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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/5934/2018

ACPR/466/2024 du 20.06.2024 sur OMP/9487/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : EXPERTISE;PREUVE ILLICITE
Normes : CPP.141; CPP.182

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5934/2018 ACPR/466/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 20 juin 2024

Entre

A______, représenté par Me Philippe CURAT, Currat & Associés, Avocats, rue de Saint-Jean 73, 1201 Genève,

recourant,

contre l’ordonnance rendue le 6 mai 2024 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A.           Par acte du 21 mai 2024, A______ recourt contre la décision du 6 précédent, notifiée le 8 mai 2024, par laquelle le Ministère public a refusé d’écarter de la procédure une lettre de B______ SA du 18 avril 2024.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Il est notamment reproché à A______ d'avoir, entre janvier 2018 et octobre 2019, à Genève, dans le but de s'enrichir, obtenu sept crédits d'un montant total de CHF 67'300.- de la part de la Caisse publique de prêts sur gages (ci-après, CPPG), moyennant la remise en gage de montres contrefaites, en particulier de marque B______, et de n'avoir remboursé que partiellement sa dette, le solde dû pour l'ensemble des prêts s'élevant à CHF 36'361.22 en novembre 2023.

b.             Lors de l'audience du 22 novembre 2023, la CPPG a expliqué qu’en raison du retard de remboursement pris par A______, client depuis 2015, elle avait voulu vendre deux des montres et décidé de les soumettre (toutes) à une « analyse professionnelle » par un horloger (dont elle donnera le nom et les coordonnées le 30 novembre 2023). Il s'était avéré que les dix objets étaient des contrefaçons.

A______ a expliqué avoir acheté les montres litigieuses dans un magasin à C______ [UAE], et non auprès d'un revendeur officiel. Il disposait des factures, qu'il s'engageait à transmettre au Ministère public. Il avait en outre acquis une montre auprès de B______ SA ; toutefois, cette pièce, qu'il avait montrée à des tiers pour la revendre, avait peut-être été remplacée par une « fausse » à cette occasion.

Sur-le-champ, le Ministère public a ordonné le séquestre, en main de la CPPG, des dix montres en question. Il a formalisé sa décision par ordonnance du 24 novembre 2023, qui n'a pas été contestée.

c.              Le 13 février 2024, le Ministère public a écrit à B______ SA pour savoir si elle serait disposée, à titre gracieux, à prendre possession des (trois) montres de la marque gagées par A______, à les examiner et à établir un rapport sur leur authenticité. Il lui demandait aussi de faire un éventuel lien entre ces montres et celles précédemment acquises par le prénommé, ainsi que toutes observations utiles, avant de retourner les montres à la CPPG.

d.             Après avoir obtenu une réponse positive de B______ SA, le Ministère public a rendu une ordonnance de séquestre, le 29 février 2024, que la Chambre de céans, saisie d’un recours, a qualifiée d’ordonnance d’expertise (ACPR/289/2024 du 24 avril 2024 consid. 1.5.). Ledit recours a été déclaré irrecevable, faute d’intérêt juridique de A______, qui n’avait critiqué ni le principe ni l’utilité ni les modalités de « l’examen » à intervenir, pas davantage que le choix de l’expert.

e.              Dans l’intervalle, le 18 avril 2024, B______ SA a répondu au Ministère public que les trois montres examinées étaient des contrefaçons.

f.               Le 1er mai 2024, A______ a invité le Ministère public à établir et notifier une ordonnance d’expertise en bonne et due forme.

g.             Le lendemain, le Ministère public a répondu refuser d’agir ainsi « a posteriori », soit pour « valider » les constatations de B______ SA. Il ajoutait que A______ pouvait tenter d’invoquer l’inexploitabilité de celles-ci.

h.             Le 3 mai 2024, A______ a demandé au Ministère public d’écarter du dossier la lettre de B______ SA du 18 avril 2024, pour avoir été versée au dossier en violation de l’art. 141 al. 2 CPP.

C. Dans l’ordonnance attaquée, le Ministère public estime que A______, ne s’étant pas plaint d’une violation des règles gouvernant les expertises lors de son recours contre la décision du 29 février 2024, ne pouvait pas combler cette lacune en invoquant ultérieurement l’art. 141 al. 2 CPP.

D. a. Dans son recours, A______ allègue derechef une violation de cette disposition légale, dès lors que la Chambre de céans avait elle-même constaté que la mission confiée à B______ SA l’avait été sans respecter les règles de validité applicables aux expertises. Certes, ce moyen de preuve était le seul disponible pour établir d’éventuelles contrefaçons ; son administration ne pouvait toutefois pas être requise d’une personne morale, laquelle avait de surcroit un intérêt personnel à son issue. La transmission d’éléments du dossier à celle-ci violait l’art. 73 CPP. La lettre de B______ SA du 18 avril 2024 devait en conséquence être écartée du dossier.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recourant, prévenu d'escroquerie, a un intérêt juridiquement protégé au retrait des moyens de preuves prétendument inexploitables du dossier (art. 382 al. 1 CPP). Il a également un intérêt au retrait rapide de ces preuves : celui-ci peut, en effet, avoir des conséquences décisives sur les décisions que peut prendre la direction de la procédure et qui doivent être fondées sur des soupçons suffisants, notamment en matière de mesures de contraintes ou encore de mise en accusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3. et les références).

L'autorité de recours cantonale est compétente, durant la procédure préliminaire, pour trancher des litiges relatifs à l'exploitabilité des moyens de preuves (cf. ATF 143 IV 475 consid. 2.8).

Pour le surplus, le recours a été interjeté dans les forme et délai prescrits (art. 90 al. 1 et 2, 91 al. 3, 384 let. a, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP ; art. 1 al. 1 let. e LJF, J 1 45).

2.             Le recourant considère que la lettre de B______ SA du 18 avril 2024 serait un moyen de preuve inexploitable, car illicite, et devrait être retirée du dossier.

2.1.       Conformément à l'art. 139 al. 1 CPP, les autorités pénales mettent en œuvre tous les moyens de preuve licites qui, selon l'état des connaissances scientifiques et l'expérience, sont propres à établir la vérité.

Les art. 140 et 141 CPP règlent les méthodes interdites d'administration des preuves et l'exploitation des moyens de preuve obtenus illégalement.

Selon l'art. 140 CPP, les moyens de contrainte, le recours à la force, les menaces, les promesses, la tromperie et les moyens susceptibles de restreindre les facultés intellectuelles ou le libre arbitre sont interdits dans l'administration des preuves (al. 1), même si la personne concernée a consenti à leur mise en œuvre (al. 2).

Selon l'art. 141 CPP, les preuves administrées en violation de l'art. 140 CPP ne sont en aucun cas exploitables (al. 1). Les preuves qui ont été administrées d'une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (al. 2). Si un moyen de preuve est recueilli grâce à une preuve qui n'est pas exploitable au sens de l'al. 2, il ne l'est pas non plus lorsqu'il n'aurait pas pu être recueilli sans l'administration de cette première preuve (al. 4). Tel n'est pas le cas lorsque la seconde preuve aurait aussi pu être obtenue sans la première preuve illicite, avec une grande vraisemblance, compte tenu d'un déroulement hypothétique des investigations. Les circonstances concrètes sont déterminantes. La simple possibilité théorique d'obtenir la preuve de manière licite ne suffit pas (ATF
138 IV 169 consid. 3.3.3 p. 173 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_640/2012 du 10 mai 2013 consid. 2.1).

En tout état de cause, le caractère illicite d'un moyen de preuve ne découle pas du seul fait qu'il apporte des éléments à charge du prévenu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_255/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1.3.).

2.2.       En l’occurrence, il est exact que, dans sa décision sur le recours contre le « séquestre » ordonné le 29 février 2024, la Chambre de céans observait que le Ministère public s’était affranchi de toute la procédure applicable en matière d’expertise (ACPR/289/2024 consid. 1.5., 2e § avant la fin). Elle n’en a toutefois tiré aucune conséquence.

Dans son acte de recours, du 13 mars 2024, le recourant lui-même qualifiait l’ordonnance susmentionnée « d’expertise déguisée » (cf. op. cit. let. D.a.). Il n’en a pas demandé l’annulation ou la modification pour des raisons tirées de la marche à suivre qui eût dû être appliquée et ne l’avait pas été, soit des art. 182 ss. CPP ; il a uniquement fait valoir qu’un second séquestre après celui du 23 novembre 2023 lui apparaissait « dénué de sens ».

Or, le pouvoir d’examen complet dévolu par la loi à l’autorité de recours (art. 393 al. 2 CPP), la possibilité de réparer en deuxième instance une violation du droit d’être entendu (ATF 145 I 167 consid. 4.4.), voire le principe d’universalité du recours institué par le CPP (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1), lui auraient permis de soulever, s’il s’y estimait fondé, tout grief portant sur les étapes adoptées par le Ministère public en vue d’établir si les trois montres étaient des contrefaçons.

Le recourant ne l’a pas fait, et la Chambre de céans s’en est tenue aux motifs qu’il invoquait (cf. art. 385 let. b CPP). On ne voit pas qu’il puisse de bonne foi revenir aujourd’hui sur ces questions.

Il a succombé dans ce recours-là parce qu’il n’avait aucun intérêt juridiquement protégé à s’en prendre à une mesure de contrainte qu’en réalité il ne combattait pas. Il n’a d’ailleurs pas tenté de faire infirmer par le Tribunal fédéral cette analyse fondée sur l’art. 382 al. 1 CPP.

Au demeurant, il ne disconvient pas que l’expertise était le seul moyen à disposition de l’autorité pénale pour trancher de l’éventuelle contrefaçon des trois montres qu’il a remises en gage. On ne voit pas en quoi la divulgation de son nom au fabricant à cette occasion aurait violé ses droits de la personnalité ou l’art. 73 CPP. Dans la correspondance échangée avec la manufacture, il est désigné comme l’acquéreur ou le gagiste des montres, et non comme l’auteur d’une possible tromperie. Enfin, sa mise en prévention du chef d’escroquerie est antérieure à l’examen des montres ; elle n’en a donc pas dépendu. Du reste, la plaignante avait fait procéder à un examen des montres par un horloger et en avait donné le résultat dans sa plainte pénale.

Pour le surplus, le requérant n’est pas privé de la faculté de faire interroger les personnes physiques qui, au sein de la manufacture considérée, se sont livrées à l’examen voulu par le Ministère public.

Ses actuelles critiques, de forme (car il ne remet pas en cause les conclusions du fabricant), ne suffisent donc pas à faire de l’examen demandé par le Ministère public une expertise illégale, dont le résultat serait à écarter du dossier.

3.             Le recours doit par conséquent être rejeté. La Chambre de céans pouvait le traiter d’emblée sans échange d’écritures ni débats (art. 390 al. 2, 1ère phrase a contrario, CPP).

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/5934/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

715.00

Total

CHF

800.00