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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2483/2024

JTAPI/332/2025 du 31.03.2025 ( ICCIFD ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : INTÉRÊT ACTUEL;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION
Normes : LPA.60
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2483/2024 ICCIFD

JTAPI/332/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 31 mars 2025

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Thierry ULMANN, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Par bordereaux du 12 décembre 2022, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a taxé A______ SA (ci-après : la contribuable ou la recourante) pour l’année fiscale 2021, arrêtant son bénéfice et son capital imposables à, respectivement, CHF 196'904.- et CHF 2'544'429.-. Ce faisant, elle a admis la perte de l’exercice 2021 de CHF 774'774.- comptabilisée, mais a rajouté au résultat une somme de CHF 1'075'000.-, à titre de « perte de change non admis sur vente participation 2013 ».

2.             Dans sa réclamation du 16 janvier 2023, la contribuable, sous la plume de son mandataire, a exposé ne pas comprendre les raisons de la reprise en bénéfice de CHF 1'075'000.-, sollicitant de l'AFC-GE plus d’explications à ce sujet.

3.             Par décisions sur réclamation du 13 juin 2024, l'AFC-GE a rectifié les bordereaux contestés en faveur de la contribuable, en ce sens que le bénéfice imposable était finalement fixé à CHF 0.- et que, en conséquence, aucun impôt y relatif n’était dû. La reprise de CHF 1'075'000.- était ramenée à CHF 778'911.- et les pertes des sept exercices précédents (2014 à 2020), totalisant CHF 190'737.-, étaient prises en compte. Ainsi, il subsistait une perte à reporter de CHF 99'185.-.

4.             Par acte du 22 juillet 2024, sous la plume de son conseil, la contribuable a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à leur annulation, en ce sens que le montant de CHF 778'911.- était admis en déduction à titre de « perte issue d'une erreur comptable corrigée pour la période fiscale 2021 », sous suite de frais et dépens.

Les décisions contestées ne tenaient pas compte du « correctif comptable » du faux taux de change que son comptable avait appliqué en établissant ses comptes commerciaux 2013 et qui entraînait la perte de CHF 774'774.- comptabilisée pour la période fiscale 2021. C’était en 2023 que son conseil s’en était rendu compte.

Cette correction apportée dans sa comptabilité 2021 visait simplement à ce que celle-ci reflète « la réalité économique » et à ne pas présenter à l'AFC-GE une « fausse comptabilité ». L’erreur commise en 2013 par son comptable rendait sa comptabilité inexacte. Il convenait dès lors de la « rétablir ».

5.             Dans sa réponse du 24 octobre 2024, l'AFC-GE a conclu, principalement, à l’irrecevabilité du recours, faute d’intérêt actuel. Subsidiairement, elle a conclu au rejet du recours au fond, la perte de change en question ayant dû être comptabilisée en 2013, conformément au principe de la périodicité.

6.             Dans sa réplique du 18 novembre 2024, sous la plume de son conseil, la recourante a fait valoir que la correction comptable litigieuse avait été effectuée en vue de sa liquidation. Il lui serait en effet « compliqué » de distribuer un bénéfice de liquidation calculé sur des bases « fantaisistes » et non sur la réalité économique, « soit le stock de liquidités » qui lui restait effectivement à disposition. Elle ne demandait qu'une seule chose, soit la confirmation par l'AFC-GE du caractère erroné « de certaines valeurs portées en compte, et leur admission, afin de disposer de comptes justes en vue de procéder à une liquidation ordonnée ».

7.             Par duplique du 13 décembre 2024, l'AFC-GE a persisté dans ses conclusions.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous cet angle (art. 49 LPFisc et 140 LIFD).

3.             Aux termes de l’art. 60 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10 ; cum art. 2 al. 2 LPFisc), ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et qui ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

4.             Cette notion de l’intérêt digne de protection correspond aux critères exposés à l’art. 89 al. 1 let. c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), que les cantons sont tenus de respecter en application de la règle d’unité de la procédure figurant à l’art. 111 al. 1 LTF (ATF 150 II 123 consid. 4.1 ; 144 I 43 consid. 2.1).

Selon la jurisprudence, un intérêt digne de protection à ce que la décision querellée soit annulée ou modifiée, respectivement à faire examiner les griefs soulevés, suppose notamment que ledit intérêt soit actuel et pratique. L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_502/2024 du 15 octobre 2024 consid. 5.1). Si l’intérêt actuel n’existe pas lors du dépôt du recours, celui-ci est déclaré irrecevable. S’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement rayé du rôle (arrêt du Tribunal fédéral 2C_13/2024 du 18 juin 2024 consid. 1.2 ; ATA/1504/2024 du 30 décembre 2024 consid. 2.2).

Ainsi, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui éviter de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 148 I 160 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_353/2024 du 8 août 2024 consid. 3 ; ATA/86/2025 du 21 janvier 2025 consid. 1.2.1). Le juge ne se prononce donc que sur des recours dont l’admission élimine véritablement un préjudice concret, soit sur des questions concrètes et non pas théoriques. Partant, l’existence d’un intérêt de pur fait ou la simple perspective d’un intérêt juridique futur ne suffit pas. Une partie qui n’est pas concrètement lésée par la décision ne possède donc pas la qualité pour recourir et son recours est irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 7B_598/2024 du 5 novembre 2024 consid. 10.2 et les références citées).

Cet intérêt doit encore être direct. Selon la jurisprudence, un intérêt seulement indirect à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée n’est pas suffisant (ATF 138 V 292 consid. 4). Le recourant doit dès lors démontrer que sa situation factuelle ou juridique peut être avantageusement influencée par l’issue du recours. Tel n’est pas le cas de celui qui n’est atteint que de manière indirecte, médiate, ou encore « par ricochet ». Un intérêt seulement indirect à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée n’est pas suffisant (ATA/494/2024 du 16 avril 2024 consid. 2.3 et les références citées).

5.             En matière fiscale, la question de l’intérêt digne de protection, de fait ou de droit, actuel et pratique présente une dimension spécifique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2022 du 14 mars 2023 consid. 2.3.1).

Elle s’est avant tout posée dans le contexte des taxations dites « taxation zéro ». Ainsi, lorsqu’un contribuable reçoit une taxation sur un revenu nul et qu’il n’a en conséquence pas d’impôt à payer, le montant des pertes qui ont conduit à la taxation sur un revenu nul constitue uniquement un motif de la décision de taxation, de sorte que ce montant ne bénéficie pas de la force de chose jugée matérielle. Dès lors, dans la mesure où un contribuable souhaite que le montant de la perte à reporter sur la période fiscale suivante soit arrêté, un intérêt actuel digne de protection lui fait défaut (ATF 140 I 114 consid. 2.4; arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2022 du 14 mars 2023 consid. 2.3.2.1). Il peut cependant en aller autrement lorsque la taxation zéro - malgré l’absence d’un impôt à payer durant la période fiscale litigieuse - peut déployer des effets juridiques immédiats, dont la clarification ne souffre d’être différée (ATF 150 II 409 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2022 du 14 mars 2023 consid. 2.3.2.2).

À l’exception de ce cas particulier, il n’existe en droit fiscal un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification d’une décision de taxation que lorsque le contribuable demande une diminution des facteurs déterminants ou une charge fiscale globalement plus basse pour la période fiscale litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 9C_186/2024 du 18 juin 2024 consid. 6.2.2).

6.             En l’espèce, la recourante ne doit aucun impôt sur le bénéfice pour l’année fiscale 2021. En outre, si sa conclusion tendant à l’admission de la perte de change litigieuse était admise, cela n’impacterait que le montant des pertes reportées, en ce sens que celui-ci augmenterait par rapport à celui arrêté par l'AFC-GE (CHF 99'185.-). Or, comme rappelé plus haut, le montant des pertes à reporter sur l’exercice suivant ne bénéficie pas de la force de chose jugée matérielle, de sorte que sa modification vers le haut ne représente pas un intérêt actuel digne de protection.

Pour le surplus, l’on ne perçoit pas quel effet juridique immédiat pourrait avoir la non prise en compte en 2021 de la perte de change qu’elle allègue avoir subie en 2013. En particulier, l’on ne voit pas en quoi la reprise opérée fiscalement par l’autorité intimée entraînerait l’irrégularité de ses comptes 2021 et, par conséquent, l’empêcherait de procéder à sa liquidation, puisque, en tout état, c’est précisément elle qui connait mieux que quiconque sa « réalité économique ». En d’autres termes, le fait que l'AFC-GE se soit écartée de ses comptes 2021, du point de vue fiscal uniquement, n’implique pas nécessairement une modification de ces derniers vis-à-vis des tiers ni, donc, de sa valeur comptable pour l’exercice 2021 qu’elle a elle-même établie (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 consid. 7.2, non publié in ATF 147 II 155), étant au demeurant rappelé que celle-ci tient effectivement compte (parmi les charges) du « correctif » pour perte de change de 2013 (CHF 778'911.-).

7.             Au vu de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable, faute d’intérêt actuel.

8.             En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

9.             Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 22 juillet 2024 par A______ SA contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 13 juin 2024 ;

2.             met à la charge de A______ SA un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

3.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Giedre LIDEIKYTE HUBER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière