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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7384/2021

ACPR/403/2024 du 30.05.2024 sur OMP/8663/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CONSULTATION DU DOSSIER
Normes : CPP.73.al1; CPP.74; CPP.75; CPP.101.al2; LaCP.15

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7384/2021 ACPR/403/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 30 mai 2024

 

Entre

A______, représentée par Me E______, avocate,

recourante,

contre l'ordonnance rendue le 24 avril 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 6 mai 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 24 avril 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a autorisé l'Office cantonal de la santé (ci-après : OCS) à consulter le dossier.

La recourante conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif et, principalement, à l'annulation de ladite ordonnance ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité de CHF 2'587.50, plus TVA, pour ses frais de défense.

b. Par ordonnance OCPR/22/2024 du 7 mai 2024, la direction de la procédure a accordé l'effet suspensif au recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 6 septembre 2023, B______ a contacté la centrale police pour dénoncer le vol à son domicile, entre 18h00 et 20h00, de CHF 60'000.- placés dans une enveloppe. En l'absence d'effraction, la police a orienté ses soupçons vers quatre employées s'occupant comme infirmières, respectivement aide-ménagères, de la mère de la précitée, C______, alitée, dont A______ [ayant obtenu un diplôme français d'infirmière en juillet 2021].

b. A______, entendue une première fois par la police le 8 septembre 2023 comme personne appelée à donner des renseignements, a prétendu avoir ignoré que B______ s'était rendue à la banque le jour des faits et avoir appris de cette dernière le lendemain des faits le vol de l'enveloppe contenant les CHF 60'000.-.

c. Par courrier de son conseil du 19 septembre 2023, A______ a reconnu avoir subtilisé l'enveloppe contenant la somme de CHF 60'000.-.

d. Entendue par la police le 28 septembre 2023 en qualité de prévenue, elle a déclaré qu'elle ignorait ce que contenait l'enveloppe au moment de l'emporter. Lorsqu'elle avait découvert son contenu, elle avait regretté de l'avoir prise, mais ne savait pas comment faire marche arrière. Elle avait, quelques jours plus tard, remis l'enveloppe dans la cuisine de la plaignante, laquelle ne comportait toutefois que CHF 50'000.-[Elle a restitué les CHF 10'000.- restants au moment de son audition par la police].

Elle travaillait chez B______ depuis mai 2023, dans un premier temps dans le cadre d'un placement par l'entreprise D______, puis comme infirmière indépendante, rémunérée, sur factures, par l'assurance.

e. À la suite de l'avis de prochaine clôture de l'instruction émis par le Ministère public le 19 janvier 2024, A______ a, par courrier du 29 janvier 2024 sollicité le classement de la procédure au sens des art. 53 cum 8 et 319 al. 1 let. e CPP, subsidiairement une exemption de peine, s'agissant du vol des CHF 60'000.-.

f. Par ordonnance pénale du 7 février 2024, le Ministère public a condamné A______ à une peine pécuniaire en lien avec le vol de ces CHF 60'000.- et d'autres faits reprochés sur son lieu de travail de l'époque.

La prévenue a fait opposition à cette ordonnance pénale.

g. Le Ministère public a procédé le 24 avril 2024 à une confrontation entre B______ et A______ et, le lendemain, a rendu une ordonnance de maintien [de son ordonnance du 7 février 2024] et transmis la cause au Tribunal de police.

h. Par courrier du 15 décembre 2023, la Direction générale de la santé (ci-après : DGS) a indiqué à A______ que la police l'avait informée [voir le rapport de transmission d'informations de la police judiciaire du 30 novembre 2023] de sa mise en cause dans une affaire de vol d'une enveloppe contenant CHF 60'000.- au domicile de l'une de ses patientes, gravement atteinte dans sa santé. Si ces faits étaient avérés, elle ne remplirait plus l'une des conditions requises, selon l'art. 12 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les professions de la santé du 30 septembre 2016 (ci-après, LPSan; RS 811.21) pour être autorisée à exercer sa profession d'infirmière dans le canton de Genève, lequel exigeait d'être digne de confiance. Les faits considérés étaient donc susceptibles d'aboutir à l'application des mesures et sanctions prévues aux art. 14 et 19 LPSan, respectivement 125A et ss de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (ci-après, LS ;
K 1 03).

i. Par réponse du 31 janvier 2024, A______ a exposé à la DGS les motifs juridiques pour lesquels elle s'opposait au retrait de son autorisation de pratiquer. Elle a en particulier exposé que la procédure pénale était en cours et qu'aucune condamnation n'avait été prononcée. Elle ignorait ce que contenait l'enveloppe qu'elle avait prise et avait restitué l'intégralité de son contenu dès que possible, de sorte que l'infraction n'avait pas été consommée. Elle était consciente de son erreur. Cet épisode était un événement isolé, "tout à fait exceptionnel" et elle n'avait aucun antécédent.

Les soins qu'elle avait prodigués à sa patiente n'avaient jamais été remis en cause.

j. Par courrier du 27 mars 2024, A______ s'est opposée à toute consultation de la procédure par le Service du médecin cantonal et demandé que le Ministère public l'informe expressément de toute demande dans ce sens.

k. Le 17 avril 2024, l'OCS a demandé au Ministère public de pouvoir consulter le dossier de la procédure. À la suite de la mise en cause de A______ pour le vol en question, il était en passe d'ouvrir une procédure disciplinaire à son encontre.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public a exposé que l'OCS avait sollicité la consultation du dossier le 17 avril 2024 afin de pouvoir traiter une procédure administrative à l'encontre de la prévenue. L'OCS, auquel aucune obligation de secret ne pouvait être opposée, avait donc un intérêt à accéder à la procédure pénale pendante. Cet intérêt public était non seulement d'avoir une connaissance de tous les éléments pour son enquête, mais aussi de s'assurer de la protection des patients. La sauvegarde des intérêts privés de la prévenue n'était pas prépondérante.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir que le Service du médecin cantonal avait été informé par la police du seul complexe de faits relatif au vol d'une enveloppe contenant CHF 60'000.-, à l'exclusion donc des autres faits, qu'elle contestait formellement.

Contrairement à ce qu'elle avait expressément demandé au Ministère public le 27 mars 2024, ce dernier ne l'avait pas informée de la réception de la demande de consultation de la procédure, ni ne l'avait interpellée à ce sujet avant de rendre l'ordonnance querellée. De plus, ladite ordonnance n'était pas motivée. Le Ministère public n'avait en particulier procédé à aucune pesée des intérêts. Il ne précisait pas même les indications transmises par la police à l'OCS ni sur quelle base légale. Son droit d'être entendue avait été violé sous ces deux aspects.

Les art. 75 al. 4, 96 et 101 al. 2 CPP avaient été violés. Le seul fait qu'une procédure pénale fût ouverte à son encontre ne justifiait pas d'office un intérêt public de l'autorité disciplinaire à accéder à l'intégrité de la procédure. La fiche de transmission d'informations de la police comportait tous les éléments utiles à la compréhension et à l'établissement des faits éventuellement nécessaires à l'autorité administrative. Elle avait admis les faits, de sorte que l'OCS pouvait décider, en l'absence de consultation de la procédure, s'il entendait ou non ouvrir une procédure disciplinaire à son encontre, étant relevé que tel n'était à ce jour pas le cas. Il ne ressortait au surplus pas de l'ordonnance querellée quels faits l'OCS souhaiterait éclaircir, de sorte qu'un accès intégral au dossier relèverait de la fishing expedition. La procédure ayant été transmise au Tribunal de police, l'OCS serait informé du jugement à venir, de sorte qu'il n'existait aucun intérêt actuel.

Même à considérer que l'OCS aurait un intérêt à consulter l'intégralité du dossier, le principe de proportionnalité commanderait de refuser la consultation "à ce stade", puisque les faits dont l'OCS avait été informé étaient déjà établis. L'OCS aurait dû en tout état être contraint de préciser sa demande d'accès et de la limiter à ce qui lui était strictement nécessaire afin de déterminer ou non l'ouverture d'une procédure disciplinaire, étant rappelé qu'à teneur de la loi, seule une procédure "pendante" pouvait donner lieu à une consultation par un tiers.

Dans la mesure où la police n'avait reçu ni l'autorisation ni l'instruction du Ministère public de transmettre des informations à l'OCS, elle l'avait fait illicitement, ce qui rendait a fortiori illicite l'octroi de l'autorisation de consultation.

b. Le Ministère public se réfère à son ordonnance.

La loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10) ne soumettait l'ouverture d'une procédure administrative à aucun acte formel. Selon le courrier de l'OCS du 17 avril 2024, une telle procédure était bien pendante. L'OCS avait un intérêt public – afin de s'assurer en particulier de la protection des patients – à accéder à la procédure pénale pendante, aux fins d'avoir une connaissance exhaustive des faits reprochés à la recourante pour prendre, le cas échéant, les décisions nécessaires dans les meilleurs délais.

Son ordonnance ne consacrait aucune violation du droit d'être entendu, dans la mesure où il résultait de la demande de consultation que l'OCS avait déjà interpellé la recourante à ce sujet, laquelle avait pu former recours. Il rappelait la teneur de l'art. 15 let. a LaCP. Enfin, la recourante pourrait faire valoir ses intérêts dans le cadre de la procédure administrative.

c. Dans sa réplique, la recourante fait valoir qu'il était faux et contradictoire d'affirmer qu'une procédure administrative serait pendante. Le Ministère public ne démontrait pas avoir procédé à une pesée des intérêts en présence, ni pris en compte de quelque manière que ce soit ses intérêts. Il n'indiquait pas en quoi la connaissance exhaustive des faits reprochés serait nécessaire à l'OCS. La faculté de transmission offerte par l'art. 15 let. a LaCP ne pouvait être comparée à l'autorisation d'une consultation de l'intégralité de la procédure, alors même que le besoin "impératif" de l'autorité n'avait préalablement pas été déterminé. La transmission d'informations relatives aux autres faits qu'elle contestait depuis le début, qui avaient déjà fait l'objet d'une procédure pénale en 2022 et d'une ordonnance pénale du 23 décembre 2022, sans que le Ministère public ne transmette d'informations à l'OCS à ce sujet, contreviendrait au principe de la présomption d'innocence et serait disproportionnée, voire s'assimilerait à une mesure punitive.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue sous le double aspect de ne pas avoir était informée par le Ministère public de la demande de consultation de l'OCS, ni n'avoir été interpellée à ce sujet avant que l'ordonnance querellée soit rendue, malgré sa demande expresse, respectivement d'une motivation lacunaire de l'ordonnance attaquée.

2.1. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3;
140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2. Suivant la jurisprudence, une violation du droit d'être entendu entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 I 11 consid. 5.3). Le droit d'être entendu n'est toutefois pas une fin en soi ; il constitue un moyen d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure, notamment à l'administration des preuves. Lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2.3. Une violation du droit d'être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours qui jouit d'un plein pouvoir d'examen. Cela vaut également en présence d'un vice grave lorsqu'un renvoi à l'instance précédente constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de ladite partie à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1135/2021 du 9 mai 2022 consid. 1.1).

2.4. La jurisprudence a par ailleurs déduit du droit d'être entendu ancré à l'art. 29 al. 2 Cst. féd. l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient (arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 et les références citées).

2.5. En l'espèce, avant de rendre la décision querellée, le Ministère public avait connaissance de la position de la recourante qui, par courrier du 27 mars 2024, avait d'emblée manifesté son désaccord avec la consultation de la procédure par cette autorité administrative et demandait à être informée pour le cas où celle-ci ferait une demande de consultation. Aussi, quand bien même il eût été souhaitable que le Ministère public demande des observations à la recourante sur ce point avant de rendre l'ordonnance querellée, on ne voit pas quelle influence concrète – pour autant que cela puisse être considéré comme une violation de son droit d'être entendue, vu son opposition d'ores et déjà connue du Ministère public – une telle violation a pu avoir sur la procédure, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée pour ce motif. Même s'il fallait retenir que l'omission constituait une telle violation, celle-ci aurait, faute de gravité, été réparée devant la Chambre de céans, conformément au principe sus-rappelé.

Quant à la motivation de l'ordonnance litigieuse, elle est suffisante pour comprendre les éléments pris en compte par le Ministère public. Au demeurant, l'argumentation développée par la recourante démontre qu'elle a fort bien compris la décision querellée.

Le grief, partant, est infondé.

3.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir autorisé l'autorité de surveillance de sa profession à consulter le dossier pénal de la procédure, dans son intégralité.

3.1.1. Le CPP consacre de façon générale le principe du secret de l'instruction à l'égard des tiers et du public (art. 73 al. 1 CPP).

3.1.2. L'art. 74 CPP constitue une exception à l'obligation de secret imposée aux autorités vis-à-vis du public. Quant à l'art. 75 CPP, il autorise l'information à d'autres autorités sur les procédures pénales pendantes (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, in Feuille fédérale 2006, p. 1132 ss).

3.1.3. À teneur de l'art. 75 al. 4 CPP, la Confédération et les cantons peuvent astreindre ou autoriser les autorités pénales à faire d'autres communications à des autorités.

Ainsi, à Genève, l'art. 15 let. a LaCP (RS GE E 4 10) précise que, si aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, le Ministère public peut transmettre spontanément aux autorités fédérales, cantonales ou communales compétentes pour traiter une procédure civile, pénale ou administrative a) les informations et les moyens de preuve dont elles ont besoin (art. 75, al. 4, CPP); b) les prononcés rendus par les autorités pénales (art. 84, al. 6, phr. 1, CPP).

3.2. L'art. 101 al. 2 CPP prévoit que d'autres autorités – soit hormis les parties à la procédure – peuvent consulter le dossier lorsqu'elles en ont besoin pour traiter, notamment, une procédure administrative pendante et si aucun intérêt public ou privé ne s'y oppose.

3.2.1. La consultation prévue par l'art. 101 al. 2 CPP présuppose une pesée des intérêts et implique que l'autorité requérante justifie d'un intérêt à cette fin (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (CPP) du 21 décembre 2005, FF 2006 1140 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2019, n. 6 ad art. 101).

La direction de la procédure doit procéder à une rigoureuse pesée des intérêts en présence avant d'autoriser un tel accès au dossier. Elle ne saurait en particulier autoriser des démarches qui s'apparentent à une recherche indéterminée de preuves ("fishing expedition") par l'autorité en question (ATF 137 I 218 consid. 2.3.2 p. 222), auquel cas l'accès au dossier devra lui être refusé (ACPR/201/2018 du 6 avril 2018). La direction de la procédure qui statue sur les demandes de consultation du dossier d'une autorité ou d'un tiers devra en toute hypothèse prendre les mesures nécessaires afin de prévenir les abus, protéger les intérêts légitimes au maintien du secret (art. 102 al. 1 CPP) et, s'agissant particulièrement du prévenu, veiller au respect de la présomption d'innocence (C. CHIRAZI et M. OURAL, L'accès au dossier d'une procédure pénale, in Revue de l'avocat 2014 p. 332ss, 333).

3.2.2. Selon la jurisprudence rendue en application de l'art. 101 al. 3 CPP, un intérêt digne de protection au sens de cette disposition peut notamment découler d'une procédure de licenciement avec effet immédiat et des éventuelles conclusions civiles que le tiers, employeur, pourrait prendre dans ce cadre à l'encontre du prévenu, ainsi que de son intérêt à connaître le mode opératoire utilisé afin de prendre des mesures internes pour éviter ces comportements (arrêt du Tribunal fédéral 1B_340/2017 du 16 novembre 2017). L'autorité compétente en matière disciplinaire peut se voir valablement accorder l'accès à des procédures pénales en cours, sans attendre leur conclusion par un jugement définitif (arrêt du Tribunal fédéral 1B_530/2012 du 12 novembre 2012, résumé in SJ 2013 I 77).

3.2.3. Dans sa pratique, la Chambre de céans a accordé un accès exhaustif à la procédure pénale dans les cas suivants:

- au Département des infrastructures de l'État de Genève, qui sollicitait un tel accès pour un collaborateur affecté à l'Office cantonal des systèmes d'information et du numérique, suspecté d'usure (art. 157 CP) et d'infractions à la LEI (art. 116 al. 3 LEI), pour avoir sous-loué une trentaine d'appartements à des personnes sans papiers, les faisant vivre dans de mauvaises conditions et en louant des chambres à des prix prohibitifs (ACPR/784/2020 du 9 novembre 2020). Dans cet arrêt, il est retenu que les faits reprochés "contrevenaient a priori aux devoirs auxquels un collaborateur de l'État est soumis" et que l'absence de lien entre les accusations et l'activité professionnelle du prévenu n'empêchait pas de reconnaître l'intérêt du Département d'avoir une "connaissance complète de tous les éléments pour sa procédure" (consid. 3.2.2);

- au Département de l'instruction publique (ci-après: DIP), qui sollicitait un tel accès pour un enseignant, suspecté d'actes d'ordre sexuel avec des enfants commis au détriment d'une ancienne élève (ACPR/234/2018 du 26 avril 2018);

- au DIP également, pour un enseignant prévenu de tentative d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, pour s'être masturbé devant une webcam en pensant le faire devant une mineure âgée de 13 ans (en réalité un enquêteur sous couverture) (ACPR/201/2018 du 6 avril 2018);

- à la Ville de Genève, qui sollicitait un tel accès pour un sapeur-pompier, prévenu "d'abus de détresse", soupçonné d'avoir eu des relations sexuelles et envoyé des messages à caractère sexuel à une tierce personne en situation de détresse psychologique, qui "harcelait" la centrale téléphonique du SIS où l'intéressé travaillait (cf. ACPR/458/2012 du 19 octobre 2012).

- à une commune genevoise qui sollicitait un tel accès après avoir compris de documents reçus du Ministère public que deux de ses employés, travaillant en qualité d'informaticiens, étaient soupçonnés de détenir des images à caractère pédopornographique. La Chambre de céans a retenu que l'ébruitement des soupçons qui pesaient sur ces deux prévenus suffirait à ternir l'image publique de l'entité, qui se devait de préserver la confiance de ses administrés. Les dénégations des prévenus ne pouvaient remplacer la consultation du dossier, seule susceptible de permettre à la commune de se forger un avis sur des éléments objectifs, dont notamment les différents rapports de la Brigade de criminalité informatique sur le matériel informatique saisi. L'employeur disposait ainsi d'un intérêt à accéder à la procédure pénale, aux fins d'avoir une connaissance exhaustive des faits reprochés à ses employés et prendre, dans les meilleurs délais, les décisions administratives qui, le cas échéant, s'imposeraient à leur endroit (ACPR/859/2022 du 9 décembre 2022).

3.3. Il est admis que le processus qui conduit à la prise d'une décision administrative s'inscrit dans le cadre de la procédure administrative (P. MOOR / E. POLTIER, Droit administratif, vol. II : Les actes administratifs et leur contrôle, Berne 2011, p. 216).

C'est ce qui résulte également de l'art. 1 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (ci-après : LPA; RS GE E 5 10), qui prévoit que ladite loi contient les règles générales de procédure s’appliquant à la prise de décision par les autorités.

3.4.1. Selon l'art. 12 al. 1 LPSan, l’autorisation d’exercer une profession de la santé, dont celle d'infirmière (art. 2 al. 1 let. a LPSan), sous propre responsabilité professionnelle est octroyée si le requérant: est titulaire du diplôme correspondant visé à l’al. 2 ou d’un diplôme étranger reconnu (let. a); est digne de confiance et présente tant physiquement que psychiquement les garanties nécessaires à un exercice irréprochable de la profession (let. b); maîtrise une langue officielle du canton pour lequel l’autorisation est demandée (let. c).

3.4.2. L’autorisation est retirée si les conditions de son octroi ne sont plus remplies ou si l’autorité compétente constate, après l’octroi de l’autorisation, des faits sur la base desquels celle-ci n’aurait pas dû être délivrée (art. 14 al. 1 LPSan).

3.5. Les autorités judiciaires et administratives cantonales et les autorités fédérales annoncent sans retard à l’autorité de surveillance compétente les faits susceptibles de constituer une violation des devoirs professionnels (art. 18 LPSan).

3.6. L'art. 19 al. 1 LPSan énonce les sanctions disciplinaires pouvant être prononcées par l’autorité cantonale de surveillance en cas de violation de la LPSan ou de ses dispositions d'exécution, parmi lesquelles une interdiction de pratiquer sous propre responsabilité professionnelle pendant six ans au plus (let. d).

3.7. En l'espèce, l'OCS a eu connaissance par la police, au début du mois de décembre 2023, de la mise en cause de la recourante dans le vol d'une enveloppe contenant CHF 60'000.- au domicile d'une patiente "gravement atteinte dans sa santé", auprès de laquelle elle officiait comme infirmière. La recourante, après avoir contesté de tels agissements lors de sa première audition à la police, a concédé être l'auteur de ce vol.

Nul doute que de tels agissements, qu'ils aboutissent en définitive à une condamnation, à un classement ou à une exemption de peine, posent la question pour la recourante de la condition d'être digne de confiance, telle que requise par l'art. 12 al. 1 let. b LPSan, pour exercer comme infirmière dans le canton de Genève. Sa position de soignante au chevet de personnes dépendantes, diminuées physiquement, souvent esseulées et pouvant souffrir de troubles psychiques, voire être incapables de discernement, a pour conséquence que l'on est en droit d'attendre de sa part un comportement irréprochable, une droiture exemplaire.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que le Ministère public entend donner à l'OCS un accès intégral à la procédure, dans la mesure où, quand bien même la recourante conteste les autres faits reprochés, ceux-ci s'inscrivent également dans le cadre de son activité professionnelle. Il importe donc, pour la sécurité et la tranquillité des patients que la recourante est amenée à assister, et de leur entourage, que l'autorité de surveillance ait une vue globale de son parcours, depuis le début de la procédure pénale. Seul un tel accès est de nature à permettre de prendre, dans les meilleurs délais, les décisions administratives qui, le cas échéant, s'imposeraient à son endroit.

Dans ce contexte, il n'est pas question d'une recherche aveugle de preuves de la part de l'autorité de surveillance, étant relevé que la recourante admet faire l'objet d'une mise en cause pour d'autres faits, qu'elle conteste, que le vol de CHF 60'000.-.

Comme justement relevé par le Ministère public, une procédure administrative est bien en cours à l'encontre de la recourante, puisque l'OCS a initié le processus censé conduire à la prise d'une décision administrative.

L'intérêt de l'OCS à consulter le dossier de la procédure, pour prendre connaissance des éléments recueillis, ne fait aucun doute. Il prime celui de la prévenue au respect de sa sphère privée. Il ne se justifie pas dans le cas présent de retrancher certains éléments du dossier pour préserver cette dernière qui, au demeurant, ne soutient pas que des pièces seraient susceptibles de porter atteinte à sa personnalité, au-delà de sa mise en cause dans la commission d'infractions, ou porteraient sur des aspects étrangers au but poursuivi par l'OCS.

Enfin, la légalité de la transmission d'informations de la police à l'OCS, selon rapport du 30 novembre 2023, n'est pas l'objet du litige, lequel est circonscrit à la décision du Ministère public du 24 avril 2024. Il incombait le cas échéant à la recourante de former recours contre cette transmission d'information, si elle s'y estimait légitimée, dans le délai de 30 jours à compter de la réception du courrier de la DGS du 15 décembre 2023.

Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

5.             Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué pour la procédure de recours (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Le communique pour information à l'Office cantonal de la santé.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/7384/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00