Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/732/2024 du 11.10.2024 sur ONMMP/2803/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/18902/2023 ACPR/732/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 11 octobre 2024 |
Entre
A______, représentée par Me Ana KRISAFI REXHA, avocate, Avocats Associés, boulevard des Tranchées 36, 1206 Genève,
recourante
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 25 juin 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 8 juillet 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 25 juin précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur sa plainte.
La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ et B______ se sont mariés civilement, à Genève, le ______ 2021.
b. Le 8 septembre 2023, A______ a porté plainte contre son mari pour abus de confiance, lésions corporelles simples, escroquerie et injure.
En 2022 et 2023, son mari avait effectué plusieurs versements depuis leurs comptes communs, prétextant des investissements. Malgré ses demandes à elle, il n'avait jamais remboursé ces sommes investies.
Leur relation s'était dégradée au début de l'année. Ils avaient eu, le 31 janvier 2023, une dispute "assez violente" au cours de laquelle B______ l'avait ramenée de force à l'intérieur de l'appartement depuis le balcon. La police était intervenue. Le 6 juillet suivant, il l'avait empoignée et griffée à la main durant un énième désaccord au sujet des préparatifs de leur mariage religieux, auquel elle n'était d'ailleurs pas favorable.
Cette cérémonie avait finalement été célébrée le 22 juillet 2023, à C______ [Italie]. Un nouveau conflit avait éclaté entre eux à l'issue de celle-ci. B______ l'avait ainsi empêchée d'entrer dans la chambre pendant qu'il comptait l'argent reçu des invités. Il l'avait également traitée "d'animal" et de "salope russe" avant de lui asséner un coup de pied dans la jambe. Au petit matin, elle avait constaté qu'il était parti avec les enveloppes reçues des invités ainsi qu'avec tous les objets de valeur, lui laissant un bout de papier dans lequel il l'insultait et affirmait qu'il allait divorcer.
Le 24 juillet 2023, elle avait retiré CHF 1'700.- de leur compte commun pour compenser les EUR 1'400.- qu'il avait pris. Le lendemain, il avait clôturé ce compte et versé le solde sur son compte personnel à lui, avant de lui transférer, à elle, CHF 6'781.91 à titre "d'économies communes durant le mariage". Ce montant était insuffisant dès lors qu'elle approvisionnait ce compte d'environ CHF 2'900.- par mois. Depuis ces événements, il lui avait envoyé des messages insultants et menaçait de ruiner sa vie.
c. Entendu par la police, B______ a contesté les faits.
L'argent investi, sur une plateforme de crypto-monnaies, l'avait été avec le consentement de A______. Malheureusement, tout le capital avait été perdu. Il n'avait pas agressé sa compagne le 31 janvier 2023; au contraire, c'était elle qui s'était montrée violente avec lui et il n'avait fait que se défendre. Il en allait de même pour la dispute du 6 juillet suivant. Après le mariage à C______, il avait prélevé EUR 6'300.- dans les enveloppes cadeaux et laissé EUR 2'700.- à A______, correspondant aux sommes reçues par les invités de chacun. Il avait clôturé leur compte commun car la précitée, alors qu'elle était partie en vacances, avait retiré CHF 1'700.- sans explication. Sur le solde au moment de la clôture du compte, il avait versé à A______ la part lui revenant, soit CHF 6'781.-. Il n'avait jamais insulté, ni menacé cette dernière.
d. Il ressort de la procédure les éléments suivants :
- les policiers intervenus le 31 janvier 2023 n'ont constaté aucune trace de lutte, ni marque de coup sur les époux;
- dans les relevés d'un compte commun des époux pour 2022, plusieurs ordres de paiement apparaissent avec comme motif: "INVESTMENTS";
- la relation bancaire clôturée le 31 juillet 2023 présentait un solde de CHF 24'736.37, montant qui a été transféré sur un compte appartenant à B______. À teneur des relevés, le précité y versait périodiquement CHF 4'000.- tandis que A______ y transférait CHF 2'900.-;
- tant A______ que B______ ont produit diverses photographies, non datées, d'hématomes ou de plaies sur des parties de leurs corps (jambes, mains, bras);
- sur la note manuscrite laissée par B______ le lendemain du mariage à C______, on peut lire: "Presents from: 2.700 à GUESTS FROM A______ SIDE – 1.400 à STILL TO PAY TO PHOTOG. AND CAKE".
e. La plainte déposée par B______ contre A______ a fait l'objet d'une ordonnance de non-entrée en matière concomitante à celle querellée.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public liste, dans sa partie "En fait", les charges contre B______, y celles compris d'avoir utilisé, entre 2022 et 2023, les comptes communs du couple en effectuant des versements sur des comptes bancaires à l'étranger. Il relève ensuite une incompétence à raison du lieu pour les faits survenus à C______. Pour les autres s'étant déroulés à Genève, ils pouvaient être constitutifs de lésions corporelles simples, voies de fait, appropriation illégitime, abus de confiance, injure et menaces. À ce propos, les déclarations des parties, s'inscrivant dans un contexte hautement conflictuel, étaient contradictoires. En l'absence d'un élément de preuve objectif, rien ne permettait de retenir une version plutôt qu'une autre et d'établir le déroulement des faits avec certitude. B______ avait notamment déclaré que l'argent des comptes communs avait été investi avec l'accord de son épouse. Les photographies produites par A______ n'étaient pas datées et les hématomes qui y étaient visibles ne pouvaient pas être objectivement reliés aux faits dénoncés.
D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public de s'être contenté de relevé le caractère contradictoire des déclarations, sans l'entendre et sans confronter les parties. L'autorité intimée avait également à tort écarté la force probante des preuves produites, en particulier les photographies de ses blessures liées aux violences subies de la part de B______. Ce dernier n'avait jamais démontré avoir investi l'argent des comptes communs et rien ne permettait de retenir qu'elle avait consenti à de telles investissements, encore moins en tenant compte du fait qu'il était, au demeurant, accusé de s'être approprié les cadeaux de mariage et d'avoir clôturé leurs comptes. La répartition qu'il avait effectuée des économies du couple était contraire au régime de la participation aux acquêts. Pour le surplus, l'ordonnance querellée était insuffisamment motivée en ce qu'elle ne traitait pas des accusations en lien avec les transactions depuis les comptes communs.
Elle produit les photographies déjà versées au dossier, mais datées.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. Les pièces nouvelles produites dans le cadre de la procédure de recours sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).
2. La recourante reproche au Ministère public d'avoir insuffisamment motivé sa décision, en ne traitant pas des transactions depuis le compte commun.
2.1. Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst., art. 3 al. 2 let. c CPP) comprend l'obligation pour l'autorité de motiver ses décisions afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2).
2.2. Le grief de la recourante tombe à faux. Le Ministère public a expressément traité du volet en question. Il le liste parmi les faits reprochés au mis en cause et retient plus particulièrement que ce dernier a affirmé que son épouse était au courant des investissements effectués.
3. La Chambre de céans constate que la recourante ne revient pas sur les faits dénoncés dans sa plainte, prétendument survenus à C______ et pour lesquels le Ministère public a soulevé une exception d'incompétence pour prononcer une non-entrée en matière. Ce volet n'apparaissant plus litigieux, il ne sera pas examiné plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).
4. Pour le surplus, la recourante conteste la non-entrée en matière prononcée à la suite de sa plainte.
4.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_488/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.3; 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1).
4.2.1. Aux termes de l'art. 123 al. 1 CP est punissable quiconque, intentionnellement, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé, tels que des blessures, meurtrissures, hématomes, écorchures ou des griffures, sauf si ces lésions n'ont pas d'autres conséquences qu'un trouble passager et sans importance du sentiment de bien-être (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1283/2018 du 14 février 2019 consid. 2.1).
4.2.2. Les voies de fait, réprimées par l'art. 126 CP, se définissent comme des atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé; il s'agit généralement de contusions, de meurtrissures, d'écorchures ou de griffures (ATF 134 IV 189 consid. 1.2).
4.3. L'art. 137 CP punit quiconque, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, s'approprie une chose mobilière appartenant à autrui, en tant que les conditions prévues aux art. 138 à 140 ne sont pas réalisées.
4.4. Commet un abus de confiance, au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP, la personne qui, sans droit, emploie à son profit des valeurs patrimoniales qui lui ont été confiées.
4.5. L'art. 180 al. 1 CP réprime le comportement de quiconque, par une menace grave, alarme ou effraie une personne et se rend coupable d'injure quiconque attaque autrui dans son honneur par la parole, l’écriture, l’image, le geste ou par des voies de fait (art. 177 al. 1 CP).
4.6. En l'espèce, la plainte s'inscrit dans un contexte hautement conflictuel entre l'ancien couple. Il est donc primordial d'accorder une importance toute particulière aux éléments objectifs du dossier, afin d'examiner à quelle version des faits – entre ceux de la recourante et ceux du mis en cause – ils correspondent le mieux.
À cet égard, la recourante allègue que le mis en cause se serait livré, à son insu, à des investissements, ce que l'intéressé conteste. Or, il est constant que le compte débité appartenait conjointement à l'ancien couple. Il s'ensuit que la recourante avait accès aux relevés mensuels – qu'elle produit d'ailleurs à l'appui de sa plainte – sur lesquels figurent explicitement les ordres de transfert avec la mention "INVESTMENTS".
Face à ce constat, il ne peut être établi que la recourante aurait été tenue dans l'ignorance de ces transferts, ni qu'elle n'y aurait pas consenti. Les relevés bancaires concernent en effet l'année 2022 et sa plainte date de septembre 2023. Dans l'intervalle, elle n'a jamais démontré – ni même allégué – qu'elle aurait cherché à s'opposer à ces virements. Par surcroît, ce n'est pas au mis en cause de justifier l'affectation desdits transferts, mais à elle de fournir des éléments suffisants sur ce qui précède. Or, elle y échoue.
Toujours concernant les comptes bancaires communs, les parties s'accordent pour dire qu'après leur mariage en Italie, le mis en cause les a clôturés, avant de transférer un montant de CHF 6'781.- à la recourante. Celui-ci affirme que cette somme correspond à une répartition équitable des économies du couple, tandis que celle-là soutient que ce montant serait sensiblement inférieur à sa contribution financière à elle.
Les relevés bancaires, à teneur desquels le mis en cause alimentait en plus grande proportion les comptes communs, tendent à corroborer les déclarations de ce dernier, à tout le moins à exclure toute intention d'enrichissement illégitime puisqu'il estime ce partage juste et correspondant aux efforts de chacun. On ne voit pas en quoi le désaccord de la recourante suffirait à accréditer une infraction pénale. La contribution du mis en cause, aussi insuffisante soit-elle aux yeux de la recourante, n'est le fruit ni d'un vol ni d'un abus de confiance. Au surplus, toute considération liée au régime matrimonial et à sa liquidation sort du cadre pénal et relève des autorités civiles.
Enfin, la recourante n'a jamais fourni le moindre message menaçant, ni insultant, prétendument envoyé par le mis en cause. Quant aux violences physiques alléguées, ce dernier affirme qu'il n'a toujours fait que se défendre, produisant également des clichés d'hématomes et de plaies sur son propre corps. Ainsi, même les photographies – désormais datées – produites par la recourante ne permettent pas de retenir une version plutôt que l'autre. Par ailleurs, les policiers intervenus le 31 janvier 2023 n'ont constaté aucune marque sur les parties. Tout au plus est-il donc possible d'inférer que des disputes ont vraisemblablement dégénéré dans le couple mais sans que rien ne permette d'en établir le déroulement, en particulier, si l'un aurait, avant tout, cherché à se défendre. À cet égard, la plainte déposée par le mis en cause a également fait l'objet d'une non-entrée en matière.
En définitive, les éléments constitutifs ne sont réunis pour aucune des infractions dénoncées.
Les preuves requises dans l'acte de recours s'avèrent impropres à modifier ce constat. Une confrontation n'amènerait rien que l'autorité pénale ne sache déjà et des vérifications auprès des "plateformes d'investissement" n'éclaireraient pas sur l'approbation prétendue de la recourante sur les placements concernés.
5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait être d'emblée traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
6. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/18902/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |