Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/23434/2020

ACPR/384/2024 du 24.05.2024 sur OMP/5134/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;NOUVEAU MOYEN DE PREUVE;AVEU
Normes : CPP.319; CPP.323

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23434/2020 ACPR/384/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 24 mai 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me Laura LOPEZ, avocate, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4,

recourant,

contre l'ordonnance de reprise de la procédure préliminaire rendue le 8 mars 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 21 mars 2024, A______, prévenu, recourt contre la décision du 8 précédent, notifiée le 11 du même mois, à teneur de laquelle le Ministère public a ordonné la reprise de la procédure P/23434/2020 s’agissant de l'infraction de faux dans les certificats étrangers (art. 252 cum 255 CP), préalablement classée.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, liminairement, à être autorisé à consulter le dossier précité, puis à compléter son acte et, principalement, à l'annulation de la décision susvisée, la Chambre de céans étant invitée, soit à classer à nouveau l’infraction litigieuse, soit à enjoindre au Procureur de le faire.

B. Les éléments pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est soupçonné, depuis 2020, d'avoir commis diverses infractions.

Plusieurs procédures pénales ont été/sont ouvertes contre lui.

b. P/23434/2020

b.a Dans cette affaire, il lui était reproché, entre autres actes, de s'être légitimé, lors de son arrestation par la police le 24 janvier 2021, au moyen d'une carte d'identité portugaise (ETR Portugal n° 1______; date d'expiration 13.01.2031) établie au nom de A______, alors qu'il était connu de cette autorité sous l'alias C______, cela afin de tromper celle-ci, améliorant ainsi sa situation (art. 252 cum 255 CP).

b.b. Le prévenu a contesté ces faits. Il s’appelait A______. Il avait déposé une demande d'asile en Suisse sous le pseudonyme de C______, raison pour laquelle on le connaissait sous ce nom. Il était né en Guinée-Bissau, mais était de nationalité portugaise. Le document présenté à la police [puis saisi par le Ministère public] était authentique.

b.c. Quelques mois plus tard, l'intéressé a été de nouveau interpellé; il était en possession d'une autre pièce d'identité portugaise (ETR Portugal n° 1______; date d'expiration 05.02.2031).

Questionné sur l'acquisition de ce document, il a exposé être retourné "au Portugal pour faire une [seconde] carte".

b.d. Le Procureur a requis de la Brigade de la police technique et scientifique (ci-après : BPTS) qu’elle examine les deux pièces de légitimation sus-évoquées afin d’en déterminer l'authenticité.

D’après cette autorité, lesdites pièces ne présentaient aucun signe de falsification; les éléments de sécurisation et d'impression étaient conformes à ceux utilisés officiellement, les photographies qui y étaient apposées représentaient le visage du prévenu et ces documents n’étaient pas signalés comme volés (rapport du 9 décembre 2021).

b.e. Par ordonnance du 13 janvier 2022, le Ministère public a classé l'infraction à l'art. 252 cum 255 CP, au motif qu'il s'avérait, après analyse par la BPTS, que la carte d’identité utilisée par le prévenu pour se légitimer le 24 janvier 2021 était authentique (art. 319 al. 1 let. b CPP). Cette décision est entrée en force.

b.f. A______ a été renvoyé en jugement pour les autres actes qui lui étaient reprochés et partiellement condamné. Le prononcé y relatif est également entré en force.

c. P/2______/2024

c.a. Le 14 janvier 2024, le prénommé a été arrêté, étant soupçonné de la commission de nouvelles infractions; il est détenu depuis lors.

À cette dernière date, il a été interrogé, en français, par la police (hors la présence d'un avocat), puis par le Ministère public (devant lequel il était accompagné de son défenseur d'office). Il a affirmé que "A______ [était] un alias", qu'il "[s']appel[ait] C______" et que ses documents d'identité portugais étaient de "faux papiers", que "quelqu'un [lui] avait fait[s] (…) au Portugal". Il avait pris l'identité de A______ afin de pouvoir rester en Europe.

c.b. Le 28 février suivant, le Procureur a versé au dossier certaines pièces issues de la procédure P/23434/2020.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que les révélations faites par le prévenu au sujet de son identité dans l'affaire P/2______/2024 constituaient des éléments nouveaux justifiant la reprise de la procédure P/23434/2020 s’agissant de l’infraction de faux dans les certificats (art. 323 al. 1 CPP).

D. a. Le 13 mars 2024, le Procureur a refusé à l’avocate du prévenu l’accès à la cause P/23434/2020.

b. Le lendemain, ce magistrat a, d'une part, disjoint de la procédure P/23434/2020 les faits objets de l'ordonnance de classement partiel du 13 janvier 2022, auxquels il a attribué un nouveau numéro de dossier (P/3______/2024), et, d'autre part, joint ce nouveau dossier à l'affaire P/2______/2024.

E. a. À l'appui de son recours, A______ se prévaut d'une violation de son droit d'être entendu. Le Procureur aurait dû l’autoriser à consulter la cause P/23434/2020, afin qu’il puisse se déterminer sur l’existence, ou non, d’éléments nouveaux au sens de l’art. 323 al. 1 CPP et, ainsi, recourir utilement. Un tel accès devrait donc lui être octroyé, de même qu’un délai supplémentaire pour compléter son acte.

Quoi qu’il en soit, il résultait des "quelques pièces" versées/jointes à l'affaire P/2______/2024 que les conditions d'application de la norme précitée n'étaient pas réunies. En effet : "le nom de C______ était déjà connu" des autorités pénales en 2021; le Ministère public avait, à cette époque, choisi "de ne pas exploiter plus avant" ses dires; il résultait du rapport de la BPTS du 9 décembre 2021 que ses papiers d'identité étaient authentiques, de sorte qu’une infraction à l’art. 252 cum 255 CP ne pouvait être envisagée. À cela s'ajoutait le contexte problématique dans lequel il avait été auditionné le 14 janvier 2024, en ce sens qu'il n’était assisté d’aucun avocat lors de sa déposition à la police et qu'il s’était exprimé en français devant les autorités pénales, alors qu’il maîtrisait mieux le peul, sa langue maternelle.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public conclut à l'irrecevabilité de certaines des conclusions du recours (soit celles tendant au prononcé d’un nouveau classement partiel) et, pour le surplus, au rejet de cet acte, ajoutant que les récentes déclarations du prévenu permettaient d’envisager l'existence d'un faux intellectuel.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) contre une décision ordonnant la reprise d’une procédure classée, sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; ATF 144 IV 81 consid. 2.2 et 2.3), par le prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP).

Ce dernier dispose d'un intérêt juridique, actuel et pratique (art. 382 al. 1 CPP; ATF 144 IV 81 précité, consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_249/2023 du 1er mai 2013 consid. 1), à l’annulation de la réouverture de la présente cause; sa conclusion en ce sens est donc recevable.

Tel n'est, en revanche, pas le cas de celle tendant au prononcé d'un nouveau classement, puisque, à supposer que la décision attaquée soit annulée, l’ordonnance de classement du 13 janvier 2022 resterait en force.

Le recours est ainsi partiellement recevable.

2. Le prévenu sollicite que l’accès à la procédure P/23434/2020 lui soit accordé, de même qu’un délai supplémentaire pour compléter son acte.

2.1. Le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst féd.) confère aux parties la faculté de consulter le dossier (art. 107 al. 1 let. a CPP) afin de connaître les éléments dont dispose l'autorité et de jouir, ainsi, d'une réelle possibilité de faire valoir leurs arguments (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1048/2021 du 10 février 2022 consid. 2.1).

Ce droit n'est toutefois pas une fin en soi; il constitue un moyen d'éviter qu'une procédure débouche sur un jugement vicié, en raison de la violation du droit des intéressées de participer à celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 7B_682/2023 du 27 novembre 2023 consid. 4.2 in fine).

2.2. La motivation d'un recours doit être entièrement contenue dans l'acte lui-même et ne peut être complétée ou corrigée après l'échéance du délai de dix jours, lequel n'est pas prolongeable (art. 89 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1113/2022 du 12 septembre 2023 consid. 1.5.1).

2.3.1. In casu, le Ministère public a refusé de donner accès au recourant au dossier précité, après le prononcé de la décision déférée.

Ce nonobstant, le prévenu était en mesure de déterminer s’il existait ou non des éléments nouveaux au sens de l'art. 323 al. 1 CPP.

En effet, le Procureur fonde cette décision sur les récentes déclarations du recourant relatives à son identité (il s'appellerait C______, le nom de A______ étant un alias). Or, ce dernier ne prétend pas avoir tenu des propos similaires dans le cadre de la cause P/23434/2020, susceptibles d'y avoir été protocolés.

Il disposait donc des éléments nécessaires pour recourir utilement.

Point n'est besoin d'examiner plus avant le grief tiré d’une violation du droit d'être entendu, l’objet du recours étant circonscrit à la reprise de la procédure P/23434/2020, et non au refus de consulter celle-ci.

2.3.2. Il n’y pas lieu d’autoriser le prévenu à compléter son acte, pour les motifs exposés au considérant 2.2 supra.

2.3.3. À cette aune, les requêtes préalables de l’intéressé doivent être rejetées.

3. Le recourant conteste la réalisation des conditions de l'art. 323 al. 1 CPP.

3.1. Cette dernière norme stipule que le ministère public ordonne la reprise d'une procédure classée s'il a connaissance de faits et/ou moyens de preuves nouveaux qui, d'une part, ne ressortent pas du dossier antérieur et, d'autre part, révèlent une responsabilité pénale du prévenu.

3.1.1. Un moyen de preuve est nouveau s'il était inconnu au moment du prononcé du classement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_764/2022 du 17 avril 2023 consid. 5.2).

Tel n'est pas le cas quand ce moyen a été cité, voire administré, lors de la procédure antérieure sans être toutefois complètement exploité (ibidem).

En revanche, la preuve est qualifiée de nouvelle lorsque le procureur ne pouvait en avoir connaissance précédemment, même en faisant montre de la plus grande diligence; une procédure préliminaire peut ainsi être reprise en cas d'aveux faits ultérieurement par un prévenu (arrêt du Tribunal fédéral 6B_353/2016 du 30 mars 2017 consid. 2.2.2).

3.1.2. Le nouvel élément doit, en sus, permettre d’envisager une modification de la décision de classement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_764/2022 précité, consid. 5.2).

3.2. L'art. 252 cum 255 CP réprime quiconque, dans le dessein d'améliorer sa situation, contrefait ou falsifie des pièces de légitimation étrangères, respectivement fait usage d'un écrit de cette nature pour tromper autrui.

Cette infraction vise aussi bien les faux matériels (création de faux documents ou falsification de ceux-ci [A. MACALUSO/ L. MOREILLON/ N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 18 ad art. 252]) que les faux intellectuels (documents constatant des faits mensongers [arrêt du Tribunal fédéral 6B_312/2019 du 5 avril 2019 consid. 1.3]).

3.3.1. En l'espèce, le Procureur disposait, le 13 janvier 2022, jour où il a classé l’infraction de faux dans les certificats étrangers (P/23434/2020), de deux principaux moyens de preuves : le rapport de la BPTS du 9 décembre 2021 et les dépositions du recourant, lequel soutenait que son identité était A______, C______ étant un simple pseudonyme.

Interrogé le 14 janvier 2024 dans le cadre d’une affaire ultérieure (P/2______/2024), le prévenu a reconnu qu'il "[s']appel[ait] C______", que "A______ [était] un alias" et que ses documents de légitimation portugais étaient de "faux papiers".

Ces aveux permettent de retenir que l’intéressé a (a priori) menti lors de l’instruction de la cause P/23434/2020, sans qu'aucun manque de diligence ne puisse être reproché au Ministère public.

Il s’agit donc d’une preuve nouvelle.

3.3.2. Celle-ci est apte à révéler une (éventuelle) responsabilité pénale du prévenu.

En effet, bien que la carte d'identité avec laquelle il s'est légitimé le 24 janvier 2021 ne semble pas être un faux matériel – puisque la BPTS a constaté que ce document ne présentait aucun signe de falsification, de sorte qu'il paraît être authentique –, elle pourrait toutefois constituer un faux intellectuel, les faits qu’elle constate (à savoir l’identité du prévenu et sa nationalité) étant (potentiellement) mensongers.

3.3.3. À cette aune, les réquisits de l'art. 323 al. 1 CPP sont réunis.

La reprise de la procédure P/23434/2020 est donc pleinement justifiée.

Il appartiendra au recourant de faire valoir ses autres griefs (qui semblent se rapporter au caractère exploitable et/ou probant de ses aveux), lors de l’instruction de cette cause.

Infondé, le recours doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

4. Le prévenu succombe (art. 428 al. 1, 1ère et 2ème phrases, CPP).

Il supportera, en conséquence, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), étant rappelé que la Chambre de céans est tenue de dresser un état de frais sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_517/2022 du 22 novembre 2022 consid. 1.3.2).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/23434/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00