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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1215/2025

JTAPI/374/2025 du 08.04.2025 ( LVD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1215/2025 LVD

JTAPI/374/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 8 avril 2025

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Diego DUGERDIL, avocat

 

contre

Madame B______

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 1er février 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de douze jours à l'encontre de Monsieur A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Madame B______, située, ______[GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

2.             Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et indiquant notamment que M. A______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'association VIRES, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 ; LVD - F 1 30), était motivée comme suit :

« Description des dernières violences :

Des coups portés à la tête de la victime, mains ouvertes de haut en bas (31.01.2025)».

3.             Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 1er février 2025 que le 31 janvier 2025, Mme B______ était venue au poste de police des C______ pour déposer plainte à l'encontre de M. A______, son ex-concubin, pour des faits survenus le jour même. Elle avait expliqué que lors d'une dispute le précité l'avait frappée à plusieurs reprises au sommet du crâne avec le plat de ses mains. Depuis qu’ils avaient emménagé ensemble dans leur nouvel appartement, en octobre 2024, de nouvelles tensions avaient engendré de nombreux conflits verbaux, M. A______ la traitant notamment, à plusieurs reprises de « stupide » et « d'escorte ». Les enfants de Mme B______, âgés de 11 et 16 ans, n’avaient pas assisté aux violences.

4.             Il ressort de l’audition des intéressés le 31 janvier 2025 les éléments suivants :

Mme B______ a, en substance, expliqué avoir rencontré M. A______ en avril 2024 au restaurant D______. Ils avaient été en couple pendant trois mois jusqu’au début du mois de juillet 2024. Suite à la fin de son bail, en août 2024, elle avait pensé repartir en Ukraine, ce qu’elle n’avait finalement pas pu faire car sa voiture était tombée en panne. M. A______ lui avait alors proposé de venir habiter chez lui avec ses deux fils, ce qu’elle avait fait en août 2024. Au mois d'octobre 2024, M. A______ lui avait demandé de signer un bail en commun avec lui pour que l'Hospice général paie une partie du loyer, lui précisant que le bail serait à leurs deux noms mais qu'il quitterait les lieux deux mois plus tard pour emménager dans un appartement qui allait se libérer aux C______. Les disputes avaient débuté dès le mois d’août et elles étaient devenues plus fréquentes et intenses au fil des mois. Elles étaient, au début, liées à leurs horaires différents, M. A______ rentrant tard et elle devant se lever tôt pour les enfants. Dans ce cadre, il l’avait traitée « d'escorte » et lui avait dit qu’elle était « stupide », car elle ne parlait pas français. Fin décembre 2024, M. A______ avait été licencié, suite à des vols, et il était devenu plus agressif. Il lui avait pris des affaires et lisait ses messages sur son téléphone. Le 24 janvier 2025, jour de son anniversaire, il lui avait envoyé des messages insistants pour être convié à la fête. Elle lui avait dit qu’elle ne voulait pas qu'il soit présent, mais il avait continué de la harceler de messages. Lorsqu’elle s’était préparée à 16h00 dans l'appartement, il avait déjà commencé à boire et était très alcoolisé. Vers 19h, alors qu’elle et ses enfants allaient partir, une personne, en lien avec la régie selon M. A______, était arrivée dans l’appartement. À 21h00, elle avait reçu un message de M. A______ lui disant qu'il avait changé les serrures de l'appartement et jeter toutes leurs affaires. Lorsqu’ils étaient rentrés à 23h30, elle avait pu ouvrir la porte. Trois personnes très alcoolisées en plus de M. A______ se trouvaient dans la cuisine et ne voulaient pas partir. Elle avait constaté que ses affaires avaient été déplacées et qu'une de ses vestes en fourrure sans manche avait été découpée. Elle avait alors fait appel à la police pour que les personnes quittent l'appartement, ce qu’elles avaient fait avant l’arrivée de la police. Les agents avaient alors pris les clefs de M. A______ lui demandant de dormir en dehors de l'appartement pour la nuit. Pendant plusieurs jours elle avait essayé de trouver un autre logement avec l'aide de sa conseillère de l’Hospice mais n’était pas arrivée à discuter avec M. A______ pour qu'ils résilient le bail. Il lui avait dit qu'il ne pouvait pas payer le loyer tout seul et que si elle partait, elle devrait quand même payer la moitié du loyer. Il avait refusé toutes les propositions qu’elle lui avait faites, ainsi par exemple, qu’une personne emménage à sa place en sous-location. Le 31 janvier 2025, vers 15h30, M. A______ commençant à déplacer ses affaires dans le salon, elle avait déplacé les siennes et celles de ses enfants dans sa chambre. Il les avait alors jetées par terre puis s’était dirigé vers elle et l’avait frappée du plat de la main sur le sommet du crâne à plusieurs reprises. Il semblait hors de lui. Ne pouvant pas s'enfuir, elle s’était protégée avec ses mains et l’avait repoussé avec sa main droite. Après cela, M. A______ était parti et elle avait contacté un avocat qui lui avait conseillé de venir déposer plainte. Suite à cet évènement, elle avait mal au majeur de la main gauche qui avait dû se tordre et des maux de tête. Elle avait eu très peur et avait beaucoup pleuré. Elle allait faire un constat médical aux HUG qu’elle transmettrait. Elle ne voulait plus jamais vivre dans le même appartement que M. A______. La situation impactait sa famille. Son fils ainé était très tendu quand celui-ci était dans l'appartement et son fils cadet s’était renfermé sur lui-même. Elle recherchait activement un autre appartement mais n’avait pas d'argent car elle venait de payer le loyer pour le mois de février. Elle n’avait pas de travail, ce qui compliquait les choses. M. A______ lui avait dit qu’elle devait honorer le contrat jusqu’à son terme en octobre 2025 sinon elle aurait affaire aux poursuites. Elle ne pouvait même pas rentrer en Ukraine, car elle n'aurait pas les moyens de payer la moitié du loyer jusqu'en octobre. Pour ces faits elle souhaitait une mesure d'éloignement et déposer plainte.

M. A______ a expliqué, en substance, avoir été en couple avec Mme B______ d’avril 2024 au 31 décembre 2024. Lorsqu’ils avaient emménagé à l’avenue E______, Mme B______ devait recevoir la moitié de l’argent du loyer de l'Hospice générale, ce que ce dernier avait confirmé. Or elle lui avait indiqué ne pas avoir reçu d'argent. Le paiement du loyer avait donc été une source de discussion. Malgré ses demandes répétées, elle ne lui avait pas versé de loyer avant le 26 janvier 2025. Il y avait également eu des disputes au sujet des voyages qu'elle faisait en laissant ses enfants en Suisse alors qu'elle était censée ne pas avoir d'argent. Lors de ses disputes, il ne se souvenait pas l'avoir insultée, mais des mots avaient pu lui échapper. Elle l’avait quant à elle traité de « préservatif usé ». Le 24 janvier 2025, il avait invité l'ami qui l’avait aidé à obtenir l'appartement lequel était arrivé lorsque Mme B______ partait avec ses enfants fêter son anniversaire. Il lui avait envoyé le message lui disant qu’il allait préparer ses affaires et les mettre dehors, car il avait été énervé après qu’un homme grossier lui ait répondu sur le téléphone de Mme B______. Il avait commencé à préparer des affaires sur son lit mais s’était arrêté lorsque deux amies étaient arrivées. Lorsque Mme B______ était rentrée avec les enfants vers 23h00, elle avait appelé la police. Il avait accepté de laisser son jeu de clé de l'appartement après avoir fermé à clé la porte de sa chambre pour aller dormir chez un ami. Le lendemain, il avait dû faire appel à la police car Mme B______ ne voulait pas le laisser entrer dans l'appartement. Le 27 janvier 2025, ils avaient discuté concernant la reprise de l’appartement à son nom, car il était en recherche pour un autre appartement. Elle lui avait alors annoncé ne pas avoir de garant et ne pas pouvoir reprendre le bail. Il était toujours en recherche d'appartement. Le 31 janvier 2025 au matin, elle était énervée car il avait fermé la porte de sa chambre la veille au soir. Après le diner, il s’était rendu compte que la clé de sa chambre avait disparu. Elle lui avait dit que le loyer étant moitié moitié, elle avait le droit à la moitié de l'appartement. Pour répondre à cela, il avait déplacé des affaires dans le vestiaire qui était dans le salon. Elle s’était énervée et il avait retrouvé des affaires à lui par terre dans la chambre. Il transmettrait la vidéo y relative. Comme Mme B______ prenait certaines de ses affaires, il s’en était emparé et la précitée avait frappé sa main contre le vestiaire en disant qu’il l’avait touchée. Voyant cela, il avait pris l'ensemble des clés des parties communes pour éviter qu'elle ne l'enferme plus tard et était parti. Il admettait lui avoir dit qu’elle était stupide, mais pas de façon agressive et qu’il ne comprenait pas comment elle faisait pour avoir de l'argent pour sortir autant. Il ne l’avait pas frappée à plusieurs reprises sur la tête après l'avoir coincée dans un coin de la pièce. Il ne lui avait pas dit qu’elle devrait payer la moitié du loyer jusqu'à la fin du contrat, soit en octobre 2025, même si elle quittait l'appartement. Il aimerait bien partir avant. Il ne souhaitait plus vivre avec elle et voulait juste résoudre la question de l’appartement : soit elle le gardait si la régie était d’accord et il trouvait un autre logement, soit elle trouvait un autre logement et il gardait l'appartement. Mme B______ avait laissé ses enfants sans surveillance à leur domicile à plusieurs reprises. En cas d’éloignement du domicile, il pourrait demander à des amis de l'héberger, mais cela l'embêtait de les déranger.

5.             M. A______ a fait opposition, sous la plume d’un conseil, à cette décision par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le 7 février 2025, concluant à la levée immédiate de la mesure, en l’absence de tout risque de réitération. Cette mesure entraînait des frais excessifs et disproportionnés dès lors qu’il ne pouvait pas se rendre à son domicile, bien qu'il en soit locataire.

6.             Par courrier non signé daté du 8 février 2025 et réceptionné par le tribunal le 11 février 2025, Mme B______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée à l’encontre de M. A______ pour une durée de 30 jours supplémentaires. Elle avait peur pour son intégrité corporelle si la mesure devait prendre fin, vu le comportement et les agissements du précité.

Selon le timbre postal apposé sur l'enveloppe, cette demande a été déposée à la poste le 8 février 2025.

7.             A l'audience du 10 février 2025 devant le tribunal, M. A______ a indiqué s'opposer à la mesure d'éloignement pour les motifs allégués dans son courrier du 7 février 2025. Il n’avait rien d'autre à ajouter et confirmait ses déclarations à la police le 31 janvier 2025. Il ne souhaitait plus reprendre la cohabitation avec Mme B______ et faisait des recherches en vue de trouver un appartement. Il lui faudrait pour cela pouvoir récupérer son dossier qui se trouvait à son domicile. Par ailleurs, dans la mesure où il payait également le loyer de l'appartement ______[GE] il souhaitait pouvoir continuer d’y loger le temps trouver autre chose. Mme B______ avait participé au paiement du loyer pour la première fois le 25 janvier 2025. Auparavant, il le réglait intégralement. Le 31 janvier 2025, ils avaient effectivement eu une dispute. Il n’avait toutefois pas levé la main sur Mme B______. La dispute avait été uniquement verbale. Il pourrait envisager une cohabitation avec Mme B______ le temps que la situation se dénoue concernant le logement. Quand bien même la clef de sa chambre avait disparu, il pourrait continuer de l’occuper tandis que Mme B______ et ses enfants utiliseraient le salon, comme jusqu’alors. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, il avait pu se loger chez des amis et pourrait continuer de le faire jusqu'à la fin de la mesure. Il avait pris contact avec l'association VIRES en vue d'un entretien qui aurait lieu le 13 février 2025. Son avocat enverrait une copie du courriel de confirmation au tribunal. Il n’avait eu aucun contact avec Mme B______ depuis le prononcé de la mesure. Cette dernière avait contacté son neveu afin de lui raconter ce qu'il s'était passé et qu’il dépose les clefs de la cave dans la boîte aux lettres. Il savait qu'il lui était possible de se rendre à l'appartement pour récupérer des affaires personnelles accompagné de la police.

Mme B______ a confirmé ses déclarations à la police du 31 janvier 2025 et, en particulier, que ce jour-là M. A______ l’avait frappée du plat de la main sur le sommet du crâne à plusieurs reprises. Elle avait peur de rester en cohabitation avec M. A______. Il en allait de même pour ses enfants qui étaient « agacés » et très stressés. Elle a versé à la procédure une attestation du 6 février 2023 de son psychiatre ainsi qu'une demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours supplémentaires, précisant l’avoir adressée au tribunal par courrier vendredi. Elle avait peur pour son intégrité corporelle si la mesure prenait fin. Elle avait préparé des dossiers pour la régie qu’elle souhaitait déposer à l'issue de l’audience. Idéalement, elle souhaiterait pouvoir reprendre le bail de l'appartement et que le contrat de bail soit à son seul nom. Si cela n'était pas possible, elle souhaiterait que la régie puisse l'aider en vue de trouver un nouvel appartement. Elle souhaiterait pouvoir rester dans le quartier car ses fils y étaient scolarisés. L'Hospice général l'aidait financièrement mais pas pour les démarches administratives. Elle entendait également déposer un dossier à la Ville afin d'obtenir un logement subventionné. M. A______ n'avait pas cherché à la joindre depuis qu'il était éloigné. Elle n’avait pas de famille à Genève qui pourrait l'héberger. Ses amis à Genève étaient des réfugiés qui ne pouvaient pas la loger avec ses enfants. Elle n’exerçait pas d'activité professionnelle. Son fils avait contacté M. A______ afin d'obtenir les clefs de la cave car beaucoup de leurs affaires s’y trouvaient. Ce dernier avait refusé, parlant à son fils avec beaucoup d’agressivité. Elle pourrait verser un enregistrement de la conversation si besoin. Elle comprenait que la prolongation de la mesure d'éloignement ne pourrait pas régler le problème du logement. Elle avait toutefois besoin d'une période supplémentaire de 30 jours pour se retourner car il lui était impossible d'envisager de cohabiter à nouveau avec M. A______. Cas échéant, elle irait au centre des réfugiés à Palexpo ou retournerait en Ukraine. Dans tous les cas, elle quitterait l'appartement si M. A______ y habitait. Cette situation représenterait une violence morale.

Concernant de la demande de prolongation de la mesure d'éloignement, M. A______ a indiqué ne pas être d’accord pour les mêmes motifs que ceux invoqués en lien avec son opposition. Il était disposé à remettre les clefs de la cave à Mme B______, par le biais de son avocat. La mesure d'éloignement lui causait des frais importants, notamment en lien avec ses trajets.

Le conseil de M. A______ a plaidé et conclu à la levée de la mesure d'éloignement et au rejet de la demande de prolongation de cette dernière. L'éloignement consistait ici en une pure mesure de confort et la détresse de Mme B______ était simulée.

Mme B______ a conclu au maintien de la mesure d'éloignement et à sa prolongation pour une durée de 30 jours.

Le représentant du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de la mesure d'éloignement. Il s'en est rapporté à justice s’agissant de sa prolongation.

8.             Il ressort de l’attestation médicale du 6 février 2025 versée à la procédure par Mme B______ que celle-ci présentait un trouble de stress post-traumatique ainsi qu’un trouble anxiodépressif mixte. Sa situation clinique s’était fortement aggravée par des épisodes répétés de violence psychique et verbale dans le cadre d’un conflit conjugal persistant avec son compagnon actuel, avec lequel elle vivait sous le même toit. Ces agressions avaient entraîné un traumatisme psychologique majeur provoquant une détérioration significative de son état de santé général.

9.             Par jugement du ______ 2025 (JTAPI/1______), le tribunal a rejeté l'opposition formée par M. A______ et confirmé la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 1er février 2025.

10.         Par courriel du même jour, à 14h52, il a informé les parties qu’il statuerait, par jugement séparé, sur la demande de la prolongation de la mesure d’éloignement formée par Mme B______, dès réception du courrier la formulant que l’intéressée indiquait avoir adressé au tribunal le vendredi 7 février 2025. Cas échéant, la demande de prolongation serait en effet recevable, ce qui n’était pas le cas de la demande formulée ce jour en audience, tardive en application de l’art. 11 al. 2 LVD.

11.         Par courriel du 10 février 2025, à 17h32, le conseil de M. A______ a transmis au tribunal copie de la confirmation d’entretien de son client auprès de VIRES.

12.         Par courriel du 11 février 2025, le tribunal a informé les parties de la bonne réception du courrier du 8 février 2025 de Mme B______.

13.         Par jugement du ______ 2025 (JTAPI/2______), le tribunal a prolongé la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 14 mars 2025 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants.

Les faits dont Mme B______ se plaignait d'avoir été victime correspondaient à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. Il était pour le surplus indéniable que les intéressés connaissaient des difficultés et que la situation était complexe et tendue entre eux. Leurs déclarations étaient pour l’essentiel contradictoires mais le tribunal avait pu se rendre compte, lors de l’audience du 10 février 2025, que la situation n’était guère apaisée entre eux. Or, à ce stade, la question n'était pas de savoir lequel des intéressés était plus responsable que l'autre de la situation, ce qui était bien souvent impossible à établir. L'essentiel était de séparer les intéressés en étant au moins à peu près certain que celui qui était éloigné du domicile était lui aussi l'auteur de violences, lesquelles pouvaient également être psychologiques. Il était au surplus tenu compte de la situation de plus grande vulnérabilité de Mme B______, mère de deux enfants âgés de onze et seize ans, sans ressources financières propres, ne parlant pas le français et qui semblait disposer de peu de soutien à Genève. Lors de l’audience du 10 février 2025, Mme B______ semblait d’ailleurs encore très affectée par la situation, ce que venait confirmer l’attestation médicale du 6 février 2025 versée à la procédure. Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements et leur volonté commune de ne plus avoir à cohabiter et les démarches envisagées à cette fin, la perspective qu'ils se retrouvent dès le 12 février 2025 sous le même toit apparaissait inopportune, le risque de réitération de violences, notamment psychologiques, dans un tel contexte, ne pouvant être exclu. M. A______ pourrait venir chercher dans l'appartement des effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.

14.         Par arrêt du 1er avril 2025 (ATA/363/2025), la chambre administrative de la Cour de justice a rejeté le recours interjeté le 17 février 2025 par M. A______.

Même si les déclarations des intéressés étaient pour l’essentiel contradictoires, il en ressortait que la situation entre eux était conflictuelle et tendue à la date du jugement querellé. En tenant compte également du caractère récent des événements, le TAPI était fondé à retenir un risque de réitération de violences, notamment psychologiques et, partant, à prolonger la mesure afin qu'ils ne se retrouvent pas sous le même toit le 12 févier 2025 déjà, soit le lendemain de la date du jugement. Tenir compte de la situation de plus grande vulnérabilité de Mme B______, n’était pas critiquable et quant à la proportionnalité de la mesure, on devait retenir qu'aucune autre mesure administrative n'entrait en ligne de compte pour parvenir au même résultat.

Cela étant, dans ses écritures du 28 février 2025, le recourant avait fait valoir un fait nouveau, dont le TAPI n'avait pas connaissance, à savoir que l'appartement dans lequel il lui était fait interdiction de pénétrer avait été vacant à partir du 14 février 2025, et ce pendant deux semaines en raison des vacances de l'intimée et de ses fils en Ukraine. À cet égard, cette dernière avait admis qu'elle connaître cette future absence lorsqu'elle avait requis la prolongation de la mesure et lors de son audition devant le TAPI alors qu'elle avait notamment fait valoir devant cette juridiction qu'elle avait besoin de temps pour s'organiser au niveau du logement et qu'elle ne pouvait retourner en Ukraine faute de moyens financiers. Si le TAPI avait eu connaissance de ce fait, il n'aurait probablement pas prononcé une mesure d'éloignement et d’interdiction de contact durant l'absence de l'intimée dans l'appartement en raison du défaut de risque de réitération durant cette période mais aurait décidé d'une mesure moins restrictive pour le recourant. L’agissement de Mme B______ était non seulement contraire à la bonne foi mais avait eu pour conséquence de détourner le but poursuivi par la LVD. Dans la mesure où la chambre administrative ne devait se pencher que sur la situation qui prévalait au moment où le TAPI avait rendu son jugement, il convenait toutefois de confirmer le jugement querellé et, partant, de rejeter le recours.

15.         Par décision du 4 avril 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de 24 jours à l'encontre de M. A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de Mme B______, située ______ [GE], et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

16.         Cette décision, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l'art. 292 CP et indiquant notamment que M. A______ devait, dans un délai de trois jours ouvrables, prendre contact avec l'association VIRES, dont les coordonnées étaient mentionnées, afin de convenir d'un entretien socio-thérapeutique et juridique (cf. art. 10 LVD), était motivée comme suit :

« Description des dernières violences :

Selon la plainte de Mme B______, M. A______ lui aurait fait subir des pressions psychologiques depuis la fin de la dernière mesure d'éloignement en cachant la clé de sa chambre pour l'empêcher d'y accéder, en la filmant régulièrement pour la nuir, en montrant une photo d'elle en petite tenue à des inconnus en boite de nuit, en la suivant quand elle sort. De plus, il est reproché à M. A______ d'avoir injurié Mme B______.

Descriptions des violences précédentes

Il est reproché à M. A______ d'avoir porté de multiples coups à la tête de Mme B______ et de l'avoir injuriée à plusieurs reprises ».

17.         M. A______ a fait immédiatement opposition à cette décision devant le commissaire de police.

18.         Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 4 avril 2025 que le jour en question Mme B______ s’était présentée au poste de police de ______ afin de déposer plainte à l'encontre de M. A______. En substance, il ressortait de l’audition de la précitée que M. A______ était revenu vivre à l’appartement à la fin de la mesure d’éloignement et qu’il lui faisait subir des pressions psychologiques, lui cachant les clefs de sa chambre, la filmant régulièrement, montrant des photos d’elle en petite tenue à des inconnus en boite de nuit, en la suivant lorsqu’elle sortait et en l’insultant. Elle avait très peur de lui et souhaitait qu’une nouvelle mesure d’éloignement soit prononcée à son encontre, au moins jusqu’à l’audience du 30 avril 2025 devant le Ministère public en lien avec les violences conjugales du 31 janvier 2025. M. A______ avait quant à lui nié les faits. Il filmait Mme B______ uniquement lorsqu’elle essayait de lui nuire, afin d’avoir des preuves. M. A______ leur avait remis deux vidéos sur une clef USB ainsi qu’un échange d’Email avec la régie C______. A l’issue de leur audition, les intéressés avaient chacun déposé plainte contre l’autre.

Renseignements pris par le tribunal auprès du commissaire de police, la clef USB précitée a été versée à la procédure pénale.

4. Il ressort pour le surplus de l’audition des intéressés le 4 avril 2025 les éléments suivants :

Mme B______ a, en substance, expliqué avoir pris contact avec la Régie afin de modifier le contrat de bail à son nom. Elle avait trouvé un garant. La Régie avait envoyé trois lettres à M. A______ afin qu’il signe les documents de sortie du logement. Ce dernier lui avait dit qu’il signerait les papiers et quitterait l’appartement mais sans succès. Depuis qu’il était revenu à l’appartement, il n’avait pas respecté leur arrangement quant à l’utilisation de l’appartement. Le 16 mars 2024, il avait insulté ses enfants qui lui avait fait une remarque à ce sujet. Le 1er avril 2025, lorsqu’elle lui avait demandé, par sms, quand il comptait partir de l’appartement, il lui avait répondu avec un Smiley. Le 2 avril 2025, il avait eu un différend après qu’elle se soit enfermée dans sa chambre pour se changer, étant précisé qu’il fallait passer par sa chambre pour aller à la salle-de-bain. Le 28 mars 2025, elle s’était rendue dans une boite de nuit avec des copines. Il était sur place et avait montré à des personnes autour de lui une photo d’elle en petite tenue, leur disant que c’était une escorte. Il s’était procuré cette photo en lui volant tous ses appareils électroniques, ce pourquoi elle avait porté plainte. Quand elle sortait, il sortait. Elle avait peur qu’il la suive, ce qu’il avait fait à une reprise. Par le biais d’amis communs, ils avaient négocié le départ de M. A______ de l’appartement si elle retirait sa plainte. Ils étaient d’accord puis il avait refusé. Le 3 avril 2025, les pneus de son véhicule avaient été « percés » avec des clous et elle soupçonnait M. A______. Il lui avait finalement dit qu’il quitterait l’appartement après l’audience du 30 avril 2025 si elle retirait sa plainte. Elle ne lui faisait toutefois plus confiance. Elle souhaitait son éloignement. Elle avait très peur de lui et pensait qu’il avait des problèmes psychologiques. Il rentrait toutes les nuits à 4h du matin, ivre. Il l’insultait en permanence et menaçait de vendre ses habits qui coûtaient chers. Elle n’avait pas demandé une seconde prolongation de la mesure d’éloignement car elle pensait qu’ils avaient trouvé un arrangement et qu’il quitterait l’appartement.

M. A______ a, pour sa part, expliqué que leur relation s’était dégradée après qu’il ait mis Mme B______ sur le bail de l’appartement. Elle partait parfois plusieurs jours de l’appartement en le laissant seul avec les enfants. A la fin de la mesure d’éloignement il était retourné à l’appartement et avait constaté que Mme B______ était énervée. Le 15 mars 2025, elle avait appelé la police en déclarant qu’il n’avait pas le droit de rester là. S’agissant de l’incident de la boîte de nuit, il y était avant elle et c’était elle qui lui faisait chaque fois des histoires. Elle avait d’ailleurs été black-listée par la gérante. Il contestait avoir montré une photo d’elle en lingerie en disant que c’était une escorte. Il transmettait deux vidéos concernant l’incident relatif à sa chambre et la clef de celle-ci. Il ne l’avait pas injuriée ni suivie et n’avait pas crevé les pneus de sa voiture. C’était plutôt le contraire. Il avait fait le nécessaire pour sortir du bail, se rendant à la Régie avec Mme B______. Le 4 avril 2025, il avait reçu un mail de la régie lui disant qu’il pouvait venir signer un avenant au bail le libérant. Il hésitait cependant à le signer car il n’avait pas d’endroit où dormir et mettre ses meubles. Il était prêt à partir dès qu’il aurait trouvé un appartement mais pas lundi. Il avait fait le nécessaire pour partir durant la mesure d’éloignement mais cela avait bloqué au niveau de Mme B______. Il était fatigué psychologiquement par cette situation. Mme B______ faisait tout pour lui nuire, notamment auprès de potentiels employeurs, preuve en était qu’elle avait demandé la prolongation de son éloignement alors qu’elle partait deux semaines en Ukraine. Il entendait déposer plainte contre elle pour contrainte, dénonciation calomnieuse et tentative de lésions corporelles graves.

19.         A l'audience du 8 avril 2025 devant le tribunal, M. A______ a confirmé son opposition à la mesure d'éloignement du 4 avril 2025. Il a confirmé également ses déclarations à la police dans lesquelles il contestait les faits qui lui étaient reprochés par Mme B______ et expliquait l’association. Il avait pris contact avec l'association VIRES hier mais n'avait pas encore eu de rendez-vous car ils étaient très occupés.

Aujourd'hui, sa volonté était toujours de quitter au plus vite l'appartement. Il continuait à faire des recherches dans ce sens. En mars, il avait eu deux possibilités de signer un contrat de colocation mais celles-ci étaient tombées à l'eau dès lors que Mme B______ n'avait pas terminé les démarches pour qu'il puisse sortir du bail de l'appartement avenue E______. Il s'engageait à signer l'avenant au bail le libérant de ce dernier et à quitter l'appartement précité d'ici la fin du mois d'avril. Il ne souhaitait pas partir plus tôt car il avait payé la moitié du loyer. Il n'avait par ailleurs pas d'endroit où dormir. Si Mme B______ lui remboursait sa part de loyer, il serait toutefois prêt à partir plus tôt. Depuis qu'il était revenu à l'appartement, il faisait tout pour éviter les contacts avec Mme B______. Il s'y rendait essentiellement pour dormir. Il était en discussion en vue de louer une chambre le plus vite possible. Une visite était prévue demain. Quand il était à l'appartement, il fermait la porte de sa chambre. Il ne pouvait malheureusement plus la fermer à clé car la clé avait disparu depuis janvier 2025. L'entrée de l'appartement donnait sur le salon. Il n'y avait pas de porte les séparant. L'accès à la salle de bain se faisait depuis le salon.

S'agissant de sa situation personnelle, il était au chômage depuis un mois. Il pourrait potentiellement recommencer à travailler le 1er mai. En raison de la situation conflictuelle avec Mme B______, il avait manqué plusieurs entretiens d'embauche. Du 12 février au 2 mars, il était à Genève et logeait chez des amis.

Il acceptait la proposition de Mme B______ de lui rembourser sa part de loyer pour la période durant laquelle il n'occuperait pas l'appartement. Son avocate pourrait agir comme intermédiaire. Il était disposé à trouver une solution afin de ne pas réintégrer l'appartement jusqu'à vendredi (11 avril 2025) afin d'éviter tout risque de conflit avec Mme B______.

Mme B______ a indiqué qu'elle avait fait toutes les démarches utiles afin que M. A______ puisse quitter rapidement l'appartement. Elle avait eu quelques difficultés à trouver un garant mais désormais tout était en ordre et M. A______ pouvait signer l'avenant au bail. Ils avaient d'ailleurs trouvé un accord : M. A______ signait l'avenant, quittait l'appartement et elle retirait sa plainte pénale contre lui. Finalement, le 4 avril 2025, M. A______ avait cependant refusé de signer l'avenant au bail. S’il quittait rapidement l'appartement, elle était disposée à lui rembourser une partie du loyer, au pro rata des jours qu'il ne passerait pas dans l'appartement. Elle avait d'ailleurs eu cette discussion avec la régie.

Sur question du tribunal, elle pensait l'avoir informé lors de l'audience du 10 février 2025 qu'elle avait l'intention de se rendre en Ukraine, pour deux semaines, dès le 14 février 2025. Elle ignorait pour quelle raison cela n'était pas protocolé. Elle avait demandé la prolongation pour une durée de trente jours de la mesure d'éloignement alors même qu'elle savait qu'elle ne serait pas dans l'appartement, durant une période à tout le moins de deux semaines, car elle ne savait pas exactement à quelle date elle partirait en Ukraine. Elle devait d'abord aller à F______ (IT) récupérer le passeport de son fils puis se rendre en Belgique où il avait une compétition. De fait, ils étaient partis le 12 février de Genève pour y revenir le 2 mars. Suite à leur départ, son fils avait écrit à M. A______ pour lui dire où étaient les clés de l'appartement afin qu'il puisse venir y récupérer des affaires. A sa connaissance, M. A______ était à Dubaï durant cette période.

Elle avait l'avenant au bail sur elle. Elle était prête à signer un engagement de remboursement à M. A______, au pro rata, du loyer qu’il avait payé. Une fois l'avenant au bail signé, la régie pourrait immédiatement faire un nouveau contrat de bail à son nom et sa part de loyer payé pourrait être remboursée à M. A______ par la régie ou l'Hospice général. Elle souhaitait disposer d'un délai à vendredi (11 avril) pour rembourser M. A______. Si l'Hospice général ne pouvait pas rembourser si rapidement, elle emprunterait de l'argent à ses amis pour le rembourser dans le délai.

Elle a conclu au maintien de la mesure d'éloignement. Si la mesure n’était pas confirmée par le tribunal, elle maintenait son engagement à rembourser à M. A______ une partie, au pro rata, du loyer qu'il avait payé. Non seulement elle était victime de pressions psychologiques de la part de M. A______ mais ce dernier volait également ses affaires personnelles. Elle avait d'ailleurs déposé plainte pénale pour cela et renvoyait à ses déclarations à la police à ce sujet.

La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de la mesure d'éloignement.

Le conseil de M. A______ a conclu à la levée de la mesure de l’éloignement. Cas échéant, Mme B______ devrait lui rembourser CHF 1'240.-, moins les 4 jours durant lesquels il avait vécu dans l'appartement. Si toutefois le tribunal devait confirmer tout ou partie de la mesure, son client était d’accord que le tribunal fixe le montant que Mme B______ devait lui rembourser afin qu’il puisse quitter immédiatement l’appartement. Elle renvoyait pour le surplus à l'arrêt de la chambre administrative du 1er avril 2025 qui mettait en évidence la violation du principe de la bonne foi par Mme B______ et l'atteinte à la liberté personnelle de son client par son omission d'indiquer au tribunal qu'elle n'occuperait pas l'appartement durant deux semaines dès le 14 février 2025 (en réalité le 12 février 2025).

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des oppositions aux mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 1 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer dans les quatre jours suivant réception de l'opposition, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, l'opposition est recevable au sens de l'art. 11 al. 1 LVD.

3.             La victime présumée doit se voir reconnaître la qualité de partie, dès lors qu'en tant que personne directement touchée par la mesure d'éloignement (art. 11 al. 2 LVD et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101), elle répond à la définition de partie au sens de l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

4.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

5.             En l'espèce, même si les déclarations des intéressés sont à nouveau pour l’essentiel contradictoires, il ressort néanmoins clairement de ces dernières, que la situation entre eux n’est toujours pas réglée. A nouveau, il doit être constaté que les faits tels que décrits par les deux intéressés correspondent à la notion de violence domestique, à tout le moins psychologique, au sens défini plus haut. Dans ces circonstances, la question n'est pas de savoir lequel des deux est plus responsable que l'autre de la situation, ce qui est bien souvent impossible à établir. L'essentiel est de les séparer en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile est lui aussi l'auteur de violences, lesquelles peuvent notamment être physiques, psychiques et/ou économiques. Il sera à nouveau tenu compte de la situation de plus grande vulnérabilité de Mme B______, mère de deux enfants âgés de onze et seize ans, sans ressources financières propres, ne parlant pas le français et qui semble disposer de peu de soutien à Genève.

Cela étant, lors de l’audience de ce jour, les deux parties ont confirmé qu’elles n’entendaient plus cohabiter à l’avenir et souhaitaient régler au plus vite la situation en lien avec l’appartement dont elles partageaient le bail.

M. A______ a conclu à la levée de la mesure, tout en s’engageant à signer l'avenant au bail le libérant de ce dernier et à quitter l'appartement précité d'ici la fin du mois d'avril 2025 au plus tard. Il serait même d’accord de partir plus tôt si Mme B______ lui remboursait une partie du loyer qu’il avait payé pour le moins d’avril. Son conseil pourrait agir comme intermédiaire. Il était de plus disposé à trouver une solution pour ne pas avoir à réintégrer l'appartement jusqu'au vendredi 11 avril 2025, afin d'éviter tout risque de conflit avec Mme B______. S'agissant de sa situation personnelle, il était au chômage depuis un mois. Des démarches étaient en cours en vue de débuter une activité professionnelle le 1er mai et la location d’une chambre. Du 12 février au 2 mars 2025, soit lorsque Mme B______ était partie en Ukraine, il était à Genève et avait logé chez des amis. Si le tribunal venait à lever la mesure, il invitait Mme B______ à lui rembourser CHF 1'240.-, moins les 4 jours durant lesquels il avait vécu dans l'appartement. Dans le cas contraire, il était d’accord que le tribunal, selon qu’il confirme tout ou partie de la mesure d’éloignement, fixe le montant que Mme B______ devait lui rembourser afin qu’il puisse quitter immédiatement l’appartement. Il rappelait l’atteinte subie du fait qu’il n’avait pas pu occuper l’appartement entre le 12 février et le 2 mars 2024, alors même que Mme B______ était à l’étranger et qu’il n’y avait ainsi aucun risque de commission de violences.

. Mme B______ a conclu au maintien de la mesure d'éloignement. Elle avait non seulement été victime de pressions psychologiques de la part de M. A______ mais ce dernier lui avait également volé des affaires, ce pourquoi elle avait déposé plainte pénale. Si M. A______ quittait rapidement l'appartement, elle était disposée à lui rembourser une partie du loyer correspondant aux jours qu'il ne passerait pas dans ce dernier. Elle avait l'avenant au bail sur elle et était prête à signer un engagement de remboursement en faveur de M. A______. Elle souhaitait disposer d'un délai au vendredi 11 avril 2025 pour régler la situation auprès de la Régie, de l’Hospice général et rembourser M. A______. Si l'Hospice général ne pouvait pas le rembourser si rapidement, elle emprunterait de l'argent à ses amis pour le rembourser dans le délai. Elle avait effectivement été absente de Genève du 12 février au 2 mars 2025 et pensait avoir informé le tribunal, lors de l’audience du 10 février 2025, de cette absence programmée.

Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent et récurent des événements, de la situation visiblement conflictuelle et complexe dans laquelle les deux intéressés se trouvent, de la volonté clairement exprimée par ces derniers de ne plus poursuivre leur cohabitation, de leur engagement à trouver un accord rapidement afin que, d’ici au vendredi 11 avril 2025, M. A______ puisse définitivement quitter l’appartement tout en se voyant rembourser une partie du loyer du mois d’avril 2025, qu’il a payé pour ce dernier et de l’engagement de M. A______ à, cas échéant, ne plus y retourner avant cette date, la perspective qu'ils se retrouvent immédiatement sous le même toit apparaît inopportune, quand bien même il est évident qu'une mesure d'éloignement administrative ne permettra pas, à elle seule, de régler la situation.

Par conséquent, étant rappelé, comme précisé plus haut, que les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante des violences et de leur auteur, le tribunal confirmera, en l'espèce, la mesure d'éloignement prononcée à l'égard de M. A______ mais pour la durée la plus courte de 10 jours que la loi permet, soit jusqu’au lundi 14 avril 2025, 17h. Durant ce laps de temps, il appartiendra aux intéressés, ainsi qu’ils s’y sont engagés devant le tribunal lors de l’audience de ce jour, pour M. A______, de signer l’avenant au bail d’ici au vendredi 11 avril 2025 et de ne plus s’approcher ou pénétrer à l’adresse privée de Mme B______, située ______ [GE] et de ne plus contacter ou s’approcher de cette dernière et, pour Mme B______, de rembourser à M. A______, d’ici au vendredi 11 avril 2025 également, une partie du loyer du mois d’avril 2025 qu’il a payé pour l’appartement, laquelle peut équitablement être fixée à CHF 620.- (montant qui tient compte des jours qu’il a passé dans l’appartement et de la mesure d’éloignement confirmée par le tribunal pour dix jours). Le tribunal laisse pour le surplus le soin aux parties, au besoin par l’intermédiaire du conseil de M. A______, de tiers et/ou de la police, de s’organiser pour que ce dernier puisse venir récupérer ses affaires dans l’appartement.

6.             Au vu de ce qui précède, l'opposition sera partiellement admise, en ce sens que la mesure d'éloignement sera confirmée dans son principe mais réduite à la durée la plus courte que la loi permet qui est de dix jours, soit jusqu'au lundi 14 avril 2025 à 17h00.

7.             Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

8.             Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 11 al. 1 LVD ; rapport rendu le 1er juin 2010 par la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 17).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 4 avril 2025 par Monsieur A______ contre la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 4 avril 2025 pour une durée de 24 jours ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             confirme la mesure dans son principe mais réduit sa durée au lundi 14 avril 2025 à 17h00 ;

4.             donne acte aux parties de leurs engagements, dans le sens des considérants ;

5.             dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

7.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière