Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1108/2024 du 11.11.2024 ( ICC ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 11 novembre 2024
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dans la cause
A______, soit pour elle Madame B______ et Me Caroline MICHEL, exécutrice testamentaire, représentées par Me Gérald PAGE, avocat, avec élection de domicile
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
1. A______, né le ______ 1950, est décédé à ______ le ______ 2012. Il a laissé pour seules héritières réservataires son épouse, Mme B______ (avec qui il était marié sous le régime de la participation aux acquêts et dont il était séparé) et sa mère, Madame C______.
2. Le défunt et son épouse étaient copropriétaires, pour moitié, d’un bien immobilier sis à Genève (ci-après : l’immeuble).
3. Par testament public du ______ 2012, le défunt a institué Madame C______ comme sa seule et unique héritière.
4. Un litige civil a opposé les deux héritières devant la Justice de paix, Mme B______ faisant valoir sa qualité d'héritière réservataire et Mme C______ sa qualité d'héritière universelle instituée par le testament du défunt. Aux termes d'une convention entre les deux héritières du 13 décembre 2013, Mme B______ a été rétablie dans ses droits à concurrence de sa réserve légale. Sa part s’est finalement élevée à 3/8ème (en pleine propriété) et celle de Mme C______ à 5/8ème (également en pleine propriété). L'avoir net imposable successoral se montant à CHF 883'155.-, les parts de l'épouse et de la mère se sont élevées à respectivement CHF 331'183.- et
CHF 551'972.-.
5. Le 19 juin 2023, les héritières ont signé un acte concrétisant le partage des biens du défunt. Mme B______ se voyait attribuer une valeur de CHF 861'002.-, comprenant celle de l'immeuble, et Mme C______ un montant de CHF 22'153.-.
6. Le 21 décembre 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a émis un bordereau de droits d’enregistrement, tenant compte des droits relatifs à la liquidation du régime matrimonial (actif de CHF 1'301'529.-), de ceux concernant le partage de l'actif successoral (actif de CHF 883'155.-), et de ceux dus pour une donation de CHF 450'317.- imposable en 1ère catégorie.
7. Le 19 janvier 2024, Me Caroline MICHEL, exécutrice testamentaire, a contesté ce bordereau, faisant valoir qu’un accord avait été trouvé entre les deux héritières sur les valeurs attribuables aux biens matrimoniaux et aux biens successoraux. Il était toutefois faux de considérer qu'une donation était intervenue. La négociation entre les deux parties avait duré des années, avec pour seule volonté de défendre leurs droits respectifs. Dès lors, une taxation au titre de donation de la mère en faveur de la veuve était dénuée de de fondement.
8. Par décision sur réclamation du 6 février 2024, l'AFC-GE a émis un bordereau de droits d’enregistrement rectificatif, tenant compte, en lieu et place de la donation contestée, d’une cession immobilière (CHF 325'447.-) et d’une cession mobilière (CHF 204'372.-) au sens des art. 33 al. 2 et 52 al. 2 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30).
9. Par acte du 8 mars 2024, sous la plume de leur conseil, Mme B______ et Me Caroline MICHEL ont recouru conjointement contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à ce que le bordereau rectificatif du 5 février 2024 soit annulé en tant qu’il prenait en compte des droits « sur vente immobilière » (CHF 9'763,50) et des « centimes additionnels » de CHF 2'248,40, sous suite des frais et dépens.
Il ne s’était pas agi d’un transfert de propriété à titre onéreux, au sens de l’art. 33 al. 1 LDE, mais d’une « mutation résultant d’attributions réciproques d’actifs et passifs dans le cadre d’un partage successoral ». La soulte payée par Mme B______ n’était donc que la résultante de ces attributions, lesquelles incluaient d’ailleurs des transferts d’immeubles situés hors canton et à l’étranger. De plus, selon l’exception prévue à l’art. 33 al. 2 LDE, les cessions et reprises de biens immobiliers résultant d’un partage n’étaient pas soumises aux droits prévus à l’al. 1 de cette disposition.
Dès lors, l’attribution à Mme B______ de la part de la copropriété de l’immeuble ne pouvait pas être assimilée à une vente soumise aux droits d’enregistrement.
10. Le 14 juin 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.
L'avoir successoral net imposable se montait à CHF 883'155.-. La part de la recourante s'élevait à 3/8ème (en pleine propriété) et celle de sa belle-mère à 5/8ème (également en pleine propriété), soit CHF 331'183.- pour la première et CHF 551'972.- pour la seconde. Or, par acte de partage sous seing privé du 19 juin 2023, la recourante avait reçu une part de l'immeuble (CHF 325'447.-) et les titres de son défunt mari (CHF 204'372.-) et Mme C______ un immeuble de la commune de D______ valant CHF 22'153.-. La recourante avait ainsi reçu CHF 529'819.- de plus que la part à laquelle elle avait droit dans la succession de feu son époux.
C’était donc à bon droit qu’elle avait taxé la valeur de CHF 325'447.- en tant que cession immobilière au sens de l’art. 33 LDE, étant précisé que la soulte de CHF 79'502.- avait été exemptée des droits, en vertu de l'art. 62 al. 2 LDE.
Enfin, conformément à la LDE, elle n’avait pas prélevé de centimes additionnels sur la vente immobilière, mais uniquement sur la cession mobilière.
11. Par réplique du 8 juillet 2024, les recourantes ont maintenu leurs conclusions, soutenant en particulier que c’était l’acte de partage, « longuement négocié » entre les deux héritières, qui était déterminant pour le prélèvement des droits d’enregistrement.
12. Par duplique du 31 juillet 2024, l'AFC-GE a campé sur sa position, relevant que selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le fisc n’était pas lié par une transaction judiciaire civile qui fixait les parts de chaque héritier.
1. Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE en matière de droits d’enregistrement (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 179 al. 1 et 2 LDE).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable (cf. art. 178 al. 7 et 179 al. 1 et 2 LDE et
62 al. 1 let. a et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).
3. Selon l'art. 1 LDE, les droits d'enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, dénommées dans ladite loi « actes et opérations », soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l'enregistrement.
4. Aux termes de l’art. 33 al. 1 LDE, sont soumis obligatoirement au droit de 3%, sous réserve des exceptions prévues par la présente loi, tous les actes translatifs à titre onéreux de la propriété, de la nue-propriété ou de l’usufruit de biens immobiliers sis dans le canton de Genève, notamment les ventes, substitutions d’acquéreur, adjudications, apports et reprises de biens.
Les cessions et reprises de biens immobiliers qui ne constituent pas une donation, un échange ou un partage, sont soumises au droit prévu pour les actes translatifs à titre onéreux de la propriété immobilière (art. 33 al. 2 LDE).
La valeur de la propriété, de la nue-propriété et de l’usufruit de biens immobiliers est déterminée, pour les actes visés à l’art. 33 LDE, par le prix indiqué dans l’acte ou par la valeur vénale, en y ajoutant la valeur de toutes les charges exprimées en capital et sans aucune déduction des dettes hypothécaires et chirographaires (art. 35 al. 1 LDE).
5. Selon l’art. 62 al. 1 let. a LDE, est soumis obligatoirement à l’enregistrement au droit de 1‰ et au minimum de CHF 10.- le partage entre héritiers de biens dépendant d’une succession, quelle que soit leur nature, y compris ceux qui sont soumis au rapport.
Dans le cas dudit partage, il n’est perçu aucun droit sur les soultes (art. 62 al. 2
let. a LDE).
6. Le droit de partage n'est applicable qu'une seule fois sur les biens faisant l'objet des opérations prévues aux art. 62 et 63 LDE, qu'il s'agisse d'un partage total ou de partages partiels, à condition que tous les ayants droit participent à l'opération ou y soient représentés (art. 64 LDE).
Cette disposition doit se lire comme ne permettant la perception d'un droit de partage qu'une seule fois pour chacune des causes prévues par l'art. 62 al. 1 let. a et let. b LDE (cf. JTAPI/263/2018 du 19 mars 2018 consid. 9).
7. La jurisprudence, se fondant sur les travaux préparatoires de la LDE, a précisé que le partage est une opération qui a pour objet de convertir pour chacun des indivis ou copropriétaires, le droit général ou indivis qu'ils avaient sur la totalité des choses communes, en droit exclusif sur une ou plusieurs choses déterminées (...). Le partage peut avoir lieu notamment entre héritiers, entre époux qui liquident leur régime matrimonial, entre associés, entre membres d'une indivision ou d'une communauté prolongée, entre colégataires, codonataires, entre copropriétaires (art. 646 et 651 du Code civil suisse du 10 décembre l907 - CC - RS 210) ou propriétaires en commun (art. 652 et 654 CC) (ATA/286/2021 du 2 mars 2021 consid. 2f ; MGC 1965 II 905).
Aucune restriction relative à la forme de propriété collective à laquelle le partage - partiel ou complet - met fin ne ressort de la loi. Il apparaît que pour le législateur comme pour le juge, le partage peut intervenir aussi bien en cas de copropriété - soit lorsque plusieurs personnes ont chacune pour sa quote-part, la propriété d'une chose qui n'est pas matériellement divisée (art. 646 al. 1 CC) - qu'en cas de propriété commune - soit lorsque plusieurs personnes formant une communauté en vertu de la loi ou d'un contrat sont propriétaires d'une chose, le droit de chacun s'étendant à la chose entière (art. 652 CC) (ATA/548/2005 du 16 août 2005 ; JTAPI/959/2020 du 3 novembre 2020).
8. En droit successoral, l'acte de partage comprend notamment l'établissement de la masse successorale, à savoir l'énumération détaillée des différents actifs et passifs, soit les biens successoraux avec leur évaluation précise. Il doit en outre contenir la désignation effective des actifs et/ou des passifs attribués à chaque héritier avec un inventaire des lots et indiquer quel lot est attribué à quel héritier (E______, Commentaire romand, Code civil II, 2016, p. 1050 n. 29 ad art. 634 CC).
On entend par lots les groupes de biens ou de droits, égaux en valeur et le plus possible semblables en consistance. (...) Ils comportent aussi les dettes successorales, lorsque celles-ci n'ont pas été réglées avant le partage (Stéphane SPAHR, Commentaire romand, Code civil II, 2016, p. 955 n. 7 ad art. 611 CC).
Une inégalité des lots peut être corrigée par le versement de soultes (Stéphane SPAHR, op. cit., p. 936 n. 15 ad art. 608 CC et p. 958 n. 21 ad art. 611 CC). En matière de partage de la succession, la soulte se définit comme un « versement en argent qui tend à compenser l'inégalité des lots ; elle permet de satisfaire l'exigence incontournable d'une égalité de valeur, lorsque l'égalité en nature ne peut être assurée » (Stéphane SPAHR, op.cit., p. 962 n. 9 ad art. 612).
9. Les héritiers acquièrent de plein droit l'universalité de la succession dès que
celle-ci est ouverte (art. 560 al. 1 CC), soit au jour du décès (art. 537 al. 1 CC). L'effet de l'acquisition par les héritiers institués remonte au jour du décès du disposant (art. 560 al. 3 CC).
S’il y a plusieurs héritiers, tous les droits et obligations compris dans la succession restent indivis jusqu’au partage. Les héritiers sont propriétaires et disposent en commun des biens qui dépendent de la succession, sauf les droits de représentation et d’administration réservés par le contrat ou la loi (art. 602 al. 1 et 2 CC).
10. Celui qui laisse son conjoint a la faculté de disposer pour cause de mort de ce qui excède le montant de sa réserve (art. 470 al. 1 CC).
Le conjoint survivant, en concours avec les ascendants, a droit aux 3/4 de la succession (art. 462 ch. 2 CC). Sa réserve est de moitié de ce droit (art. 471 ch. 3 CC). Les héritiers qui ne reçoivent pas le montant de leur réserve ont l’action en réduction jusqu’à due concurrence contre les libéralités qui excédent la quotité disponible (art. 522 al. 1 CC). Les clauses relatives aux lots des héritiers légaux sont tenues pour de simples règles de partage, si la disposition ne révèle pas une intention contraire de son auteur (art. 522 al. 2 CC).
11. À teneur de l'art. 656 al. 1 CC, l'inscription au registre foncier est nécessaire pour l'acquisition de la propriété foncière.
L'art. 656 al. 2 CC prévoit néanmoins que celui qui acquiert un immeuble par succession en devient propriétaire avant l'inscription, mais il n'en peut disposer dans le registre foncier qu'après que l'inscription audit registre a été remplie. Dans un arrêt récent (arrêt 2C_793/2019 du 22 janvier 2020), le Tribunal fédéral a rappelé qu'en pareil cas, l'inscription au registre foncier a un caractère déclaratif (arrêt 1P.639/2004 du 19 avril 2005 consid. 3.5).
12. En l’espèce, il n’est pas contestable, ni contesté, qu’en sa qualité d’héritière réservataire, Mme B______ est devenue, au jour du décès de son époux, la propriétaire de l’immeuble à concurrence de 3/8ème de sa valeur, le solde de 5/8ème ayant été dévolu à sa belle-mère. En conséquence, en ce qui concerne le partage de ce bien, les droits d’enregistrement y relatifs sont dus dans cette même proportion, comme cela ressort du bordereau litigieux du 5 février 2024. En effet, à teneur de celui-ci, l'AFC-GE a prélevé les droits sur le partage de l’entier de l’actif successoral net (CHF 883'155.-), lequel comprenait notamment la valeur de l’immeuble, droits que les recourantes ne remettent pas en cause. Dès lors, l’opération (prévue dans la convention du 19 juin 2023) par laquelle Mme B______ est devenue la propriétaire de l’entier de l’immeuble ne peut pas être considérée comme un (second) partage au sens de l’art. 62 LDE, mais comme un transfert immobilier à titre onéreux au sens de l’art. 33 al. 1 LDE, puisqu’elle a versé à sa belle-mère une contreprestation dans ce but. En effet, le partage de ce bien conformément aux droits successoraux respectifs des deux héritières devait nécessairement précéder le transfert de sa propriété de l’une à l’autre. A cet égard, il faut rappeler qu’à teneur de la convention précitée, la soulte n’a pas été versée comme contrepartie de ce bien immobilier, mais dans le cadre du partage de l’entier de la succession.
Il en découle que c’est à bon droit que l'AFC-GE a appréhendé ce transfert sous l’angle de l’art. 33 al. 1 LDE, étant précisé que les recourantes ne remettent pas en cause le calcul des droits y relatifs, en tant que tel, mais uniquement leur principe.
13. Pour le surplus, la conclusion de ces dernières tendant à ce que les centimes additionnels de CHF 2'248,40 soient annulés paraît d’emblée manifestement mal fondée. En effet, à teneur du bordereau litigieux, ces centimes sont calculés sur les droits d’enregistrement dus pour des transferts de biens mobiliers au sens de l’art. 52 LDE (CHF 204'372.-). Or, dans aucune de leurs écritures, les recourantes ne contestent le principe même de ces droits, contestant uniquement ceux examinés plus haut relatifs à la cession immobilière, si bien que ces centimes additionnels ne peuvent être que confirmés. Cette conclusion est ainsi écartée.
14. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.
15. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourantes, prises conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnées au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 700.- versée à la suite du dépôt du recours.
16. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 8 mars 2024 par Madame B______ et Maître Caroline MICHEL contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 6 février 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge des recourantes, prises conjointement et solidairement, un émolument de CHF 900.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 700.- ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Jean-Marie HAINAUT et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
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La greffière |