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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2626/2023

ACPR/836/2023 du 25.10.2023 sur ONMMP/2334/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;LÉSION CORPORELLE
Normes : CPP.310; CP.123; CP.125; CP.126

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2626/2023 ACPR/836/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 25 octobre 2023

 

Entre

A______, représentée par Me B______, avocat,

recourante,


contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 10 juin 2023 par le Ministère public,


et


LE MINISTÈRE PUBLIC
de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 3 juillet 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 juin précédent, envoyée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 20 novembre 2022.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée.

Elle sollicite, en outre, l'octroi de l'assistance juridique pour la procédure de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À teneur du rapport de renseignements du 14 janvier 2023, la police a été appelée le 20 novembre 2022 pour des violences conjugales au domicile de A______, laquelle désirait déposer plainte contre son mari, D______, qui lui avait donné un coup de coude dans le ventre.

Le rapport relève qu'une main courante avait été déposée le 25 juillet 2022 par D______ pour signaler que son épouse était partie à l'étranger avec ses documents d'identité, lesquels lui avaient été restitués au retour de celle-ci.

b. A______ a déclaré qu'ils s'étaient mariés en 2013 et qu'après la naissance de leur fille la même année, son mari avait commencé à la rabaisser, avant de devenir violent physiquement en 2015. Elle avait déposé plainte en 2015 et en 2018. Depuis 2021, elle souhaitait qu'ils se séparent, ce que son mari refusait. À la suite d'un désaccord sur l'encadrement des devoirs de leur fille, elle avait dit à son mari d'arrêter de faire des scènes devant l'enfant. Il ne lui avait pas répondu et au moment où il s'apprêtait à sortir de l'appartement, lui avait donné un coup de coude dans le ventre lui faisant mal et provoquant des rougeurs, qu'elle avait prises en photos.

Elle a, par la suite, déposé un constat de lésions traumatiques du 23 novembre 2022 qui relève qu'elle avait déclaré que son mari lui avait donné un coup de coude dans le ventre, le 20 novembre 2023, lui ayant coupé la respiration; elle se plaignait d'un hématome et d'une douleur qui persistait à cette date. L'examen clinique met en évidence une zone de coloration vert-violacée 5x3 cm en regard de la partie inféro-antérieure D du thorax compatible avec un hématome, sensible à la palpation.

c. Entendu par la police, D______ a déclaré que sa femme avait une instabilité d'humeur, un esprit autoritaire et oppressif; il avait précédemment déposé une main courante (cf. supra). Il a confirmé que le jour même, ils avaient eu une dispute au sujet des devoirs de leur fille. Sa femme lui ayant dit de ne pas se mêler de la situation, il avait répondu qu'elle n'avait pas le droit d'agresser leur fille. Il s'était soustrait à la provocation et s'apprêtait à sortir; dans le couloir, sa femme lui avaitbloqué le passage, le traitant de "fils de pute". Elle l'avait tapé avec son poing sur le dos et la tête, alors qu'il se trouvait à la porte de sortie. En se débattant pour qu'elle lâche son bras, il était possible qu'elle ait été touchée par son coude. Dans la cage d'escalier, sa femme lui avait encore frappé la tête et le bras avec un objet en plastique dur. Par le passé, son épouse avait pris l'habitude de l'agresser et de faire appel à la police alors qu'il était, comme cette fois, la victime de ses actes.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que les versions des parties étaient contradictoires et qu'il n'existait aucun élément de preuve objectif permettant d'établir le déroulement exact des faits et, partant, de fonder un reproche pénal suffisant à l'endroit d'D______, lequel prétendait n'avoir fait que de se défendre dans le cadre d'une altercation au cours de laquelle la plaignante l'avait violenté et insulté. En toute hypothèse, il renonçait à poursuivre ces voies de fait en vertu de l'art. 52 CP, au regard du peu d'importance du cas d'espèce, de la culpabilité et du résultat.

D. a. Dans son recours, A______ rappelle avoir appelé la police à son domicile et ensuite déposé plainte en joignant un certificat médical attestant d'hématomes à la suite des coups de coude de son époux ainsi que des photos prises le même jour. Ces faits étaient constitutifs de lésions corporelles simples (art. 123 al. 1 CP), et non pas de voies de fait, et poursuivis d'office (art. 123 al. 2 CP).

Son époux se contentait d'affirmer, sans preuve, que les coups avaient été donnés "accidentellement" dans le cadre d'une altercation lors de laquelle elle l'aurait prétendument violenté, ce qu'elle contestait.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours et s'en tient à la motivation de son ordonnance.

c. La recourante n'a rien ajouté.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte s'agissant des lésions corporelles dont elle soutient avoir été victime.

2.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale, et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le Procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., n. 9 ad art. 310 ; R. PFISTER-LIECHTI (éd.), La procédure pénale fédérale, Fondation pour la formation continue des juges suisses, Berne 2010, p. 62 ; DCPR/85/2011 du 27 avril 2011).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., n. 10 ad art. 310 ; DCPR/104/2011 du 11 mai 2011).

2.2.1. Aux termes de l'art. 123 al. 1 CP est punissable quiconque, intentionnellement, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé. Dans les cas de peu de gravité, le juge pourra atténuer la peine (al. 2).

L'art. 123 al. 1 CP protège l'intégrité corporelle et la santé tant physique que psychique. Elle implique une atteinte importante aux biens juridiques ainsi protégés. Sous l'effet d'un choc ou au moyen d'un objet, l'auteur dégrade le corps humain d'autrui, que la lésion soit interne ou externe; il provoque une fracture, une foulure, une coupure ou toute autre altération constatable du corps humain (arrêt du Tribunal fédéral 6B_187/2015 du 28 avril 2015 consid. 2.1). Un hématome, résultant de la rupture de vaisseaux sanguins, qui laisse normalement des traces pendant plusieurs jours, doit être qualifié de lésion corporelle, même si celle-ci est superficielle et de peu d'importance (cf. ATF 119 IV 25 consid. 2a).

2.2.2. L'art. 125 al. 1 CP punit le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé, soit des lésions corporelles simples. Agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP).

2.2.3. Les voies de fait, réprimées par l'art. 126 CP, se définissent, quant à elles, comme des atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles, ni dommage à la santé. L'auteur des voies de fait doit agir avec intention. Celle-ci peut revêtir la forme du dessein, du dol simple ou du dol éventuel. Contrairement aux lésions corporelles au sens strict, les voies de fait ne peuvent pas être commises par négligence (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 6 ad art. 126).

2.3. En l'espèce, la recourante a établi par pièces – photographies et constat de lésions – avoir été victime d'un hématome au ventre encore présent et douloureux trois jours après avoir reçu le coup. L'atteinte physique est ainsi une lésion corporelle au sens de la jurisprudence susmentionnée, contrairement à ce qu'a retenu le Procureur en la qualifiant de voie de fait.

Le mis en cause admet avoir donné un coup de coude à sa femme, tout en affirmant que ce dernier avait été accidentel. Si la description des événements varie entre les protagonistes, un complément d'instruction s'avère nécessaire et il appartiendra au Procureur d'apprécier si le mis en cause a agi intentionnellement ou par négligence ainsi que la gravité de la cause, au sens de l'art. 123 al. 2 CP, au regard des éventuels antécédents du concerné, évoqués par la plaignante.

L'application de l'art. 52 CP est dès lors prématurée voire inappropriée au vu de l'art. 123 al. 2 CP.

3.             Le recours doit être admis. L'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5.             La plaignante requiert l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

5.1. À teneur de l'art. 136 CPP, la direction de la procédure accorde une telle assistance à la partie plaignante lorsqu'elle est indigente (al. 1 let. a) et que son action civile ne paraît pas vouée à l'échec (al. 1 let. b). Dite assistance comprend, notamment, la désignation d'un conseil juridique gratuit (art. 136 al. 2 let. c CPP).

5.2. En l'occurrence, l'Assistance judiciaire a confirmé que la recourante n'était pas en mesure de financer par ses propres deniers sa défense par un avocat.

Par ailleurs, compte tenu de l'admission du recours et du caractère technique de certaines problématiques traitées ci-avant, il sera fait droit à la demande de la plaignante, pour la procédure de recours.

Me B______ sera désigné en qualité de conseil juridique gratuit pour la procédure de deuxième instance.

6.             Le prénommé n'a pas chiffré son indemnisation.

6.1. Les art. 135 al. 1 cum 138 al. 1 CPP prévoient que le conseil juridique gratuit est rétribué conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, ce tarif est édicté à l'art. 16 RAJ et s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude (al. 1 let. c).

Seules les prestations nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, l'importance et les difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

6.2. En l'espèce, au regard des écritures, à savoir un recours de quatre pages (pages de garde et conclusions comprises), l'indemnité sera fixée à CHF 430.80, correspondant à 2h d'activité pour un chef d'étude, TVA à 7.7% incluse.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 430.80 (TVA à 7.7% incluse).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, à Me B______ et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).