Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1236/2024 du 16.12.2024 ( LCR ) , REJETE
REJETE par ATA/427/2025
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 16 décembre 2024
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dans la cause
Madame A______
contre
OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES
1. Madame A______, née le ______ 1948, est titulaire d'un permis de conduire pour les catégories A1, B, Be, B1, D1, D1E, F, G et M.
2. Par décision du 24 avril 2024, l'office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) a retiré son permis de conduite toutes catégories, sous catégories et catégories spéciales F, G et M, à titre définitif, minimum cinq ans. La levée de la mesure pouvait être envisagée sur présentation d'une expertise favorable émanant de l'Unité de médecine et psychologie du trafic et la restitution du permis était conditionnée à la réussite d'un examen pratique de contrôle.
Mme A______ avait conduit un véhicule à moteur malgré une mesure de retrait de permis de conduire, le 27 décembre 2023, à 23h35, sur la route des Charbonnières à la frontière française (bois d'Amont) en direction de Genève. Elle avait fait l'objet d'un retrait du permis de conduire le 26 février 2021, pour une durée indéterminée, minimum deux ans, mesure toujours en vigueur. Il s'agissait d'une infraction grave au sens de l'art. 16c al. 1 let. f de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01). En vertu de l'art. 16c al. 2 let. e LCR, après une infraction grave, le permis de conduire était retiré définitivement si au cours des cinq dernières années, le permis avait été retiré en vertu dudit article.
3. Il ressort du rapport de police de la gendarmerie vaudoise que Mme A______ avait conduit son véhicule de marque NISSAN QASHQAI, le 27 décembre 2023, à 23h35, à la rue des Ecoles, à Le Sentier, dans la commune de Le Chenit, dans la vallée de Joux, en dépit d'un retrait de permis de conduire.
Auditionnée dans la foulée, l'intéressée a déclaré qu'elle avait fait cette balade pour s'occuper de son fils, B______, atteint d'autisme. Ce dernier avait du mal à se calmer et généralement, ils allaient se balader à pied ou en transport public. Ce soir-là, il était passablement agité et c'était pour cette raison qu'elle lui avait proposé de l'emmener faire un tour. Elle était désolée, ne voulait pas enfreindre la loi mais devait trouver une solution pour son fils.
4. Le 23 mai 2024, Mme A______ a formé recours contre la décision de l'OCV auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant implicitement à son annulation.
Elle était sous interdiction de conduire depuis plusieurs années et avait scrupuleusement respecté cette interdiction. Elle attendait impatiemment de pouvoir récupérer son permis afin de reprendre ses nombreuses activités de bénévoles et s'occuper de son fils autiste. Elle s'était soumise à toutes les analyses demandées et était totalement abstinente depuis environ un an. Le 27 décembre 2023, elle n'avait bu aucune goutte d'alcool, elle roulait doucement et n'avait mis la vie en danger de personne. Elle avait cédé au besoin de son enfant autiste en vacances chez elle durant les fêtes. Il avait des angoisses sévères lui causant des insomnies et apaisées par des balades en voiture qui le relaxait et l'apaisait. Les nombreux médicaments qu'il prenaient n'arrivaient pas à produire cet effet. Le soir en question, elle n'avait personne à qui elle pouvait avoir recours pour conduire à sa place. Depuis son retrait, elle avait fait appel à des étudiants ou des personnes en recherche d'emploi pour transporter son fils. Ce n'était pas facile de trouver des personnes disponibles à des horaires fluctuants ou imprévus, étant précisé que son fils ne pouvait pas prendre les transports en communs, générant de fortes angoisses car il ne supportait pas la foule, la promiscuité, la bousculade et le bruit. Elle avait effectué une formation d'enseignante spécialisée et avait travaillé pendant plus de 20 ans auprès de polyhandicapés lourds et d'enfants gravement malades. Elle faisait beaucoup de bénévolat et s'occupait de personnes handicapées isolées ou de personnes âgées afin de faire des sorties et des déplacements, très souvent en voiture, tels que médecin, coiffeur, achats, visites au cimetière. Son permis était donc essentiel pour s'occuper de ces personnes et de son fils autiste. Quelques années auparavant, elle avait traversé une période difficile qui l'avait plongée dans une dépression insidieuse avec abus d'alcool. Elle en était heureusement sortie et avait pris conscience de la grande dangerosité de sa conduite. Elle était prête à se soumettre à des tests réguliers d'alcool, à passer d'autres examens, à continuer un suivi thérapeutique ou à se soumettre à toutes autres mesures utiles. Elle souhaitait une dernière chance. Elle avait 76 ans et encore quelques années pour rendre service à la société et à ses proches.
5. Le 25 juillet 2024, la recourante a transmis au tribunal un courrier de Madame C______, daté de juin 2024, indiquant regretter que cette dernière n'ait plus son permis car depuis lors, elle ne pouvait plus la conduire pour faire ses courses ou se rendre au cimetière où se trouvaient son fils et son époux. Elle-même ne pouvait plus que se déplacer en déambulateur et ne pouvait pas prendre les transports publics.
Elle a expliqué être seule à pouvoir accueillir son fils durant les week-end et vacances. Ce dernier vieillissait précocement et les déplacements autres qu'en voiture privées étaient très très compliqués. Il était de plus en plus angoissé devant des situations inhabituelles et tout ce qui était rituel l'apaisait et lui permettait de mieux fonctionner. Il ne supportait ni la foule ni la promiscuité ni les bousculades. Tout changement était perturbant et source d'angoisses. Il avait de plus en plus de peine à faire confiance en des personnes qu'il ne connaissait pas bien. Les personnes qui faisaient office de chauffeur ne comprenaient pas toujours le handicap et c'était très difficile pour son fils de se sentir à l'aise avec elles. Les sorties étaient de plus en plus compliquées et la nuit, son fils avait de fréquentes insomnies. Seules les promenades en voiture l'apaisaient et ce n'était pas des moments où il était facile de trouver un chauffeur. Son fils avait besoin d'un environnement familier et rassurant comme une voiture connue, avec un paysage qui défile et le ronron régulier du moteur, souvent avec des musiques identiques. Cela faisait partie des rituels rassurants face au monde extérieur, souvent perçu comme hostile.
6. Dans ses observations du 29 juillet 2024, l'OCV a conclu au rejet du recours et persisté dans les termes de sa décision.
7. Dans sa réplique du 25 septembre 2024, dans le délai prolongé par le tribunal, la recourante a sollicité une chance pour les dernières années de sa vie et a persisté dans son argumentaire.
Elle était surprise que la décision querellée se basait principalement sur le rapport du 7 août 2023 de l'Unité de médecine et psychologie du trafic. A la suite de l'expertise, elle avait entrepris un suivi psychologique et effectué des analyses capillaires prouvant son abstinence. Rien ne justifiait son comportement mais les circonstances difficiles de cette période de vie pouvaient l'expliquer et montrer le caractère particulier et momentané de cette période de sa vie dans laquelle elle avait sombrée. Elle a joint divers documents, tels qu'attestation de suivi et analyses toxicologies.
8. Dans sa duplique du 8 octobre 2024, l'OCV a conclu au rejet du recours.
9. Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal des véhicules (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 17 de la loi d'application de la législation fédérale sur la circulation routière du 18 décembre 1987 - LaLCR - H 1 05).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. Mme A______ conteste la validité de la décision de l'OCV du 24 avril 2024 prononçant un retrait de permis d'une durée minimale de cinq ans.
4. Selon l'art. 16c al. 2 let. e LCR, après une infraction grave, le permis de conduire est retiré définitivement si, au cours des cinq années précédentes, le permis a été retiré en application, notamment, de l'art. 16b al. 2 let. e LCR (retrait pour une durée indéterminée, mais pour deux ans au minimum si, au cours des dix années précédentes, le permis a été retiré à trois reprises en raison d'infractions qualifiées de moyennement graves au moins).
5. Commet une infraction grave la personne qui conduit un véhicule automobile alors que le permis de conduire lui a été retiré (art. 16c al. 1 let. f LCR).
6. En conduisant sans permis le 27 décembre 2023, la recourante a ainsi commis une faute grave. Cette faute étant consécutive à un retrait de permis prononcé le 26 février 2021 en application de l'art. 16b al. 2 let. e LCR, la décision litigieuse est conforme au droit, sous cet aspect.
7. La recourante invoque d'importants besoins pour s'occuper de son fils autiste et de personnes âgées ou en difficulté pour se déplacer.
8. Or, le texte de la loi, ne laisse aucune marge de manœuvre à l'autorité administrative. En effet, la durée minimale du retrait – en l'espèce le retrait définitif (atténué par la possibilité de restitution offerte après cinq ans par la loi ; art. 17 al. 1 et 23 al. 3 LCR) – est incompressible et ne peut être réduite. Le Tribunal fédéral a déjà rappelé que les durées minimales prescrites étaient incompressibles et cela même pour les personnes dont les besoins professionnels de disposer d’un permis de conduire étaient avérés (ATF 132 II 234 consid. 3.2 ; Arrêts du Tribunal fédéral 1C_492/2020 du 18 novembre 2020 consid. 3.3 ; 1C_204/2017 du 18 juillet 2017 consid. 2.6 ; 1C_498/2012 du 8 janvier 2013 ; 1C_216/2009 du 14 septembre 2009 consid. 5.2 et 6 ; ATA/306/2013 du 14 mai 2013 consid. 4b).
9. Ce grief sera ainsi écarté.
10. Partant, le recours sera rejeté.
11. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 23 mai 2024 par Madame A______ contre la décision de l'office cantonal des véhicules du 24 avril 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| Le greffier |