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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/17355/2021

AARP/303/2023 du 01.09.2023 sur JTDP/1527/2022 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : RUPTURE DE BAN;APATRIDE
Normes : CP.291; cp.17
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17355/2021 AARP/303/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 18 juillet 2023

 

Entre

A______, sans domicile connu, comparant par Me B______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/1527/2022 rendu le 9 décembre 2022 par le Tribunal de police,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 9 décembre 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de rupture de ban (art. 291 al. 1 du Code pénal [CP]) et de consommation de stupéfiants (art. 19a ch. 1 de la loi sur les stupéfiants [LStup]), l'a condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à CHF 10.- l'unité ainsi qu'à une amende contraventionnelle de CHF 100.-, frais de procédure à sa charge.

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement du chef de rupture de ban, subsidiairement à une réduction de la peine prononcée et à l'octroi du sursis complet, frais à charge de l'Etat.

b. Selon l'ordonnance pénale du 4 février 2022, il est encore reproché à A______ d'avoir, à Genève, entre le 13 juillet 2019, lendemain du jugement du TP dans la P/1______/2018, et le 6 janvier 2022, persisté à séjourner en Suisse alors qu'il faisait l'objet d'une décision d'expulsion du territoire prononcée le 20 mars 2018 par la Chambre pénale d'appel et de révision de Genève (CPAR).

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______ a été interpellé le 7 septembre 2021 et le 2 décembre 2021, à Genève, alors qu'il faisait l'objet d'une décision d'expulsion du territoire suisse du 20 mars 2018.

b. À teneur du dossier, le statut administratif de A______ se présente de la manière suivante :

b.a. Le 17 octobre 2010, il a déposé une demande d'asile en Suisse auprès de l'Office fédéral des migrations (ODM).

Par décision du 23 novembre 2010, entrée en force le 14 décembre suivant, l'ODM n'est pas entré en matière sur cette demande et a requis son renvoi de Suisse.

b.b. Sur demande des autorités genevoises le 15 décembre 2010, différentes actions ont été entreprises pour identifier la nationalité de A______ qui était démuni de documents d'identité.

Celui-ci a été auditionné à C______ [BE] par des représentants de la Gambie le 29 juillet 2015 et par ceux du Nigéria le 16 août 2017, lesquels ne l'ont pas reconnu comme leur ressortissant au motif qu'il déclarait être originaire de Sierra Leone. Il ne s'est pas présenté à l'audition prévue les 26 et 27 février 2020 avec les autorités de Sierra Leone.

b.c. Le 8 juillet 2019, le conseil de A______ a déposé auprès du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) une demande de reconnaissance du statut d'apatride, arguant que les divers pays africains consultés dans le cadre de la procédure de renvoi ne l'avaient pas reconnu comme leur ressortissant.

En complément de sa demande, il a transmis (i) un document de l'Ambassade de la République de Gambie daté du 13 novembre 2019 expliquant que celle-ci ne pouvait pas l'assister dans sa demande de nationalité gambienne et (ii) un courrier adressé à l'Ambassade de Sierra Leone du 28 juin 2019 requérant l’obtention de tout document permettant d'établir sa nationalité.

Le 6 avril 2020, le SEM a rejeté la demande précitée. Aucun document de la Sierra Leone n'était parvenu au SEM prouvant que cet Etat ne reconnaissait pas A______ comme l'un de ses ressortissants. Rien n'indiquait non plus qu'il était entré en contact avec sa mère qui aurait pu donner des informations concernant son père.

Le 15 janvier 2021, A______ a déposé une demande de réexamen de ladite décision du SEM. Il faisait état de faits nouveaux en déposant (i) une attestation de l'Ambassade de Sierra Leone à Genève du 16 novembre 2020 certifiant qu'il n'était pas un ressortissant de cet Etat ainsi que (ii) le certificat de décès de sa mère en Gambie.

Le 11 mai 2021, le SEM a rejeté cette demande de réexamen. La copie du certificat de décès de sa mère ne constituait pas un fait nouveau susceptible de modifier sa décision, tandis que le document de l'Ambassade de Sierra Leone ne prouvait pas qu'il avait fait une demande de nationalité auprès des autorités de cet Etat et ne constituait pas un refus de lui accorder la nationalité.

c. Par jugement du 12 juillet 2019 (P/1______/2018), le TP a acquitté A______ du chef de rupture de ban selon le dispositif non motivé, alors que sa demande de reconnaissance du statut d'apatride devant le SEM était pendante.

d.a. Entendu par le MP dans le cadre de la présente procédure, A______ a indiqué qu'il était originaire de Sierra Leone, comme sa mère. Il avait quitté ce pays en raison de la guerre et s'était rendu en Gambie où il avait grandi. Il n'avait jamais quitté la Suisse depuis la décision d'expulsion, dont il connaissait l'existence, car il n'avait pas de pays où se rendre, versant à l'appui de ses déclarations deux attestations des autorités de Gambie et de Sierra Leone (cf. supra point B.b.c.).

Sur demande de son conseil, il s'était rendu à l'Ambassade de Sierra Leone pour obtenir une attestation en lien avec sa nationalité. Il avait toutefois refusé le passeport que l'ambassadeur voulait lui remettre. Il avait finalement indiqué qu’il ne venait pas de Sierra Leone, ce qui expliquait la teneur de l'attestation reçue. Il ne souhaitait pas collaborer pour retourner en Sierra Leone, mais voulait régulariser sa situation en Suisse, où se trouvaient ses enfants, pour y séjourner et travailler.

d.b. Le conseil de A______ a précisé, par courrier du 10 janvier 2022, que ce dernier n'avait pas refusé le passeport que souhaitait lui remettre l'ambassadeur de Sierra Leone. Il lui avait été en réalité demandé s'il venait pour un passeport, ce à quoi il avait répondu par la négative.

d.c. En première instance, A______ a affirmé n'avoir pas refusé le passeport sierra-léonais comme indiqué au MP, s'étant alors exprimé sous la peur de perdre ses enfants. Il avait toujours dit qu'il venait de Sierra Leone, mais les autorités de cet Etat lui niaient cette nationalité faute de preuve. Il avait également entrepris des démarches auprès de ces mêmes autorités pour obtenir un passeport et un certificat de naissance pour ses deux enfants, ce qui lui avait été refusé au motif qu'il n'était pas sierra-léonais.

Il avait collaboré durant la procédure de renvoi, bien qu'il ne s'était pas rendu à l'audition des 26 et 27 février 2020 avec les autorités de Sierra Leone (cf. supra point B.b.b.), relevant qu'à cette période-là il avait élu domicile chez son conseil qui aurait disposé des informations pour le contacter. Il était conscient qu'il risquait d'être renvoyé en Sierra Leone s'il collaborait avec les autorités de ce pays.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b.a. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

Bien qu'ayant réitéré sa demande de nationalité sierra-léonaise le 11 novembre 2022, il se trouvait dans l'incapacité de quitter la Suisse et de rentrer légalement dans son pays d'origine, aucun des pays auxquels il s'était adressé n'ayant accepté de lui remettre des documents établissant sa nationalité. Le jugement du TP se fondait à tort sur le refus de la demande de réexamen du SEM du 16 mai 2021 qui était inexact.

Le fait de ne pas disposer du statut d'apatride n'était pas déterminant. Ce qui l'était était de ne pas être en mesure de quitter le territoire faute de documents d'identité pour se rendre en Gambie ou en Sierra Leone. L'appelant avait fait de nombreuses démarches pour établir son statut administratif auprès des Etats précités, notamment à la naissance de ses deux enfants, ce qui attestait de sa volonté de collaborer. Le fait qu'il aspirait à vivre en Suisse ne jouait aucun rôle en lien avec l'infraction reprochée.

De manière subsidiaire, l'appel devait être traité sur la base de l'erreur de droit, en ce sens que l'appelant, qui avait été acquitté du chef de rupture de ban par jugement du 12 juillet 2019 dans la P/1______/2018, pouvait légitimement estimer qu'il était en droit de séjourner en Suisse en raison de cette décision.

b.b. À l'appui de son mémoire, l'appelant produit notamment un courrier de relance du 11 novembre 2022 à l'Ambassade de Sierra Leone, dans lequel il déclare vouloir obtenir la nationalité sierra-léonaise.

c. Dans son mémoire de réponse, le MP conclut au rejet de l'appel.

Même s'il était ensuite revenu sur ses explications, l'appelant avait déclaré le 6 janvier 2022 devant le MP qu'il avait obtenu l'attestation du 16 novembre 2020 en se rendant à l'Ambassade de Sierra Leone où l'ambassadeur avait voulu lui donner un passeport qu'il avait refusé. Ainsi, l'appelant n'avait pas formellement déposé de demande de délivrance d'un passeport sierra-léonais, ayant au contraire déclaré ne pas être originaire de ce pays, dans le but d'obtenir l'attestation précitée. Il aurait ainsi pu agir différemment et ne s'était dès lors pas trouvé dans l'impossibilité objective de quitter la Suisse comme allégué. Les démarches entreprises en novembre 2022 étaient par ailleurs postérieures à la période pénale. L'infraction de rupture de ban avait donc bien été commise.

L'appelant ne pouvait non plus plaider l'erreur de droit. Le 6 décembre 2020, le SEM avait refusé de lui reconnaître le statut d'apatride, faute pour lui d'avoir effectué les démarches nécessaires pour obtenir la nationalité de la Sierra Leone ou de la Gambie, situation que l'appelant connaissait, tout comme il avait connaissance de son obligation de quitter la Suisse. Il ne pouvait dès lors estimer avoir été en droit de séjourner en Suisse en raison de la décision du TP du 12 juillet 2019.

d. Dans sa réplique, l'appelant rappelle avoir rectifié ses déclarations tenues devant le MP, soulignant qu'il ne parlait ni français, ni anglais. À suivre le raisonnement du MP, il faudrait retenir que l’ambassadeur de Sierra Leone, qui lui avait proposé un passeport, aurait établi un faux en certifiant ensuite par courrier qu'il ne pouvait être reconnu comme l’un de leurs ressortissants. En tout état, il existait un doute insurmontable sur les propos tenus, lequel devait lui profiter.

L'attestation du 16 novembre 2020 de l'Ambassade de Sierra Leone lui avait été remise après plusieurs interventions orales et écrites de son conseil auquel il avait été expliqué que la nationalité sierra-léonaise ne pouvait être reconnue en l'absence d'un certificat de naissance de l'appelant.

Le MP n'expliquait pas de quelle manière l'appelant aurait dû agir, ni comment l'Ambassade aurait été en mesure de répondre à sa requête en l'absence de certificat de naissance. Il n'établissait pas non plus comment l'appelant aurait dû "émettre des doutes" sur le jugement du TP du 12 juillet 2019 l'acquittant de l'infraction de rupture de ban.

e. Le TP se réfère intégralement à son jugement.

D. a. À teneur du dossier, A______, né le ______ 1988 à D______ en Sierra Léone, est arrivé en Suisse en 2010 où il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée. Célibataire, il vit à Genève avec sa compagne, laquelle bénéficie d'une autorisation de séjour et subvient à ses besoins. Il a deux enfants mineurs qui vivent en Suisse, l'un d'entre eux, issu d'une précédente relation, ayant été placé en foyer.

Il indique avoir quitté la Sierra Leone très jeune en raison de la guerre et s'être réfugié en Gambie avec sa mère où il a été scolarisé durant six ans. En 2006, il s'est rendu en Italie pour quelques mois et a ensuite vécu pendant quatre ou cinq ans à E______ [Espagne], où il a travaillé comme soudeur, avant de rallier la Suisse.

b. Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, le prévenu a été condamné à neuf reprises entre 2013 et 2018 pour de multiples délits, dont neuf fois pour infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI) ainsi qu'à six reprises pour délits et/ou contraventions à la LStup.

Son dernier antécédent concerne une condamnation prononcée le 20 mars 2018, par la CPAR, à une peine privative de liberté de 13 mois, à une amende de CHF 400.- ainsi qu'à une expulsion judiciaire d'une durée de cinq ans, pour lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP), opposition aux actes de l'autorité (art. 286 CP), violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 al. 1 CP), non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI), séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI) et contravention à l'art. 19a LStup.

E. Me B______, défenseur d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 9h d'activité de chef d'étude pour la rédaction du mémoire d'appel et 3h30 pour la réplique.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; 127 I 28 consid. 2a).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.2.1. La rupture de ban punit celui qui aura contrevenu à une décision d'expulsion du territoire de la Confédération ou d'un canton prononcée par une autorité compétente (art. 291 CP). Cette infraction suppose la réunion de trois conditions : une décision d'expulsion, la transgression de celle-ci et l'intention. L'infraction est consommée si l'auteur reste en Suisse après l'entrée en force de la décision, alors qu'il a le devoir de partir ou s'il y entre pendant la durée de validité de l'expulsion.

Sur le plan subjectif, l'infraction est intentionnelle, le dol éventuel étant toutefois suffisant. Il faut non seulement que l'auteur entre ou reste en Suisse volontairement, mais encore qu'il sache qu'il est expulsé ou accepte cette éventualité (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_1191/2019 du 4 décembre 2019 consid. 5.1 et les références citées).

2.2.2. L'état de nécessité licite (art. 17 CP) pourrait être envisagé lorsque l'auteur devrait violer la loi d'un autre Etat en conséquence de l'interdiction d’entrée en Suisse, par exemple parce qu’il est impossible pour lui de se rendre dans cet Etat, faute de papiers (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ [éds], Commentaire romand, Code pénal II, Bâle 2017, n. 21 ad art. 291 ; M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER [éds], Basler Kommentar Strafrecht II : Art. 137-392 StGB, Jugendstrafgesetz, 4ème éd., Bâle 2019, n. 37 ad art. 291), ou que son État d'origine ne l'accepte pas, étant précisé que l'on ne peut évidemment pas attendre d'une personne qu'elle enfreigne les lois d'autres pays pour quitter la Suisse ; il en va de même de celui qui risque sa vie en regagnant son pays d'origine, ce qui, au demeurant, imposerait le report de l'expulsion en application de l'art. 66d CP (S. GRODECKI / Y. JEANNERET, L'expulsion judiciaire, in Droit pénal - évolutions en 2018, CEMAJ, Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel, Bâle 2017, pp. 167 ss, p. 182).

Cependant, en matière de séjour illégal selon l'art. 115 al. 1 let. b LEI, le ressortissant étranger qui fait l'objet d'un renvoi avec ordre de quitter la Suisse immédiatement, qui disparait après l'entrée en force de la décision et ne collabore d'aucune manière à l'établissement de documents de voyage, se rend coupable de l'infraction. Il ne peut faire valoir l'impossibilité objective de quitter la Suisse (ATF 143 IV 249 consid. 1.6.1).

2.2.3. L’erreur sur l’illicéité (art. 21 CP) n’est en principe pas envisageable, l’auteur ayant toujours la possibilité de demander des renseignements à l’autorité
(ATF 104 IV 244, c. 3 ; A. MACALUSO et al. [éds], op. cit., n. 24 ad art. 291).

2.3. En l'espèce, il est établi et non contesté que l'appelant a persisté à séjourner en Suisse alors qu’il faisait l’objet d’une expulsion judiciaire entrée en force et qu'il avait connaissance de la décision prononcée à son encontre.

L'appelant se prévaut d'une apatridie, la Sierra Leone, dont il affirme être pourtant originaire, ne le reconnaissant pas comme l'un de ses ressortissants. Ce statut expliquerait sa persistance à demeurer en Suisse, dès lors qu'il se trouverait dans l'impossibilité de se rendre dans un autre Etat, faute de papiers. Il reproche au TP d'avoir retenu à tort qu'aucun moyen de preuve permettant d'établir son identité n'a été produit et que les démarches entreprises ne suffisent pas à ce que le statut d'apatride lui soit reconnu.

Il ressort en l'espèce que l'appelant a déposé en 2019, en parallèle d'une procédure pénale le visant du chef de rupture de ban, une demande de reconnaissance du statut d'apatride auprès du SEM, requête rejetée le 6 avril 2020 au motif qu'il n'avait pas effectué les démarches nécessaires en vue d'obtenir la nationalité gambienne ou sierra-léonaise. Le 11 mai 2011, sa demande de réexamen a également été rejetée par le SEM car les pièces produites – une attestation de l'Ambassade de Sierre Leone du 16 novembre 2020 et un certificat de reconnaissance de décès (cf. supra point B.b.c) – ne prouvaient pas que l'intéressé avait fait une demande de nationalité et ne constituaient pas un refus de lui accorder la nationalité.

Si le conseil de l'appelant a certes envoyé depuis lors un courrier de relance à l'Ambassade de Sierra Leone, ladite relance a été effectuée seulement en novembre 2022, soit après la fin de la période pénale, dans la foulée de la présente procédure ouverte pour rupture de ban, et sans que la Cour de céans n'ait été avisée d'une quelconque suite donnée à cette requête près de six mois plus tard au moment de garder la cause à juger. En dépit des éléments allégués par l'appelant, notamment les relances orales de son conseil à l'Ambassade de Sierra Leone et ses passages liés à la naissance de ses enfants, seule figure ainsi au dossier une attestation du 16 novembre 2020, laquelle ne permet pas de conclure, tel que relevé par le SEM, que l'appelant n'est pas en mesure d'obtenir un document d'identification de la part des autorités sierra-léonaises. Au vu de ces éléments, force est de constater que les moyens de preuve permettant d'établir l'identité de l'appelant font défaut et l'on ne voit pas en quoi l'appréciation du TP serait inexacte à ce propos.

En ce qui concerne les démarches entreprises, rien n'indique non plus que l'appelant aurait agi de manière idoine pour répondre aux griefs du SEM et à l'absence de moyens de preuve concernant une éventuelle nationalité sierra-léonaise. Assisté d'un avocat au cours de la procédure de reconnaissance de son statut d'apatride depuis 2019, l'appelant aurait eu les moyens d'intervenir dans le sens des considérants des décisions du SEM pour se voir délivrer – ou refuser de manière circonstanciée – la nationalité sierra-léonaise et les documents d'identité y afférents. Dans la foulée du rejet de sa demande de réexamen le 11 mai 2021, l'appelant s'est satisfait de ce résultat négatif, se contentant d'un courrier lapidaire de relance en 2022, plutôt que d'entreprendre certaines démarches afin d'établir sa nationalité sierra-léonaise ou encore requérir l'assistance d'une institution d'aide au retour, à l'instar de la Croix‑Rouge genevoise ou du SEM. Ses nombreuses condamnations pour des infractions à la LEI depuis 2013 démontrent en outre que l'appelant n'a en réalité jamais voulu quitter le territoire suisse, ce que certains de ses propos au cours de la procédure peuvent attester, celui-ci reconnaissant devant le MP qu'il voulait rester en Suisse, avait conscience de risquer un renvoi en Sierra Leone s'il collaborait avec ses autorités et avait agi à dessein pour ne pas obtenir d'attestation de reconnaissance.

Au surplus, aucun élément au dossier ne laisse apparaître que l'appelant aurait choisi de ne pas quitter la Suisse pour se préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement.

Compte tenu de ce qui précède, l'appelant ne se trouve pas, sans faute de sa part, dans l'impossibilité objective de quitter le territoire suisse. Celui-ci ne peut non plus invoquer l'erreur sur l'illicéité en lien avec son acquittement dans la procédure P/1______/2018, alors que sa demande de réexamen du statut d'apatride a été par la suite rejetée par le SEM et qu'il lui était possible de demander tout renseignement utile aux autorités, lui-même étant de surcroît assisté d'un avocat.

L'appelant sera partant reconnu coupable de rupture de ban et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

Enfin, si réellement l’appelant devait être apatride, ce qu’il ne démontre pas, il appartiendrait alors aux autorités d’exécution d’en tirer les éventuelles conséquences pour la mise en œuvre de l’expulsion, ce qui n’a pas été le cas puisque celle-ci est bien inscrite au casier judiciaire (art. 66d CP).

3. La rupture de ban est passible d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire (art. 291 CP).

3.1.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 134 IV 17 consid. 2.1 p. 19 ss ; 129 IV 6 consid. 6.1 p. 20 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_660/2013 du 19 novembre 2013 consid. 2.2).

3.1.2. La peine pécuniaire constitue la sanction principale dans le domaine de la petite et moyenne criminalité, les peines privatives de liberté ne devant être prononcées que lorsque l'Etat ne peut garantir d'une autre manière la sécurité publique.

Conformément à l'art. 34 CP, la peine pécuniaire est de trois jours-amende au moins et ne peut excéder 180 jours-amende, le juge fixant leur nombre en fonction de la culpabilité de l'auteur (al. 1). Un jour-amende est de CHF 30.- au moins et de CHF 3'000.- au plus. Exceptionnellement, si la situation personnelle et économique de l'auteur l'exige, il peut être réduit à CHF 10.-. Le juge en arrête le montant selon la situation personnelle et économique de l'auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d'assistance, en particulier familiales, et du minimum vital (al. 2).

3.1.3. Aux termes de l'art. 42 al. 2 CP, si, durant les cinq ans qui précèdent l'infraction, l'auteur a été condamné à une peine privative de liberté ferme ou avec sursis de plus de six mois, il ne peut y avoir de sursis à l'exécution de la peine qu'en cas de circonstances particulièrement favorables. Il n'existe de circonstances particulièrement favorables au sens de l'art. 42 al. 2 CP que si une appréciation des circonstances fait apparaître un motif fondé de croire en l'absence d'une récidive future, en particulier si les faits pénaux discutés diffèrent totalement de ceux relatifs à l'infraction commise antérieurement ou en cas de changements importants dans la vie de l'auteur (ATF 145 IV 137 consid. 2.2 ; 134 IV 1 consid. 4.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1449/2021 du 21 septembre 2022 consid. 2.2.1).

3.2.1. La faute de l’appelant n’est pas négligeable. Il persiste à séjourner en Suisse depuis plusieurs années sans disposer des autorisations nécessaires et alors qu’il a fait l’objet de nombreuses condamnations pour violation à la LEI. Il a sciemment continué à demeurer en Suisse en toute illégalité, alors que son expulsion du territoire a été ordonnée le 20 mars 2018 et que sa demande de reconnaissance du statut d'apatride a été rejetée en 2020. Il a porté atteinte à l'ordre public, étant rappelé que le délit de rupture de ban est une infraction destinée à garantir l'exécution de décisions d'expulsion et constitue une forme particulière d'insoumission à une décision de l'autorité (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 2 ad art. 291 CP).

Sa situation personnelle et familiale peut expliquer partiellement ses actes sans toutefois les justifier, puisqu'elle résulte en grande partie de son refus de quitter un pays dans lequel, à teneur du dossier, il ne dispose d’aucun avenir dans des conditions régulières.

Sa collaboration peut être qualifiée tout au plus de moyenne, dans la mesure où il a d'abord déclaré au MP refuser de collaborer avec les autorités sierra-léonaises avant d'en accepter l'idée devant le TP. Sa prise de conscience est quant à elle relative, celui-ci affirmant souhaiter rester en Suisse alors qu'il ne dispose à l'heure actuelle d'aucune autorisation de séjour et qu'un éventuel statut d'apatride n'est pas démontré.

Ses antécédents, au nombre de neuf depuis 2013, sont nombreux et spécifiques pour certains. Ces multiples condamnations, notamment à des peines privatives de liberté, n’ont manifestement pas suffi à le dissuader de récidiver, ce qui démontre une forte imperméabilité à la sanction pénale.

3.2.2. Dans ce contexte, bien que la CPAR considère qu'une peine plus lourde que celle décidée par le TP aurait pu être prononcée, l'interdiction de la reformatio in pejus, vu l'absence d'appel du MP, limite la peine à prononcer au genre et à la quotité retenue en première instance, de sorte que le prononcé d'une peine pécuniaire de 90 jours-amende sera dès lors confirmé, tout comme le montant du jour-amende, établi à CHF 10.-, conformes au droit.

L'appelant ne remplit pas au surplus la condition objective du sursis au vu de sa condamnation de 2018. La réalisation de la condition subjective apparaît quant à elle délicate au regard de son attitude et de sa prise de conscience, étant relevé que les condamnations antérieures de l'appelant ne l'ont pas dissuadé dans ses agissements coupables. Partant, en l'absence de circonstances particulièrement favorables, la peine ferme est également confirmée.

4. L'appelant, qui succombe, supportera l'ensemble des frais de la procédure envers l'État, comprenant en appel un émolument de CHF 1'000.- (art. 428 CPP et art. 14 al. 1 let. e du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale).

5. 5.1.1. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. L'art. 16 du règlement sur l'assistance juridique (RAJ) dispose que l'indemnité, en matière pénale, est calculée selon le tarif horaire suivant de CHF 200.- pour un chef d’étude (let. c). En cas d'assujettissement, l'équivalent de la TVA est versé en sus.

Conformément à l'art. 16 al. 2 RAJ, seules les heures nécessaires sont retenues. Elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu. On exige de l'avocat qu'il soit expéditif et efficace dans son travail et qu'il concentre son attention sur les points essentiels. Des démarches superflues ou excessives n'ont pas à être indemnisées (M. VALTICOS / C. M. REISER / B. CHAPPUIS / F. BOHNET (éds), Commentaire romand, Loi sur les avocats : commentaire de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats (Loi sur les avocats, LLCA), 2ème éd. Bâle 2022, n. 257 ad art. 12).

5.1.2. L'activité consacrée aux conférences, audiences et autres actes de la procédure est majorée de 20% jusqu'à 30 heures de travail, décomptées depuis l'ouverture de la procédure, et de 10% lorsque l'état de frais porte sur plus de 30 heures, pour couvrir les démarches diverses, telles la rédaction de courriers ou notes, les entretiens téléphoniques et la lecture de communications, pièces et décisions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_838/2015 du 25 juillet 2016 consid. 3.5.2 ; voir aussi les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2016.34 du 21 octobre 2016 consid. 4.1 et 4.2 et BB.2015.85 du 12 avril 2016 consid. 3.5.2 et 3.5.3).

5.2. En l'occurrence, l'activité de Me B______, défenseur d'office de l’appelant, en lien avec la rédaction du mémoire d’appel et de la réplique paraît excessive au regard de l'objet de l'appel et de l’absence de difficulté particulière ; ce poste sera dès lors réduit à la durée raisonnable de 5h pour le mémoire d’appel et 2h pour la réplique.

L’indemnité sera ainsi arrêtée à CHF 1'809.40, correspondant à 7h00 d’activité de chef d'étude à CHF 200.-/heure (CHF 1'400.-), plus la majoration forfaitaire de 20% (CHF 280.-) et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% (CHF 129.40).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1527/2022 rendu le 9 décembre 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/17355/2021.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 1'135.-, qui comprennent un émolument de CHF 1000.-.

Arrête à CHF 1'809.40, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me B______, défenseur d'office de A______.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

"Déclare A______ coupable de rupture de ban (art. 291 al. 1 CP) et d'infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19a ch. 1 LStup).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 90 jours-amende, sous déduction de 3 jours-amende, correspondant à 3 jours de détention avant jugement (art. 34 et 51 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 10.-.

Condamne A______ à une amende de CHF 100.- (art. 106 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution d'un jour.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Ordonne la confiscation et la destruction de la drogue figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 2______ (art. 69 CP).

Fixe à CHF 2'347.85 l'indemnité de procédure due à Me B______, défenseur d'office de A______ (art. 135 CPP) [pour la procédure de première instance].

Condamne A______ aux frais de la procédure [de première instance], qui s'élèvent à CHF 948.-, y compris un émolument de jugement de CHF 600.- (art. 426 al. 1 CPP). "

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, au Secrétariat d'Etat aux migrations et à l'Office cantonal de la population.

 

La greffière :

Aurélie MELIN ABDOU

 

La présidente :

Catherine GAVIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'548.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

60.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'135.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

2'683.00