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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2776/2024

JTAPI/678/2025 du 23.06.2025 ( ICCIFD ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2776/2024 ICC/IFD

JTAPI/678/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 23 juin 2025

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Mes Bénédict BOISSONNAS et Laurent PANCHAUD, avocats, avec élection de domicile

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS


 

EN FAIT

1.             Le présent litige concerne les impôts cantonaux et communaux (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) 2023 de A______ SA.

2.             La contribuable, dont le siège se trouve à Genève, a notamment pour but de mener des recherches et des développements dans divers domaines scientifiques, d’y effectuer le développement de technologies et d’outils, d’acquérir, de développer et d’exploiter les licences, marques et brevets associés. Elle peut également, contre rémunération ou non, octroyer des prêts à ses actionnaires ou à des tiers.

3.             Dans sa déclaration fiscale 2023 du 25 avril 2024, la contribuable a fait valoir une perte de USD 14’393’075.- et un capital imposable s’élevant à USD 16’298’864.- (la monnaie de référence y est l’USD).

4.             Par bordereaux du 10 mai 2024, l’administration fiscale cantonale (ci-après: AFC-GE) a taxé la contribuable sur la base d’un bénéfice nul et d’un capital imposable de CHF 13’875’711.- (USD 16’298’863.-).

Il résulte des avis de taxation 2023 accompagnant ces bordereaux que la perte se chiffrait à CHF 12’517’583.- (USD 13’785’733.-) et que des pertes avaient été retenues tant en 2022 (CHF 9’084’269.-, soit USD 10’004’591.-) qu’en 2021 (CHF 486’649.-, soit USD 535’951.-).

5.             Les 19 juin et 16 juillet 2024, la contribuable a élevé réclamation à l’encontre de ces bordereaux. Elle a contesté le montant du capital propre dissimulé et l’impôt y relatif, le montant des intérêts non admis et le montant des pertes fiscales des sept exercices précédents retenus.

Le prêt requalifié de capital propre dissimulé émanait d’un actionnaire (Monsieur B______), l’un de ses actionnaires parmi d’autres, et qui n’était que l’un de six membres du conseil d’administration. Ce prêt devait être considéré comme des fonds de tiers et non pas comme du capital propre dissimulé, même s’il était postposé, étant précisé qu’il portait intérêts au taux du marché et « at arm’s length » à des taux conformes à ceux prévus par les lettres circulaires de l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) relatives aux prêts et avances des actionnaires en devises étrangères.

Au vu du surendettement de la société de CHF 9’874’757.- au 31 décembre 2023, l’impôt sur le capital consacrait une violation du principe de la capacité contributive au sens de l’art. 127 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101). Afin que ce principe soit respecté, la perte totale de l’exercice 2023 de CHF 10’094’607.- aurait dû être compensée avec le capital propre dissimulé retenu par la décision querellée, à savoir CHF 13’788’162.-. L’impôt sur le capital ne pourrait dès lors être calculé sur un montant supérieur à CHF 3’696’555.-, étant précisé que ce montant bénéficierait du taux afférent aux participations qualifiés selon les art. 21 et 34 de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15).

Les pertes déclarées pour les années 2021 et 2022 devaient être intégralement retenues.

Un contrat de prêt (« Loan agreement ») du 19 avril 2023 entre M. B______ et la contribuable a été produit.

6.             Par décisions sur réclamation du 19 juillet 2024, l’AFC-GE a admis partiellement la réclamation. Elle a rectifié la taxation, modifiant les montants des pertes retenues pour les années 2021 et 2022, et l’a maintenue pour le surplus.

M. B______ était un actionnaire prépondérant puisqu’il détenait au moins 10% des parts de la contribuable. La dette que la contribuable avait envers lui devait donc être classée dans les autres dettes envers les actionnaires, associés, personnes proches (physiques ou morales) et non envers les tiers.

Conformément à la circulaire n° 6 relative au capital propre dissimulé de sociétés de capitaux et de sociétés coopératives (art. 65 et 75 LIFD) de l’AFC-CH du 6 juin 1997 (ci-après : la circulaire n° 6, publiée in Archives 66 p. 293), lorsque les dettes figurant au bilan étaient supérieures aux fonds étrangers admissibles, il fallait admettre l’existence d’un capital propre dissimulé, étant entendu que seules les dettes envers les actionnaires étaient susceptibles d’être considérées comme du capital propre dissimulé. Par ailleurs, tel qu’indiqué dans l’annexe G1 du bordereau 2023, l’endettement admis compte tenu du bilan s’élevait à USD 43’855’441.-, le total des dettes au bilan 2023 à USD 71’877’677.- et les réserves négatives au bilan à USD 11’835’819.- (réserves négatives déduites des réserves positives). Le capital propre dissimulé était calculé de la manière suivante : total d’endettement admis (USD 43’855’441.-) + réserves négatives (USD 11’835’819.-) - dettes totales (USD 71’877’677.-) = USD 16’196’025.-. Les réserves négatives avaient donc bien été prises en considération lors de la détermination du capital propre dissimulé. La capacité contributive n’était donc pas violée.

Le taux réduit pour l’imposition du capital était applicable uniquement à la part du capital correspondant proportionnellement aux actifs qualifiants (participations qualifiées, prêts aux sociétés du groupe, brevets et droits comparables). Dans le cas d’espèce, les actifs qualifiants s’élevaient à USD 25’993’119.-, soit 43,2105% des actifs totaux. Par conséquent, seule cette dernière portion du capital imposable bénéficiait du taux réduit, soit USD 7’042’813.- sur les USD 16’298’863.-.

Des bordereaux rectificatifs ICC/IFD 2023 accompagnaient ces décisions. L’ICC s’élevait à CHF 31’638,95, l’IFD à CHF 0.-.

7.             Par acte du 23 août 2024, sous la plume de ses conseils, la contribuable a interjeté recours contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à leur annulation, à dire que son capital propre dissimulé à prendre en compte pour les ICC/IFD 2023 s’élevait à USD 8’490’690.- et non pas à USD 16’298’863.-, à la confirmation, en tant que de besoin, que 43,21% du montant du capital propre dissimulé, (taux) à déterminer à la baisse dans le cadre du présent recours, bénéficiait du taux réduit afférent aux participations qualifiées au sens des art. 21 et 34 LIPM, au renvoi du dossier à l’AFC-GE afin de statuer dans le sens des considérants et, notamment, de revoir à la baisse et déterminer les intérêts non admis sur la base du capital propre dissimulé tel que retenu dans les décisions à rendre dans la présente procédure.

Au vu des comptes comparatifs audités 2023-2022, l’AFC-GE aurait dû retenir qu’elle était une société financière au sens de la circulaire n° 6. En effet, selon le bilan au 31 décembre 2023, sur un total d’actifs de USD 60’154’696.-, le poste « Marke-table securities » s’élevait à USD 40’623’740.- et celui des « Equity investments » à USD 18’601’564.-, de sorte que les investissements financiers représentaient un peu plus de 98,45% du bilan. Ainsi qu’il ressortait du rapport de l’organe de révision sur l’exercice 2023, le poste de « Marketable securities », qui représentait plus de 2/3 du bilan, se composait d’obligations et de part de fonds investissant dans des obligations pour USD 24’914’724.-, d’actions pour USD 14’812’374.- et d’autres investissements pour USD 896’642-. Les « Marketable securities » étaient donc des actifs circulants, qualifiés d’« autres actifs circulants » selon la circulaire n° 6 avec un ratio d’endettement admissible de 85%. Ce ratio correspondait à moins d’1% près au ratio de 6/7 des sociétés financières. Il résultait en outre de ses comptes au 31 décembre 2023 que ses produits étaient réalisés principalement par l’achat et la vente de « Marketable securities » pour USD 4’762’057.-, par l’encaissement de dividendes pour USD 515’722.- et par des intérêts de prêts pour USD 460’435.- ; il s’agissait de produits financiers. Dans ces circonstances, l’AFC-GE aurait dû constater, respectivement prendre en compte, que son activité était manifestement financière. Elle détenait et gérait ses actifs pour son propre compte, n’ayant pas de clientèle. Elle n’était donc pas une société commerciale, ni une société holding, mais bien une pure société financière. Devant ainsi être qualifiée de société financière au sens de la circulaire n° 6, son ratio d’endettement admissible pouvait se calculer selon la règle générale des 6/7 du bilan. Sur la base des comptes 2023, l’AFC-GE aurait dû considérer que l’endettement admissible pouvait être fixé à 6/7 de USD 60’154’696.-, soit USD 51’561’168.-. Le capital propre dissimulé s’établissait alors comme suit : dettes totales (USD 71’887’677.-) - endettement admis (USD 51’561’168.-) - réserves négatives (USD 11 18351819.-) = USD 8’490’690.-.

Le pourcentage du montant du capital propre dissimulé bénéficiant du taux réduit de l’impôt sur le capital n’était pas contesté. Il s’élevait bien à 43,21% du montant du capital propre dissimulé à retenir, le solde étant imposé au taux ordinaire.

Dans la mesure où le capital propre dissimulé n’était pas de USD 16’298’863.- mais de USD 8’490’690.-, le redressement de bénéfice opéré n’était pas correct et devrait être corrigé en conséquence par l’AFC-GE.

8.             Dans sa réponse du 9 décembre 2024, l’AFC-GE a conclu à l’irrecevabilité du recours sur certains points et à son rejet pour le surplus.

La conclusion de la recourante portant sur l’impôt sur le capital en matière d’IFD était irrecevable, les sociétés de capitaux devant s’acquitter d’un impôt sur le bénéfice ainsi que - uniquement dans les cantons - d’un impôt sur le capital. Il en allait de même pour les conclusions portant sur l’impôt sur le bénéfice en matière d’ICC et d’IFD, la recourante ne disposant pas d’un intérêt actuel à recourir puisqu’elle avait enregistré une perte en 2023 ainsi qu’en 2021 et 2022.

Le capital propre dissimulé (soit le capital propre imposable) qu’elle avait déterminé n’était pas de USD 16’298’863.- comme mentionné dans le recours, mais de USD 16’196’025.- comme mentionné dans le bordereau du 19 juillet 2024, soit CHF 13’875’711.-. En outre, dans sa déclaration fiscale, au formulaire G, la recourante avait mentionné, en tant que capital propre imposable, un montant de USD 16’298’864.-.

La recourante ne pouvait pas être considérée comme une société financière. Elle ne disposait pas de prêts à l’actif de son bilan, mais que des participations et des valeurs mobilières. Selon la jurisprudence, était considéré comme une société financière toute société effectuant des prêts dont les montants représentaient au moins 2/3 des actifs totaux et dont les intérêts comptabilisés représentaient au moins 2/3 des produits totaux -. Par ailleurs, le fait que la contribuable ait la possibilité, selon son but statutaire, d’octroyer des prêts ne suffisait pas à la qualifier de société financière au sens de la circulaire n° 6 dans la mesure où elle n’en avait pas octroyés en 2023. Son activité s’apparentait à celle d’une société commerciale dans la mesure où elle était active sur le marché. Ainsi, conformément à la circulaire n° 6 et dans la mesure où les dettes figurant au bilan étaient supérieures aux fonds étrangers admissibles, il fallait admettre l’existence d’un capital propre dissimulé. Le calcul du capital propre dissimulé, tel qu’exposé dans les décisions sur réclamation du 19 juillet 2024, était ainsi correct : ledit capital était de USD 16’196’025.-.

9.             Par réplique du 9 janvier 2025, la recourante a réitéré ses conclusions.

Les conclusions prises en matière d’ICC et IFD 2023 étaient recevables, le montant d’intérêts non admis, à savoir CHF 658’645.-, et la reprise de bénéfice en résultant, étant contestés. Le refus de la déduction des intérêts résultant du capital propre dissimulé entraînait en effet une reprise de bénéfices et concernait donc l’impôt sur le bénéfice. Le fait qu’elle avait subi une perte en 2022 et 2023 n’enlevait pas son intérêt juridique. Elle disposait d’un intérêt légitime manifeste à ce qu’une décision consacrant un montant erroné d’intérêts non admis soit annulée.

L’élément formel résultant de son but statutaire n’enlevait rien à son activité effective qui était purement financière et qui était seule pertinente, avec la composition de ses actifs pour déterminer si les fonds de tiers admissibles devaient se calculer selon le ratio de 6/7 du bilan. La circulaire n° 6 ne faisait aucune référence au but statutaire de la société pour déterminer sa qualification en société financière et cette circulaire devait manifestement s’interpréter selon des critères économiques et non formels. Elle remplissait les critères pour être qualifiée de société financière. La citation de jurisprudence effectuée par l’AFC-GE était biaisée, le passage souligné rapportant la position de l’AFC-GE elle-même et non celle du tribunal.

10.         Par duplique du 14 mars 2025, l’AFC-GE a persisté dans les considérants et les conclusions de sa réponse.

11.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compéten-te, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             En effet, force est de constater que la recourante dispose de la qualité pour recourir puisque sa conclusion tendant à une diminution de son imposition sur la fortune en ICC, au motif que son capital propre dissimulé devrait s’élever à USD 8’490’690.- et non à USD 16’298’863.-, lui confère un intérêt digne de protection au terme de l’art. 60 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) cum l’art. 2 al. 2 LPFisc.

4.             Cette conclusion est en revanche irrecevable en ce qui concerne l’IFD, le droit fiscal fédéral ne prévoyant plus d’impôt sur le capital d’une personne morale depuis le 1er janvier 1998 (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd. 2021, n. 1 p. 315), étant précisé que l’éventuelle diminution du montant du capital propre dissimulé, telle que requise par la recourante, n’aurait aucun impact sur le bénéfice imposable de l’année fiscale en cause.

5.             La conclusion par laquelle la recourante requiert que le pourcentage du montant du capital propre dissimulé, bénéficiant du taux réduit de l’impôt sur le capital, soit confirmé à 43,21%, à savoir une conclusion en lien avec l’impôt sur le bénéfice, est également irrecevable en l’espèce.

En matière fiscale, la question de l’intérêt digne de protection, de fait ou de droit, actuel et pratique présente une dimension spécifique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2022 du 14 mars 2023 consid. 2.3.1). Elle s’est avant tout posée dans le contexte des taxations dites « taxation zéro ». Ainsi, lorsqu’un contribuable reçoit une taxation sur un revenu nul et qu’il n’a en conséquence pas d’impôt à payer, le montant des pertes qui ont conduit à la taxation sur un revenu nul constitue uniquement un motif de la décision de taxation, de sorte que ce montant ne bénéficie pas de la force de chose jugée matérielle. Dès lors, dans la mesure où un contribuable souhaite que le montant de la perte à reporter sur la période fiscale suivante soit arrêté, un intérêt actuel digne de protection lui fait défaut (ATF 140 I 114 consid. 2.4; arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2022 du 14 mars 2023 consid. 2.3.2.1). Il peut cependant en aller autrement lorsque la taxation zéro - malgré l’absence d’un impôt à payer durant la période fiscale litigieuse - peut déployer des effets juridiques immédiats, dont la clarification ne souffre d’être différée (ATF 150 II 409 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2022 du 14 mars 2023 consid. 2.3.2.2). À l’exception de ce cas particulier, il n’existe en droit fiscal un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification d’une décision de taxation que lorsque le contribuable demande une diminution des facteurs déterminants ou une charge fiscale globalement plus basse pour la période fiscale litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 9C_186/2024 du 18 juin 2024 consid. 6.2.2).

En l’occurrence, les taxations contestées arrêtant le montant des impôts directs dus à CHF 0.-, tant en ICC qu’en IFD, compte tenu tant de la perte 2023 que des pertes reportées 2021 et 2022, leur rectification dans le sens que souhaite la contribuable ne représente pas pour elle un intérêt actuel digne de protection.

6.             La recourante se plaint de ne pas avoir été considérée comme une société financière (« Finanzgesellschaften » ; « società finanziarie ») au sens de la circulaire n° 6. À son sens, son ratio d’endettement admissible doit se calculer selon la règle générale des 6/7 du bilan, avec pour effet que son capital propre dissimulé s’élèverait à USD 8’490’690.-.

7.             Le droit civil, en particulier celui commercial, ne prescrit pas de ratio déterminé entre les fonds propres et les fonds étrangers constituant le capital d’une personne morale. Sous réserve de quelques dispositions légales, les membres de sociétés de capitaux sont en effet libres de déterminer le montant des fonds propres qu’ils entendent apporter (Peter BRÜLISAUER/Marc DIETSCHI, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, 4ème éd., 2022, art. 65 n. 17-19 p. 1502 ; Robert DANON, Commentaire romand de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, 2017, art. 65 n. 4 p. 1256 s).

D’un point de vue fiscal, le financement d’une entreprise n’est pas neutre. En effet, un financement par fonds propres a pour conséquence que le résultat de la société de capitaux est frappé une première fois de l’impôt sur le bénéfice, puis de l’impôt sur le revenu à l’occasion de la distribution de cette même matière au porteur de parts. De plus, il se produit aussi une double imposition économique du capital car la participation des actionnaires est soumise à l’impôt sur la fortune. En revanche, un financement par fonds étrangers, c’est-à-dire par le biais de prêts consentis par l’actionnaire, permet d’atténuer la double imposition économique et présente donc un avantage d’un point de vue fiscal : le bénéfice imposable est réduit par la charge d’intérêts passifs et les fonds propres soumis à l’impôt sur le capital sont également réduits, ceux-ci ne comprenant pas les fonds étrangers (Peter BRÜLISAUER/Marc DIETSCHI, op. cit., art. 65 n. 3 p. 1498 ; Xavier OBERSON, op. cit, n. 13 p. 318 ; Robert DANON, op. cit., art. 65 n. 2-3 p. 1256).

Cette liberté de financement, qui permet d’éluder la double imposition économique lorsque les fonds étrangers remplissent économiquement la fonction de fonds propres, a été en premier lieu restreinte par la jurisprudence, dans la mesure où il a été jugé, sous l’angle de l’évasion fiscale, que le fait pour les actionnaires ou leurs proches d’octroyer à leur société des prêts que celle-ci n’aurait pas pu obtenir par ses propres moyens auprès de tiers constituait un mode insolite de financement, puis par le législateur (FF 1983 III 1, 129 ss ; Robert DANON, op. cit., art. 65 n. 5 et 7 p. 1257).

Ainsi, au début des années 1980, à l’occasion de l’harmonisation fiscale, le Conseil fédéral a envisagé d’introduire dans la législation un dispositif spécifique codifiant les ratios d’endettement admissibles. En son art. 81 (FF 1983 III 1, 355), le projet de loi de la LIFD fixait que le capital propre imposable des sociétés de capitaux était augmenté de la part de leurs fonds étrangers qui jouait économiquement le rôle de capital propre (al. 1), que le capital propre imposable correspondait au sixième de la valeur de leurs actifs déterminante pour l’impôt sur le bénéfice (al. 2) et qu’était considérée comme société financière une société qui, dans le but de faire des placements, finance un nombre en principe indéterminé d’autres entreprises qui ne forment aucune unité économique entre elles ni avec la société financière, ou qui, dans le même but, y participe (al. 4).

Cette idée d’arrêter dans la loi des ratios d’endettement a été rejetée par le parlement qui retint uniquement le principe de l’imposition du capital propre dissimulé (Peter LOCHER/Ernst GIGER/Andrea PEDROLI, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, II. Teil, 2ème édition, 2022, art. 65 n. 4-5 p. 651 s), la fixation des ratios d’endettement étant laissée à la pratique administrative (Alberto LISSI/Marco E. VITALI, Kommentar zum Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 4ème éd., 2022, art. 29a ch. 1 p. 1196 ; Robert DANON, op. cit., art. 65 n. 8 p. 1257), étant souligné que ces taux servent à déterminer la garantie qu’offrent les actifs d’une société du point de vue d’un futur créancier (arrêt du Tribunal fédéral 2P.338/2004 du 26 avril 2006 consid. 6.2).

L’art. 75 LIFD, entré en vigueur le 1er janvier 1995 (RO 1995 1449) et abrogé dès le 1er janvier 1998 du fait de l’abolition de l’impôt fédéral sur le capital, disposait que le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives était augmenté de la part de leurs fonds étrangers qui était économiquement assimilable au capital propre.

8.             Au niveau cantonal, l’art. 29a de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14), également entré en vigueur le 1er janvier 1995, n’a pas été abrogé et est demeuré inchangé (Peter LOCHER/Ernst GIGER/Andrea PEDROLI, op. cit., art. 65 n. 6 p. 652). Intitulée « Objet de l’impôt ; capital propre dissimulé », cette disposition stipule, à l’instar de l’ancien art. 75 LIFD, que le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives est augmenté de la part de leurs fonds étrangers qui est économiquement assimilable au capital propre.

Il s’agit d’une norme correctrice fiscale à rattachement économique. L’existence de capital propre dissimulé doit partant être examinée sous un angle économique et ne requiert plus, comme c’était le cas avant que la question ne soit réglée dans la loi, que les conditions d’une évasion fiscale soient réunies. La notion a donc été objectivée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_814/2015 du 20 avril 2017 consid. 7.3).

Pour sa part, l’art. 29 LHID pose les principes que l’impôt sur le capital a pour objet le capital propre (al. 1) et que s’agissant des sociétés de capitaux, le capital propre imposable comprend le capital-actions ou le capital social libéré, les réserves ouvertes et les réserves latentes constituées au moyen de bénéfices imposés (al. 2 let. a).

9.             Selon l’art. 27 LIPM, l’impôt sur le capital a pour objet le capital propre.

Le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives comprend le capital-actions et le capital-participation ou le capital social libéré, les réserves ouvertes et les réserves latentes constituées au moyen de bénéfices imposés (art. 28 al. 1 LIPM).

L’art. 30 LIPM, intitulé capital propre dissimulé, prévoit que le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives est augmenté de la part de leurs fonds étrangers qui est économiquement assimilable au capital propre.

Les art. 27, 28 al. 1 et 30 LIPM correspondent respectivement aux art. 29 al. 1, 29 al. 2 let. a et 29a LHID (arrêt du Tribunal fédéral 2C_814/2015 du 20 avril 2017 consid. 5.1 et 7.1).

10.         Au niveau fédéral, selon la circulaire n° 6, la proportion d’endettement admissible, tout comme le montant du capital propre dissimulé, se détermine à la lumière de la valeur vénale des actifs. Cette pratique se justifie, car il s’agit de déterminer si les dettes de la société correspondent à sa réelle capacité d’emprunt, ce qui ne peut être décidé qu’au regard de la valeur actuelle de ses actifs. L’autorité de taxation se fondera ainsi sur la valeur vénale des actifs si celle-ci est plus élevée (réserves latentes) que la valeur comptable fiscalement déterminante et peut être démontrée par le contribuable. En second lieu, la proportion d’endettement admissible est fonction de la nature des actifs de la société. Selon l’AFC-CH, il y a lieu de considérer qu’une société peut obtenir, par ses propres moyens, des fonds étrangers à concurrence des pourcentages d’endettement admissible de la valeur de ses actifs mentionnés dans la circulaire précitée (Robert DANON, Commentaire romand de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, 2017, art. 65 n. 15 et 16 p. 1260-1261). Ainsi, selon celle-ci, l’endettement admissible en rapport avec des prêts se monte à 85%.

La circulaire précise toutefois que pour les sociétés financières, la limite maximale admissible des fonds étrangers est fixée en règle générale à 6/7 du total du bilan.

11.         La circulaire n° 6a relative au capital propre dissimulé de sociétés de capitaux et de sociétés coopératives (art. 65 LIFD) de l’AFC-CH du 10 octobre 2024 (ci-après : la circulaire n° 6a), entrée en vigueur dès sa publication, remplace la circulaire n° 6.

Selon la circulaire n° 6a, pour déterminer le capital propre dissimulé des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives, il faut partir en règle générale de la valeur vénale des actifs. L’autorité de taxation se fondera sur les valeurs comptables ou sur les valeurs déterminantes pour l’impôt sur le bénéfice des sociétés, sauf si des valeurs vénales plus élevées peuvent être démontrées. Les valeurs vénales à la fin de la période fiscale sont déterminantes.

En règle générale, on considérera que la société peut obtenir, par ses propres moyens, des fonds étrangers à concurrence des pourcentages suivants, calculés sur la valeur vénale de ses actifs:

Liquidités

100%

Créances résultant de livraisons et prestations

85%

Autres créances à court terme

85%

Stocks et prestations non facturées

85%

Compte de régularisation de l’actif

85%

Obligations suisses et étrangères en francs suisses

90%

Obligations étrangères en monnaie étrangère

80%

Actions cotées suisses et étrangères

60%

Autres actions et parts de sàrl

50%

Prêts

85%

Participations

70%

Immobilisations corporelles meubles

50%

Immeubles d’exploitation

70%

Villas, propriétés par étages, maisons de vacances et terrains à bâtir

70%

Autres immeubles

80%

Autres actifs immatériels

70%

La circulaire n° 6a précise toujours que pour les sociétés financières, la limite maximale admissible des fonds étrangers est fixée en règle générale à 6/7 du total du bilan.

En outre, elle énonce que dans la mesure où les dettes figurant au bilan sont supérieures aux fonds étrangers admissibles, il faut admettre l’existence de capital propre dissimulé. Le principe est que seuls les fonds qui proviennent directement ou indirectement des détenteurs de parts ou de personnes qui leur sont proches peuvent constituer du capital propre dissimulé. Il n’y a pas de capital propre dissimulé si le capital étranger est fourni par des tiers indépendants et que ni les détenteurs de parts, ni des personnes qui leur sont proches ne le garantissent. Demeure réservée la preuve qu’un rapport concret de financement est conforme aux conditions du marché.

12.         Si les directives, circulaires ou instructions émises par l’administration ne peuvent contenir de règles de droit, elles peuvent cependant apporter des précisions quant à certaines notions contenues dans la loi ou quant à la mise en pratique de celle-ci. Sans être lié par elles, le juge peut néanmoins les prendre en considération en vue d’assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré. Il ne doit cependant en tenir compte que si elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATF 142 II 182 consid. 2.3.2 à propos des directives administratives en général ; ATF 141 II 338 consid. 6.1 à propos des circulaires de l’AFC-CH ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2025, n. 1112 ss p. 478 ss). Émise par l’autorité chargée de l’application concrète d’une loi, l’ordonnance administrative est un mode de gestion : elle rend explicite une ligne de conduite, permet d’unifier et de rationaliser la pratique, assure ce faisant aussi l’égalité de traitement et la prévisibilité administrative et facilite le contrôle juridictionnel, puisqu’elle dote le juge de l’instrument nécessaire pour vérifier que l’administration agit selon des critères rationnels, cohérents et continus, et non pas selon une politique du cas par cas (Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3ème éd., 2012, p. 426-427).

Le Tribunal fédéral s’est toujours référé à la circulaire n° 6 dans le cadre de l’art. 29a LHID quand bien même celle-ci a été émise en relation avec l’art. 65 LIFD et l’ancien art. 75 LIFD (arrêt du Tribunal fédéral 2C_814/2015 du 20 avril 2017 consid. 7.4). Il ne s’estime pas lié par cette circulaire, mais dans la mesure où celle-ci vise à assurer une pratique uniforme, il ne s’en écarte pas sans justes motifs (arrêts 2C_443/2017 du 15 janvier 2018 consid. 4.4 ; 2C_419/2015 du 3 juin 2016 consid. 4.2.1, non publié à l’ATF 142 II 355 ; Peter LOCHER/Ernst GIGER/Andrea PEDROLI, op. cit., art. 65 n. 9 p. 653 et les références citées). Il en va de même des juridictions genevoises (ATA/38/2023 du 17 janvier 2023 ; ATA/ 162/2013 du 12 mars 2013 consid. 11). Partant, ces jurisprudences s'appliquent à la circulaire n° 6a, qui est une mise à jour de la circulaire n° 6.

13.         In casu, il y a lieu de déterminer si la recourante constitue ou non une société financière.

14.         La loi - respectivement une ordonnance administrative - s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur, telle qu’elle ressort des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, en particulier de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 150 V 12 consid. 4.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_383/2023 du 20 février 2025 consid. 5.2).

Les autorités judiciaires genevoises suivent la même approche (ATA/422/2025 du 15 avril 2025 consid. 8.2 ; JTAPI/267/2025 du 14 mars 2025 consid. 19).

15.         La mention de « sociétés financières » se retrouve à quelques rares reprises dans le droit interne suisse.

L’art. 13 al. 3 let. a de la loi fédérale sur les droits de timbre du 27 juin 1973 (LT - RS 641.10) stipule que sont des commerçants de titres les banques, les sociétés financières à caractère bancaire au sens de la loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne du 8 novembre 1934 (LB - RS 952.0), la Banque nationale suisse de même que les contreparties centrales au sens de la loi fédérale sur l’infrastructure des marchés financiers et le comportement sur le marché en matière de négociation de valeurs mobilières et de dérivés du 19 juin 2015 (LIMF - RS 958.1). L’art. 25a de l’ordonnance sur les droits de timbre du 3 décembre 1973 (OT - RS 641.101) confirme que les sociétés financières à caractère bancaire au sens de la LB sont des commerçants de titres professionnels.

La LB comporte des dispositions finales de la modification du 11 mars 1971 (RO 1995 246, FF 1993 I 757) aux termes desquelles les banques et les sociétés financières fondées avant l’entrée en vigueur de la présente loi ne sont pas tenues de solliciter une nouvelle autorisation pour poursuivre leur activité (al. 1) ; les sociétés financières qui sont désormais soumises à la présente loi s’annonceront à la Commission des banques dans les trois mois qui suivent son entrée en vigueur (al. 2) ; les banques et les sociétés financières sont tenues de s’adapter, dans les deux ans qui suivent l’entrée en vigueur de la présente loi, aux prescriptions de l’art. 3, al. 2, let. a, c et d, ainsi qu’à celles de l’art. 3bis, al. 1, let. c. À défaut, l’autorisation peut leur être retirée (al. 3) ; à l’effet de tenir compte du caractère propre aux sociétés financières et aux caisses de crédit à terme différé, le Conseil fédéral est autorisé à édicter des prescriptions particulières (al. 4). Dans la même veine, l’al. 2 des dispositions finales de la modification du 18 mars 1994 (RO 1995 246 ; FF 1993 I 757) disposent que les sociétés financières à caractère bancaire qui, avant l’entrée en vigueur de la présente modification, ont fait appel au public pour recevoir des fonds en dépôt avec l’autorisation de la Commission des banques, sont dispensées de requérir une nouvelle autorisation pour exercer une activité bancaire (…).

16.         Dans la législation à ce jour abrogée, l’art. 1 al. 1 LB, dans sa version antérieure au 1er juillet 1971, stipulait que cette loi s’appliquait aux banques, banquiers et caisses d’épargne, en outre aux sociétés financières qui, sous quelque forme que ce soit, faisaient appel au public pour recueillir des dépôts de fonds. Ces entreprises étaient désignées ci-après sous le nom de banques. Dans le doute, la commission fédérale des banques décidait si un établissement était une banque au sens de la présente loi (FF 1934 I 172, 191).

Par la suite, en raison de la révision de la loi sur les banques de 1994/1995, la distinction entre les banques et les sociétés financières (à caractère bancaire d’une part et commerciales d’autre part) a été supprimée. Si les conditions d’assujettisse-ment à la loi sur les banques sont remplies, les sociétés financières sont considérées comme des banques (Hans-Joachim JAEGER/Christophe ADANK, Kommentar zum Bundesgesetz über die Stempelabgaben (StG), 2ème éd. 2019, ad. art. 13, n. 53 p. 288).

17.         Le message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant la révision de la loi sur les banques du 13 mai 1970 livre des indications sur ce qu’il entend par « société financière » (FF 1970 I 1157, 1160 s) :

« À l’heure actuelle, seules sont assujetties à la loi les sociétés financières à caractère bancaire qui font appel au public pour obtenir des fonds en dépôt. Ne lui sont pas soumises, en revanche, les sociétés financières à caractère industriel ou commercial, même si elles font appel au public pour obtenir des fonds en dépôt. Toutes ces sociétés financières ont ceci de commun qu’elles empruntent des fonds et les prêtent à des tiers en vue de réaliser un bénéfice, qui consiste dans la différence entre les intérêts créditeurs et les intérêts débiteurs. Elles se distinguent en revanche par la nature des relations qu’elles entretiennent avec les débiteurs. Alors que les sociétés financières à caractère bancaire prêtent les fonds ainsi recueillis à une clientèle indéterminée, les sociétés financières à caractère industriel ou commercial ne prêtent qu’à une entreprise bien définie ou à un groupe donné de sociétés économiquement interdépendantes. Le législateur de 1934 entendait visiblement soustraire à la loi les sociétés holding des grandes entreprises industrielles suisses, qui empruntent sur le marché financier. Il n’y avait pas lieu alors de protéger le public qui plaçait ses fonds dans ces holdings. Depuis lors, cependant, toute une série de petites sociétés financières à caractère industriel ou commercial qui, faute de pouvoir accéder au marché financier, étaient dans l’impossibilité de lancer des emprunts, en sont venues à se procurer les capitaux dont elles ont besoin en faisant appel au public pour obtenir des fonds sous les différentes formes en usage dans la banque. Elles assurent leur financement de la même manière que les banques en ouvrant des comptes de dépôt (avec livrets ou carnets) ou encore en émettant des obligations de caisse selon leurs besoins; elles imitent également la publicité des banques et accueillent le public à des guichets donnant sur un véritable hall. Ces sociétés financières ont donc modifié aussi bien leurs structures que leurs objectifs (…) ».

18.         Au niveau genevois, l’AFC-GE a établi un formulaire (intercalaire D) intitulée « détermination du capital propre dissimulé et des intérêts non admis sur les dettes envers les actionnaires » reprenant les bases du calcul figurant dans la directive n°6 et servant à déterminer le capital propre dissimulé.

Les différents types de sociétés - immobilières, commerciales, industrielles et financières - y sont définis. Une société financière y est décrite comme « toute société qui effectue des prêts dont les montants représentent au moins 2/3 des actifs totaux et dont les intérêts comptabilisés représentent au moins 2/3 des produits totaux. En revanche, les holdings et les sociétés de gérance de fortune ne sont pas considérées comme des sociétés financières mais comme des sociétés "commerciales" dans la présente formule. Un coefficient multiplicateur de 6/7 (= 85,714%) s’applique forfaitairement à tous les actifs des sociétés financières » (cf. ATA/435/2008 du 27 août 2008 consid. 11).

19.         La jurisprudence s’est prononcée sur la notion de société financière.

20.         En 1961, le Tribunal fédéral a considéré que la banque au sens strict (art. 1 al. 1 phr. 1 aLB) possédait des locaux ouverts au public ; en général, elle disposait de guichets où elle traitait des affaires avec ses clients. Ces installations et la raison sociale qu’elle avait choisie incitaient en général le public à lui confier des fonds, de sorte qu’elle n’avait souvent pas besoin de prendre d’autres mesures pour obtenir des fonds de tiers. C’était en cela qu’elle se distinguait de la société financière à caractère bancaire, qui faisait connaître au public sa volonté d’accepter de tels fonds d’une autre manière - par des annonces dans les journaux, des circulaires ou d’autres annonces. En général, l’activité de la banque proprement dite était également plus diversifiée que celle de la société financière à caractère bancaire (ATF 87 I 490 consid. II.3). Les banques et les sociétés financières à caractère bancaire, qui faisaient appel public à l’épargne, d’une part, et les sociétés financières à caractère industriel et commercial, qui faisaient de même, d’autre part, avaient en commun d’accepter, sous des formes diverses, des fonds de tiers et de les prêter à des tiers en vue de réaliser un bénéfice, qui correspondait à la différence entre les intérêts actifs et les intérêts passifs. Elles se distinguaient les uns des autres par la nature de leurs relations avec leurs débiteurs. La banque et la société financière à caractère bancaire plaçaient quelque part, à des conditions avantageuses, les fonds qu’elles recevaient du public. Elles tenaient en principe compte de tous les demandeurs de crédit qui leur offraient de telles conditions. Si elles limitaient l’octroi de crédits à certains secteurs économiques (électricité, transports, etc.), elles étaient prêtes à entrer en contact avec tous les demandeurs de crédits du secteur économique concerné. Elles veillaient à répartir les risques. La société financière industrielle ou commerciale poursuivait d’autres objectifs vis-à-vis de ses débiteurs. Elle pouvait détenir des participations importantes dans les entreprises industrielles ou commerciales de ses débiteurs, de sorte qu’elle dominait ou contrôlait ces entreprises ; elle pouvait notamment être à la tête d’un groupe en tant que société faîtière ou holding. Elle pouvait également être contrôlée par une entreprise industrielle ou commerciale ou être intégrée dans un groupe, sa fonction principale étant alors de mettre des moyens financiers à la disposition des entreprises avec lesquelles elle était ainsi liée. Dans tous ces cas, il ne s’agissait pas de prêter de l’argent à un nombre indéterminé de personnes, comme le faisait une banque, mais de financer une entreprise déterminée ou un cercle fermé d’entreprises à caractère industriel ou commercial, avec les avantages et les risques particuliers qui pouvaient en résulter. (ATF 87 I 490 consid. II.4).

Dans un arrêt nettement plus récent, il a retenu que le lieu d’administration effective d’une société financière se trouvait en Suisse du fait que la direction courante de la société y était dès lors que la décision d’octroyer des prêts, qui constituait le « day-to-day business » d’une société financière était prise par la direction du groupe en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1086/2012 du 16 mai 2013 consid. 2.5 ; cf. Jean-Blaise PASCHOUD/Raphaël GANI, Commentaire romand de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, 2017, art. 50 n. 15 p. 954).

21.         Le Tribunal administratif (actuellement la chambre administrative de la Cour de justice) a, dans le cadre du droit fiscal, et plus spécifiquement de la problématique du capital propre dissimulé, dû déterminer si une société était une holding ou une société financière au sens de la circulaire n° 6 (ATA/435/2008 du 27 août 2008).

La cause concernait une société dont le but était la détention de participations dans d’autres entreprises principalement actives dans le domaine du transport de produits pétroliers et ayant un statut de société holding. L’AFC-GE avait procédé à une reprise de CHF 10’102’178.- au titre de capital propre dissimulé, ce que la société avait contesté, faisant valoir qu’elle était une société financière au sens de la circulaire n° 6.

Le tribunal a retenu (consid. 10 et 11) que ladite circulaire ne définissait pas ce qu’elle entendait par société financière, notion que l’on ne retrouvait pas non plus dans la loi. Le législateur avait, par des formules aussi vagues que celles des art. 29a LHID et 30 LIPM, laissé à la pratique le soin de poser des ratios minima de fonds propres en fonction des types de sociétés qu’elle avait elle-même définies. L’AFC-GE avait dans ce sens établi un formulaire (intercalaire D) reprenant les bases du calcul figurant dans la directive n° 6 et servant à déterminer le capital propre dissimulé. Il y définissait notamment les sociétés financières. Le taux de 6/7 (= 85,714%) visait manifestement à simplifier le calcul pour des sociétés détenant de nombreux actifs et majoritairement des prêts. Une société holding était toute société ne constituant ni une société immobilière, ni une société financière telles que définies ci-dessus. Il a ensuite retenu (consid. 13) que la société n’était pas une société financière selon le formulaire D, mais une holding pure. Aussi, il n’y avait aucun motif pour s’écarter de ce qui était prévu par la circulaire n° 6 et des définitions retenues dans la formule intercalaire D.

22.         Pour sa part, la doctrine n’est pas unanime sur la notion de société financière.

Peter LOCHER/Ernst GIGER/Andrea PEDROLI, en commentant l’art. 65 LIFD, expose que dans la pratique, la notion de société financière a surtout été utilisée dans le cadre de la loi sur les banques qui, jusqu’à l’entrée en vigueur de la version révisée en 1995, prévoyait que les sociétés financières faisant appel au public pour obtenir des fonds de tiers étaient assimilées aux banques et donc soumises à la loi sur les banques. Dans ses directives relatives à l’assujettissement des sociétés financières à la LB, la Commission fédérale des banques les définissait comme des sociétés qui s’occupaient essentiellement - soit sous forme de participations, soit sous forme de créanciers - du financement d’entreprises pour leur propre compte (art. 65 n. 59 p. 1515). Selon ces auteurs, la raison de la réglementation spéciale pour les sociétés financières dans la circulaire n° 6 résidait probablement dans la pratique de l’impôt anticipé, selon laquelle, pour les sociétés financières avec participation étrangère, le capital propre devait s’élever au moins à 1/7 des actifs comptables pour que l’impôt anticipé soit remboursé. Ce rapport rigide de 1:6 entre les fonds propres et les fonds étrangers, introduit dans la pratique de l’impôt anticipé pour les sociétés financières en mains étrangères, qui avait également été appliqué dans le cadre de l’utilisation abusive des conventions de double imposition (pour les entreprises en mains étrangères), avait été repris dans la circulaire n° 6 (art. 65 n. 60 p. 1515).

Alberto LISSI/Marco E. VITALI, en commentant l’art. 29a LHID, soutiennent que la question de savoir si l’on est en présence d’une société financière s’apprécie, selon la pratique de l’AFC-CH, en fonction des circonstances du cas d’espèce ; outre l’activité entrepreneuriale effective, les actifs jouent un rôle déterminant et devraient, en règle générale, se composer au moins aux 3/4 de placements financiers (liquidités, créances, titres, etc.). En règle générale, il devrait être justifié, pour des raisons d’économie d’entreprise, de mettre les succursales financières suisses de sociétés de capitaux étrangères sur un pied d’égalité avec les sociétés financières suisses (op. cit., art. 29a ch. 26 p. 1204).

Aurélien BARAKAT relève que le rapport qu’il faut normalement respecter entre la quantité de fonds étrangers auxquels peut recourir une société par catégorie d’actifs aux termes de la circulaire n° 6 tient notamment compte du type de société concernée, selon qu’elle est financière, immobilière ou commerciale (Les approches de la réalité économique en droit fiscal suisse, thèse, 2019, n. 103 p. 43). Il précise que le fait qu’une société financière puisse se financer à travers des fonds étrangers pour un montant de 6/7ème de son bilan est probablement lié à sa nature très volatile, les sociétés financières ayant naturellement recours à beaucoup de fonds étrangers, de sorte que la nature des actifs ne va pas être examinée au cas par cas ; il s’agit par exemple très souvent d’acteurs actifs dans la gestion de patrimoine (ibidem, n. 210 p. 84).

Rashid BAHAR/Eric STUPP, en commentant les dispositions finales de la modification du 11 mars 1971 de la LB, indiquent que selon la lecture de l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, on entend par sociétés financières essentiellement les entreprises qui s’occupent du financement d’entreprises pour leur propre compte et qui se recommandent publiquement d’accepter des fonds étrangers (Basler Kommentar zum Bankengesetz, 2ème éd. 2013, Schluss-bestimmungen der Änderung vom 11. März 1971 n. 1 p. 816),

23.         En droit fiscal, le principe de la libre appréciation de la preuve s’applique. L’autorité forme librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, en choisissant entre les preuves contradictoires ou les indices contraires qu’elle a recueillis. Cette liberté d’appréciation, qui doit s’exercer dans le cadre de la loi, n’est limitée que par l’interdiction de l’arbitraire. Il n’est pas indispensable que la conviction de l’autorité de taxation confine à une certitude absolue qui exclurait toute autre possibilité ; il suffit qu’elle découle de l’expérience de la vie et du bon sens et qu’elle soit basée sur des motifs objectifs (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1201/2012 du 16 mai 2013 consid. 4.5 ; ATA/558/2014 du 17 juillet 2014).

24.         En premier lieu et puisque les circulaires nos 6 et 6a sont identiques sur la question de la limite maximale admissible des fonds étrangers pour les sociétés financières, il n’est pas nécessaire de déterminer laquelle de ces circulaires est applicable au cas d’espèce (à ce sujet Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., p. 978 ss ; Aurélie GAVILLET, La pratique administrative dans l’ordre juridique suisse, Thèse 2018, p. 250-278). Partant, cette question demeurera ouverte.

S’agissant de la définition de la société financière et à la lumière des considérants qui précèdent, les interprétations historique, systématique et téléologique conduisent le tribunal à retenir qu’une société financière a pour caractéristique essentielle de prêter des fonds à des tiers en vue de réaliser un bénéfice, exerçant ainsi une sorte d’activité parabancaire. Ce résultat, qui n’est pas contredit par l’interprétation littérale, est confirmé par la lecture de la jurisprudence susmentionnée, tant fédérale que genevoise. À noter que la définition proposée dans le projet de l’art. 81 al. 4 LIFD n’ayant pas été acceptée par le parlement, il n’y a pas lieu d’en tenir compte dans la présente interprétation. Il ne peut pas être retenu qu’une société financière soit simplement une société entièrement ou presque exclusivement active dans le domaine financier, ainsi que le soutient la recourante et une partie de la doctrine. Accepter une telle définition aurait pour effet de dévoyer ou du moins de fortement appauvrir, dans certaines situations comme celle du présent cas, le concept même de capital propre dissimulé.

Au vu des éléments qui précèdent, la recourante ne peut être qualifiée de société financière puisqu’elle n’a, à teneur de ses comptes 2023, procédé à aucun prêt. C’est ainsi à juste titre que l’AFC-GE lui a dénié ce statut et a considéré qu’elle ne pouvait se prévaloir de la règle générale des 6/7 du bilan.

25.         Partant, le recours sera rejeté dans la mesure de sa recevabilité.

26.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 2’500.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 23 août 2024 par A______ SA contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 19 juillet 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 2’500.-, lequel est partiellement couvert par l’avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Philippe FONTAINE et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière