Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/290/2025 du 20.03.2025 ( LVD ) , ADMIS
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 20 mars 2025
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dans la cause
Madame A______, représentée par Me Camille LOPRENO, avocate, avec élection de domicile
contre
Monsieur B______
1. Par décision du 10 mars 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de douze jours, soit jusqu'au 21 mars 2025, à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de contacter Madame A______ et de s'approcher et de pénétrer à son adresse privée, sise chemin de C______ 1______, D______.
2. Selon cette décision, M. B______ était présumé avoir, le 9 mars 2025, lors d'une dispute à la rue E______ 2______, F______, empoigné Mme A______, à la rue G______ 3______, endommagé le sac à main, ainsi que les lunettes de Mme A______, asséné un coup de poing sur l'épaule gauche de cette dernière, l'avoir injuriée et l'avoir pointée avec un couteau, la blessant ce faisant légèrement à la main [gauche].
S'agissant des violences précédentes, il était indiqué, qu'entre le 11 février 2023 et le 9 mars 2025, M. B______ avait injurié Mme A______ à plusieurs reprises, qu'il l'avait menacée de mort et lui avait cassé l'auriculaire de la main droite.
3. Lors de son audition par la police le 9 mars 2025, Mme A______ a déclaré, en substance, connaître son époux, M. B______, depuis 2017 et s'être mise en couple avec ce dernier à cette période. Ils vivaient ensemble à l'adresse précitée depuis 2019. Ils s'étaient mariés le ______ 2023. Ils n'avaient pas d'enfant ensemble. Elle avait un fils de treize ans d'une précédente union qui vivait avec eux. Depuis leur mariage, ils se disputaient chaque mois environ et, à chaque fois, son époux se montrait violent verbalement et physiquement à son égard. Durant ces disputes, son mari l'avait insultée à plusieurs reprises, notamment en la traitant de « vilaine ». De plus, il lui avait répété de nombreuses fois « je vais te tuer », « si tu me trompes, je te tue ». En 2023, lors d'une dispute, il lui avait cassé le petit doigt de la main droite. Il était énervé, s'était approché d'elle pour la frapper, paume fermée, au niveau du torse. Pour se défendre, elle avait levé les mains et avait reçu le coup au niveau de sa main droite, ce qui lui avait fracturé l'auriculaire. Elle ne se souvenait pas de la cause de la dispute. Elle n'avait pas déposé plainte.
Le 9 mars 2025, la dispute avait débuté, vers 18h30, à la hauteur de la rue de E______ 2______ car elle s'y trouvait en compagnie d'un ami d'enfance, lequel vivait en Amérique et était venu à Genève pour visiter la ville. Ils s'étaient baladés et elle l'avait amené à la rue de E______ car elle habitait là-bas auparavant. Son mari les avait rejoints en voiture et lui avait demandé ce qu'elle faisait là. Il savait où elle se trouvait, car il avait la localisation depuis son téléphone à elle. Son mari s'était immédiatement énervé. Il avait crié devant tout le monde qu'elle le trompait, qu'elle était une femme indigne et il lui avait demandé de monter dans la voiture. Elle lui avait répondu qu'elle voulait profiter avec son ami et qu'elle ne voulait pas rentrer à la maison car elle voulait récupérer son fils, qui était avec son père, à 19h00. Comme elle refusait d'entrer dans le véhicule, il l'y avait fait entrer de force. Elle avait manqué de tomber. Dans la voiture, il l'avait traitée de « femme infidèle ». Elle avait essayé de lui répondre, mais il l'avait menacée de la frapper si elle le faisait. Son époux l'avait laissée dans la voiture et s'était rendu vers son ami, qu'il avait menacé de le frapper. Elle n'avait pas osé sortir du véhicule par peur qu'il lui fasse du mal. Son époux était revenu dans le véhicule et ils étaient partis. Ils s'étaient stationnés rue G______ 3______, D______ car son époux voulait voir l'un de ses amis résidant à cette adresse. Elle ne voulait pas sortir du véhicule. Son mari l'avait alors forcée à en sortir en lui empoignant les bras. Devant l'immeuble, il l'avait poussée à l'intérieur. Elle voulait s'en aller, mais, craignant sa réaction, elle avait fait ce qu'il lui disait. Lorsqu'elle lui avait dit qu'elle voulait aller chercher son fils, il lui avait répondu « si tu bouges, tu vas m'entendre ». Il l'avait poussée dans l'ascenseur. Une fois dans l'appartement de cet ami, il lui avait pris l'un de ses téléphones qu'il lui avait néanmoins rendu avant l'arrivée de la police. Son ami n'était pas présent dans l'appartement, mais la femme de ce dernier, prénommée H______ s'y trouvait. Elle avait tenté de récupérer son téléphone, mais son mari l'avait poussée dans le canapé, en appuyant avec ses deux mains sur son torse alors qu'il lui faisait face. Il s'était ensuite appuyé contre elle, en la plaquant contre le canapé avec ses bras. Elle s'était relevée et son mari, qui s'était rendu dans la cuisine, en était revenu avec un couteau de cuisine d'une dizaine de centimètres. Il avait alors pointé le couteau dans sa direction et l'avait coupée au niveau de la main gauche. Elle n'avait pas bougé et n'avait rien dit, car elle avait peur. Il lui avait dit « va mourir », à plusieurs reprises et s'était éloigné en criant, avant de reposer le couteau. Elle voulait aller chercher son fils. Elle s'était donc approchée de la porte pour sortir, mais il lui avait crié de ne pas bouger. Il l'avait repoussée dans le canapé et lui avait donné un coup avec la main droite, paume fermée sur l'épaule gauche. Il avait alors pris son sac, qu'il avait frappé à plusieurs reprises contre le sol, cassant de la sorte le bouton du fermoir. Il lui avait ensuite arraché les lunettes de vue qu'elle portait et les avait frappées au sol, rayant les verres et cassant la branche gauche. Après cela, elle s'était éloignée et s'était assise sur une chaise. Son époux lui avait alors dit qu'elle était une « prostituée ». Il était venu vers elle, l'avait attrapée par les cheveux et l'avait tirée. Elle était tombée de la chaise et il l'avait traînée au sol. Elle ne savait pas dire combien de temps cela avait duré. Elle avait mal. L'ami de son mari était arrivé et il avait calmé la situation. A ce moment-là, elle avait pu reprendre possession de son sac, de son téléphone et de ses lunettes. Elle avait appelé la police et avait quitté l'appartement. Elle avait attendu l'arrivée des agents en bas de l'immeuble. Elle était blessée à la main gauche et autorisait la police à prendre des photographies de ses blessures. Elle se rendrait à l'hôpital pour effectuer un constat de lésions traumatiques. Son fils n'avait jamais été témoin des violences domestiques qu'elle subissait. Elle souhaitait divorcer. Elle subissait trop de pressions psychologiques. Elle était épuisée par ces disputes et n'était plus heureuse. Elle sollicitait le prononcé d'une mesure d'éloignement à l'encontre de son époux. Elle a ajouté, qu'à chaque décision qu'elle prenait, elle était angoissée de la réaction de ce dernier. Elle était épuisée. Elle avait perdu confiance en elle à cause de cette relation. Son mari contrôlait tout ce qu'elle faisait : il surveillait sa position géographique et la suivait. A l'issue de son audition, elle a déposé plainte pénale contre son époux en raison des faits précités.
4. Entendu dans la foulée, M. B______ a, en substance, contesté les faits lui étant reprochés. Depuis le 7 mars 2025, son épouse lui racontait qu'une soi-disant amie était de passage à Genève et qu'elle devait sortir avec elle. N'ayant pas confiance dans les dire de son épouse, le 9 mars 2025, il avait pris sa voiture et s'était rendu à l'adresse de l'ex-mari de son épouse, à savoir la rue de E______ 2______. A cet endroit, il avait aperçu sa femme, en compagnie de son ex-copain, et de sa petite sœur. Il était descendu du véhicule et lui avait demandé la raison de sa présence à cet endroit et avec cet homme. Elle lui avait répondu par un sourire. Il lui avait reposé la question à deux reprises. Il avait ensuite salué l'ex-copain de son épouse et lui avait demandé s'il accepterait que sa femme se comporte de la même manière. Il ne s'était pas disputé avec ce dernier. Il avait demandé à son épouse de monter dans la voiture pour partir. Elle lui avait demandé s'il voulait qu'elle téléphone à la police et il lui avait répondu de le faire. Il l'avait prise par la main droite et l'avait tirée par la veste pour la mettre dans la voiture. Il n'avait pas « particulièrement usé de [sa] force ». Ils s'étaient rendus au domicile de leurs témoins de mariage car il devait leur parler de la situation, il ne se sentait pas bien. Seule H______ était présente. Dans l'appartement, ils s'étaient disputés. Il lui avait arraché son sac à main, car elle refusait qu'il le fouille. En le faisant, il avait malheureusement endommagé les lunettes de son épouse. Il n'avait pas frappé son épouse, mais il était possible qu'elle ait été bousculée. Il s'était emparé d'un couteau de cuisine et l'avait menacée de se suicider. Il avait donc apposé la lame du couteau sur son bras gauche et commencé à faire un mouvement de va-et-vient sur son bras. Il n'avait pas été blessé. Sa femme avait alors crié « chouchou arrête, calme toi ». Il avait immédiatement arrêté et posé le couteau. Suite à cela, son témoin de mariage et ami était arrivé du travail et il lui avait expliqué la situation. Son épouse avait appelé la police et ils avaient attendu la patrouille dans la rue.
Il a contesté avoir menacé son épouse avec le couteau et l'avoir blessée à la main gauche. S'il était possible qu'elle se soit blessée, c'était en voulant l'empêcher de se suicider. C'était un geste impulsif de sa part qu'il regrettait. Il allait bien. Il n'avait jamais menacé l'ex-copain de son épouse de le frapper. Il n'avait pas non plus empoigné les bras de son épouse pour la forcer à sortir du véhicule, ni ne l'avait poussée dans l'ascenseur. Il lui avait indiqué qu'elle devait monter avec lui « de manière ferme », mais il ne l'avait pas touchée. Il a contesté l'avoir poussée dans le canapé. Il avait frappé le sac à main de son épouse au sol. Il avait certes endommagé les lunettes de vue de celle-ci, mais il ne les avait pas arrachées du visage de son épouse comme cette dernière l'avait expliqué. Il n'avait pas directement insulté son épouse, mais avait certes dit, en s'adressant à son témoin de mariage et ami « je ne savais pas que j'avais affaire à une prostituée ». Il avait effectivement confisqué le téléphone de son épouse. Il ne souhaitait pas se prononcer s'agissant des violences précédentes dénoncées par son épouse, au motif qu'il ne souhaitait pas « la salir ». Il l'avait effectivement, par le passé, traitée de « vilaine », mais il n'avait jamais menacé de la tuer si elle le trompait. Elle s'était fait mal seule à l'auriculaire lors d'une précédente dispute qu'elle avait d'ailleurs initiée. Ils s'étaient rencontrés en 2017 à Genève et avaient emménagé en 2019. Il avait trois enfants d'une précédente union qui vivaient en Afrique. Ils n'avaient pas d'enfant avec son épouse, car ils avaient arrêté une grossesse. Il leur arrivait de se disputer à cause des jalousies de son épouse. Il ne souhaitait pas s'étendre sur le sujet. Depuis leur mariage, son épouse avait un comportement étrange avec son ex-mari et son ex-copain, mais il n'avait rien constaté de particulier. Il ne s'opposait pas au prononcé d'une mesure d'éloignement à son encontre. Il était employé des CFF, bien intégré en Suisse où il résidait depuis 2012. Il versait une contribution d'entretien de CHF 500.- pour ses trois filles au Bénin. Il était au bénéfice d'un permis B valable.
5. L'amie du couple a également été entendue en qualité de personne appelée à donner des renseignements. Elle a déclaré que, lorsque le couple était arrivé à son domicile, ils étaient en conflit. M. B______ lui avait expliqué que sa femme le trompait, qu'elle lui avait menti. Il était énervé. Il a ajouté qu'il pouvait savoir où se trouvait son épouse, en suivant le GPS de son téléphone. Il avait suivi sa femme et il l'avait vue donner la main à son ex-mari. Ils s'étaient disputés et s'étaient rendus à son domicile. M. B______ avait demandé à son épouse de lui donner son téléphone, ce qu'elle avait refusé de faire. Ce dernier s'était alors levé et avait tenté de le lui arracher des mains. Il y avait eu une lutte. Il s'était saisi du téléphone et avait pris le sac de son épouse qu'il avait frappé trois fois au sol. Il avait pris les lunettes de cette dernière et les avait jetées au sol. Elle avait tenté de le calmer, en lui parlant, mais il ne l'écoutait pas. Ensuite, M. B______ s'était rendu dans la cuisine. Il s'était saisi d'un couteau de cuisine d'environ dix centimètres. Il avait menacé de se faire du mal en mettant le couteau sur des poignets. Puis, il avait dit qu'il allait faire du mal à son épouse, en lui disant « je vais te faire du mal à toi ». Il s'était alors rapproché d'elle avec le couteau. Elle ne savait pas exactement ce qu'il s'était passé, car tout allait trop vite. Mme A______ avait alors crié, car elle avait eu mal et se tenait le poignet gauche. Elle s'était mise à pleurer et avait supplié M. B______ de poser le couteau, ce qu'il avait fait. Son compagnon était arrivé et M. B______ lui avait raconté la situation. M. B______ avait voulu frapper son épouse, mais elle et son compagnon s'étaient interposés. Mme A______ avait dit qu'elle voulait partir pour récupérer son fils, mais M. B______ lui avait dit qu'elle n'irait nulle part. Mme A______ avait alors dit qu'elle allait appeler la police et M. B______ lui avait rendu ses affaires. Mme A______ était allée attendre la police dehors. Sur question, elle a ajouté qu'elle n'avait jamais été témoin d'une telle altercation entre les intéressés. Son amie lui avait déjà dit qu'ils se disputaient, mais elle n'avait jamais mentionné de violences physiques.
6. Par acte du 17 mars 2025, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours, en expliquant, en substance, la peur qu'elle éprouvait à l'idée que son mari revienne au domicile conjugal et que les violences se poursuivent.
7. Vu l'urgence, le tribunal a informé Mme A______ par l’intermédiaire de son conseil, par téléphone et par courriel du 17 mars 2025 et M. B______ par téléphone et par sms du même jour, de l'audience qui se tiendrait le 18 mars 2025.
8. Lors de l'audience du 18 mars 2025, M. B______ a confirmé avoir respecté la mesure d'éloignement. Il avait en outre pris rendez-vous avec I______ dans le délai, mais il n'y avait pas de place. Il avait reçu un e-mail de confirmation pour un rendez-vous le 10 avril 2025 avec Mme J______. Sur question du tribunal, il a indiqué résider chez son frère, au chemin du K______ 4______. Il s'agissait de son ancien domicile. Il a ajouté que, si la mesure d'éloignement venait à être prolongée, il pourrait rester à cette adresse. Comme le coût était élevé, il avait déjà demandé à son employeur de lui trouver un nouvel appartement.
Il ne s'opposait pas à la prolongation de la mesure d'éloignement. Lui-même avait l'intention de demander une mesure d'éloignement pour une durée de six mois aux motifs qu'il avait besoin de retrouver sa stabilité, sa paix intérieure et que les violences physiques et verbales cessent. Lorsqu'il avait rencontré sa femme, son mariage « ce n'était pas trop ça » et sa future épouse sortait d'une relation où elle avait déjà subi de la violence physique. Au début, c'était très beau : ils sortaient. Ensuite, sa compagne avait changé pour des raisons qui lui étaient propres. Depuis leur mariage en 2023, les choses avaient empiré. Il avait tout fait pour elle et leur mariage. Il l'avais aimée et l'aimait encore.
Ce qui s'était passé, s'était passé. Il avait été déçu. Il n'était pas connu des services de police. Il était quelqu'un de très calme et discret. Il était très déçu d'avoir eu affaire à la police pour la première fois à cause de cela. Son épouse était très violente. Elle n'aimait pas qu'on lui dise ce qu'elle devait faire. Il avait subi beaucoup de violences verbales et physiques, mais il s'était toujours dit que ça allait passer. Il disait à sa femme de cesser avec la violence, car cela ne les aiderait pas. Elle s'était parfois montrée si violente qu'il avait dû dormir dans son véhicule. Lorsqu'ils se disputaient, il cherchait l'apaisement en lui disant qu'il allait se calmer dehors, mais elle l'empêchait alors de sortir, en l'enfermant dans l'appartement. Elle tapait et criait. Il ne savait pas quel esprit l'animait dans ces moments.
S'agissant des faits dont il était ici question, il a confirmé ses premières déclarations à la police. Sa femme lui avait raconté qu'elle devait voir une amie de passage à Genève avant son départ pour l'Ouganda. Elle n'avait pas été claire, malgré ses questions. Elle lui avait dit que son ex-mari allait déposer la voiture sur leur parking et qu'elle devait l'utiliser pour la chauffer, ce qui ne faisait aucun sens. Elle s'était finalement préparée pour sortir et était sortie. Il avait constaté que la voiture de l'ex-mari de son épouse, la leur et celle de la petite sœur de la première étaient toujours stationnées sur leur parking. Il s'était donc demandé comment sa femme était sortie. Après son départ, il avait eu une intuition, très forte, que quelque chose n'allait pas. Il était sorti, comme il en avait informé son épouse, et il avait pris la direction de son travail. Fortuitement, il était tombé sur son épouse, son ex-petit copain et la petite sœur de celle-ci, main dans la main à la rue de E______ 2______. Il s'était donc arrêté et lui avait demandé ce qu'elle faisait là. Après lui avoir fait remarquer que la témoin avait déclaré, qu'au cours de la dispute, il avait admis qu'il géolocalisais son épouse, il a répondu que c'était faux.
Il avait admis devant la police les deux faits qu'il avait commis. Il avait effectivement pris ce couteau et avait commencé à faire un geste de va-et-vient sur son poignet. Il avait eu envie de mourir à ce moment-là. Il avait appris que « le gars » était déjà venu en novembre et qu'il était arrivé bien avant le 9 mars 2025. Il avait mis tout son amour « sur sa femme ». C'était ce qu'il lui avait dit. Il avait accepté toutes les humiliations, ici à Genève, et à L______(COTE D'IVOIRE). C'était elle qui lui disait qu'il couchait avec d'autres femmes, alors qu'il s'agissait seulement de collègues de travail.
Mme A______ a également confirmé ses déclarations à la police. Il y avait eu d'autres violences antérieures à celles du 9 mars 2025. Elle a confirmé qu'il y avait un système de tracking sur son téléphone. Sauf erreur, la dispute au cours de laquelle son mari lui avait cassé l'auriculaire s'était déroulée autour de 2023. Son époux était un homme autoritaire : quand il parlait, elle n'avait pas le droit de le contredire. Lorsqu'elle le faisait néanmoins, il haussait le ton et l'injuriait. Lorsqu'elle essayait de se défendre en argumentant, il commençait de suite à la taper. S'agissant des faits survenus en 2023, ce n'était même pas une dispute. Elle lui avait tenu tête au sujet de sa petite sœur qu'il dénigrait. Il l'avait tapée. Elle avait mis ses mains devant son visage pour se protéger et, en recevant son coup, son auriculaire s'était cassé. Elle s'était rendue au centre médical de la rue E______. Comme le lui avait demandé son mari, elle avait expliqué que c'était un accident. Elle était sous son emprise.
En mai 2024, entre le 17 et le 18 mai, il s'était également montré violent lors d'une crise de jalousie. Sa petite sœur, qui avait rompu avec l'ami de son mari, avait rencontré quelqu'un d'autre qu'elle souhaitait lui présenter. Par respect pour son mari, elle lui avait demandé s'il souhaitait qu'ils le rencontrent. Il s'était mis dans une colère indescriptible. Elle l'avait calmé et ils y étaient allés. Lors de cette rencontre, son mari n'avait pas pipé mot, alors qu'elle discutait avec l'ami de sa sœur. A un moment, son mari lui avait dit, en levant la voix, de monter en voiture, ce qu'elle avait fait. Elle lui avait demandé pourquoi il lui parlait de la sorte. Il avait crié et tapé sur le volant. Il avait aussi zigzagué avec la voiture. Ils étaient au M______(FRANCE). Sur le chemin, elle avait eu peur pour sa vie. A N______, le feu était rouge. Elle en avait profité pour descendre du véhicule. Elle avait pris le bus et était rentrée à la maison. Ce jour-là, elle avait appelé son beau-père pour lui dire que son fils risquait de la tuer. Son beau-père avait appelé son fils, lequel en avait profité pour la dénigrer, en disant que le problème venait d'elle. Elle avait aussi appelé sa famille à L______(COTE D'IVOIRE). A son retour à la maison, elle pensait qu'il s'excuserait. Au contraire, il l'avait accusée de tout et n'importe quoi. Il était, comme d'habitude, devenu violent. Il l'avait poussée dans le lit et lui avait donné un coup violent à la tête. Elle avait eu des migraines durant deux semaines. Elle avait voulu filmer la scène, mais il avait pris son téléphone, l'avait jeté et cassé. Elle lui avait dit qu'elle appellerait la police. Elle était sortie sur le palier pour appeler au secours. Son mari avait tenté de lui donner un coup de pied. Sur question du tribunal, elle a expliqué qu'elle n'avait pas appelé la police, ni consulté un médecin, car son mari lui faisait du chantage, la prenait par les sentiments. Il était au bénéfice d'un permis B par mariage.
Elle a remis au tribunal copie du constat de lésions traumatiques consécutif aux faits du 9 mars 2025, ajoutant que les photos produites à l'appui de sa demande de prolongation avaient été prises au cours des jours qui avaient suivi ces violences, car les hématomes n'étaient pas apparus tout de suite.
Elle n'entendait pas reprendre la vie commune. Elle avait peur pour sa vie, que son époux la tue sur un coup de colère. Il l'avait toujours menacée de la tuer si elle le trompait. Elle avait peur qu'il passe à l'acte s'il était en colère. A cela s'ajoutait que, depuis qu'ils étaient mariés, leur relation était platonique. Il y avait peut-être des rapports intimes une fois chaque deux mois. Chaque fois qu'elle lui en parlait, il disait qu'elle était « une obsédée sexuelle ». Peut-être qu'elle ne le séduisait plus. Outre sa colère non maitrisée, le 9 mars 2025, elle avait été humiliée en public et cela avait été très difficile à vivre.
Le tribunal a noté au procès-verbal que pendant ses déclarations, Mme A______ pleurait.
Mme A______ a encore ajouté que son mari ne voulait qu'aucun homme ne s'approche d'elle. Il avait tenté d'altérer la relation avec son ex-mari et père de son fils. Quand elle parlait avec son ex-mari ou des amis, automatiquement, selon lui, elle couchait avec eux. C'était salissant et irrespectueux. Lorsqu'elle avait des problèmes avec son mari, ce dernier s'adressait à leurs amis ou à leurs familles et il la dénigrait. Il l'avait fait notamment en novembre 2024 avec ses beaux-parents à qui il avait dit qu'elle le trompait avec le père de son fils. Sur question du tribunal, elle a enfin ajouté qu'une audience de confrontation se tiendrait au Ministère public le 3 avril 2025.
M. B______ a souhaité répondre aux déclarations de son épouse. Il n'avait pas frappé son épouse en 2023 et 2024, comme celle-ci le prétendait. Il aimait toujours sa femme, mais, comme il l'avait exprimé au début de l'audience, il pensait que cette mesure d'éloignement était nécessaire. Il prendrait contact avec son avocat. Il ne se reconnaissait pas dans les propos de son épouse. Il avait connu les humiliations. Il lui avait demandé de rentrer dans la voiture très calmement, ce qu'elle n'avait pas fait. Elle avait préféré défendre son ex. A ce moment-là, il l'avait jetée, enfin, mise dans la voiture, et lui avait proposé d'appeler la police. Il contestait catégoriquement les derniers propos tenus par son épouse au cours de l'audience. Il en référerait à son avocat auquel il transmettrait les preuves en sa possession, avec le dossier.
Mme A______, par l'intermédiaire de son conseil, a conclu à la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de 30 jours.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).
2. Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.
3. La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).
Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).
Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).
Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.
Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de
a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;
b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.
La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).
Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).
En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».
Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).
Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.
4. En l'espèce, malgré les déclarations contradictoires des parties, il ne fait aucun doute qu'une altercation violente a eu lieu le 9 mars 2025, d'abord dans la rue, à la hauteur du n° 5______ de la rue E______, avant qu'elle ne se poursuive dans un appartement, sis à la rue G______ 3______, en présence de témoins, amis du couple. Les explications nuancées de Mme A______ apparaissent crédibles vu les éléments ressortant du rapport de renseignements du 10 mars 2025, en particulier les déclarations de la témoin – concordantes avec celles de la précitée – et les photographies des dommages causés et des blessures occasionnées, corroborées par le constat de lésions traumatiques produit à l'audience. A cela s'ajoute que les déclarations de M. B______ en audience, bien qu'il conteste avoir menacé de mort son épouse, en pointant un couteau dans sa direction, et l'avoir frappée, laissent néanmoins entendre qu'il n'a pas su maîtriser sa colère quand son épouse a refusé de monter dans son véhicule, ce dernier ayant admis, à demi-mots, l'avoir « jetée » dans la voiture. Ses dénégations apparaissent, au surplus, d'autant moins crédibles qu'il a lui-même admis devant l'amie du couple suivre son épouse au moyen du GPS du téléphone portable de celle-ci, ce qui apparaît être l'explication la plus plausible au fait qu'il se soit rendu, en voiture, à l'endroit exact où se trouvait son épouse. A ces éléments s'ajoutent, eu égard aux déclarations de Mme A______, qu'il apparaît que des violences verbales et physiques auraient déjà eu lieu en 2023 et 2024, violences qu'elle n'aurait pas dénoncées vu l'emprise de son époux, lequel risquerait de perdre son titre de séjour obtenu suite à leur mariage.
5. Compte tenu des déclarations des parties, qui ne souhaitent pas reprendre la vie commune au vu de leurs conflits récurrents, il est évident qu'un retour au domicile de M. B______ représente un risque de réitération de violences à l'encontre de Mme A______. A cela s'ajoute que M. B______ a lui-même indiqué solliciter cette mesure pour une durée de six mois. Dans cette mesure, le tribunal admettra la demande de prolongation de la mesure d'éloignement sollicitée par Mme A______.
6. Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 20 avril 2025 à 17h00. Il sera encore souligné, qu'à cette échéance, Mme A______ aura encore la possibilité, conformément à l'art. 11 al. 2 LVD, de demander à nouveau la prolongation de la mesure d'éloignement.
7. Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).
8. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 17 mars 2025 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 10 mars 2025 à l’encontre de Monsieur B______ ;
2. l'admet ;
3. prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours, soit jusqu'au 20 avril 2025 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;
4. dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
6. dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Laetitia MEIER DROZ
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.
Genève, le |
| La greffière |