Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/670/2024

JTAPI/957/2024 du 23.09.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

ATTAQUE

Descripteurs : APPRÉCIATION ANTICIPÉE DES PREUVES;SOUSTRACTION D'IMPÔT;PERSONNE MORALE;DOL ÉVENTUEL;COMPTABILITÉ;SOCIÉTÉ FIDUCIAIRE;AMENDE
Normes : Cst; LIFD.175; LPFisc.69
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/670/2024 ICCIFD

JTAPI/957/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 23 septembre 2024

 

dans la cause

 

A______ SÀRL, représentée par Me Andrea VON FLÜE, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             A______ SÀRL (ci-après: la contribuable ou la recourante) a été fondée le 16 septembre 2014. Elle a pour but l’acquisition, l’exploitation, la gestion et la gérance d’établissements publics.

2.             Les comptes de pertes et profits 2016 à 2019 de la contribuable font état, notamment, des éléments suivants :

Années fiscales

2016

2017

2018

2019

Chiffre d’affaires brut

329'506.-

386'552.-

647'792.-

673'256.-

Repas du personnel

-

-

7'230.-

7'431.-

Parts privées gérants nourriture

-

-

-

12'960.-

3.             Les déclarations fiscales 2016 à 2019 de la contribuable font, quant à elles, état des éléments imposables suivants :

Années fiscales

2016

2017

2018

2019

Bénéfice net

1'976.-

(14'906.-)

5'240.-

60'371.-

Pertes reportées

(40'135.-)

(38'159.-)

(53'065.-)

(47'825.-)

Bénéfice net imposable

(38'159.-)

(53'065.-)

(47'825.-)

12'546.-

4.             Ces déclarations ont donné lieu aux taxations suivantes:

Années fiscales

2016

2017

2018

2019

Bénéfice net imposable

(38'159.-)

(53'065.-)

(49'030.-)

11'341.-

ICC

0.-

0.-

0.-

2'613.-

IFD

0.-

0.-

0.-

961.-

5.             Le 14 juin 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC-GE) a avisé la contribuable de l’ouverture d’une procédure en rappel d’impôt et soustraction fiscale portant sur les années 2016 à 2018. La division principale de la taxe sur la valeur ajoutée de l’administration fédérale des contributions (ci-après : la division TVA) lui avait en effet communiqué des produits non comptabilisés, soit des tickets de caisse ainsi qu’un droit de subsistance, pour les montants suivants :

Années fiscales

2014

2015

2016

2017

2018

Tickets de caisse

-

16'243.-

6'691.-

6'141.-

26'779.-

Droit de subsistance

2'160.-

12'960.-

12'960.-

15'360.-

12'960.-

Le courrier précisait que compte tenu de ces reprises, la perte de l’exercice 2015 était ramenée à CHF 8'772.-. L’impact fiscal ne se matérialisait dès lors qu’en 2016.

6.             Le 4 août 2023, l’AFC-GE a informé la contribuable que la procédure en rappel d’impôt et soustraction fiscale s’étendait à l’année 2019. Les reprises effectuées lors des périodes fiscales 2015 à 2018 épongeaient en effet les pertes de ces exercices. Dès lors, aucune perte reportée ne pouvait être déduite du bénéfice de l’exercice 2019.

7.             Par pli du 29 août 2023, l’AFC-GE a adressé à la contribuable des bordereaux de rappel d’impôt et d’amende ICC et IFD pour les périodes fiscales 2016 à 2019.

Elle a retenu les éléments suivants:

Années fiscales

2016

2017

2018

2019

Bénéfice net imposable

9'925.-

5'172.-

33'654.-

48'628.-

Rappel d’impôts ICC

2'089.-

989.-

7'264.-

8'572.-

Rappel d’impôts IFD

841.-

433.-

2'856.-

3'170.-

La quotité des amendes ICC et IFD a été fixée au montant des droits éludés au motif que la soustraction d’impôts avait été commise intentionnellement, à tout le moins par dol éventuel, car plusieurs produits n’avaient pas été comptabilisés.

8.             Le 13 novembre 2023, la contribuable a formé réclamation à l’encontre des bordereaux d’amendes ICC et IFD 2016 à 2019, qu’elle n’avait reçus que le 27 octobre 2023 en raison d’un problème d’adressage.

Les manquements révélés par le contrôle TVA étaient dus à des négligences de son ancienne fiduciaire, en laquelle elle avait pourtant entièrement confiance et à laquelle elle avait régulièrement remis ses documents comptables, avec la conviction que sa comptabilité était effectuée dans les règles. Elle n’avait eu à aucun moment la volonté de dissimuler une partie de son chiffre d’affaires et les erreurs commises n’étaient pas de son ressort.

9.             Par décision du 17 janvier 2024, l’AFC-GE a rejeté la réclamation formée par la contribuable, en précisant qu’elle avait accepté d’entrer en matière malgré sa tardiveté, compte tenu du problème d’adressage des décisions querellées.

Elle a maintenu que la soustraction d’impôts avait été commise intentionnellement, à tout le moins par dol éventuel, car plusieurs produits n’avaient pas été comptabilisés.

S’agissant de la quotité de l’amende, elle a rappelé que le contribuable qui confiait la tenue de sa comptabilité à un mandataire n’était pas déchargé de ses obligations fiscales et devait supporter les inconvénients d’une telle intervention. Il répondait en particulier des erreurs de l’auxiliaire qu’il n’instruisait pas correctement ou dont il ne contrôlait pas l’activité, du moins s’il était en mesure de reconnaître ses erreurs. Les circonstances invoquées dans le cas d’espèce ne constituaient dès lors pas un facteur atténuant. La quotité de l’amende n’apparaissait pour le surplus nullement disproportionnée.

10.         Le 26 février 2024, la contribuable a recouru contre la décision susmentionnée auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal). Elle a conclu à l’annulation des bordereaux d’amende ICC et IFD 2016 à 2019 et, subsidiairement, à la fixation de la quotité des amendes à un tiers du montant de l’impôt soustrait. Elle a préalablement sollicité l’apport du dossier constitué par la division de la TVA dans la procédure 1______

Elle avait transmis la totalité de ses documents comptables à son ancienne fiduciaire, laquelle n’avait toutefois pas soigneusement accompli son travail. Ce fait pouvait être démontré par l’apport du dossier d’enquête susmentionné, lequel contenait des notes confirmant qu’elle avait bien remis toutes les pièces utiles à sa mandataire.

Aucune intention ni négligence ne pouvait lui être reprochée. Au vu du peu d’importance des montants non déclarés, seul un examen particulièrement approfondi lui aurait permis de déceler que les comptes établis par son ancienne mandataire comportaient des erreurs. Or, on ne pouvait attendre d’elle davantage qu’un examen sommaire de ces documents. Cela était d’autant plus vrai qu’aucun élément ne lui permettait de douter du fait que sa fiduciaire avait correctement effectué son travail. A supposer que son comportement soit, malgré tout, considéré comme illicite, seule une négligence pouvait lui être reprochée. Elle sollicitait dès lors, à titre subsidiaire, que l’amende soit fixée au minimum légal, soit un tiers des droits éludés.

11.         Dans sa réponse du 30 avril 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Il était établi que la contribuable n’avait pas mentionné l’intégralité de ses revenus dans ses déclarations fiscales 2016 à 2019, violant ainsi l’obligation légale qui lui incombait. Il en avait résulté un dommage pour la collectivité équivalent au montant des reprises. La condition de soustraction fiscale était dès lors également réalisée. La faute était par ailleurs démontrée.

L’AFC-GE n’avait en outre pas outrepassé son pouvoir d’appréciation en fixant les amendes au montant de l’impôt soustrait. Elle n’avait notamment pas tenu compte des circonstances aggravantes telles que le délit fiscal commis par la contribuable ou encore le caractère répétitif du comportement délictueux.

12.         Dans sa réplique du 3 juin 2024, la contribuable a persisté dans ses conclusions. Elle a reproché à l’AFC-GE de ne pas s’être déterminée sur ses griefs relatifs à l’ampleur de sa faute et au caractère disproportionné de l’amende.

13.         L’AFC-GE a dupliqué le 8 juillet 2024. Elle a fait valoir qu’au moment de signer sa déclaration, la contribuable aurait dû s’assurer que l’ensemble des tickets de caisse et des droits de subsistance des employés avaient été comptabilisés. En omettant de le faire, elle répondait des erreurs potentiellement commises par sa mandataire dans la mesure où elle était elle-même en mesure de les reconnaître.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 17 al. 3 et 62 al. 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Le litige porte uniquement sur le principe et la quotité des amendes pour soustraction d’impôt ICC et IFD lors des périodes fiscales 2016 à 2019.

4.             La recourante conclut préalablement à l’apport du dossier d’enquête constitué par la division de la TVA, lequel contenait des notes confirmant qu’elle avait bien transmis la totalité de ses documents comptables à son ancienne fiduciaire.

5.             Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour les parties de faire administrer des preuves et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 154 consid. 2.1 et 4.2 ; 132 II 485 consid 3.2). Ce droit n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

6.             En l’espèce, la question de savoir si la recourante a remis la totalité de ses pièces comptables à son ancienne mandataire n’est pas pertinente pour l’issue du litige. A supposer que tel soit le cas, elle devrait de toute manière répondre des erreurs commises par sa mandataire. La mesure d’instruction sollicitée peut dès lors être écartée par appréciation anticipée des preuves.

7.             La recourante conteste avoir commis une soustraction fiscale de manière intentionnelle ou par négligence de même que le montant des amendes prononcées par l’AFC-GE.

8.             Est notamment puni d’une amende le contribuable qui, intentionnellement ou par négligence, fait en sorte qu’une taxation ne soit pas effectuée, alors qu’elle devrait l’être, ou qu’une taxation entrée en force soit incomplète (art. 175 al. 1 LIFD et 69 al. 1 LPFisc).

Lorsque des obligations de procédure ont été violées ou qu’une soustraction ou une tentative de soustraction d’impôt a été commise au profit d’une personne morale, celle-ci est punie d’une amende (art. 181 al. 1 LIFD et 74 al. 1 LPFisc).

Lorsque la soustraction est commise par une personne morale, la faute au sens des art. 69 al. 1 LPFisc et 175 al. 1 LIFD ne peut être qu’un attribut de la personne physique, soit d’un organe de la personne morale, dont le comportement doit être imputé à celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 2C_11/2018 du 10 décembre 2018 consid. 10.2 et l’arrêt cité).

9.             Pour qu’une soustraction fiscale soit réalisée, trois éléments doivent être réunis : la soustraction d’un montant d’impôt, la violation d’une obligation légale incombant au contribuable et la faute de ce dernier. Les deux premières conditions sont des éléments constitutifs objectifs de la soustraction fiscale, tandis que la faute en est un élément constitutif subjectif (ATA/1183/2022 du 31 octobre 2023 consid. 7.1 et les arrêts cités).

La violation d’une obligation légale peut résulter d’une irrégularité dans la comptabilité ou du fait de remplir sa déclaration fiscale de manière non conforme à la vérité et non complète, en violation de l’art. 124 al. 2 LIFD (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1018/2015 du 2 novembre 2017 consid. 9.4.2 et les références citées).

10.         En l’occurrence, la réalisation des éléments objectifs de la soustraction fiscale, soit une perte pour la collectivité publique et la violation d’une obligation fiscale, ayant consisté à ne pas comptabiliser divers produits entre 2014 et 2018 dans les comptes de la recourante et à reporter sur l’exercice 2019 des pertes commerciales excessives, n’est pas remise en cause. Seule l’est le caractère fautif des infractions commises.

11.         La soustraction consommée est punissable aussi bien intentionnellement que par négligence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_553/2018 du 17 juin 2019 consid. 4.2 et les références citées).

12.         La preuve d’un comportement intentionnel de la part du contribuable doit être considérée comme apportée lorsqu’il est établi avec une sécurité suffisante que celui-ci était conscient du caractère erroné ou incomplet des indications fournies, ce qui doit s’établir en fonction de l’ensemble du comportement de l’intéressé lors de la déclaration. Si cette conscience est établie, il faut présumer qu’il a voulu tromper les autorités fiscales, afin d’obtenir une taxation plus favorable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_792/2021 du 14 mars 2022 consid. 6.2). Cette présomption ne se laisse pas facilement renverser, car l’on peine à imaginer quel autre motif pourrait conduire un contribuable à fournir au fisc des informations qu’il sait incorrectes ou incomplètes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1066/2018 du 21 juin 2019 consid. 4.1). Le dol éventuel suffit pour retenir l’intention : il suppose que l’auteur envisage le résultat dommageable, mais agit néanmoins, parce qu’il s’en accommode au cas où il se produirait (arrêt du Tribunal fédéral 2C_78/2019 du 20 septembre 2019 consid. 6.2). En revanche, agit par négligence celui qui, par une imprévoyance coupable, ne se rend pas compte ou ne tient pas compte des conséquences de son acte. L’imprévoyance est coupable lorsque l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle, ce par quoi l’on entend sa formation, ses capacités intellectuelles et son expérience professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 2C_792/2021 précité, consid. 6.4.1).

S’agissant de savoir si une soustraction est intentionnelle ou procède d’une négligence, l’importance des montants en cause joue un rôle non négligeable, dès lors que l’absence d’un montant sur la déclaration d’impôt peut d’autant plus difficilement échapper au contribuable que la somme est élevée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_81/2022 du 25 novembre 2022 consid. 10.2 et 2C_78/2019 précité, ibidem).

Selon la jurisprudence, la conformité du comportement du contribuable à ses obligations légales s’examine de manière objective, et non suivant la représentation subjective que celui-ci avait des événements à l’époque (ATA/203/2014 du 1er avril 2014 consid. 6c). En outre, les administrés ne sauraient tirer avantage de leur méconnaissance du droit (cf. not. ATF 126 V 308 consid. 2b et les arrêts cités).

13.         Lorsqu’il mandate une fiduciaire pour remplir sa déclaration d’impôt, le contribuable n’est pas déchargé de ses obligations et responsabilités fiscales, mais doit supporter les inconvénients d’une telle intervention; il répond en particulier des erreurs de l’auxiliaire qu’il n’instruit pas correctement ou dont il ne contrôle pas l’activité, du moins s’il était en mesure de reconnaître ces erreurs. Lorsqu’un contribuable signe sa déclaration fiscale, conformément à l’art. 124 al. 2 LIFD, il endosse la responsabilité de la véracité des indications qui s’y trouvent ; il répond ainsi lui-même des infractions fiscales commises si une faute lui est imputable ; il ne peut se libérer en faisant valoir qu’il s’est fait assister ou conseiller. Il ne faut en effet pas que le contribuable qui se fait représenter soit favorisé par rapport au contribuable qui remplit sa déclaration fiscale lui-même, par la possibilité de se soustraire à sa responsabilité en se retranchant derrière son représentant pour des fautes qui lui sont imputables. Partant, le contribuable qui signe par avance sa déclaration fiscale ou la fait signer par un employé subalterne, laissant à la fiduciaire la charge de l’envoyer sans effectuer aucun contrôle, s’accommode à tout le moins de la réalisation d’une éventuelle infraction fiscale si la déclaration fournie est inexacte. Pour retenir l’intention, à tout le moins par dol éventuel, il faut toutefois que le contribuable ait pu reconnaître le caractère erroné de la déclaration fiscale s’il avait agi avec la diligence requise et qu’il ait ainsi été en mesure de la faire corriger (arrêts du Tribunal fédéral 2C_78/2019 précité, consid. 6.3 et 2C_908/2011 du 23 avril 2012 consid. 3.5, avec les arrêts cités).

Ainsi, il n’est pas déterminant sous l’angle des conditions d’une soustraction fiscale que le contribuable ait confié à une fiduciaire le soin d’effectuer sa comptabilité et d’établir ses déclarations fiscales (arrêt du Tribunal fédéral 9C_762/2023 du 26 juin 2024 consid. 10.2).

14.         En l’espèce, c’est en vain que la recourante soutient qu’aucune intention ni négligence ne pouvait lui être reprochée, dès lors qu’elle n’aurait pu déceler les erreurs de comptabilité commises par son ancienne fiduciaire qu’au terme d’un examen particulièrement approfondi.

Active dans le domaine de la restauration depuis 2014, la recourante ne pouvait tout d’abord ignorer qu’elle était tenue de comptabiliser dans son chiffre d’affaires le montant des repas et des autres marchandises prélevées par ses associés-gérants et ses employés pour leur propre compte. Il résulte du reste des pièces versées à la procédure qu’elle avait parfaitement connaissance de cette obligation dès lors que ses comptes de pertes et profits 2018 et 2019 font état de « repas du personnel » et de « parts privées gérants nourriture » à hauteur de CHF 7'230.- et CHF 20'391.-. L’on ne voit guère pour quelle raison il en serait allé différemment en 2016 et 2017, la recourante n’alléguant d’ailleurs rien de tel.

Cette dernière ne saurait pour le surplus être suivie lorsqu’elle prétend que seul un examen approfondi des comptes établis par son ancienne fiduciaire lui aurait permis de déceler l’erreur en cause. L’ampleur des montants non déclarés (CHF 12'960.- en 2015, 2016 et 2018 et CHF 15'360.- en 2017) révèle au contraire une absence de vérification de la documentation préparée par sa mandataire avant que celle-ci ne soit remise à l’AFC-GE. Conformément à la jurisprudence, l’erreur commise par la précitée est dès lors entièrement imputable à la recourante.

S’agissant des tickets de caisse non comptabilisés, leurs montants ne sauraient être considérés comme peu importants contrairement à ce qu’affirme la recourante (CHF 16'243.- en 2015, CHF 6'691.- en 2016, CHF 6'141.- en 2017 et CHF 26'779.- en 2018). Il peut tout au plus être concédé à l’intéressée que les montants en question ne représentent qu’une part marginale des chiffres d’affaires des années concernées (2% en 2016, 1,6% en 2017 et 4% en 2018). Cette circonstance ne saurait toutefois suffire pour la disculper.

Conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, le fait de déléguer la tenue de sa comptabilité et l’établissement de ses déclarations fiscales à une fiduciaire ne dispensait en effet pas la recourante de procéder à un contrôle adéquat de ces documents avant de les transmettre à l’autorité fiscale. Or, l’intéressée s’est limitée, sur ce point, à affirmer qu’une vérification sommaire ne lui aurait pas permis de déceler les erreurs commises. Ce faisant, elle n’a ni allégué ni démontré avoir effectivement contrôlé les comptes en question. A supposer qu’elle ait effectué un tel contrôle, il lui aurait incombé de détailler les raisons pour lesquelles ses organes n’aient pas été en mesure de déceler lesdites erreurs, malgré toute la diligence requise. La recourante n’allègue toutefois rien à ce sujet. Dans de telles circonstances, elle ne saurait échapper à l’imputation des manquements de son ancienne fiduciaire.

15.         Le raisonnement qui précède peut être appliqué par analogie à la soustraction fiscale commise durant la période fiscale 2019, qui a consisté à déclarer un bénéfice inférieur à la réalité à la suite de l’imputation de pertes reportées excessives en lien avec les exercices précédents. La recourante n’ayant ni allégué ni démontré avoir vérifié cet aspect des comptes remis à l’AFC-GE, elle répond également de cette erreur de comptabilité.

16.         Au vu de ce qui précède, il ne saurait être reproché à l’AFC-GE d’avoir considéré qu’en s’abstenant de contrôler de manière adéquate l’activité de sa fiduciaire durant les périodes fiscales litigieuses, la recourante s’est accommodée de la réalisation d’éventuelles infractions fiscales et a ainsi agi par dol éventuel. Il s’ensuit que les conditions de la soustraction fiscale sont remplies et que les amendes infligées sont justifiées dans leur principe.

17.         La recourante fait valoir, à titre subsidiaire, que les amendes prononcées par l’AFC-GE sont disproportionnées et sollicite qu'elles soient fixées au minimum légal, soit un tiers des droits éludés.

18.         En cas de soustraction consommée, l’amende est fixée, en règle générale, au montant de l’impôt soustrait. Si la faute est légère, l’amende peut être réduite jusqu’au tiers de ce montant ; si la faute est grave, elle peut au plus être triplée (art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc). Il en découle qu’en présence d’une infraction intentionnelle sans circonstances particulières, l’amende équivaut en principe au montant de l’impôt soustrait. Ce dernier constitue donc le premier critère de fixation de l’amende, la faute intervenant seulement, mais de manière limitée, comme facteur de réduction ou d’augmentation de sa quotité (ATA/1427/2019 du 24 septembre 2019 consid. 4a).

La quotité précise de l’amende doit par ailleurs être fixée en tenant compte des dispositions de la partie générale du Code pénal. Ainsi, conformément à l’art. 106 al. 3 CP, il convient de tenir compte de la situation de l’auteur afin que la peine corresponde à la faute commise. Les principes de l’art. 47 CP régissant la fixation de la peine s’appliquent également. En droit pénal fiscal, les éléments principaux à prendre en considération sont le montant de l’impôt éludé, la manière de procéder, les motivations, ainsi que les circonstances personnelles et économiques de l’auteur (ATF 144 IV 136 consid. 7.2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_180/2013 du 5 novembre 2013 consid. 9.1 ; 2C_851/2011 du 15 août 2012 consid. 3.3 et les références citées).

Dans la mesure où elles respectent le cadre légal, les autorités fiscales cantonales, qui doivent faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi, disposent d’un large pouvoir d’appréciation lors de la fixation de l’amende, l’autorité de recours ne censurant que l’abus du pouvoir d’appréciation (ATF 144 IV 136 précité consid. 9.1 ; ATA/1002/2020 du 6 octobre 2020 consid. 9b et les références citées).

19.         En l’espèce, la quotité de l’amende infligée par l’AFC-GE, correspondant à la totalité des droits éludés, doit être considérée comme excessive. Comme exposé ci-dessus, les sommes non déclarées demeurent en effet relativement marginales en regard du chiffre d’affaires de la recourante ; il en va de même du montant de l’impôt soustrait. Les manquements en cause résultent en outre d’une absence de contrôle de l’activité de la fiduciaire et non d’une intention délibérée de tromper les autorités fiscales. Cela est particulièrement vrai pour la période fiscale 2019 – soit celle ayant donné lieu à l’amende la plus élevée – pour laquelle la seule erreur commise réside dans l’imputation de pertes reportées excessives. La situation de la recourante n’apparait en outre pas particulièrement favorable et il n’appert pas qu’elle aurait refusé de collaborer avec les autorités fiscales dans le cadre des procédures diligentées contre elle.

Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, les amendes infligées à la recourante seront réduites aux trois-quarts des droits éludés.

Le recours sera dès lors partiellement admis. Les bordereaux d’amende ICC et IFD 2016 à 2019 seront ainsi annulés et la cause renvoyée à l’AFC-GE afin qu’elle établisse de nouveaux bordereaux d’amende dans le sens de ce qui précède.

20.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui obtient partiellement gain de cause, est condamnée au paiement d’un émolument réduit s’élevant à CHF 500.-, lequel est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de l’avance de frais de CHF 200.- lui sera par conséquent restitué.

21.         Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 400.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 26 février 2024 par A______ SÀRL contre la décision sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 17 janvier 2024 ;

2.             l’admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelles décisions dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

5.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;

6.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 400.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Pascal DE LUCIA et Jean-Marc WASEM, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier