. Il en est de même de sa prise de position, du 17 suivant, à la demande de mise en liberté du requérant;
- s'agissant de l'ordonnance de jonction critiquée, le requérant a recouru contre elle en temps utile. La Chambre de céans a statué le 23 octobre 2024, rejetant le recours;
- le requérant ne démontre pas en quoi la citée aurait abusivement retardé sa remise en liberté [le 31 mai 2023] ni pour quel motif il ne s'en serait pas plaint plus tôt, étant souligné qu'il faut prendre en compte le temps de notification de l'arrêt du Tribunal fédéral, rendu le vendredi 26 mai 2023;
- il ne démontre pas non plus en quoi la citée aurait "parfois" tardé à lui remettre l'intégralité de la procédure, d'autant plus qu'il ressort du dossier qu'elle a accédé à ses demandes "par n'empêche" le jour même ou dans les jours suivants;
- enfin, aucune prévention de la citée ne résulte du fait qu'elle aurait refusé de reporter l'audience du 12 septembre 2024, ni du déroulement des audiences effectuées, dès lors que celle-ci n'en a tenu aucune;
- la requête de récusation sera par conséquent rejetée;
- au vu de ce qui précède, il n’y avait pas à demander à la citée de prendre position avant de statuer (arrêts du Tribunal fédéral 7B_1/2024 du 28 février 2024 consid. 5.2. et 1B_196/2023 du 27 avril 2023 consid. 4 et les références);
- le requérant, qui n'a pas gain de cause, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 59 al. 4 et 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette la requête en récusation visant la procureure C______ dans le cadre de la procédure P/5031/2023.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure, arrêtés à CHF 600.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant (soit pour lui son conseil), et à la citée.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
PS/79/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
Total | CHF | 600.00 |