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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21965/2023

ACPR/386/2024 du 24.05.2024 sur OTDP/469/2024 ( TDP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE PÉNALE;OPPOSITION(PROCÉDURE);DOMICILE ÉLU
Normes : CPP.354; CPP.87.al1; CPP.87.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21965/2023 ACPR/386/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 24 mai 2024

 

Entre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 4 mars 2024 par le Tribunal de police,

et

A______, représenté par Me Noudemali Romuald ZANNOU, avocat, rue de la Synagogue 41, 1204 Genève,

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 15 mars 2024, le Ministère public recourt contre la décision du 4 précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Tribunal de police a constaté la recevabilité de l'opposition formée par A______ à l'ordonnance pénale du 17 janvier 2024.

Il conclut à l'annulation de cette décision, dite opposition devant être déclarée tardive.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 27 juillet 2023, A______, résident français, a été entendu par la police en qualité de prévenu, étant soupçonné d'avoir commis, à Genève, plusieurs délits et contraventions (art. 90 al. 1, 91 al. 2 let. b, 95 al. 1 let. a et 96 al. 1 let. a LCR ainsi que 19a LStup).

a.b. Avisé par cette autorité, lors de sa déposition, qu'il devait, au vu de sa résidence à l'étranger, désigner une adresse en Suisse pour recevoir toute correspondance/décision liée à la procédure en cours, le prénommé a élu domicile de notification chez son employeuse (B______ SA), située à Genève.

Cette donnée a été consignée en page 5 du procès-verbal d’audition, signé par ses soins.

b.a. Par ordonnance pénale du 17 janvier 2024, le Ministère public a déclaré A______ coupable des infractions susmentionnées.

Cette décision, expédiée à l’adresse désignée par le prévenu, a été reçue le 19 suivant par B______ SA.

b.b. Le 1er février 2024, le prénommé a fait opposition à ladite ordonnance, sous la plume d’un conseil.

Il précisait, dans sa missive, ne plus travailler pour la société précitée. Cette dernière l'ayant informé, le 22 janvier 2024, par téléphone, avoir reçu un pli à son intention, il avait pris possession et connaissance de celui-ci le lendemain.

c.a. Le 7 février 2024, le Procureur a transmis la procédure au Tribunal de police afin qu’il statue sur la validité de cette opposition, irrecevable selon lui, car tardive.

c.b. Invité à se déterminer par la juridiction précitée, A______ a soutenu que la police l'avait, le 27 juillet 2023, "contraint (…) à donner une adresse" à Genève, lui-même ayant vainement sollicité que toute correspondance/décision lui soit adressée en France.

Faute, pour le Ministère public, d’avoir procédé à une notification directe de l’ordonnance pénale à son domicile français, comme le prévoyait pourtant le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 8 novembre 2001 [RS 0.351.12; ci-après : le Deuxième Protocole], applicable entre la Suisse et la France, le délai d'opposition avait commencé à courir le 22 janvier 2024, jour où son ancienne employeuse l'avait informé de l'existence du pli contenant ladite ordonnance.

Sa contestation était donc intervenue en temps utile.

C. Dans sa décision déférée, le Tribunal de police a considéré que bien que l'ordonnance pénale ait été notifiée à B______ SA le 19 janvier 2024, le prévenu n'avait été informé de son existence que le 22 suivant, de sorte que l’opposition, expédiée le 1er février 2024, avait été formée dans le délai de dix jours.

Dite opposition étant recevable, le dossier serait renvoyé au Ministère public afin qu'il la traite.

D. a. À l'appui de son recours, le Procureur fait grief à la juridiction intimée d'avoir, d'une part, constaté certains faits de manière inexacte dans son ordonnance et, d'autre part, violé l'art. 87 al. 2 CPP. À ce dernier égard, A______ avait valablement élu domicile en Suisse, étant précisé que le Deuxième Protocole conférait aux États contractants la possibilité, et non l'obligation, de procéder à une notification directe d'une décision au domicile d'une partie. Le prénommé devait donc s'attendre à recevoir une communication à l'adresse désignée par ses soins, qu'il n'avait jamais modifiée.

L'ordonnance pénale ayant été valablement notifiée le 19 janvier 2024, l'opposition litigieuse était tardive.

b. Invité à se déterminer, A______ conclut au rejet du recours. Dans la mesure où la police avait, le 27 juillet 2023, refusé de le laisser quitter le poste tant qu'il ne donnait pas une adresse en Suisse, le dies a quo du délai d'opposition devait être arrêté au 22 janvier 2024, conformément au principe de la bonne foi.

c. Pour sa part, le Tribunal de police persiste dans les termes de sa décision.

 

 

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner du Ministère public qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. c CPP), a qualité pour agir (art. 38 al. 2 LaCP cum art. 381 al. 3 CPP).

2. Le recourant se prévaut d’une constatation inexacte de certains faits par le Tribunal de police.

Dès lors que la juridiction de recours jouit d'un plein pouvoir de cognition (art. 393 al. 2 let. b CPP), d'éventuelles inexactitudes entachant la décision querellée auront été corrigées dans l’état de fait établi ci-avant.

Partant, le grief sera rejeté.

3. Le recourant soutient que l'opposition formée le 1er février 2024 par l'intimé est tardive.

3.1. Le prévenu peut contester l'ordonnance pénale devant le ministère public dans le délai de dix jours; si aucune opposition n'est valablement intervenue, cette ordonnance est assimilée à un jugement entré en force (art. 354 al. 1 let. a et al. 3 CPP).

3.2. En vertu de l'art. 87 CPP, toute communication doit être notifiée au domicile du destinataire (al. 1). Les parties qui ont leur résidence à l'étranger sont tenues de désigner une adresse de notification en Suisse; les instruments internationaux prévoyant la possibilité d'une notification directe sont réservés (al. 2).

3.2.1. L'art. 87 al. 1 CPP n'empêche pas les parties de communiquer à l'autorité pénale une autre adresse de notification que celle indiquée par cette norme. Si elles le font, la notification doit, en principe, être effectuée en cet autre endroit, sous peine d'être jugée irrégulière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_730/2021 du 20 août 2021 consid. 1.1).

3.2.2. L'existence d'un instrument international prévoyant la possibilité d'une notification directe à l'étranger (art. 87 al. 2, 2ème phrase, CPP) n'exclut nullement la désignation d'une adresse de notification en Suisse (art. 87 al. 2, 1ère phrase, CPP). Au contraire, des raisons pratiques évidentes, notamment en termes de célérité, conduisent à retenir que l’autorité conserve la faculté d'exiger une telle désignation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_730/2021 précité, consid. 1.4).

3.3. Le prévenu qui a été entendu par la police et informé des charges pesant contre lui doit s'attendre à recevoir des communications de la part de l'autorité pénale; il est donc tenu de relever son courrier ou de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins (arrêt du Tribunal fédéral 6B_880/2022 du 30 janvier 2023 consid. 2.1).

3.4. Une notification irrégulière ne doit entraîner aucun préjudice pour son destinataire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_552/2015 du 3 août 2016 consid. 2.5).

L'on déduit du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst féd. et 3 al. 2 let. a CPP) l'interdiction des comportements contradictoires, celle-ci concernant en particulier les autorités pénales (arrêt du Tribunal fédéral 7B_101_2023 du 12 février 2024 consid. 2.2.2).

3.5. En l'espèce, l'intimé, résident français, a désigné une adresse de notification à Genève, lors de son audition par la police, le 27 juillet 2023.

Il soutient avoir été "contraint" de le faire, ayant vainement requis que toute communication/décision lui soit adressée en France.

Cette thèse ne trouve aucune assise dans le dossier. En effet, le prévenu a signé le procès-verbal d’audition confirmant l’élection de domicile faite par ses soins sans émettre de réserve. Entre la date précitée et le 17 janvier 2024, jour du prononcé de l'ordonnance pénale, il n'a manifesté, à aucun moment, la volonté d'être contacté à une autre adresse que celle située à Genève. Sa lettre d'opposition, datée du 1er février 2024, ne fait pas non plus état d'une velléité de notification en un autre endroit, qui n'aurait pas été respectée. Ce n'est que devant le Tribunal de police, soit à un stade de la procédure où il a réalisé l'importance que revêtait l'élection de domicile pour juger de la recevabilité de son opposition, qu'il s'est plaint, pour la première fois, d'une "contraint[e]"; cette doléance, de pure circonstance, ne convainc donc pas.

Quoi qu'il en soit, l'invite de la police à désigner une adresse de notification en Suisse était conforme à l'art. 87 al. 2 CPP, les autorités pénales conservant, conformément à la jurisprudence citée au considérant 3.2.2 ci-dessus, la faculté de requérir une telle désignation, indépendamment de la possibilité que leur confère le Deuxième Protocole de procéder à une notification directe en France.

À cette aune, l'élection de domicile effectuée par le prévenu était valable.

Le Ministère public devait ainsi en tenir compte lors de la communication de l'ordonnance pénale à l’intéressé, sous peine de procéder à une notification irrégulière (cf. à cet égard consid. 3.2.1). Il n'y a donc pas de place, ici, pour une violation du principe de la bonne foi.

Il s'ensuit que le délai de dix jours pour contester ladite ordonnance a commencé à courir le 20 janvier 2024, jour suivant sa notification à l'adresse de B______ SA (art. 90 al. 1 CPP), et est arrivé à échéance le 29 du même mois.

L'opposition ayant été expédiée le 1er février 2024, elle a été formée tardivement.

Partant, le recours se révèle fondé et doit être admis. La décision querellée sera, en conséquence, annulée et il sera constaté que l'ordonnance pénale du 17 janvier 2024 est assimilée à un jugement entré en force.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, la décision attaquée et dit que l'ordonnance pénale du 17 janvier 2024 est assimilée à un jugement entré en force.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au Ministère public, à A______, soit pour lui son conseil, et au Tribunal de police.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).