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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/27885/2023

ACPR/700/2024 du 30.09.2024 sur OMP/12645/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ASSISTANCE JUDICIAIRE;DÉNUEMENT;INTERDICTION DE L'USAGE DE LA VIOLENCE;INTERDICTION DES TRAITEMENTS INHUMAINS;CHANCES DE SUCCÈS
Normes : CPP.136

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/27885/2023 ACPR/700/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 30 septembre 2024

Entre

A______, détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant

 

contre l’ordonnance rendue le 14 juin 2024 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3

intimé

 


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 27 juin 2024, A______ recourt contre la décision du 14 précédent, notifiée le 17 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé de lui accorder l’assistance judiciaire.

Il conclut, préalablement, à la désignation d’un défenseur d’office pour la procédure de recours et, principalement, à l’annulation de la décision attaquée et à la désignation de Me C______ comme son avocat d’office dans la procédure pénale P/27885/2023, dans laquelle il est partie plaignante.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             A______, ressortissant guinéen sans titre de séjour, est détenu depuis le 22 novembre 2023 sous la prévention principale de trafic illicite de cocaïne, après avoir été interpellé par un policier pendant qu’il se déplaçait en tram. À un arrêt, hors du véhicule, des vérifications « simples » avaient été entreprises sur le téléphone mobile dont il était porteur ; selon le policier, deux conversations par messagerie laissaient apparaître des « rencontres douteuses » possiblement en lien avec un trafic de cocaïne.

b.             Le 7 décembre 2023, dans le même acte que celui par lequel il attaquait son placement en détention, A______ a formé une plainte pénale contre la police, des chefs d’abus d’autorité et de discrimination raciale. Le 22 décembre 2023, son avocat d’office, C______, s’est aussi plaint au Procureur D______ que la police ait usé de contrainte, menaces, tromperie et moyens restreignant ses facultés intellectuelles ou son libre arbitre ; il demandait à être nommé d’office dans la procédure à ouvrir.

c.              Le 7 février 2024, l’Inspection générale des services de police (ci-après, IGS), saisie par le Procureur D______, a émis un mandat de comparution afin d’entendre A______ sur sa plainte le 12 suivant, le cas échéant avec l’assistance d’un avocat, à ses frais.

d.             S’étant référé à cette audition, l’avocat de A______ a redemandé le 6 février 2024 à être nommé d’office, en urgence. Le Procureur D______ lui a répondu le 12 suivant qu’il statuerait lorsque le complément d’enquête qu’il avait demandé à l’IGS aurait été exécuté, avec effet rétroactif s’il faisait droit à la demande.

C.         Dans l’ordonnance querellée, le Procureur D______ retient que A______ ne disposait pas d’action civile contre les mis en cause, au sens de l’art. 136 al. 1 let. a CPP, puisque ceux-ci étaient des agents de l’État, et qu’il n’était pas non plus une victime, au sens des art. 116 al. 1 et 136 al. 1 let. b CPP, puisqu’il faisait uniquement état de vices de procédure.

D.         a. À l'appui de son recours, A______ revient sur le déroulement de la procédure dirigée contre lui, et notamment sur les conditions de son appréhension, de la fouille de son téléphone, de son audition de novembre 2023, lors de laquelle il avait pleuré, et de celles de toxicomanes identifiées. Les vices de procédure s’accumulaient. Comme le Procureur chargé de cette instruction refusait de se pencher sur les vices allégués, il s’était tourné vers le Procureur D______, qui n’avait réagi, le 12 février 2024, qu’en raison de l’imminence d’un recours pour déni de justice. Or, le Ministère public, dans la décision attaquée, usait d’un argument trompeur, à savoir que la plainte serait vouée à l’échec, alors même que l’IGS avait été chargée d’enquêter et que sa propre audition dans ce cadre revêtait un prétendu caractère d’urgence. Dès lors que l’unique raison de sa détention était un profilage racial et qu’il avait été publiquement humilié par les circonstances entourant son appréhension, il avait le droit de se défendre de manière concrète et effective et d’obtenir le dédommagement de son tort moral, ce qui passait par la désignation d’un défenseur d’office. L’affaire était déjà médiatisée sur le plan national et aurait un impact dans la procédure au fond.

b.             À réception du recours, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant estime que le Ministère public a rejeté, à tort, sa demande d'assistance judiciaire gratuite.

3.1.       Conformément à l'art. 136 al. 1 CPP dans sa teneur en vigueur à la date de la demande présentée par le recourant (RO 2010 1881), l'assistance judiciaire est accordée, entièrement ou partiellement, à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles, à la condition qu'elle soit indigente (let. a) et que l'action civile ne paraisse pas vouée à l'échec (let. b). Au regard de la teneur de cette lettre, le législateur a sciemment limité l'octroi de l'assistance judiciaire au cas où la partie plaignante peut faire valoir des prétentions civiles (sur cette notion, arrêt du Tribunal fédéral 7B_32/2022 du 1er février 2024 consid. 3.2.1 et 3.2.2).

Lorsqu'une collectivité publique assume une responsabilité exclusive de toute action directe contre l'agent auteur de l’acte illicite présumé, la victime n’a pas de prétention civile à faire valoir contre ce dernier, mais contre l’État, de sorte qu'exercer l’action civile par adhésion à la procédure pénale est exclu et qu'une telle action doit en principe être considérée comme vouée à l’échec au sens de cette disposition (ATF 138 IV 86 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_355/2012 du 12 octobre 2012 consid. 4).

La jurisprudence reconnaît néanmoins à la partie plaignante, dans certains cas, le droit d'obtenir l'assistance judiciaire, lorsque les actes dénoncés sont susceptibles de tomber sous le coup des dispositions prohibant les actes de torture et les traitements inhumains ou dégradants (art. 3 et 13 CEDH, 7 Pacte ONU II, 10 al. 3 Cst. et 13 de la Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [RS 0.105] ; cf.
ATF 138 IV 86 consid. 3.1.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_561/2019 du 12 février 2020 consid. 2.2 et 1B_729/2012 du 28 mai 2013 consid. 2.1 et arrêts cités).

Pour que tel soit le cas, le traitement dénoncé doit en principe être intentionnel et atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum dépend de l'ensemble des circonstances de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (ATF 139 I 272 consid. 4). Un traitement atteint le seuil requis et doit être qualifié de dégradant s'il est de nature à créer des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à humilier ou à avilir la victime, de façon à briser sa résistance physique ou morale ou à la conduire à agir contre sa volonté ou sa conscience. Il y a également traitement dégradant, au sens large, si l'humiliation ou l'avilissement a pour but, non d'amener la victime à agir d'une certaine manière, mais de la punir (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_307/2019 du 13 novembre 2019 consid. 4.1 non publié in ATF 146 IV 76, 6B_1135/2018 du 21 février 2019 consid. 1.2.1 et 1B_771/2012 du 20 août 2013 consid. 1.2.2).

L'atteinte de ce seuil de gravité a, entre autres, été niée lorsque le plaignant allègue avoir été empêché de téléphoner à son avocat durant quelques jours et donc de faire valoir ses droits dans le cadre de la procédure disciplinaire ayant conduit à sa consignation en cellule (arrêt du Tribunal fédéral 1B_522/2020 du 11 janvier 2021), se plaint d'une violation de domicile du fait que des agents de police se sont introduits dans son appartement en son absence (arrêt du Tribunal fédéral 1B_559/2012 du 4 décembre 2012) ou encore fait grief à la police de l'avoir saisi au collet quelques instants (arrêt du Tribunal fédéral 1B_70/2011 du 11 mai 2011).

3.2.       Depuis le 1er janvier 2024, la loi soumet, nouvellement, l’assistance judiciaire à la victime (au sens de l’art. 116 al. 1 CPP) – pour permettre à celle-ci de faire aboutir sa plainte pénale – aux conditions cumulatives d’indigence et de chances de succès de son action pénale (art. 136 al. 1 let. b CPP). En l'espèce, il y a lieu de prendre en compte la nouvelle teneur de cette disposition, car l'ordonnance attaquée a été rendue le 14 juin 2024 (arrêts du Tribunal fédéral 7B_1008/2023 du 12 janvier 2024 consid. 2.2 et 7B_997/2023 du 4 janvier 2024 consid. 1.2).

3.3.       Dans son acte de recours, le recourant ne prétend pas que son appréhension dans un tramway constituerait un acte de violence physique et qu'elle aurait eu pour but de l'humilier, pas plus qu'on ne saurait la considérer comme de nature à créer un sentiment de peur, d'angoisse ou d'infériorité. Il ne prétend pas avoir été maîtrisé, ceinturé, bousculé ou contraint d’une autre façon à se soumettre au policier et à abandonner son voyage en transport public. Sa situation, alors, n’était assurément pas plus grave que celle, examinée en jurisprudence, d’avoir été saisi au collet.

Rien non plus – que ce soit dans les développements de la procédure à l’origine de sa détention ou dans sa plainte pénale – ne permet de considérer que les conditions dans lesquelles la police a accédé, dans la foulée, mais hors du tram, à certaines données de son téléphone portable eussent été abaissantes pour lui, ni que les informations recueillies à cette occasion – selon le policier, deux conversations par messagerie laissant apparaître des « rencontres douteuses » possiblement en lien avec un trafic de cocaïne – l’auraient en elles-mêmes gravement stigmatisé devant des tiers, voire désigné à leur vindicte.

À vrai dire, le recourant met principalement en cause les conditions légales posées à l’accès par la police aux données de son téléphone portable et à l’utilisation de celles-ci dans la procédure ouverte contre lui pour trafic de stupéfiants. Que l'infraction qu’il invoque (l’art. 312 CP) soit, au vu de la peine menace, un crime (art. 10 al. 2 CP) et serait survenue, totalement ou partiellement, en public ne suffit pas à remplir les conditions susmentionnées.

S’il évoque l’indemnisation de son tort moral, le recourant ne la chiffre pas, pas plus qu’il n’évoque de souffrance morale ou physique particulière à l’appui ; des pleurs en audience, comme il les met en exergue dans l’acte de recours, ne suffisent pas. Sa situation, sous cet aspect, n’est pas différente de celle de tout suspect appréhendé dans la rue, puis placé en détention, pour présomption de trafic de stupéfiants. Par ailleurs, il n’étaye en rien la prétendue portée nationale de son arrestation, et encore moins un hypothétique préjudice de réputation pour lui.

Quant à l’importance de l’issue de sa plainte, le recourant n’en attend expressément qu’un « impact » sur (le sort de) la poursuite pénale en cours contre lui. Ce n’est pas là l’effet direct d’un traitement raciste ou d’un profilage racial, ni même d’un contrôle « au faciès », puisque, dans cette procédure séparée, ce seront bien la consistance des charges et la validité des preuves soumises au juge du fond qui seront déterminantes. Le bien-fondé de sa plainte contre la police ne conditionne pas le sort du procès ni l’acquittement auquel il aspire (en tout cas sur la prévention de trafic de cocaïne). Fût-ce le cas qu’il conserverait la faculté de demander la suspension du procès, d’interjeter appel suivant l’issue de celui-ci, voire d’agir en révision, si ses griefs contre la police se vérifiaient ultérieurement.

Enfin, on ne voit pas, et le recourant n’expose pas, d’autres enjeux de la procédure en termes de situation professionnelle (il est sans emploi), de droit de séjour en Suisse (il n’en avait aucun à la date de son arrestation) ou de liens personnels, familiaux, dans le pays (il n’en mentionne aucun).

C'est donc à juste titre que le Ministère public a refusé de lui allouer l'assistance juridique gratuite pour la procédure ouverte par suite de sa plainte.

4.             Le recours est rejeté.

5.             Le recourant, partie plaignante, demande l’assistance judiciaire pour la procédure de recours.

5.1.       L'assistance judiciaire gratuite accordée à la partie plaignante en première instance ne vaut pas sans autre en procédure de recours. La partie plaignante doit la solliciter à nouveau devant l'instance de recours cantonale. Ainsi, elle doit, à chaque stade de la procédure, exposer notamment que l'action civile ne paraît pas dépourvue de chances de succès (cf. ancien art. 136 al. 1 let. b CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_381/2023 du 13 novembre 2023 consid. 3.1). Le nouvel alinéa 3 de l'art. 136 CPP, introduit dans le cadre de la révision du CPP entrée en vigueur le 1er janvier 2024, le prévoit expressément. Selon le Message du Conseil fédéral, ce nouvel alinéa représente une clarification, ainsi qu'une adaptation à l'art. 119 al. 5 CPC (FF 2019 6388). L'entrée en vigueur de l'art. 136 al. 3 CPP n'a donc pas entraîné de modification du droit sur le fond (arrêt du Tribunal fédéral 7B_666/2023 du 8 mai 2024 consid. 4.1.3). De manière générale, en cas de doute, l'assistance judiciaire doit être accordée (arrêt du Tribunal fédéral 1B_49/2019 du 20 mai 2019 consid. 3.1).

5.2.       En l’occurrence, le recourant n’expose pas, hormis sa conviction d’avoir été victime d’une arrestation « raciste », quelles seraient les chances de succès de sa plainte ni de son recours. On peut cependant admettre que le contrôle par l’autorité de recours d’une décision de refus d’assistance judiciaire dans une plainte contre la police appelait – ici – le concours d’un avocat.

5.3.       Son avocat dans la procédure dirigée contre lui sera donc désigné à sa défense. La « juste et équitable indemnité valant participation aux honoraires d’avocat », qu’il réclame, mais ne chiffre pas, sera arrêtée à CHF 300.-, soit une heure et demie d’activité à CHF 200.-/h. (art. 16 al. 1 let. c RAJ). En effet, la Chambre de céans ne peut que constater que le recourant reprend quasiment à l’identique les faits présentés dans de précédentes contestations (cf. ACPR/417/2024 ; ACPR/292/2024 ; ACPR/295/2024 ; ACPR/41/2024 ; ACPR/11/2024) – il concède lui-même n’avoir « eu de cesse » de le faire (acte de recours p. 15) – et que la motivation juridique du recours ne traite pas des dispositions du CPP en vigueur depuis le début de l’année.

6.             Les frais seront laissés à la charge de l’État (art. 20 RAJ).

* * * * *

 


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Accorde à A______ l’assistance judiciaire gratuite pour la procédure de recours, lui désigne à cette fin Me C______ et fixe à CHF 300.- (plus TVA 8.1 %) l’indemnité due à celui-ci.

Laisse les frais de l’instance à la charge de l’État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges ; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).