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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8420/2022

ACPR/673/2022 du 03.10.2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CONSULTATION DU DOSSIER;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ
Normes : CPP.101

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8420/2022 ACPR/673/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 3 octobre 2022

Entre

 

A______, domicilié c/o Madame B______, ______ Genève, comparant par Me C______, avocat, ______ Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de refus de consultation du dossier du 10 août 2022 rendue par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 22 août 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 précédent, envoyée par "efax", par laquelle le Ministère public l'a avisé de: "pas d'accès au dossier avnt l'administrat° des prves principale = confrontation des parties" (sic).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision querellée et à ce qu'il soit autorisé à consulter le dossier complet de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier mis à la disposition de la Chambre de céans:

a. Le 13 avril 2022, D______ a fait appel à la police déclarant avoir été violée et séquestrée par A______, lequel, lors de l'intervention policière, dormait dans sa chambre. Ce dernier a été arrêté et auditionné le même jour.

b. Le lendemain, D______ a été entendue par la police sur le déroulement des faits qu'elle reprochait au prévenu.

c. Le 14 avril 2022, le Procureur a prévenu A______ de séquestration et enlèvement (art. 183 CP), viol (art. 190 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP), infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (art. 115 al. 1 let. b LEI) et infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19a LStup), pour avoir, à Genève :

- dans la nuit du 12 au 13 avril 2022, dans l'appartement de D______, empêché cette dernière de sortir de son domicile durant plusieurs heures, la privant ainsi de sa liberté, contraint celle-ci à subir des actes d'ordre sexuel, dont un viol et une contrainte sexuelle contre sa volonté, en exerçant des pressions d'ordre psychique sur elle et en la mettant hors de résister;

- entre le 15 juin 2021, lendemain de sa dernière condamnation, et le 13 avril 2022, jour de son interpellation, séjourné sur le territoire suisse sans être au bénéfice des autorisations nécessaires, sans moyens de subsistance et alors qu'une interdiction d'entrée en Suisse avait été prononcée à son encontre et lui avait valablement été notifiée le 27 janvier 2021, décision valable du 5 mars 2013 jusqu'au 5 mars 2028;

- entre le 15 juin 2021, lendemain de sa dernière condamnation, et le 13 avril 2022, jour de son interpellation, consommé régulièrement de la marijuana et de la cocaïne.

Le prévenu a admis avoir eu une relation sexuelle consentie avec D______; il en a expliqué le déroulement.

d. Le même jour, le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) a ordonné sa mise en détention provisoire jusqu'au 13 juin suivant.

e. Lors de l'audience du 5 mai 2022, D______, bien que dûment convoquée, ne s'est pas présentée. Le Procureur a précisé au prévenu que la plaignante lui reprochait un rapport anal non censenti. L'intéressé a confirmé avoir eu ce rapport, lequel avait été demandé par l'intéressée.

f. Le 30 mai 2022, D______ s'est présentée accompagnée de son conseil. Celui-ci a déclaré avoir un conflit d'intérêts et la plaignante s'est opposée à être entendue en l'absence d'un conseil.

Le Procureur a annoncé qu'il allait lui nommer un défenseur d'office – ce qu'il a fait par ordonnance du 13 juin 2022 – et appointer une audience le 1er juillet 2022 à 9h.

Le prévenu a demandé sa mise en liberté, au besoin avec des mesures de subtitution, laquelle a été refusée par le Ministère public et le TMC.

g. Le 1er juillet 2022, D______, bien que dûment convoquée, ne s'est pas présentée à l'audience. Son conseil a déclaré l'avoir rencontrée dans le courant de la semaine et qu'elle savait qu'il y avait cette audience; il avait tenté de la joindre par téléphone le matin-même, mais l'intéressée n'avait pas répondu.

Le Procureur a entendu, comme témoins, les gendarmes qui s'étaient rendus au domicile de la plaignante le soir des faits; le conseil de cette dernière a pu leur poser les questions qu'il souhaitait.

En fin d'audience, le Procureur a déclaré qu'il ferait au plus vite pour que la plaignante soit confrontée au prévenu et qu'il convoquerait une audience le 6 juillet 2022 – laquelle a dû être reportée –.

h. Le 19 juillet 2022, D______ ne s'est pas présentée à l'audience reportée ce jour-là; son conseil a expliqué que sa cliente n'avait pas pu être jointe par téléphone et que le matin-même, il était "tombé" sur son répondeur.

À cette suite, le Procureur a ordonné la mise en liberté provisoire du prévenu avec des mesures de substitution, lesquelles ont été ordonnées par le TMC le lendemain.

i. Le 5 août 2022, D______ ne s'est pas présentée à la nouvelle audience; son conseil a déclaré ne pas être arrivé à la joindre le matin même bien qu'elle lui ait assuré, la veille, qu'elle se présenterait à l'audience.

Le Procureur a entendu notamment le gendarme qui avait accompagné la plaignante aux HUG; le conseil de cette dernière a pu poser ses questions.

j. Le 8 août 2022, le conseil du prévenu a demandé à consulter le dossier.

k. Le 10 août suivant, le Procureur a rendu la décision querellée.

C.                a. À l'appui de son recours A______ allègue que le refus d'accès au dossier violait son droit d'être entendu. Il avait été auditionné à sept reprises depuis la première audience du 14 avril 2022 par le Ministère public et avait maintenu ses déclarations. Il consteste que faute de confrontation entre les parties, l'administration des preuves principales n'aurait pas été effectuée. L'accès qu'il aurait au dossier, avant la confrontation, n'aurait aucune incidence sur la manifestation de la vérité tant il était impensable qu'il modifie ses déclarations en fonction de celles de la partie plaignante et le Ministère public n'avançait aucun élément concret et objectif susceptible d'entraver la procédure.

Le principe de la bonne foi était également violé, le refus d'accès étant motivé par la nécessité de confronter les parties alors que la partie plaignante refusait délibérément une confrontation.

b. Le Ministère public persiste dans son refus d'accès au dossier aux parties, la partie plaignante n'ayant toujours pas été entendue.

L'accès au dossier impliquait ledit accès à toutes les parties; la partie plaignante pourrait ainsi relire ses précédentes déclarations, ce qui annihilerait toute spontanéité dans sa déposition lors de l'audience de confrontation.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 102 al. 1 et 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, en tant que partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. Le recourant estime avoir droit de prendre connaissance de l'intégralité du dossier.

2.1. L'art. 101 al. 1 CPP permet aux parties, sous réserve de l'art. 108 CPP, de consulter le dossier de la procédure dès la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le Ministère public. Il s'agit de conditions cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_667/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2), mais, théoriquement, une consultation pourrait avoir lieu avant qu’elles ne soient remplies (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 4 ad art. 101).

La manifestation de la vérité et le bon déroulement de l'enquête sont des intérêts publics prépondérants, qui ont amené le législateur à clairement refuser de reconnaître de manière générale au prévenu un droit de consulter le dossier dès le début de la procédure. Au contraire, une restriction est admissible pour éviter de mettre en péril la recherche de la vérité matérielle ou d'exposer les éléments de preuve principaux avant terme, ou pour parer au risque de collusion (ATF 137 IV 172 consid. 2.3; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 14 ad art. 101 CPP).

La première audition peut s'étendre à plusieurs audiences si, en raison de la richesse factuelle de la cause, celles-ci sont nécessaires afin que le prévenu puisse se prononcer sur l'ensemble des charges retenues. En d'autres termes, les audiences subséquentes ne peuvent être assimilées à une première audition que si elles servent à entendre le prévenu pour la première fois sur des faits relevant de sa mise en prévention (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2014, n. 14 ad art. 101).

La seconde condition cumulative est l’administration des preuves principales par le ministère public. Cette notion indéterminée doit être interprétée au cas par cas et de manière restrictive, afin que les parties puissent disposer le plus rapidement possible de l’accès au dossier. Les preuves principales sont celles dont la mise en œuvre se révèle indispensable à la réalisation de l’objectif de l’instruction, à savoir la recherche de la vérité matérielle. Il s’agit, en règle générale, de l’audition du/des prévenu/s, y compris en confrontation, de l’audition de la victime, en cas de viol, de l’audition des principaux témoins, des perquisitions et séquestres, de l’édition de documents bancaires, de la présentation de planches photographies, de l’établissement d’expertises médico-légales ou de rapports de police scientifique. L'établissement des preuves les plus importantes peut également comprendre la première présentation des résultats déterminants des preuves ou des preuves recueillies (A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 3e éd., Zürich 2020, n. 5 ad art. 101; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4b ad art. 101).

Cela étant, si les preuves principales peuvent être administrées sans limitation dans le temps dans un certain nombre de cas, par exemple, lors de la découverte, en cours de procédure, de témoins, dont l'audition, voire la confrontation avec le ou les prévenus ainsi qu'avec d'autres témoins, s'avère nécessaire à la recherche de la vérité matérielle – qui est le but de toute procédure pénale (art. 6 CPP ; FF 2006 1105) –, il convient de ne pas perdre de vue que les parties à la procédure, en particulier le prévenu, ont le droit, à teneur de l'art. 101 al. 1 CPP, de consulter le dossier dès que ledit prévenu a été entendu par le ministère public et dès l'achèvement de l'administration des preuves principales et, qu'en matière de détention, le principe de célérité, prévu à l'art. 5 al. 2 CPP, s'applique tout particulièrement. L'administration des preuves principales par le ministère public doit ainsi être effectuée aussi rapidement que le permet le bon déroulement de l'instruction (ACRP/295/2011 du 18 octobre 2011).

La Chambre de céans a aussi admis que les preuves principales n'avaient pas encore été administrées avant la réalisation d'une confrontation entre le prévenu et la partie plaignante, dans la mesure où tous deux, entendus séparément par la police, avaient donné des explications contradictoires sur des points essentiels, de sorte qu'autoriser au prévenu l'accès à la procédure pourrait compromettre la manifestation de la vérité, dès lors qu'il serait en mesure d'adapter ses déclarations en fonction de celles de la partie plaignante (ACPR/249/2012 du 19 juin 2012 consid. 5.2.). En revanche, la simple éventualité que « les intérêts de la procédure soient (abstraitement) mis en péril » par un comportement régulier relevant de la tactique procédurale ne suffit pas (ATF 139 IV 25 consid. 5.5.4.1).

En outre, le principe de l'égalité des armes requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (art. 6 § 1 CEDH et 29 al. 1 Cst.). Il suppose notamment que les parties aient un accès identique aux pièces versées au dossier (ATF 122 V 157 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 6P.125/2005 du 23 janvier 2006 consid. 4.2). En matière de consultation du dossier, le législateur a concrétisé ce principe aux art. 101 al. 1, 104 al. 1 et 107 al. 1 let. a. CPP qui excluent, sauf exception (art. 108 CPP) un traitement différent des parties (arrêt du Tribunal fédéral 1B_261/2011 du 6 juin 2011).

2.2. En l'espèce, le recourant a été entendu à plusieurs reprises sur les faits qui lui sont reprochés. On doit dès lors considérer que la première condition posée par la loi est remplie.

Certes, la confrontation de la victime au prévenu, qu'elle désigne comme étant l'auteur du viol, est importante pour la recherche de la vérité matérielle. Le Procureur s'oppose ainsi à l'accès au dossier parce qu'il ne veut pas que la plaignante relise ses déclarations avant la confrontation. Or, cette dernière ne s'est présentée qu'à une audience lors de laquelle elle a refusé de déposer hors la présence d'un conseil – celui nommé d'office ayant annoncé un conflit d'intérêts –. Elle n'a jamais justifié de ses absences – ni même informé son conseil – au point que l'on peut douter qu'elle se présente jamais, voire veuille maintenir sa constitution de partie plaignante.

Le recourant a été détenu du 14 avril 2022 au 19 juillet 2022 avant d'être remis en liberté à la suite d'une énième absence de la plaignante. Il ne bénéficie cependant pas de sa totale liberté puisqu'il a l'obligation de respecter les mesures de substitution. En outre, le Procureur a poursuivi l'instruction par l'audition des gendarmes.

Face aux intérêts du recourant, au respect du principe de célérité et des droits de la défense, il paraît disproportionné de lui refuser l'accès au dossier, ce d'autant plus que la plaignante a été auditionnée par la police et a exposé les faits et leur déroulement, et que son conseil a participé aux auditions des témoins, de sorte que d'éventuelles déclarations divergentes devraient être reçues avec circonspection.

Dans ces circonstances particulières, le recours doit être admis.

3. Le recourant qui a gain de cause ne supportera pas de frais (art. 428 al. 4 CPP).

4. Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (cf. art. 135 al. 2 CPP), la procédure n'étant pas terminée.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours et annule l'ordonnance refusant à A______ la consultation du dossier.

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'Etat.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

 

Arbenita VESELI

 

La présidente :

 

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).