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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20634/2023

ACPR/472/2024 du 24.06.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'OBTENIR UNE DÉCISION;RETARD INJUSTIFIÉ;SUSPENSION DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.5; Cst.29; CPP.314

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20634/2023 ACPR/472/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 24 juin 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Cyril AELLEN, avocat, AAA Avocats SA, rue du Rhône 118, 1204 Genève,

recourant,

pour déni de justice

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 29 février 2024, A______ recourt pour déni de justice.

Le recourant ne prend pas de conclusions formelles, mais demande en substance que la Chambre de céans invite le Ministère public à donner suite à sa plainte pénale pour faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques (art. 317 CP) et abus d'autorité (art. 312 CP).

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par plainte du 25 septembre 2023, A______, agissant en personne et s'adressant au "Ministère public, Procureur extraordinaire", a dénoncé les faits suivants :

Il faisait l'objet d'une procédure pénale (P/1______/2017) pour traite d'êtres humains, usure et infractions aux droits des étrangers et des assurances sociales. Cette procédure avait été ouverte à la suite notamment d'un rapport de renseignements de la police genevoise du 23 octobre 2017, ainsi que de plaintes pénales émanant de plusieurs personnes ayant œuvré dans son logement.

Il soupçonnait que des "manipulations" avaient été commises pendant l'enquête préliminaire, voire devant le Ministère public, soit en substance la falsification de pièces versées à la procédure, lors de l'enquête policière. La crédibilité d'une des plaignantes était affectée : des indices laissaient à penser que la plaignante considérée avait eu des contacts avec la police avant les dates mentionnées dans le dossier. Le Ministère public avait prétendu, dans des observations sur recours de janvier 2022, que ni la police, ni lui-même n'auraient un quelconque intérêt à dissimuler que la plaignante avait déjà formulé des déclarations antérieurement, mais que cela aurait, au contraire, facilité leur enquête.

Ces faits, constitutifs de faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques et d'abus d'autorité, avaient déjà été soumis au Ministère public, puis au Tribunal correctionnel, sans succès.

Diverses mesures d'instruction étaient requises.

Le plaignant a encore écrit : "Si la procédure devait être attribuée de façon pérenne à un procureur ordinaire du Ministère public genevois, veuillez noter que je sollicite alors sa récusation, dès lors que la compétence pour traiter cette procédure relève à l'évidence d'un procureur extraordinaire (cf. art. 82A LOJ), alors que la conduite même d'une procédure pénale, tant par la police que par le Ministère public, est sérieusement questionnée en l'espèce."

b. Par pli du 29 février 2024, A______ a invité le Ministère public à statuer sous dix jours.

C. a. À l'appui de son recours, déposé en personne, le recourant s'émeut de n'avoir pas reçu de nouvelle à la suite de sa plainte et craint que le Ministère public ne "tente d'étouffer" celle-ci.

b. Le Ministère public, soit pour lui le Procureur général, conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

Il expose que la plainte de A______ avait été déposée alors que l'audience de jugement pour les faits dont il était accusé était sur le point d'avoir lieu. Il avait donc considéré qu'il fallait laisser l'autorité de jugement examiner le dossier sans perturbations externes, avant de se déterminer sur la suite à donner. Les faits incriminés dans la plainte se confondaient avec l'examen par le Tribunal correctionnel de la régularité de la procédure. Comme le procès était imminent, il apparaissait alors superflu de suspendre formellement la procédure. Le procès avait ensuite été renvoyé à plusieurs reprises, mais les questions susévoquées avaient été examinées à titre préjudiciel.

Ainsi, bien qu'aucun acte n'ait été réalisé depuis le dépôt de la plainte, le Ministère public avait choisi cette approche à dessein et n'avait pas rendu d'ordonnance de suspension, car les reports successifs et rapprochés faisaient apparaître comme inutiles une telle formalité. Le délai écoulé n'était en tout état pas choquant, étant donné que les faits dénoncés s'étaient déroulés il y a plusieurs années et étaient examinés parallèlement dans le cadre du procès au fond.

Il a produit en annexe le procès-verbal d'une audience du Tribunal correctionnel tenue dans la procédure P/1______/2017, dans le cadre de laquelle les faits dénoncés dans la plainte ont été abordés au stade de l'examen des questions préjudicielles.

c. A______, désormais assisté d'un avocat, remarque que le Ministère public avait à dessein choisi d'ignorer la plainte pénale. Celle-ci était d'ailleurs en mains d'un magistrat dont il avait demandé la récusation. L'absence de prononcé d'une ordonnance de suspension était elle-même constitutive de déni de justice. Enfin, l'existence du procès parallèle était, contrairement à l'avis du Ministère public, un motif supplémentaire de traiter rapidement la plainte.

 

EN DROIT :

1.             Le recours, formé pour déni de justice et retard injustifié à statuer, soit des griefs invocables en tout temps (art. 396 al. 2 CPP), a été déposé selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP) et émane de la partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP). Il est donc recevable.

2.             2.1. Selon l'art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable. Il y a déni de justice formel lorsqu'une autorité n'applique pas ou applique d'une façon incorrecte une règle de procédure, de sorte qu'elle ferme l'accès à la justice au particulier qui, normalement, y aurait droit. L'autorité qui se refuse à statuer, ou ne le fait que partiellement, viole l'art. 29 al. 1 Cst. (cf. ATF 144 II 184 consid. 3.1 et les réf.; arrêt du Tribunal fédéral 1B_4/2023 du 27 février 2023 consid. 2.1).

2.2. Les art. 29 al. 1 Cst. et 5 al. 1 CPP garantissent notamment à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Ces dispositions consacrent le principe de célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 144 I 318 consid. 7.1). Le caractère raisonnable du délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes
(ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1). Il y a notamment un retard injustifié si l'autorité reste inactive pendant plusieurs mois, alors que la procédure aurait pu être menée à son terme dans un délai beaucoup plus court. Des périodes d'activités intenses peuvent cependant compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires et on ne saurait reprocher à l'autorité quelque temps morts, qui sont inévitables dans une procédure; lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3). Un certain pouvoir d'appréciation quant aux priorités et aux mesures à prendre pour faire avancer l'instruction doit aussi être reconnu à l'autorité (arrêts du Tribunal fédéral 1B_527/2021 du 16 décembre 2021 consid. 3.1; 1B_184/2021 du 10 novembre 2021 consid. 2.1).

Selon la jurisprudence, apparaissent comme des carences choquantes une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction ou encore un délai de dix ou onze mois pour que le dossier soit transmis à l'autorité de recours (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_845/2020 du 5 novembre 2020 consid. 2.1).

2.3. Selon l'art. 314 al. 1 let. b CPP, le ministère public peut suspendre l'instruction, lorsque l'issue de la procédure pénale dépend d'un autre procès dont il paraît indiqué d'attendre la fin. Cette mesure ne se justifie toutefois que si le résultat de l'autre cause peut véritablement jouer un rôle sur celui de l'affaire suspendue et qu'il simplifiera de manière significative l'administration des preuves dans cette même affaire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_238/2018 du 5 septembre 2018 consid. 2.1 et les références citées).

2.4. En l'espèce, comme le souligne à juste titre le Ministère public, le délai écoulé depuis le dépôt de la plainte pénale n'est pas choquant. D'une part, ce délai n'est pas suffisant pour enfreindre les maxima posés par la jurisprudence. D'autre part, le dossier présente des particularités qui relativisent la prétendue inactivité de l'autorité intimée. En effet, celle-ci n'a certes pas effectué de démarche depuis le dépôt de plainte, mais les faits dénoncés sont soumis simultanément au Tribunal correctionnel, comme le recourant l'a exposé d'emblée. Ce tribunal sera, a été ou devrait être amené à traiter de la question de la validité des preuves et d'éventuelles irrégularités dans la tenue du dossier, soit un complexe de faits absolument identique à celui décrit dans la plainte. De surcroît, le recourant n'a demandé l'exécution d'aucun acte d'instruction urgent. Ainsi, il ne peut soutenir qu'il s'attendait à ce que les faits litigieux soient instruits par une autorité judiciaire, soit le Tribunal correctionnel, et que, simultanément, le Ministère public requière la nomination d'un procureur extraordinaire et / ou instruise sa plainte portant sur ces mêmes faits. Il est ainsi envisageable que le Tribunal résolve de lui-même les griefs soulevés dans la plainte et facilite ainsi l'instruction des faits dénoncés, qui tous reposent sur des actes contenus dans le dossier soumis à cette juridiction. Par économie de procédure et pour éviter les décisions contradictoires, le Ministère public était donc fondé à demeurer en attente.

De plus, l'absence de décision formelle de suspension apparaît sans incidence sur l'issue du recours pour déni de justice. Au vu des circonstances particulières qui viennent d'être évoquées, soit l'existence d'un procès parallèle, les explications du Ministère public sur l'absence de décision formelle de suspension convainquent. Les échéances relativement brèves et imprévisibles entre le dépôt de la plainte et la première audience du procès, puis entre les reports d'audiences subséquents qu'il invoque, montrent qu'il était justifié que le Ministère public attende avant d'instruire, à brève échéance, la plainte, ce qui était implicitement compréhensible pour le recourant. Qu'il agisse en personne ou non était sans incidence, étant précisé qu'il pouvait être conseillé sur la coordination des deux procédures par ses défenseurs devant le Tribunal correctionnel. Ainsi, l'absence de décision formelle de suspension n'a causé aucun préjudice juridique au recourant.

Enfin, la récusation évoquée dans la plainte du recourant ne change rien à ce qui précède : comme il le formule lui-même dans sa plainte, le recourant a conclu à la récusation en cas d'attribution pérenne de la cause à l'un des magistrats du Ministère public plutôt qu'à un procureur extraordinaire. Le recourant ne pouvait pas ignorer, dès lors qu'il cite lui-même les dispositions topiques, qu'aucun procureur extraordinaire ne siège en permanence. Seule entre en considération la nomination d'un tel magistrat pour une affaire déterminée (art. 82A al. 4 LOJ). Dès lors qu'il revient au Procureur général ou à l'un des premiers procureurs de signaler l'existence des circonstances prévues par cette disposition, il est nécessaire que la cause passe entre ses mains pour qu'il décide de la suite à y donner et se déterminer sur la réalisation des conditions de l'art. 82A LOJ. Il ne saurait donc être reproché au Procureur général d'avoir conservé à ce stade le dossier dans son cabinet.

Il s'ensuit que les conditions d'un retard injustifié à statuer ou d'un déni de justice ne sont pas réunies.

Ainsi, le recours, infondé, sera rejeté.

3.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/20634/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

-

CHF

Total

CHF

1'000.00