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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/952/2024

JTAPI/869/2024 du 03.09.2024 ( OCIRT ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : INTÉRÊT ACTUEL;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR
Normes : LPA.60 .al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/952/2024

JTAPI/869/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 3 septembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate, avec élection de domicile

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 


EN FAIT

1.             La société B______ SA, inscrite au registre du commerce de Genève depuis le ______ 2019, est notamment active dans le domaine de la restauration. Elle exploite un restaurant situé à Genève, dénommé « C______ ».

2.             Monsieur A______, né le ______ 1973, est ressortissant du Kosovo. Entré en Suisse le 3 novembre 1995, il a déposé une demande d'asile, le 6 novembre suivant, laquelle a été rejetée. Son renvoi de Suisse a été prononcé le 16 février 1996. Le 22 décembre 2002, il a été renvoyé dans son pays d'origine.

3.             M. A______ a fait l’objet d'une mesure de non-admission sur le territoire Schengen, valable dix ans dès le 24 octobre 2006, prononcée par les autorités italiennes.

4.             Les 23 juin 2009 et le 21 août 2015, le Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après: SEM) a prononcé à l’encontre de M. A______ des interdictions d'entrée en Suisse.

5.             Le 21 juin 2018, M. A______ a saisi l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) d’une demande d'autorisation de séjour, dans le cadre de l'opération « Papyrus », demande que ce dernier a préavisée favorablement auprès du SEM.

6.             Par décision du 15 juin 2020, le SEM a refusé de donner son approbation à l'octroi de l'autorisation sollicitée. Cette décision a été confirmé par le Tribunal administratif fédéral (arrêt F-3466/2020 du 1er novembre 2021).

7.             Le 24 février 2022, en exécution de cet arrêt, l’OCPM a imparti à M. A______ un délai au 30 avril 2022 pour quitter la Suisse.

8.             Les 25 avril et 9 décembre 2022, M. A______ a interpellé Monsieur D______, ancien Conseiller d'Etat, au sujet de ses conditions de séjour.

9.             Les 12 mai 2022 et 14 février 2023, M. D______ a enjoint M. A______ à respecter la décision de renvoi qui lui avait été notifiée et à retourner dans son pays d'origine de manière volontaire.

10.         M. A______ a versé au dossier plusieurs lettres de soutien en sa faveur, toutes datées de mars 2023, dont les auteurs le désignent notamment comme « directeur d’établissement à Genève », « directeur » ou encore « gérant d’un restaurant à Genève ».

11.         Le 23 mai 2023, l'OCPM a invité M. A______ à se présenter dans ses locaux le 30 mai suivant, afin de discuter de sa situation et d’organiser son départ de Suisse. M. A______ n’y a pas donné suite.

12.         Dans une lettre du 26 mai 2023, B______ SA, désignant M. A______ comme « responsable d’établissement », a notamment indiqué que ce dernier gérait « l’établissement depuis maintenant plusieurs années » et que le restaurant risquait « de faire faillite » si « une solution » n’était pas trouvée pour l’intéressé.

13.         Le 18 décembre 2023, sous la plume de son conseil, M. A______ a expliqué qu’il ne s’était pas présenté à l’entretien du 30 mai 2023 parce qu’il avait déposé une demande de « permis de travail », dont il joignait une copie (soit le formulaire M daté du 30 mai 2023, signé par le représentant de B______ SA et estampillé par l'OCPM le 21 décembre 2023). A teneur de ce document, cette société sollicitait, en faveur de M. A______, une autorisation de séjour avec activité lucrative, indiquant vouloir l’engager, en qualité de « responsable d’établissement », pour une durée indéterminée et un salaire mensuel brut de CHF 4'600.-.

14.         Le 10 janvier 2024, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a demandé à B______ SA de produire divers documents, en particulier des preuves pour des recherches effectuées sur le marché de l’emploi et pour « l’intérêt économique de la demande ».

15.         Le 30 janvier 2024, B______ SA a indiqué à l’OCIRT que M. A______ lui avait été recommandé par « plusieurs restaurateurs » et qu’elle l’avait « retenu parmi les candidatures spontanées (…), grâce à son sérieux, ses bonnes compétences du métier et son envie de travailler au mieux ». Elle a produit le contrat de travail signé par les parties le 17 août 2020.

16.         Par décision du 15 février 2024, l’OCIRT, après examen du dossier par la commission tripartite, a refusé l'octroi de l'autorisation sollicitée, au motif que les conditions des art. 18, 21 et 22 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) n'étaient pas remplies.

La demande en vue de l'exercice d'une activité lucrative ne présentait pas un intérêt économique suffisant. De plus, l’ordre de priorité n’avait pas été respecté, l’employeur n’ayant pas démontré qu’aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d’un pays de l’UE ou de l’AELE n’avait pu être trouvé. Enfin, les conditions de travail n’étaient pas non plus respectées par l’employeur et celui-ci n’était pas en règle avec l’administration fiscale cantonale (impôt à la source).

17.         Le 4 mars 2024, le SEM a prononcé à l’encontre de M. A______ une nouvelle interdiction d'entrée en Suisse, valable jusqu’au 3 mars 2027, lui reprochant de ne pas avoir respecté la décision de renvoi de l’OCPM du 24 février 2022.

18.         Par acte du 18 mars 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre la décision de l’OCIRT du 15 février 2024, concluant à son annulation et à l’octroi de l’autorisation sollicitée, sous suite de frais et dépens.

Sa famille et lui-même résidaient en Suisse depuis de nombreuses années. Il n'avait jamais sollicité l'aide sociale. Il avait rapidement trouvé un emploi auprès de B______ SA en tant que responsable du restaurant « C______ » à E______. En effet, cet établissement était à la recherche, depuis un certain temps, d'une personne présentant ses qualités professionnelles. Ce restaurant était fréquenté par de nombreuses personnes originaires du Kosovo. Il avait rapidement contribué à développer l'activité économique du restaurant à un tel point qu'il était devenu indispensable à son employeur et à la pérennité de l'établissement.

B______ SA était « extrêmement inquiète » pour l'avenir de son restaurant si elle devait être contrainte de se séparer de lui, en sa qualité du responsable de l'établissement. Elle avait effectué des recherches « durant de nombreux mois » pour trouver un responsable de restaurant disposant de ses qualités professionnelles, linguistiques et humaines. Ces recherches s’étaient toutes soldées par un échec. C'est uniquement dans ce contexte qu’il avait été engagé par cette société, qui affirmait que si elle devait se séparer du responsable du restaurant « C______ », elle serait contrainte de fermer l'établissement et de licencier son personnel. Ainsi, son « admission » servait les intérêts de la Suisse au sens de l'art. 18 LEI. De plus, l'ordre de priorité prévu à l'art 21 LEI avait été respecté par les très nombreuses recherches de son employeur, avant son engagement.

19.         Le 20 mars 2024, le tribunal a demandé à B______ SA de confirmer qu’elle était toujours disposée à engager M. A______, conformément à sa demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative.

20.         Le 10 avril 2024, B______ SA a indiqué au tribunal que M. A______ ne faisait plus partie de la société depuis fin janvier 2024 et que le restaurant « C______ » avait été donné « en gérance ».

21.         Le 21 mai 2024, l’OCIRT a conclu au rejet du recours.

Il n'avait pas les renseignements idoines concernant le parcours professionnel de l'intéressé, ce dernier n'ayant pas fourni un curriculum vitae. Toutefois, d'après le dossier et les diverses expériences professionnelles qui en ressortaient, ce dernier ne disposait ni de qualifications ni d'une expérience à ce point particulière qu'il ne serait impossible à l'employeur de recruter un travailleur doté des compétences requises sur le marché local ou titulaire d'un passeport européen au sein de l'UE/AELE.

Par ailleurs, l'employeur n'avait pas annoncé la vacance du poste à l'office cantonal de l'emploi et n'avait pas prouvé avoir effectué des recherche concrètes sur le marché suisse ou européen. Il n'avait fait aucun effort pour trouver un travailleur correspondant au profil requis en Suisse ou au sein de l'UE/AELE et n'avait par conséquent pas respecté le principe de la priorité dans le recrutement.

De plus, aucun élément au dossier ne démontrait que l'emploi de M. A______ pourrait réellement avoir des retombées économiques positives pour l'économie de la Suisse, que ce soit en termes de création de places de travail, d'investissements ou de diversification de l'économie régionale, étant rappelé qu'il ne fallait pas confondre l'intérêt économique de la Suisse avec celui de l'employeur à engager une personne particulière. Contrairement aux affirmations du recourant, il était peu probable que la société B______ SA fermerait l'établissement si elle devait se séparer de lui. Enfin, une société qui était incapable de s'acquitter de ses obligations fiscales n'avait, selon toute logique, pas d'intérêt économique pour le canton de Genève.

22.         Le 24 juin 2024, le recourant a indiqué au tribunal qu’il n’entendait pas répliquer.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'OCIRT en matière de marché du travail (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ  - E 2 05  ; art. 3 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous l’angle des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

Pour qu'un recours soit - ou demeure - recevable, il faut encore que son auteur ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit annulée ou modifiée, ce qui suppose notamment que ledit intérêt soit actuel et pratique (art. 60 al. 1 let b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 LPA - E 5 10 ; ATF 138 II 42 consid. 1 ; 135 I 79 consid. 1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b ; ATA/201/2017 du 16 février 2017 consid. 2).

L'intérêt du recourant n'est digne de protection que s'il est actuel, c'est-à-dire si la situation de fait ou de droit est susceptible d'être influencée par l'issue du recours. Son admission doit donc lui procurer un avantage ou supprimer un inconvénient de nature matérielle ou idéale (Benoît BOVAY, Procédure administrative, Berne, 2000, p. 351). Le juge ne se prononcera ainsi que sur des recours dont l'admission élimine véritablement un préjudice concret (Pierre MOOR, Droit administratif, tome II, Berne, 2011, p. 748).

3.             Aux termes de l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure ayant abouti à la décision attaquée (let. a), ainsi que toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle.

4.             Les exigences posées par la jurisprudence pour que l’intérêt à recourir soit jugé digne de protection sont claires. L’intérêt en question doit notamment être actuel ou présent au moment du dépôt du recours, ainsi qu’au moment du prononcé sur ce recours. Cette dernière condition très importante en pratique appelle la distinction suivante : faute d’intérêt digne de protection au moment du dépôt du recours, celui-ci est déclaré irrecevable ; les frais sont alors mis à la charge du recourant. Si l'intérêt disparaît en cours de procédure, en ce sens qu’il n’existe plus au moment où le recours doit être tranché mais qu’il existait encore au moment où le recours a été déposé, le recours devient sans objet ; il est alors « rayé du rôle », c’est-à-dire littéralement tracé de la liste des causes devant être traites par le tribunal, ce qui a pour effet de clore la procédure ; dans ce cas, les frais sont attribués en fonction de la cause de retrait (Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, no 2084-2085).

5.             En l’espèce, interpellé par le tribunal en cours de procédure, l’employeur du recourant a répondu, en date du 10 avril 2024, ne plus employer ce dernier depuis fin janvier 2024. Dès lors qu'une demande d'autorisation de séjour avec activité lucrative est par essence liée à l'employeur qui la déposée, notamment en raison des exigences relatives à l'ordre de priorité (art. 21 LEI) et des conditions de rémunération et de travail (art. 22 LEI), le fait que le recourant a perdu son emploi auprès de l'entreprise qui avait demandé l’octroi de l'autorisation querellée signifie que cette dernière ne déploie plus aucun effet juridique et que le recourant ne possédait donc plus, au moment du dépôt de son recours, d'intérêt actuel à en obtenir l’annulation.

6.             Au vu de ce qui précède, le recours sera déclaré irrecevable.

7.             Vu l’issue du recours et l'activité déployée par le tribunal, un émolument de CHF 350.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement genevois sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative - RFPA - RS E 5 10.03). Il est couvert par l’avance de frais de CHF 500.- versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de cette avance, soit CHF 150.-, sera restitué au recourant.

8.             Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

9.             En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au SEM.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 18 mars 2024 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 15 février 2024 ;

2.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 350.-, lequel est couvert par son avance de frais, et ordonne la restitution, en sa faveur, du solde de cette avance, soit CHF 150.- ;

3.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

Le greffier