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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/446/2024

JTAPI/828/2024 du 26.08.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : SÛRETÉS EN MATIÈRE D'IMPÔTS
Normes : LIFD.169.al1; LPGIP.38.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/446/2024 ICCIFD

JTAPI/828/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 26 août 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Antoine BERTHOUD, avocat, avec élection de domicile

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Jusqu’au ______ 2023, Madame A______ a été l’actionnaire unique et l'administratrice avec signature individuelle de la société B______ SA, laquelle a été radiée du registre de commerce de Genève à cette date. Son époux, Monsieur C______, en était le directeur financier jusqu'au 31 janvier 2012, également avec signature individuelle. 

2.             Le 20 décembre 2018, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a notifié à B______ SA des bordereaux de rappel d’impôt et d’amende pour les périodes fiscales 2006 à 2014 et des bordereaux de taxation pour l’année 2015.

Ces bordereaux (excepté ceux de rappel des IFD et ICC 2006 annulés pour cause de prescription) ont été confirmés tant par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal ; JTAPI/296/2022 du 25 mars 2022, cause A/4342/2020) que par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative ; ATA/761/2022 du 26 juillet 2022) et le Tribunal fédéral (arrêt 2C_733/2022 du 13 décembre 2022). Au final, la société était débitrice d’un montant total de CHF 665'263,90.

3.             Le même jour, l'AFC-GE a notifié aux époux des bordereaux de rappel des ICC et IFD 2006 à 2014, des bordereaux de taxation ICC et IFD 2015 et des bordereaux d’amende pour la soustraction des ICC et IFD 2008 à 2014 et pour la tentative de soustraction des ICC et IFD 2015, dont la quotité s'élevait aux 4/5 des impôts soustraits, respectivement aux 8/15 des impôts. Chacun des époux était condamné à la moitié du montant des amendes.

Les montants des rappels d’impôt et d’amende se répartissaient comme suit :

 

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Amende ICC par contribuable

20’848.-

8’241.-

14’146.-

12’057.-

13’474.-

12’484.-

6’758.-

Rappel d’impôt ICC des époux

52’122.45

20’604.45

35’366.45

30’142.70

33’686.55

31’210.45

16’897.10

Amende IFD par contribuable

8’768.-

2’742.-

6’173.-

4’405.-

5’707.-

5’067.-

2’388.-

Rappel d’impôt IFD des époux

21’921.-

6’857.-

15’434.-

11’013.20

14’268.-

12’668.95

5’970.90

Ces bordereaux ont également fait l’objet d’un contentieux judiciaire (cause A/3197/2022). Par jugement du 2 octobre 2023 (JTAPI/1067/2023), le tribunal a confirmé les bordereaux de rappel d’impôt notifiés aux époux, annulé les bordereaux d’amende notifiés à M. C______ et réformé ceux notifiés à Mme A______, en ce sens qu’elle en était responsable de l’entier du montant. La chambre administrative a annulé les bordereaux de rappel d'impôt et d’amende 2008, pour cause de prescription, et confirmé ceux des années 2009 à 2015 (ATA/401/2024 du 19 mars 2024). Cet arrêt fait l’objet d’un recours actuellement pendant devant le Tribunal fédéral (cause 9C_251/2024).

4.             Le 12 décembre 2022, l'AFC-GE a notifié à chacun des époux huit amendes de CHF 5'000.- chacune pour participation dans les soustractions fiscales commises (ICC et IFD 2012 à 2014) et tentées (ICC et IFD 2015) par B______ SA.

Ces amendes ont également fait l’objet d’un litige judiciaire (cause A/832/2023). Le tribunal a confirmé les amendes infligées à Mme A______ et annulé celles notifiées à M. C______ (JTAPI/1274/2023 du 13 novembre 2023). La chambre administrative a, sur recours de l'AFC-GE, rétabli les amendes infligées à M. C______ (ATA/402/2024 du 19 mars 2024). Cet arrêt fait également l’objet d’un recours actuellement pendant devant le Tribunal fédéral (cause 9C_251/2024).

5.             Le 25 avril 2023, l'AFC-GE a notifié à chacun des époux des demandes de sûretés en garantie des montants qui lui étaient dus sur la base des décisions judiciaires susmentionnées. Le montant des sûretés s’élevait à CHF 533'545,90.

6.             Par acte du 24 mai 2023 (cause A/1788/2023), les époux, sous la plume de leur conseil, ont recouru contre ces demandes auprès du tribunal.

La seule reprise de prestations appréciables en argent, dont ils n’avaient pas profité concrètement, et la donation du bien immobilier à leurs enfants en 2018 ne pouvaient justifier une menace concrète des droits du fisc. Le risque de fuite ne reposait sur aucun élément de faits concret.

7.             Le 6 juin 2023, l'AFC-GE a demandé aux époux s'ils souhaitaient proposer une autre mesure de garantie poursuivant le même but que des sûretés, comme des cautions ou des garanties bancaires.

8.             Les époux n'ont pas proposé de mesure de substitution.

9.             Le 31 juillet 2023, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours dans la cause A/1788/2023.

10.         Par réplique du 23 août 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions prises dans cette cause.

11.         Le 10 janvier 2024, faisant suite au jugement du tribunal JTAPI/1067/2023 du 2 octobre 2023, l'AFC-GE a notifié à Mme A______ des nouvelles demandes de sûretés portant sur les mêmes valeurs patrimoniales que celles visées par les demandes de sûretés du 25 avril 2023.

Les sûretés s’élevaient à CHF 285'680,35 (ICC 2008 à 2015), CHF 188'618.- (amendes ICC 2008 à 2015), CHF 116'147,55 (IFD 2008 à 2015) et CHF 74'818.- (amendes IFD 2008 à 2015).

12.         Le 15 janvier 2024, l’office des poursuites a informé les époux avoir levé les séquestres exécutés le 25 avril 2023, mais que ceux-ci ne pouvaient pas se dessaisir de leurs biens séquestrés, ces derniers faisant l’objet des nouvelles mesures de sûretés du 10 janvier 2024.

13.         Par acte du 25 janvier 2024 (enregistré sous la cause A/446/2024), complété le 15 février suivant, Mme A______, sous la plume de son conseil, a recouru contre les demandes de sûretés prononcées le 10 janvier 2024, concluant à leur annulation.

Son divorce de M. C______ ayant été prononcé le ______ 2023, la solidarité entre les époux avait cessé à cette date. Les décisions de sûretés du 10 janvier 2024 se fondaient donc de manière erronée sur la responsabilité conjointe et solidaire des époux. La prescription absolue étant acquise pour l’année fiscale 2008, les prétentions de l'AFC-GE devaient être réduites à concurrence des rappels d'impôts et amendes afférents à cette période.

14.         Dans sa réponse du 23 février 2024, l'AFC-GE a conclu à l’admission partielle du recours, dans la mesure où ses prétentions pour l’année 2008 étaient atteintes par la prescription, et à son rejet pour le surplus.

Ses droits pour les périodes 2009 à 2015 étaient objectivement menacés. En effet, Mme A______ faisait l’objet des procédures de rappel, de soustraction et de tentative de soustraction pour ces périodes, ainsi que d’une procédure pénale pour instigation, complicité et participation à la soustraction d'impôt commise par B______ SA. Le 1er mars 2018, les époux avaient donné leur bien immobilier en Suisse à leurs enfants, ce après l'ouverture de la procédure en rappel et soustraction d'impôt à leur encontre et durant l'instruction de cette procédure. Ils ne détenaient à ce jour plus aucun bien immobilier en Suisse, ce qui entraînait fondamentalement la mise en danger des droits du fisc. Ils n'avaient pas déclaré des montants de revenu et de fortune importants et s'exposaient à devoir s'acquitter de suppléments d'impôt, d’intérêts et d’amendes élevés. Ils avaient procédé à une dissimulation systématique de leur revenu et de leur fortune durant plusieurs années fiscales, si bien que les droits du fisc étaient menacés. Ils avaient l'âge de la retraite et leurs enfants, âgés de respectivement 38, 35 et 32 ans, avaient quitté la Suisse pour la Tunisie. Ainsi, les époux n'auraient aucune difficulté à vivre à l'étranger, notamment à D______, en Espagne, où ils possédaient un bien immobilier. Par le passé, ils avaient déjà quitté la Suisse pour la Tunisie.

De surcroît, les époux avaient radié au registre foncier leurs usufruits sur leur immeuble, ce moins d'un mois après l'arrêt du Tribunal fédéral du 13 décembre 2022 concernant B______ SA (2C _733/2022), ce qui entraînait également la mise en danger des de droits du fisc. Ils avaient en outre pris de nombreuses mesures pour mettre à l'abri leur patrimoine, et ce après l'ouverture de la procédure en rappel et soustraction d'impôt à leur encontre et durant l'instruction de cette procédure, dont notamment un contrat de fiducie du 16 septembre 2020, que Mme A______ avait conclu avec Madame E______, portant sur 10 parts du capital-social de la société F______ Sàrl. Mme A______ s’était par ailleurs dessaisi de ses véhicules. Ils n’avaient effectué aucun versement pour les impôts dus alors qu'ils reconnaissaient, à tout le moins en partie, certaines des reprises.

En outre, pour les périodes 2016 à 2021, pour lesquelles ils avaient déposé leurs déclarations après l'ouverture de la procédure en rappel et en soustraction, mentionnant des revenus et fortune générant des impôts de plus de CHF 130'000.-, les époux avaient versé moins de CHF 5'000.- d'acomptes. Ils n’avaient proposé aucune autre mesure de substitution, telle que la fourniture de cautions ou de garanties bancaires.

Pour le surplus, la créance fiscale concernée par les mesures litigieuses était vraisemblable. Les bordereaux y relatifs n’étaient certes par encore entrés en force, mais des sûretés pouvaient être exigées en tout temps. Toutefois, compte de la prescription de la période fiscale 2008, les montants des sûretés en cause devaient être réduits de CHF 64'407,75 pour l'ICC et de CHF 28'682,60 pour l’IFD, et ramenés ainsi à respectivement CHF 221'272,60 et CHF 87'464,95. S'agissant des amendes, y compris celles de 2008, la poursuite pénale n'était pas prescrite, de sorte qu’il convenait d'en tenir compte dans le montant des sûretés.

Dans la présente procédure, il n'appartenait pas au juge de se prononcer sur la question de la solidarité des époux pour les dettes fiscales. Tant qu’elle n'avait pas rendu de décision de répartition de la part d'impôt due par chacun des époux, les décisions de taxation constituaient, pour chacun, la base pour demander des sûretés. Partant, le grief relatif à la fin de la solidarité des époux devait être rejeté.

15.         Par réplique du 18 mars 2024, Mme A______, sous la plume de son conseil, a maintenu ses conclusions.

Le seul fait que l'AFC-GE ait renoncé volontairement à valider les séquestres exécutés en 2023 démontrait qu’elle avait pris le risque qu’elle fasse disparaître les avoirs bloqués par l’office des poursuites. Cela démontrait l’absence de menace concrète sur les droits du fisc.

Pour le surplus, elle renvoyait à ses écritures et pièces produites dans la cause A/1788/2023.

16.         Par duplique du 28 mars 2024, l'AFC-GE a campé sur sa position, relevant notamment que les séquestres exécutés en avril 2023 ayant été levés le 15 janvier 2024, soit postérieurement à ceux exécutés le 10 janvier 2024, les avoirs concernés n’avaient jamais été laissé à la libre disposition de la recourante.

17.         Par écriture spontanée de son conseil du 10 avril 2024, la recourante a objecté que selon la loi topique, l’office de poursuite aurait pu lever les séquestres d’avril 2023 avant le 10 janvier 2024.

18.         Par leurs écritures complémentaires des 15 et 23 avril 2024, les parties ont campés sur leurs positions respectives.

19.         Par jugement du 7 juin 2024 (JTAPI/547/2024), le tribunal a rayé du rôle la cause A/1788/2023, considérant qu’elle était devenue sans objet suite à la caducité des mesures de sûretés prononcées le 23 avril 2023.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les demandes de sûretés déposées par l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 38 al. 4 de la loi relative à la perception et aux garanties des impôts des personnes physiques et des personnes morales du 26 juin 2008 - LPGIP - D 3 18 ; art. 169 al. 3 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 38 al. 4 LPGIP et 169 al. 3 LIFD.

3.             Le recourant demande l’annulation des sûretés exigées par l’AFC-GE.

4.             Dans sa réponse, l’AFC-GE s’est engagée à réduire le montant des sûretés pour tenir compte de la prescription des rappels d’impôts pour l’année 2008. Il lui en sera donné acte.

5.             En droit fédéral, l’art. 169 al. 1 LIFD dispose que si le contribuable n'a pas de domicile en Suisse ou que les droits du fisc paraissent menacés, l'administration cantonale de l'impôt fédéral direct peut exiger des sûretés en tout temps, et même avant que le montant d'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force. La demande de sûretés indique le montant à garantir; elle est immédiatement exécutoire. Dans la procédure de poursuite, elle produit les mêmes effets qu'un jugement exécutoire.

Le pendant cantonal de cette disposition est, depuis le 1er janvier 2009, l’art. 38 al. 1 LPGIP, qui prévoit que : si le contribuable n'a pas de domicile en Suisse ou que les droits du fisc paraissent menacés, le département peut exiger des sûretés en tout temps et même avant que le montant de l'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force ; la demande de sûretés, sommairement motivée, indique le montant à garantir; elle est immédiatement exécutoire; dans la procédure de poursuite, elle est assimilée à un jugement exécutoire au sens de l’art. 80 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, du 11 avril 1889 (LP - RS 281.1).

6.             Selon la jurisprudence, pour qu'une demande de sûretés au sens de l'art. 169 al. 1 LIFD soit valable, il est nécessaire : 1) que l'un des cas de séquestre mentionnés dans cette disposition soit réalisé, à savoir l'absence de domicile en Suisse ou le fait que les droits du fisc paraissent menacés, 2) que l'existence de la créance fiscale paraisse vraisemblable et 3) que le montant de la garantie exigée ne se révèle pas manifestement exagéré (arrêt du Tribunal fédéral 2C_85/2020 du 6 octobre 2020 consid. 5.1 et références).

S’agissant des cas de séquestre, l'art. 169 al. 1 LIFD prévoit deux hypothèses pouvant donner lieu à des sûretés. L'hypothèse générale est celle dans laquelle le paiement de la créance fiscale apparaît menacé. Dans le cadre de l'hypothèse spéciale, la loi admet également la constitution de sûretés dans les cas où le contribuable n'a pas de domicile en Suisse, ce qui se justifie dans la mesure où une créance de droit public de la Confédération, d'un canton ou d'une commune ne peut donner lieu à une exécution forcée hors de Suisse (arrêts du Tribunal fédéral 2C_543/2018 du 30 octobre 2018 consid. 2).

Dans l'hypothèse générale, il suffit que le recouvrement de la créance fiscale paraisse objectivement « menacé » au regard de l'ensemble des circonstances pour que l'une des conditions posées à l'exigence de sûretés par le fisc soit réunie (arrêts du Tribunal fédéral 2C_115/2017 du 30 mai 2017 consid. 6.2).

La seule déclaration incomplète du revenu ou de la fortune imposable, de même que la seule soustraction fiscale ne suffisent pas, en tant que telles, à retenir la mise en danger des droits du fisc. En revanche, la dissimulation systématique par le contribuable de sa situation de revenu et de fortune, en particulier la mise de côté d'argent liquide pour un montant de plusieurs centaines de milliers de francs permet de conclure à une mise en danger objective des droits du fisc. Parle aussi en faveur d'une telle conclusion le fait que le patrimoine du contribuable soit facilement réalisable ou transférable à l'étranger. Si le fait de posséder une nationalité étrangère ne permet pas à lui seul de retenir une mise en danger des droits du fisc, il convient de considérer à cet égard le maintien par le contribuable de relations de famille et d'affaires avec son (autre) pays d'origine (arrêt du Tribunal fédéral 2A.746/2004 du 16 juin 2005 consid. 3.1 et les arrêts cités).

L'art. 169 LIFD n'exige pas que le contribuable ait adopté un comportement ou une manière d'agir spéciale ; il suffit que le paiement de la créance fiscale apparaisse objectivement menacé, sur la base de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. C'est le cas notamment lorsque l'activité soumise à l'impôt permet au contribuable de se soustraire le cas échéant à l'exécution forcée de sa créance par le dessaisissement ou le transfert à l'étranger de valeurs patrimoniales, ou lorsque le contribuable travestit systématiquement sa situation patrimoniale aux autorités de taxation. Pour juger du danger que le contribuable se soustraie à ses obligations fiscales, la facilité de vente et la mobilité des actifs existant revêtent une grande importance. Le comportement passé du contribuable peut aussi constituer un indice de la mise en danger de la créance fiscale, en particulier le dépôt de requêtes dilatoires, la remise de comptes incomplets ou l'absence de transmission des documents requis (arrêt du Tribunal fédéral 2A.237/2006 du 9 janvier 2007 consid. 2.2 et les arrêts cités). La possession de biens immobiliers en Suisse peut conduire à renoncer à des sûretés, pour autant que ceux-ci puissent garantir l'ensemble de la créance présumable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_273/2019 du 16 septembre 2019 consid 3.1.1; ATA/1851/2019 du 20 décembre 2019). La possession d'immeubles en Suisse n'entraîne fondamentalement pas de mise en danger des droits du fisc, car les immeubles ne sont pas immédiatement aliénables (Hans FREY, in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, art. 169, § 29, p. 2706).

7.             Lorsqu'ils doivent statuer sur un recours portant sur une demande de sûretés, le Tribunal fédéral, tout comme la chambre administrative, limitent leur examen à un contrôle prima facie de la situation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1057/2020 précité consid. 5.2 ; ATA/1238/2021 du 16 novembre 2021 consid. 7).

8.             En l’espèce, l'AFC-GE réclame à la recourante près de CHF 530'000.-, pour lui avoir systématiquement caché sa situation patrimoniale entre 2009 et 2015. Durant les périodes considérées, cette dernière n’a en particulier pas déclaré les prestations appréciables en argent provenant de sa société B______ SA ni son bien immobilier à D______. Pour le surplus, elle ne conteste pas avoir donné, en mars 2018 - soit pendant la procédure de rappel d’impôt la concernant, son bien immobilier genevois à ses enfants ni avoir renoncé, en 2020, à l’usufruit sur ce bien. Ces seuls éléments suffisent déjà pour considérer les droits du fisc comme menacés et retenir l’existence d’un cas de séquestre.

9.             S’agissant du caractère vraisemblable de la créance, le niveau de preuve exigé pour la créance fiscale est celui de la simple vraisemblance, sous la forme d’un examen préjudiciel et prima facie de la situation, la détermination de l’obligation fiscale et la fixation de l’impôt effectivement dû demeurant réservées dans le cadre de la procédure ordinaire concernant l’affaire fiscale elle-même (arrêt du Tribunal fédéral 2C_77/2019 du 17 mars 2021 consid. 5.2.2 et les références citées).

De même, le montant présumable de l’impôt, lorsque la créance n’est pas définitive, fait l’objet d’un examen sommaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_85/2020 du 6 octobre 2020 consid. 5.1). La loi prévoit expressément qu’il n’y a pas lieu d’attendre une décision entrée en force pour exiger des sûretés ; dès lors, en cas de rappel d’impôt, il convient d’examiner si les reprises effectuées par le fisc - et éventuellement contestées par le contribuable - doivent être tenues pour plausibles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_815/2021 du 23 décembre 2021 consid. 3.2), étant précisé qu’elles ne doivent pas être manifestement exagérées (Peter LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, vol. III, 2015, art. 169, § 37, p. 1010).

10.         En l’espèce, l’AFC-GE a arrêté le montant des sûretés en se fondant sur les bordereaux de rappel d’impôt et d’amende confirmés par le tribunal (JTAPI/1067/2023 du 2 octobre 2023), ainsi que sur les intérêts sur rappel d’impôt. Toutefois, par arrêt du 19 mars 2024 (ATA/401/2024), la chambre administrative a annulé les bordereaux de rappel d'impôt et d’amende 2008, pour cause de prescription. Dès lors, une réduction des suretés en cause s’impose également à concurrence du montant des amendes infligées pour la soustraction des ICC et IFD 2008 (CHF 59'232.-).

Pour le surplus, non seulement il est permis de retenir que les créances fiscales relatives aux années 2009 à 2015 sont vraisemblables, mais également que les sûretés y relatives sont proportionnées. En effet, par ATA/401/2024, la chambre administrative a confirmé les bordereaux de rappel d’impôt, de taxation et d’amendes relatifs à ces périodes. Il importe peu que cet arrêt ne soit pas entré en force en raison d’un recours pendant devant le Tribunal fédéral, car s’agissant d’examiner la validité d’une demande de sûretés, un contrôle prima facie suffit. Enfin, le fait que depuis leur divorce en ______ 2023 (ce dont ils n’ont du reste pas informé l'AFC-GE) les ex-époux ne soient plus solidairement responsables des dettes d’impôts nées pendant leur mariage est irrelevant en l’absence de toute décision de scission fixant le montant exact dû par chacun d’entre eux.

11.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement, en ce sens que le montant des sûretés sera réduit à concurrence des montants des rappels d’impôt et des amendes 2008. Il sera rejeté pour le surplus.

En conséquence, le dossier sera renvoyé à l'AFC-GE pour qu’elle réduise le montant de sûretés dans le sens des considérants.

12.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe dans une large mesure, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

13.         Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée à titre de dépens, les demandes de sûretés pour l’année 2008 n’ayant pas été annulées du fait de l’activité de son conseil, mais pour cause de prescription (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 25 janvier 2024 par Madame A______ contre les décisions de l'administration fiscale cantonale du 10 janvier 2024 ;

2.             l'admet partiellement ;

3.             renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour qu’elle modifie le montant des sûretés dans le sens des considérants ;

4.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Giedre LIDEIKYTE HUBER et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière